Le Faux Rhum
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Posté le 07/11/2021 à 15:20:07. Dernière édition le 09/11/2021 à 23:02:41
Enterrée dans sa prison caverneuse, la momie vivante laisse vagabonder son esprit, incapable de faire grand-chose d’autre pour le moment. Quand il est seul, ses propres pensées volettent comme des papillons qui s’évanouiraient une fois qu’il a refermé la main dessus. Il n’y a que les pensées des autres qui sont tangibles pour lui, et lui offrent un semblant de lucidité éphémère. Désir, colère, amour, chagrin, joie… Chacune est teintée d’une émotion particulière et évoque la corde d’un instrument de musique, produisant une note qui lui est propre. Il se délecte des bribes d’événements passés, présents ou futurs, qui tourbillonnent dans ce qu’il perçoit du monde ; aucun moyen de savoir lesquels appartiennent à qui… ni quand ils se déroulent. Il sait juste qu’il a déjà rencontré tous ces gens, ou qu’il les rencontrera à un moment de sa vie. Mais jamais, au grand jamais il n’arrive à se rappeler de leurs noms. En tout cas, même ici, piégé au plus profond de la terre sous Liberty, il arrive à les entendre. Gemini ne l’a pas enfermé assez loin.
L’ennui le gagne. Il fait vibrer du doigt l’une de ces cordes et consacre toute son attention à la note qu’il en tire.
*
Une femme âgée de trente ans environ est agenouillée devant un baquet en bois rempli d’eau à ras bord. Elle y fait prendre son bain à un petit garçon surexcité. Elle est brune, de grande taille et le physique sec, la tête couronnée d’une crinière sauvage, ses bras et ses jambes nus parsemés de cicatrices. L’enfant hurle de rire alors qu’elle fait l’idiote, les éclaboussant tous deux généreusement, se fabriquant des moustaches avec la mousse et chantonnant affreusement faux avec lui pour l’accompagner dans sa toilette. Lorsque le bain est terminé, il lui tend les bras ; elle sort le petit du baquet et l’enroule dans une serviette épaisse avec des gestes maternels, le frictionnant vigoureusement pour le sécher. Puis elle appelle quelqu’un, et une seconde femme aux cheveux roux fait son entrée. Du même âge que la brune, elle est plus petite et plus replète, la peau pâle et constellée de taches de rousseur, et elle s’empare de l’enfant pour le porter sans effort dans ses bras robustes, le gratifiant d’un baiser sonore. Après le bain, c’est l’heure du repas, et le petit garçon semble ravi du menu que sa mère lui détaille d’une voix douce à l’oreille. La brune envoie un baiser à l’enfant, qui la regarde par-dessus l’épaule de la rouquine quand elle l’emmène avec elle hors de la pièce. Restée seule, elle retire ses vêtements et se plonge avec délices dans l’eau encore chaude du bain de son fils pour se détendre à son tour, et savourer un court moment rien qu’à elle.
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L’homme au faciès squelettique sourit, buvant les émotions ressenties à la vue de l’un de ces tableaux perdus dans le temps, en appréciant la saveur unique tel un véritable gourmet. Déjà, il ne pense plus qu’au prochain plat qui l’attend dans ce festin fantasmagorique. |
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Posté le 09/11/2021 à 22:34:04. Dernière édition le 09/11/2021 à 23:07:46
Une jeune femme blonde de petite taille, à la carrure de gymnaste, passe la main dans les cheveux de son amant penché sur elle, l’attirant à portée de baiser. À ce moment précis, un fantastique feu grondant prend naissance dans son ventre avant de rugir et remonter délicieusement jusque dans sa nuque et son crâne. Elle a rejoint sa couche en passant par la fenêtre plus tôt dans la nuit, escaladant la façade pour le simple plaisir de la transgression. Elle a bien veillé à ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller le reste de la maisonnée, le cœur bondissant dans la poitrine dans sa hâte de le rejoindre. Ils viennent de faire l’amour, presque précipitamment, obéissant à la frénésie du moment et au désir né d’une séparation bien trop longue à leur goût, qui n'a pourtant duré que quelques jours à peine. Ils sont maintenant affalés sur un lit aux draps défaits, leurs jambes entrelacées, et chacun reprend son souffle dans les bras de l’autre. Elle joue avec les poils courts de son torse, et elle sent ses doigts à lui caresser son ventre, s’égarant entre son nombril et ses seins ; elle devine sans mal son désir renouvelé. Elle bascule sur lui sans prévenir, saisissant son visage entre ses mains et faisant taire son exclamation amusée en baisant à de multiples reprises son front, sa bouche et chaque partie de son visage qu’elle peut atteindre. Elle remue un peu les hanches avec insistance, le regardant bien en face d’un air mortellement sérieux. Elle ne quitte pas ses lèvres des yeux, pour distinguer les mots qu’il prononce et qu’elle ne se lasse pas de lire à défaut de pouvoir les entendre. Elle ne peut pas parler ou presque, mais elle se fait un devoir de lui faire comprendre qu’elle l’aime aussi, beaucoup plus lentement cette fois-ci.
