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Des astres  
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Yrja l’impie
Yrja l’impie
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Posté le 08/10/2024 à 00:34:47. Dernière édition le 16/10/2024 à 00:42:21 

Dagstjarna

« Faut quand même être tout à fait con pour s’être dit capitaine et n’avoir pas su nager.
-       Oh mais quel sens de la formule, Yrja ! C’est comme poète qu’il aurait dû t’engager. Tu joues de la flûte et du clavecin, aussi ?
-       Suce ma hache, Liocha. »


                                                                                                                             

Sur le pont d’un deux-mâts que l’océan engloutirait trois jours après, Yrja, du ciel, scrutait les caprices. Une accalmie, trop temporaire, leur offrait, à elle et à ce piètre équipage dont elle faisait alors partie, quelque repos. Alekseï, le dernier-né d’une famille russe d’anciens militaires reconvertis en propriétaires terriens, se tenait à côté d’elle. Elle et ses quatre-vingt-cinq kilos veillaient sur l’ordre au sein du vaisseau ; lui, navigateur, et ses rudiments d’astronomie, glanés au fil de son existence oisive auprès des savants de Saint-Pétersbourg, étaient en charge de leur bon cap à tous.

S’ils n’étaient pas de mauvais êtres, ils n’en étaient certes pas de bons non plus.

Yrja l’impie
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Posté le 08/10/2024 à 01:07:04. Dernière édition le 21/10/2024 à 15:42:24 

Leidarstjarna

Alekseï était debout, derrière elle, et semblait déjà avoir abandonné. Il était encore très jeune, pourtant, certains disaient qu’il n’avait pas encore atteint la vingt-cinquième de ses années, mais lui savait qu’il ne vivrait plus longtemps, non, parce que ce qu’il devait voir et faire de sa vie avait d’ores et déjà été aperçu, tenté et puis raté. Et si Alekseï aurait pu ne pas s’en contenter, se débattre contre son sort et faire vœu de hubris ou de démesure, il avait eu la sagesse ou la bêtise d’y renoncer. Il mourrait bientôt et avec cela il avait fait la paix.

« Quand j’étais gamine, dans cet enfer blanc que l’on nomme parfois Islande, un des contes avec lesquels on nous berçait disait l’histoire d’un poisson qui apprend à marcher. Il veut atteindre le sommet d’un de nos volcans, je sais plus pourquoi, sans doute pour prouver quelque chose à quelqu’un.
-       Attends, attends, laisse-moi deviner : le poisson, en fait, c’est toi ! Hein, dis, j’ai bon ?
-      Mais ferme ta gueule, Liocha. J’essaie de rendre un hommage. Les deuils, tu sais, c’est important.
-        Oh, ça va, pleure pas.
-       Donc, comme je disais, le poisson apprend à marcher. Peu à peu, à force d’efforts, chaque jour il sort de l’eau pour aller un peu plus loin. C’est un long combat, contre les éléments, contre ce qui détermine sa condition, contre les Nornes et le destin, contre l’abandon, contre tout ce qui voudrait le persuader que son projet est vain. C’est une épreuve comme on en vit qu’une seule, dans sa vie, qu’on soit humain ou bien poisson. C’est une épreuve dont il soit qu’il doit triompher. Alors, c’est ce qu’il fait.
-       Quel connard de héros, cette poiscaille. Ce genre de mythe, je peux pas les supporter. Dis-moi qu’il finit par se faire bouffer.
-       Plus ou moins, oui. À force de persévérer, il atteint le volcan, son sommet, et il plonge les yeux dans ce qu’aucun autre des siens n’a jamais pu voir : le cratère de la montagne, la lave qui coule à l’intérieur.
-       Et là il perd l’équilibre et crève carbonisé.
-       Non. Il s’aventure encore plus loin, il dévale les flancs du volcan, il fait le tour de l’île, il en voit les moindres contours. Des jours passent, des semaines puis des années. Il se fait voyageur, aventurier, savant. Il se saisit de ce que l’errance peut offrir, il apprend d’elle tout, absolument tout, et aussi que le temps est un ruisseau.
-       Le temps est un ruisseau ? Non mais… /
-       Ferme ta gueule Liocha. Juste ferme-là sinon c’est moi, je te jure, qui vais m’en charger.
-       …
-       Et donc, au terme de ce périple, le voilà décidé à s’en retourner chez les siens, pour leur faire part de ses apprentissages, pour leur dire tout ce qu’il sait désormais. C’est le retour du fils prodigue, c’est le retour du roi, ça y est. Le poisson file vers la mer, enorgueilli d’avoir dépassé sa seule condition de poisson, fier d’avoir laissé derrière soi son ignorance, ravi d’avoir oublié tout ce qui ne faisait de lui rien d’autre qu’un simple et vil animal, ordinaire et commun. En toute hâte de retrouver les siens, il saute à l’eau. Sauf que voilà, à force de courir par monts et par vaux, à force de parcourir tout ce qu’un poisson ne parcourt pas, voici qu’il ne sait plus être un simple poisson, voilà qu’il ne sait plus nager.
-       Et, comme le capitaine, il se noie.
-       Et, comme le capitaine, il se noie. »

À l’horizon, le soleil commence à se lever. Les premiers de ses rayons apparaissent mais ne les éblouissent pas encore. C’est un moment rare où les éléments paraissent inoffensifs. Bien sûr, il ne dure qu’un temps.

« Yrja, en fait, je sais pas si c’est du capitaine que tu parlais, ou bien d'autre chose. Les métaphores, tout ça...
-       Non, Liocha, pas d’inquiétude : les légendes sont faites ainsi, afin que chacun puisse s'y reconnaître. Mais, crois-le, c'est avant tout de moi dont il était question. C'était la première de tes questions et il s'avère que tu avais raison. »
 

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