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Le porteur de secrets (suite)  
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Marco Gemini
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Posté le 03/06/2018 à 22:06:13. Dernière édition le 03/06/2018 à 22:55:35 

Ceci est la suite de https://www.pirates-caraibes.com/fr/index.php?u_i_page=5&theme=15&sujet=31228&u_i_page_theme=1. Il est fortement conseillé d'avoir lu le 1er chapitre pour bien comprendre, mais ce n'est pas 100% nécessaire. Il est notamment inspiré par plusieurs creepypasta, dont une en particulier. Bonne lecture !


-CHAPITRE II-
 
Toujours penché sur les manuscrits, Gemini continuait de se remémorer des épisodes passés de sa vie en feuilletant les pages. Le chemin du retour avait été long depuis Livourne, et pas sans encombres...

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En 1698, dans ce qui deviendra les Alpes autrichiennes...
 
 
L'éclair qui avait brièvement illuminé la caverne à flanc de montagne et ses occupants fut suivi d'un coup de tonnerre roulant. Près de l'entrée, le coupe-vent de fortune installé par Héloïse abritait juste assez le foyer pour le protéger de la pluie qui, dieu merci, tombait bien droite malgré le vent qui soufflait par-à-coups. Le petit feu, lui, crépitait joyeusement en dépit de l'enfer humide qui s'abattait sur la région.
 
Fumeur était pelotonné le plus près possible du feu, mains tendues pour capter un maximum de chaleur au-dessus d'une petite marmite qui dégageait un fumet appétissant. Héloïse touillait de temps à autre la soupe, y ajoutant à l'occasion quelques plantes qu'elle avait cueillies plus tôt dans la journée.
 
"Ça sera bientôt prêt. Encore un peu de patience.
 
- J'aurais préféré que Marco soit revenu pour manger avec nous, mais...
 
- Il se sera abrité le temps que la pluie cesse. Avec un peu de chance, il aura même ramassé du bois sec avant qu'il ne pleuve.
 
- Cause toujours, avec cette flotte..."
 
Gemini, parti chercher du bois quelques heures plus tôt, n'était en effet toujours pas rentré. L'orage soudain avait dû le surprendre en pleine récolte plus bas dans la vallée, tandis que le duo resté au campement s'était précipité dès le premier coup de tonnerre pour mettre les chevaux à l'abri, quelques mètres plus bas derrière un affleurement rocheux, avant de rentrer dans la caverne qu'il avaient élue pour y passer la nuit. Le crépuscule était arrivé, puis la nuit elle-même était enfin tombée avec son cortège de brume et de températures glaciales. Un autre éclair illumina la vallée, faisant se découper la silhouette des grands pins dans la nuit. Héloïse fit un nouveau tour distrait de cuillère dans la marmite.
 
"J'ai longtemps parcouru ces montagnes, tu sais. On m'a raconté quantité d'anecdotes à leur sujet... On raconte qu'un jour un homme s'était perdu dans la région, un trappeur qui s'était attardé un peu trop longtemps pour débusquer de quoi ramasser quelques peaux... On tire un bon prix des hermines et des martres qui pullulent dans la région, particulièrement lorsqu'elles ont encore le poil blanchi par l'hiver. Bref..."
 
Fumeur ne pipa mot, absorbé dans sa contemplation du feu. Héloïse laissa s'écouler quelques secondes avant de continuer. Elle était déjà certaine d'avoir capté l'intérêt de son camarade.
 
"Il s'était aventuré là, dans la vallée en face de celle-ci, et avait fini par se perdre à cause du mauvais temps..."
 
Un autre éclair pourvu d'un sens aigu du théâtre choisit ce moment pour illuminer la crête rocheuse qui séparait leur vallée de l'autre. Fumeur tourna légèrement la tête pour mieux entendre.
 