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Il pourrait se sentir voyeur, mais ces fugaces impressions disparaissent aussi vite qu’il en a été témoin, éteintes comme la flamme d’une bougie brusquement soufflée. |
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Posté le 11/11/2021 à 19:00:11
Il nage dans les brumes de sa propre cervelle en quête d’un nouveau morceau à se mettre sous la dent, guettant tout ce qui pourrait satisfaire son appétit dévorant. Après avoir fureté comme un chien en quête de restes après un repas, il décèle enfin un courant prometteur, empli d’une tension rare, et tend son esprit dans cette direction. Soudain, c’est comme si on le tirait par le nombril pour l’attirer jusqu’à un cabanon vieillot, dressé en bordure d’un jardin en triste état. Il règne un silence de mort par ici, uniquement rompu par de faibles gémissements étouffés provenant de l’intérieur de la bâtisse. Il s’approche de la fenêtre et colle son affreux visage aux carreaux pour y voir.
*
Un enfant dévoré par les flammes gît dans un lit souillé. Ses affreuses blessures sont cachées par d’épais bandages, qui donnent l’illusion qu’il lui manque la moitié du visage, de l’épaule et du torse du côté gauche. Sous les tissus enduits d’un onguent apaisant qui fait bien peu effet au vu de l’ampleur du désastre, les plaies suppurent un fluide clair, comme une ampoule crevée. Il est réveillé depuis avant-hier, après dix jours plongés dans un coma profond. L’enfant pleure sans arrêt depuis, inconsolable et fou de douleur, et le pauvre homme qui l’a recueilli après la catastrophe est épouvanté de voir ce gamin si doux souffrir ainsi. Il s’est promis de faire tout son possible pour l’élever comme il a fait pour chacun de ses fils devenus adultes depuis longtemps, le temps qu’il soit capable de se débrouiller par ses propres moyens, mais il n’est même pas sûr qu’il survive encore plus de quelques jours.
À bout de forces, l’enfant brûlé finit par sombrer dans un sommeil agité et fiévreux qui n’a rien de reposant. Il n’a pas suffisamment d’énergie pour tenir debout, et il ne peut rester allongé qu’en se plaçant sur le même côté, le droit, à toute heure du jour et de la nuit, le temps que ses brûlures guérissent suffisamment pour qu’il puisse reposer sur le ventre ou le dos sans craindre de s’arracher la peau. Même s’il est trop éreinté pour faire autre chose que s’évanouir sur ce lit trempé de sueur et de ses propres fluides suintant de ses blessures, il souffre encore. Le vieillard, assis à son chevet sur un siège d’osier de mauvaise facture, serre la petite main indemne du garçon dans la sienne, noueuse, sèche et ridée après des années de labeur au service de ses parents. La cabane de jardinier qu’il occupe depuis dix ans en lisière des jardins empeste encore l’incendie. Rien à faire, il peut aérer son logis tous les jours, il n’arrive pas à se débarrasser de l’odeur tenace qui flotte sur l’entièreté du domaine dévasté de ses maîtres disparus. L’enfant peut à peine se nourrir, et le vieux doit lui donner la becquée. Ses maigres repas, constitués principalement de morceaux de pain dur qu’il fait ramollir dans un bouillon fait avec les légumes rachitiques qu’il a pu sauver dans le potager, sont pris dans une odeur permanente de brûlé. Cela ne fait que lui rappeler l’horrible vision du garçon émergeant en hurlant des flammes, la tête et le haut du corps couronnés de feu.
