Le Faux Rhum   

Le crépitement d’un feu poussif, maigre réconfort à la fumée blanche et âcre d’un bois qui prenait déjà trop l’humidité, dans une caverne au sol détrempé et aux murs veinés de mousse et de traces graisseuses. Voilà tout ce dont on disposait pour la nuit. L’amertume des volutes de bois humides piquait la gorge et ne réchauffait qu’avec peine les membres regroupés en cercle, tant ils avaient passé la journée à patauger de zone presqu'inondee en tourbière, de murs trempés d’eau en sols souillés de vase. On mettrait probablement plusieurs jours à sécher complètement ses textiles, et certains y laisseront probablement leurs chaussettes.

"On est pas bien là? qu'est ce qui pourrait bien nous tomber dessus?"

Le groupe avait méthodiquement creusé la moindre motte suspecte, retourné tout caillou, examiné toute fissure, y plongeant parfois la main au mépris de toute précaution. Mais de l’homme d’église ou des expéditions, nulle ne trace. Pas de cadavres, pas de bivouac, pas même de trace de lutte. Ils avaient tout bonnement disparus, comme un saltimbanque fait disparaitre une pièce dans sa main pour la ressortir derrière votre oreille et dans sa bourse.

Ça ne l’inquiétait pas outre mesure. Patience et longueur de temps…le Lion et le rat, comme on dit. Pour ce qu’il en savait, pas de cadavre ce n’était pas de mort. C’était surtout intriguant. Mais sans doute les bruits du fond de la grotte, les borborygmes étonnants issus des échos venus d’on ne savait où finiraient un jour par délivrer un homme ou son bourreau. C’était comme avec les rongeurs sur les navires. On mettait un bout de fromage et on attendait que la cible ait faim.

Et bizarrement, Jax se sentait un peu comme le bout de camembert, dans cette histoire. Et ça n’avait rien à voir avec l’odeur des bottes de Gothor, qui empestaient pourtant si fort qu’on comprenait pourquoi l’homme devait être un sacré chasseur. Sans doute qu’en se mettant à quatre pattes et en restant immobile, les sangliers finissaient par le prendre pour l’un des leurs. Il en avait l’odeur. Mais là n’était pas le sujet. On prenait donc son mal en patience, ici en se tenant l’un contre l’autre, là-bas en psalmodiant des prières. Pour sa part, il taillait le petit bois avec son scalpel. Ça lui vidait la tête, surtout pour éviter de repenser à l’image de deux aventuriers qui en estourbissent un troisième dans une sorte de pseudo-rituel païen. Le mec serait probablement bien amoché demain, les remèdes étaient prêts, mais si 24h d’attente suffisaient à faire envisager le sacrifice humain à des individus dans une forme de satanisme qu’on appellerait, à défaut d’amateur, de malavisé, qui sait où ils en seraient dans 3 jo…

Soudain elle fut là. Une sorte de grande dame un peu fantomatique mais surtout très décharnée. Elle portait des traces de pourriture, comme une femme qu’on aurait patiemment ensevelie et qui aurait soudain décidé que les crabes, les lombrics et les belettes ne méritaient pas sa chair. L’ensemble formait un patchwork des plus intimidants. Mais elle conservait des traits féminins. Abondamment féminins par certains côté.

«  Carmilla, c’est vous ? » chuchota-t-il un instant avant de se reprendre. Visiblement la dame n’était pas venue faire la popote et même si elle le gratifia d’un compliment qui le mit brusquement mal à l’aise et d’une œillade qui lui donna soudain envie de rester célibataire endurci une bonne semaine, elle n’avait rien de son ancienne amie. Non elle vint parler du sacrifice et donner une tournure de phrase énigmatique…et soudain tout prit sens. On envoya des corbeaux et des piafs et bientôt on découvrit quelques entrées dans certaines des cavernes de l’île.

Tant pis en un sens. Il serait presque resté un peu plus longtemps dans cette effervescence.

«  Vous êtes sûrs que vous voulez pas de mon sandwich ? Je vais pas le finir, mais arrêtez de me regarder comme ça voulez-vous ? C’est pas moi votre casse-dalle, que je sache. »