"La nuit tombait déjà, et une forêt la nuit, crois-moi... C'est plein de sons. Il n'y a pas de silence dans une vraie forêt, ça craque, grince, gémit, hulule, hurle et grogne. L'habitué connaîtra ces sons et saura desquels il doit se méfier, mais cette fois... Cette fois, c'était différent."
 
Elle se pencha en avant, emmitouflée dans une couverture de voyage, laissant la cuillère reposer dans sa marmite pour avoir les mains libres.
 
"Les lieux étaient calmes, mais le pauvre gars aurait juré ses grands dieux que le silence était trop absolu pour être naturel. Même les arbres étaient inhabituellement discrets. Aucun bruit d'animal... c'était invraisemblable : la vie continue même durant la saison froide, les coqs de bruyère et les perdrix n'attendent pas le soleil pour donner de la voix. Il aurait même béni le hurlement des loups à ce stade. Armé d'une torche, pataugeant dans la couche de neige qui perdure au printemps, il avait besoin d'un abri. Un simple arbre couché ne suffirait pas, il faisait trop froid, glacial même, quant aux terriers... Mieux vaut ne pas s'attarder près des grands terriers au printemps. Les ours en sortent affamés, et plus d'un voyageur imprudent s'y est laissé prendre. On retrouve leurs os rongés jusqu'à la moelle quand la neige a fini de fondre. Quoi qu'il en soit, notre homme savait pertinemment que plusieurs cabanes de bûcherons parsemaient la vallée ; celles-ci n'étaient pas souvent occupées, mais elles étaient solides et profitaient souvent de quelques vivres laissés là par les travailleurs à l'intention des pauvres hères comme lui qui se seraient trouvés en difficulté au plus fort de la mauvaise saison."
 
Fumeur enserra ses jambes avec ses bras, maintenant totalement attentif. La voix d'Héloïse couvrait sans problème le son de la pluie qui continuait de tomber, parsemée de coups de tonnerre, et le tout insufflait une atmosphère mystique à leur petit feu de camp. Héloïse versa un peu de soupe fumante dans un bol qu'elle tendit à son auditeur avant de continuer son récit.
 
"Nulle cabane en vue. Le pauvre gars titubait, la fatigue le gagnait et le froid engourdissait ses membres. Maintenant, le silence n'était plus simplement inquiétant, il était écrasant. Quelque chose planait sur la vallée et effrayait les animaux. Sa torche s'était éteinte depuis longtemps, il marchait à l'aveuglette. Il n'avait pas prévu de passer autant de temps dehors, il avait compté sur un abri rapide, et surtout pas au milieu de nulle part... Mais de petits flocons s'étaient mis à tomber, une tombée de neige tardive comme il en arrive souvent en montagne quand le temps est frais, et ils grossissaient rapidement. Ensuite, il ne suffisait plus que d'un peu de vent pour transformer cette douce pluie de flocons en tempête hivernale, avec des bourrasques aveuglantes qui empêchaient de voir à plus de quelques mètres. Il était en bien mauvaise posture... Pire que tout, il se sentait comme suivi."
 
Héloïse lâcha le dernier mot en ménageant son petit effet, le feu donnant des reflets cuivrés à sa peau sombre.
 
"Un bon trappeur sait quand on le guette. C'est essentiel. Comment survivre à la chasse si l'on ne décèle pas le loup en maraude, l'ours curieux ou le lynx qui guette ? Et là, ses tripes étaient nouées comme si toutes ces bêtes à la fois l'observaient. Plus d'une fois, il cru entendre des pas dans la neige, parallèles aux siens. La première fois, il tenta bien d'appeler. Mais si les bruits avaient bien existé, ils s'était alors arrêtés net. Nulle réponse ne lui parvint, pas plus que le bruit précipité d'un animal fuyant au galop. Il reprit sa marche, toujours plus désespéré ; il pouvait sentir les extrémités de son corps souffrir de la morsure du froid... Plus tard, on devrait lui couper la moitié des doigts de pied à cause des engelures. Il passerait sa vie à boiter, son équilibre perdu à jamais.