Impossible de le déplacer pour l’instant, cela le tuerait. Le trajet est long jusqu’à la ville. L’un des rares docteurs qui a accepté de venir jusqu’ici, payé rubis sur l’ongle avec les restes d’argenterie qui n’ont pas trop souffert des flammes, doit revenir dans l’après-midi pour changer ses bandages et nettoyer les tissus nécrosés. Le garçon gémit dans son sommeil et le vieux regarde par la fenêtre, déjà épuisé. |
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Posté le 14/11/2021 à 20:39:01. Dernière édition le 20/03/2024 à 10:55:19
Celle-ci est une note triomphante, claironnante, qui transperce les nuages et dévoile une immense plaine dénudée mais prometteuse, garante de grands espaces et d’une liberté inégalable. Il se sent le cœur gonflé d’une détermination sans faille. Un vent sec et incisif lui fouette la peau, et il renifle l’odeur caractéristique des feux alimentés par des bouses séchées, mêlée à celles d'un grand nombre de bêtes…
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[en cours de réécriture]
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Posté le 17/11/2021 à 19:11:02. Dernière édition le 17/11/2021 à 21:49:41
Ici, c’est un débordement de vitalité qui l’attire comme un papillon le serait par une flamme. Il dérive lentement autour de cette source de félicité, ébahi par ce qu’il absorbe et peut ressentir comme s’il s’agissait de son propre corps, un cocktail explosif d’irritation fébrile et de plénitude frôlant le mystique.
*
Une rousse aux cheveux coupés courts, petite et musculeuse, caresse son gros ventre, fascinée, après avoir mis de côté le rapport qu’elle rédigeait pour les archives immenses de son chef. Elle se laisse aller en arrière dans le fauteuil confortable qu’elle s’est approprié avant de le bourrer de coussins, chassant férocement les autres visiteurs qui avaient le malheur d’être dans le coin. On l’a écartée du théâtre des opérations pendant sa grossesse, pour des raisons évidentes, et on l’a affectée à l’intendance le temps que le bébé arrive. Elle est soignée avec les plus grands égards, car chaque enfant né au sein du clan est très précieux. Tellement d’ailleurs, que personne n’a pris la peine de l’alerter de quelques légers inconvénients, tout occupés qu’ils étaient à lui vanter les mérites et la beauté de l’enfantement.
Aujourd’hui, elle songe fortement à leur carrer leurs conseils plus ou moins avisés dans un endroit où le soleil n’a jamais brillé. Elle porte une robe dans laquelle elle se sent plus laide, gauche et maladroite que si elle avait revêtu une armure complète de chevalier des temps anciens. Où sont les lanières de cuir pour ajuster les protections des bras, du torse et des flancs ? Où mettre des poignards de secours, ses outils de cambrioleuse et cette myriade de choses dont elle ne se sépare pour ainsi dire jamais ? Au final, elle n’a pas la moindre poche sur cette foutue robe à la con, et c’est bien ce qui la perturbe le plus. Elle peste contre ses seins gonflés et douloureux, elle maudit copieusement ses intestins coincés et ses jambes lourdes à lui faire mal, elle râle à chaque fois qu’elle doit se dandiner la main sur les reins pour soulager son dos qui souffre sous le poids du bébé, elle honnit les odeurs qui lui mettent l’estomac en vrac sans raison et les appétits stupides débarquant en pleine nuit, elle vomit des imprécations quand elle peine à enfiler ses bottes le matin et à les retirer le soir, elle jure comme un charretier quand elle essaye de ne pas s’emmêler les pieds, cachés par son ventre, en prenant les escaliers. Ses rugissements courroucés annoncent à l’avance son arrivée, et on se hâte pour faire place à la dragonne. Les plus malins fuient sans demander leur reste, les naïfs et les idiots restent et rient, leurs sourires moqueurs très vite effacés par les piques acérées dont elle a le secret. La fois suivante, lorsqu'ils entendront la tempête approcher, ils disparaîtront du paysage pour laisser à d'autres le soin de se faire laminer.