Il continua sa route, mais maintenant il en était certain : on le suivait. Il n'osa pas appeler, pas cette fois. Soit on lui jouait une farce cruelle, soit ce quelque chose n'était ni un homme, ni un animal facilement effrayé. La crainte de tomber sous les griffes d'un ours affamé lui fouetta les sangs, il se démena de plus belle dans la neige. Il ne voulait pas mourir, pas ici, pas dans la neige où il ne serait pas retrouvé avant des semaines -si tant est qu'on le retrouve un jour. Le silence avait fini par être troublé, mais par des sons que le trappeur aurait préféré ne pas entendre : un murmure qui s'entrelaçait avec celui du vent, un chuchotis qui venait de la cime des arbres, de partout à la fois, et qui disparaissait dès qu'il faisait mine de tendre l'oreille. Il accéléra de plus belle, proprement terrifié... Et manqua s'assommer contre un mur de bois. Une cabane ! Il avait trouvé une cabane ! Il en fit le tour, le coeur étreint par l'angoisse, ne distinguant qu'une masse sombre à travers les bourrasques de neige et l'obscurité toujours plus épaisse... Et si la porte était verrouillée ? Rare, mais pas impossible... Toutes les cabanes n'étaient pas ouvertes aux étrangers, la bonté des locaux avait ses limites. La porte, enfin, se présenta devant lui ; il poussa immédiatement dessus, priant de toute son âme... Elle résista, et alors que la panique submergeait le coeur du trappeur, elle finit par céder et pivoter vers l'intérieur. L'homme s'écroula de soulagement, se précipita à quatre pattes dans l'entrée et claqua la porte dès qu'il sentit un toit au-dessus de sa tête. Il fit immédiatement jouer le verrou, s'assurant que la porte était bien fermée à clé -et tant pis si quelqu'un d'autre venait toquer à sa porte : il n'ouvrirait pas. Jamais. Il regarda enfin autour de lui, se trouvant plongé dans le noir à l'intérieur de cette petite cabane de bois. Il progressa à tâtons, touchant une table, un tabouret, et... un lit, un vieux lit sommaire. Il n'aurait pas à dormir par terre. Complètement épuisé par sa course à travers les bois, il s'affala sur le lit vétuste en soupirant d'aise. Si le propriétaire le découvrait demain il s'expliquerait avec plaisir. Le sommeil s'annonçait à grands pas, et à mesure que ses yeux s'habituaient enfin à l'obscurité, il put mieux voir son environnement. Il avait trouvé une de ces grossières petites cabanes de chasse, faites tout d'un bloc pour être bien isolées l'hiver venu. Il voyait la table, le tabouret, une caisse et du matériel de chasse, et... Il y avait des portraits dans la pièce, une demi-douzaine de petits tableaux accrochés aux quatre murs de la cabane. Il pouvait maintenant distinguer l'ovale très pâle des visages, avec deux zones plus sombres là où se trouvaient les orbites. Bien que leurs traits aient été flous, les sujets représentés semblaient vous rendre votre regard lorsque vous les observiez, à la manière des meilleures peintures. Un en particulier le frappa, celui d'un homme à la bouche tordue sur un côté, l'un de ses yeux plus haut que l'autre : il trouva impossible de soutenir son regard plus de quelques secondes dans l'état de fatigue où il se trouvait. Il se retourna dans son lit, décidé à tourner le dos à ce portrait à la bouche tordue. Lorsque le sommeil le gagna enfin, ses paupières se fermèrent sur l'image de ces visages blafards et inquisiteurs qui l'entouraient.
 
Le matin vint, et avec lui, le soleil. Le trappeur sentit les rayons chauds caresser son visage, emplissant la cabane d'une lumière rassurante et bienvenue. Pris d'un doute subit, le trappeur se redressa d'un bond dans son lit : le soleil pénétrait à flots dans la cabane, car elle était percée de fenêtres de tous les côtés. Il n'y avait aucun portrait aux murs... rien que des vitres donnant sur l'extérieur.
 
Il retrouva le chemin de son village le jour même, brûlé par le gel et l'esprit dérangé. Plus personne ne reconnaissait le solide trappeur qui était parti la veille. Il mourut des années plus tard, vieil homme sénile qui parlait à qui voulait l'entendre de la "cabane aux portraits". On a transmis son récit de vallée en vallée depuis... rien qu'une histoire étrange parmi tant d'autres dans ces montagnes, aux côtés du Tatzelwurm, des louberous et de la Coulobre. N'y porte pas trop de crédit."
 
Fumeur avait écouté sans rien dire, sirotant sa soupe du bout des lèvres, pelotonné près du feu. La pluie continuait de tomber à verse dehors. Héloïse se saisit à son tour d'un bol de soupe et en huma le doux fumet.
 
"J'espère quand même que tu y penseras cette nuit, quand tu iras pisser dehors."
Marco Gemini
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Posté le 14/06/2018 à 22:55:46. Dernière édition le 15/06/2018 à 11:09:04 

L'urine jaunâtre jaillit en un long jet fumant qui éclaboussa l'humus avec grand bruit. Fumeur se soulageait au pied d'un grand arbre, honorant l'ancêtre végétal en suivant un instinct primaire profondément enfoui dans toute la gente masculine. Le souci le rongeait : Marco n'était pas revenu. Sa couche était restée vide toute la nuit... Héloïse et lui avaient attendu en vain. L'orage s'était doucement éteint, la pluie s'était ralentie puis stoppée, le soleil s'était enfin levé, et pas de brute à l'horizon. Héloïse avait pris la décision de partir à sa recherche, empoignant ses lames et de quoi déjeuner sur le pouce. Autant lui, le grand échalas mal rasé aux oreilles un brin décollées, était pétri d'inquiétude, autant elle... Son expression aurait fait baisser les yeux à un vieux général. Sa voix était sèche. Glaciale. Ce qui ressemblait à de l'admiration avait coupé la chique au voyou, qui n'avait pu que tendre l'un de ses pistolets fétiches à la guerrière vengeresse, qui l'avait pris avec gratitude. Un simple "attends-moi là" et elle était partie, abandonnant le feu, les chevaux et le matériel aux bons soins de Fumeur, lequel s'était d'ailleurs empressé de vérifier son surnom en bourrant sa pipe de tabac dans une tentative pitoyable de calmer son stress grandissant. Il avait tenu à peu près deux heures dans la caverne avant de sortir au grand air, n'y tenant plus. Il avait besoin de marcher. Faire les cent pas, s'occuper à quelque chose, fouiller les environs peut-être. Bouchonner les chevaux, vérifier le matériel resté accroché à eux, les nourrir. Pisser, aussi. Ce qui nous ramenait à l'instant présent. Le jet d'urine se tarit enfin. L'homme se secoua l'engin, s'efforçant d'éviter à la proverbiale dernière goutte de souiller son pantalon, soupira de soulagement une fois son affaire terminée, et se posta les mains sur les hanches pour contempler son environnement. Il était descendu plus bas que l'endroit où ils avaient laissé les chevaux et se trouvait à mi-chemin de la pente qui menait à leur repaire provisoire, une zone boisée où régnaient les hêtres et les sapins, un bon coin giboyeux comme il devait y en avoir des dizaines dans cette vallée infestée de sangliers, de cerfs, d'ours et de loups. Enfin, il croyait : Fumeur avait grandi en ville, et, bien que nomade durant une bonne partie de sa vie, il n'avait que très peu côtoyé la nature sauvage.