Elle a beau être encore jeune, et disposer d'un tempérament explosif, c’est déjà une vétérane de plusieurs conflits appréciée de tous, et son clan est soudé autour d’elle. Son chef en personne bénira l’enfant à naître, et puis, passé les premiers mois en compagnie de sa mère, il ou elle sera confié aux bons soins des nourrices et des précepteurs en charge de chaque aspect de la vie des plus jeunes membres de leur organisation, regroupés dans un même dortoir jalousement surveillé. Elle a une pensée pour le père, tué récemment dans l’une des querelles qui agitent les sectes auxquelles il appartenait comme elle, toutes en lutte quasi permanente pour le pouvoir. Elle l’a peu connu, il n’aura été qu’un compagnon et amant occasionnel auquel elle tenait, mais sans plus. Elle l’a pleuré, une fois ou deux et en privé, et puis elle a rapidement fait son deuil.
C’est une tueuse, une saboteuse, une espionne, un assassin surentraîné qui, avec ses complices, a menacé, tué, volé, racketté, ébranlé et fait chanter depuis des familles de paysans jusqu’à des dynasties, des royaumes et des empires. Elle sourit sottement, aux anges, quand elle sent son bébé bouger. Bien au chaud, le marmot donne de vigoureux coups de pied, toute une série qui arrache un ricanement ravi à sa mère, toujours stupéfaite et surtout fière de l’énergie ainsi déployée. Veut-il donc déjà sortir ?! Un peu de patience, que diable ! Mais elle aussi a hâte de le rencontrer, bien sûr, et de reprendre enfin le cours de sa vie, tout en maudissant l’idée que leur union si parfaitement complète et intime doive prendre fin un jour. Au moins, les nausées, l’envie constante d’uriner et l’impression d’être une baleine échouée ne lui manqueront pas.
Elle espère de tout son cœur qu’elle donnera naissance à une fille. |
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Posté le 20/11/2021 à 22:00:41. Dernière édition le 20/11/2021 à 22:11:50
Une douce chaleur l’envahit, lui donnant l’impression de s’entourer d’un cocon réconfortant. Il reconnaîtrait ce mélange de nostalgie et de tendresse entre mille : c’est un souvenir bienheureux, chéri par son propriétaire, de ceux qu’on se remémore avec une clarté inégalée malgré le temps qui passe. S’y plonger, c’est comme trouver refuge au coin du feu un soir d’hiver avec un être cher, pelotonnés bien au chaud tandis que la pluie tambourine aux carreaux ou que la neige s’amasse dehors.
*
Au bord d’un lac, près de la berge, une femme explique à un homme plus jeune qu’elle comment utiliser un bâton en combat rapproché, où placer ses mains pour appuyer ses coups et comment contrer efficacement un adversaire. Elle est principalement habillée de bleu, la trentaine, avec cette assurance de l’aventurière qui en a vu des vertes et des pas mûres ; lui, habillé de vêtements bien trop propres et délicats pour un long voyage en pleine nature, arbore des cicatrices de brûlure sur une bonne partie du corps. Ils sont aussi blonds l’un que l’autre. Il ne la quitte pas des yeux, écoutant ses conseils avec un respect quasi religieux. Il fait de son mieux pour se concentrer et regarder droit devant lui sans réussir tout à fait, ses yeux retournant invariablement vers sa compagne. Derrière eux, on distingue les grands murs de pierre d’une place forte, et les sommets environnants indiquent qu’ils se trouvent en montagne.
L’entraînement se fait dans le calme, du moins au début. L’élève est appliqué, et sa professeure lui explique patiemment ce qu’elle sait de l’art du combat. Ils tentent quelques passes d’armes pour parachever ce cours après s’être mis en garde, lui avec son bâton, elle avec une paire de dagues à la garde ouvragée. Il essaye surtout de l’empêcher d’approcher, et elle de l’atteindre. Désavantagé par son œil gauche, pâle et abîmé entre ses paupières plissées, il peine à répondre aux assauts menés dans un angle que la femme a repéré très vite, et dont elle tache de se servir en lui tournant lentement autour entre chaque assaut. Elle le force ainsi à changer constamment de position, mettant facilement à mal sa défense déjà maladroite. Il se remémore la valse qu'il lui a accordée il y a déjà longtemps, et il ne peut se défaire de l’image qu’ils dansent une fois encore, de façon bien plus rude cette fois-ci.
Elle le domine très largement, le touchant à de multiples reprises, mais il finit par réussir à porter un contre sec et précis, qui la fait reculer en secouant sa main atteinte par un coup de bâton. Le jeune homme s’arrête d’un coup, inquiet, baissant sa garde le temps de s’assurer qu’il ne l’a pas blessée. La femme le félicite d’abord pour son geste, puis, gagnée par la ferveur du combat, elle lui balaie violemment les jambes et il tombe si lourdement sur le dos qu’il en a le souffle coupé. Il reste allongé sur le sol herbeux, les bras en croix, et la femme s’inquiète subitement elle aussi, craignant d’y être allée bien trop fort dans le feu de l’action. Il ne répond rien, cherchant à reprendre ses esprits, et elle se penche sur lui, soucieuse. Il contemple un instant l’ovale de son visage qui se détache contre le ciel bleu, ses mèches blondes pendant vers lui, et le rouge a le temps de lui monter aux joues. C’est un moment figé dans le temps, qui s'étire encore et encore, juste avant qu’il ne décide de lui balayer les jambes à son tour alors qu'elle lui a tendu la main pour le relever, la faisant chuter. Elle plonge, déséquilibrée, puis elle le saisit par réflexe et le maintient fermement par sa chemise, tentant de l’entraîner avec elle tandis qu’elle menace de basculer vers le lac. Il s’agrippe à ses poignets, saisi d’une panique exaltante : le combat est devenu jeu. Personne n’arrive à faire lâcher prise à l’autre ou à se rétablir sur ses pieds, et le duo finit par rouler ensemble cul par-dessus tête, dévalant la courte pente et finissant avec fracas dans l’eau fraîche du lac de montagne. Ils émergent, ruisselants de flotte, puis ils éclatent de rire et remontent sur la berge pour se sécher autour du foyer que le jeune homme avait préalablement allumé. Serré dans sa couverture et trempé, ses vêtements collés à sa peau se réchauffant lentement près du feu sur lequel est posée une casserole fumante qui dégage des arômes de lentilles et de saucisses, il est fier de cuisiner pour cette femme, et absurdement ravi que ce qu’il prépare à manger lui plaise autant.
Il ne s’était encore jamais autant éloigné de l’enceinte de la ville, terrifié par le moindre pas effectué hors les murs, enviant ceux capables de s’aventurer dehors sans ressentir la moindre crainte, comme sa compagne. Mais ce soir, il s’est rarement senti aussi vivant, et heureux, prêt à arpenter le monde. Il se prend à souhaiter que ce moment ne s’arrête jamais. |
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Posté le 26/11/2021 à 10:54:02. Dernière édition le 20/03/2024 à 10:55:12
Arrive un dégoût puissant, suintant, similaire à une plaie suppurante, qui empeste méchamment. Il peut presque sentir le goût âcre de la pourriture dans sa bouche, qui lui donne envie de cracher pour s’en débarrasser. Le malaise s’installe, et il se tortille légèrement dans ses chaînes, révulsé. Soudain, il se met à *haïr* tout ce qui passe à sa portée, sans réelle distinction, et chaque cible est tentante, lui-même y compris.
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[en cours de réécriture] |
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Posté le 30/11/2021 à 22:19:23. Dernière édition le 20/03/2024 à 11:40:57
Froideur et maîtrise de soi teintent cette pensée-là. C’est glacé, impersonnel et mesuré, à l’image d’un serpent lové sur lui-même et prêt à frapper en un éclair. Il se sent proche d’un danger imminent, sans rien pouvoir faire pour s’en prémunir. Il ne fait qu’attendre le coup, recroquevillé sur lui-même.
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[en cours de réécriture]
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Posté le 05/12/2021 à 11:07:52. Dernière édition le 05/12/2021 à 11:14:11
Il distingue une toute petite flamme dans les ténèbres, un foyer minuscule qui brille pourtant comme un soleil. Il se sent vieux, si vieux qu’il pourrait tomber en poussière à tout instant, mais subitement, il se remémore les bêtises, les joies, les angoisses et les peines de l’enfance. Il en est ému jusqu'aux larmes. Il se rend compte que c’est la première fois depuis très, très, très longtemps qu’il pense à ses parents. Ils sont morts depuis un temps invraisemblable et il a oublié leurs visages, mais lui manquent soudain terriblement.
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Le petit garçon se cache sous la couette, terrorisé. Il sait qu’un orage n’est sans doute que quelque chose de naturel qu’on ne comprend pas encore très bien, son oncle si savant le lui a dit tant et plus, mais… là tout de suite, ça ne signifie pas grand-chose pour lui. Il ne peut pas s’empêcher d’avoir peur. Il parle tout seul pour se rassurer, ou pas vraiment seul : peu importe qu’il ne réponde pas, son doudou, un ours bariolé en tissu, sait très bien l’écouter. Le vent hurle dehors, assez fort pour masquer certaines de ses paroles chuchotées tout bas et lui donner l’impression qu’une bête mauvaise crie à la lune. Les grondements de tonnerre s’approchent, de plus en plus. Il voit aussi de mieux en mieux les éclairs, l’un d’eux a duré ce qui a semblé une éternité et illuminé la pièce. Il aurait même juré l’avoir entendu, un son horrible qui a déchiré le ciel…
Prudemment, il passe la tête hors de sa couverture. Il est terré dans son petit lit, fabriqué et sculpté par son oncle, dans sa minuscule chambre bourrée de jouets et des objets auxquels il tient. Son regard tombe sur sa grande armoire à vêtements, qui la nuit doit être très soigneusement fermée. Sinon… Misère. Il imagine le panneau de bois s’ouvrir tout seul et révéler des dents pointues et luisantes, un grand sourire surplombé d’une paire d’yeux rouges ou jaunes, en tout cas du genre qui brille dans le noir…
Il se mord la lèvre. S’il commence à se faire peur tout seul, alors là, on n’est pas sortis de l’auberge ! D’importantes mesures sont nécessaires. Des mesures capitales, même. Il serre les dents et agrippe fort son nounours, rejetant ses couvertures après avoir courageusement convenu qu’il n’y avait que ça à faire. Il balance ses courtes jambes par dessus le bord du lit et se laisse glisser jusqu’au sol, bien réveillé par le contact du parquet frais sous ses pieds nus. Il sort dans le couloir qui lui paraît immense, il fait au moins des kilomètres de long, entouré de murs qui paraissent bien hauts pour lui, de vraies falaises. Il avance à petits pas, une main sur le mur, l’autre sur son doudou, les yeux rivés sur le coin d’ombre du fond du couloir, celui qui n’est jamais éclairé et qu’il n’aime pas, pas du tout, pour guetter le monstre qui en surgira sans doute un jour pour le croquer. Un nouvel éclair illumine le couloir et le petit garçon tressaille ; l’espace d’une seconde, le coin s'est retrouvé parfaitement éclairé, et… Il a vu la bête, accroupie là en train de ronger ses ongles acérés, les yeux fixés sur ce petit garçon à la chair bien tendre, impatiente qu'il passe à sa portée. Ça n'a duré qu'une seconde pendant laquelle il a cru faire une crise cardiaque, et juste après il n'y avait plus rien. Il soupire. C'est un enfant calme et intelligent, il réalise que ce n'était que son imagination qui lui a joué des tours. Et puis, le tonnerre arrive avec du retard. Là, ce n'est plus pareil. Oh que non ! Il sursaute violemment et rentre la tête dans les épaules. Non, décidément non, rien à faire. Il franchit le dernier mètre le séparant de son but en sautant comme un cabri, le cœur emballé, sentant déjà la patte poilue et griffue du monstre lui agripper la cheville pour l’attirer dans ce coin sombre où il pourrait le dévorer tranquillement…
Il se reprend juste assez pour ne pas ouvrir bruyamment la porte d’un grand coup, au dernier moment et au prix d’un immense effort. Il pénètre à pas de loup dans une chambre coquette munie d’un grand lit où reposent deux formes, dont seules les têtes dépassent des draps, l’une rousse et l’autre brune. Il escalade le lit en vitesse, repousse la couverture et vient se glisser entre ses deux mamans, se frayant un passage entre leurs bras entrelacés. Il se cale contre la première, sa préférée. Enfin, *parfois*, c’est sa préférée. D’autres fois, sa préférée, c’est l’autre. Ça dépend un peu de laquelle l’a grondé en dernier, en fait. Ce n’est pas bien grave. En l’occurrence, il vise surtout la plus confortable des deux ! Il se blottit contre son corps chaud, engoncé dans un creux du matelas moelleux, la tête posée sur un coin d’oreiller libre. Il repousse les longues mèches rousses qui ont la fâcheuse manie de se coller dans sa bouche et ses narines, délicatement, pour ne pas la réveiller. Elle sent bon. Il soupire profondément, déjà bien mieux installé comme ça.
La pluie redouble de violence. C’est le moment que choisit l’autre maman, qui était vautrée de tout son long sur le ventre, la tête enfoncée dans son oreiller, pour se gratter vigoureusement la tête puis les fesses et grogner. La voyant faire, le gamin songe à cette expression, utilisée par son oncle la veille lors du repas, qui l’a tant marqué. Il a traité sa sœur d’ourse mal léchée parce qu’elle avait roté à table. Le garçon l’imagine soudain comme une vraie ourse, avec des petites oreilles rondes et poilues dépassant de sa crinière, et l’image associée au souvenir du rot disgracieux de sa mère est si irrésistible qu’il est pris d’un fou rire qu’il essaye d’étouffer dans sa peluche. Ses gloussements réveillent « l’ourse », qui émerge en bredouillant quelque chose de sa bouche pâteuse. Un autre éclair illumine la chambre et le petit croise le regard de sa mère, il voit ses yeux bouffis de sommeil et ses cheveux en épis, et elle distingue sa bouille aux yeux rieurs et grands ouverts, la bouche pressée contre le vieux nounours qu’elle lui a légué et qui ne le quitte plus depuis. Son hilarité ne dure guère, il s’étrangle quand un coup de tonnerre bien plus puissant que les autres fait trembler les fenêtres. La brune comprend tout de suite le problème, et elle remet en place la couverture sur eux trois, se rapprochant ensuite de son fils et de sa femme, passant un bras en travers de leurs formes allongées autant pour rassurer l’enfant que pour profiter de leur présence. Aussi bien calés tous ensemble, formant presque un unique tas réconfortant, le petit n’a pas de mal à sentir le sommeil longuement attendu venir enfin, et ses paupières s’alourdir de minute en minute.
Il n’a quasiment aucun souvenir de sa vie d’avant, il était trop jeune pour cela. Il ne se rappelle que d’avoir été appelé « l’enfant de personne », et ce pendant longtemps, au moins jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour comprendre ce que ça voulait dire. Ça fait toujours un peu mal, mais bon, depuis qu’il a des parents ce n’est plus vraiment le cas. Même plus du tout. Alors, il suppose que ça ira très bien comme ça maintenant. |
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Posté le 11/12/2021 à 22:24:20. Dernière édition le 20/03/2024 à 10:56:33
Il est envahi par un sentiment de supériorité écrasant, tellement tangible que les rôles en sont quasiment inversés : c’est presque comme si c’était lui dont on pénétrait les pensées… Danger. Il se sent face à un égal, brièvement. Une âme très ancienne. Quelqu’un de tortueux. Tout est parfaitement, soigneusement, délibérément calculé. On ne laissera rien au hasard. Il y a trop en jeu. Il se concentre pour reprendre l'ascendant avant d'être découvert, et poursuit son exploration onirique sur la pointe des pieds.
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[en cours de réécriture] |
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Posté le 20/12/2021 à 19:03:25. Dernière édition le 20/03/2024 à 11:41:12
Il se retrouve gelé jusqu’aux os. Il resserre une couverture invisible autour de lui, les oreilles emplies du son du vent froid qui souffle et glace la peau à travers n’importe quelle couche de vêtements. Il claque des dents sans pouvoir s’en empêcher. Il parcourt les crêtes et les sommets. Il est seul avec lui-même.
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[en cours de réécriture]
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Posté le 31/12/2021 à 21:15:48. Dernière édition le 31/12/2021 à 21:18:41
…
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Elle marche dans les boyaux enténébrés, un bol dans une main et une torche dans l’autre, qui projette ses lueurs jaunâtres sur les parois détrempées par l’humidité omniprésente dans cette partie du réseau de cavernes. Le chemin est long, et aucune pensée ne vient la déranger lors de sa marche. Elle sait faire le vide sans problème, et c'est plus sûr de toute façon. La porte aménagée dans la paroi de la caverne finit par se détacher dans le carré de lumière qui l’entoure, et elle appuie une main sur le panneau de bois pour le pousser, une main dont la peau et la chair ont été ruinées il y a longtemps. Les bras sont brûlés jusqu’aux coudes. Cela ressemble aux résultats d’accidents comme en vivent parfois les sapeurs et autres manieurs d’explosifs.
Le bois est gonflé d’humidité, et la porte fait un bruit infernal en pivotant sur ses gonds qui rouillent doucement. Elle entre dans la cellule plongée dans l’obscurité, sa torche repoussant momentanément les ténèbres. Elle l’accroche à un support mural pour avoir une main libre.
Elle fait face à une momie humaine installée en tailleur. Sa poitrine se soulève et s’abaisse profondément, selon un rythme impossiblement lent. Son cou, ses poignets et ses chevilles sont ceints d’épais cercles de fer, reliés par des chaînes à des pitons profondément enfoncés dans la paroi rocheuse derrière. La femme aux mains brûlées interpelle la momie d’une voix sèche, rugueuse, désagréable. Elle monte de ton quand il devient évident que l’autre ne réagit pas à ses appels. Elle s’avance d’un pas puis d’un autre, sa main libérée après avoir posé la torche maintenant posée bien en évidence sur la crosse ouvragée d’un pistolet. Elle est si proche de l’être squelettique qu’ils manqueraient se toucher s’ils tendaient chacun le bras, et…
*
…cette proximité le tira de sa torpeur. Il s’éveilla, retrouvant comme toujours un peu de sa lucidité en présence de quelqu’un de plus tangible que ses propres pensées volatiles.
- Hé, Sally, dit-il simplement, la voix enrouée, pour la saluer comme il le ferait d’une vieille amie -ou de son meilleur ennemi.
La femme au faciès taillé à la serpe manqua lui jeter sa gamelle à la figure, mais se contrôla in extremis. L’écuelle de bois ne contenait qu’un brouet clair, tout juste suffisant pour le maintenir en vie. Elle portait un pistolet chargé en permanence lors de ses visites quotidiennes, et il savait qu’elle ne louperait jamais son coup à cette distance.
- Je t’interdis de m’appeler comme ça, fils de pute, dit-elle entre ses dents. Toi plus que quiconque.
- Comme tu veux, Salamandre, répondit-il gentiment. Tu viens me tenir compagnie pour la nouvelle année ?
Elle posa brutalement le récipient au sol, le faisant ensuite glisser du bout du pied jusqu’au prisonnier de Gemini sur lequel elle veillait farouchement en son absence.
- Dans tes rêves. Et bon appétit, enculé, lâcha-t-elle avant de reprendre sa torche, puis de reculer en gardant la momie à l’œil. Elle claqua la lourde porte de la cellule derrière elle, l’abandonnant à nouveau dans les ténèbres. |
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Tulip |
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Posté le 20/03/2024 à 10:10:40. Dernière édition le 21/03/2024 à 13:27:00
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