Ce fut sans doute la raison qui fit qu'il n'entendit pas tout de suite les branches des arbres s'agiter au-dessus de lui. Mais même le plus obtus des paysans ne peut ignorer les débris qui tombent à ses pieds. Fumeur leva le nez, persuadé d'avoir été surpris par un gros écureuil. Ou un pic-vert, peut-être. Si seulement.

Quelqu'un était perché dans l'arbre juste au-dessus de lui, accroupi dans une fourche à près de six mètres de hauteur, quelqu'un qu'il distingua tout d'abord très mal parmi toutes ces feuilles encore trempées de pluie ; au fur et à mesure que sa vue s'habituait à ce qu'il fixait, Fumeur se demanda si sa vue ne lui jouait pas des tours. Une branche très blanche et très fine s'avéra être un bras démesurément long qui s'abaissait doucement, comme si son propriétaire venait à peine de rejoindre l'arbre au pied duquel Fumeur avait pissé. Il distingua ensuite l'autre bras, quelques doigts... Une jambe. Un tronc. Il pensa d'abord avoir affaire à un singe, cligna des yeux, et se rendit compte que c'était impossible. On aurait dit un homme. Non. Un être. Une chose ? Elle était blême, avec une tête ovale plantée de brins de cheveux filasses, avec des yeux énormes, noirs, sans pupille et ronds comme des soucoupes qui évoquèrent immédiatement à Fumeur l'une de ces horribles araignées-ogre qu'il détestait étant enfant. Leurs grands yeux immobiles le terrifiaient, et il les écrasait dès qu'il le pouvait. Le souvenir le fit violemment frissonner.
 
[https://farm6.staticflickr.com/5056/5455793386_8a1b8196bc_b.jpg -fortement déconseillé aux arachnophobes.]
 
Malgré sa morphologie incontestablement humanoïde, la créature avait effectivement quelque chose d'arachnéen avec ses longs membres fins et ses gestes lents. Ça évoquait la patience... telle une araignée tapie dans sa toile. Une araignée de la taille d'un putain de gros macaque. C'était comme si l'une des petites bêtes de son enfance était venue venger ses consoeurs assassinées. Il ne put s'empêcher de rire à cette idée, un pauvre petit glapissement nerveux qui mourut étranglé dans sa gorge. S'il n'avait pas déjà vidé sa vessie, il était sûr qu'il se serait pissé dessus. Le pire, c'était les dents : la chose possédait une mâchoire surdimensionnée et prognathe comme celle d'un chimpanzé. Elle était remplie de grosses dents, des dents plates comme celles d'un humain qui déformaient les lèvres en jaillissant en tout sens.
 
Elle commença alors à descendre.
 
Fumeur fixa la créature, totalement hypnotisé par le ballet gracieux de ses membres grêles qui agrippaient le bois sans effort pour lui permettre de dérouler son corps impossiblement long et affreusement maigre d'une branche à l'autre, toujours plus bas. Des gestes lents et réguliers de funambule venant d'un squelette ambulant. Elle le regardait toujours, ses yeux ténébreux ne se détournant à aucun moment, sa bouche dégoûtante entrouverte ; il put y distinguer le gris rosâtre de la chair à l'intérieur de sa gueule... Il se vit englouti vivant, hurlant à s'en déchirer les cordes vocales tandis qu'elle le tiendrait fermement pour lui enfoncer toujours plus profondément la tête dans son gosier jusqu'à ce que tout son corps soit passé, le laissant ensuite étouffer pendant d'interminables minutes à l'intérieur d'elle, compressé de toutes parts par les muscles de sa gorge et de son ventre. Elle en était capable. Elle était aussi grande que lui, sinon plus, mais elle pourrait le manger en entier sans le moindre problème. Oui monsieur. L'image soudaine née de sa terreur faillit le faire vomir, mais elle le sortit de sa torpeur : il sursauta en réalisant qu'elle n'était déjà plus qu'à deux ou trois mètres du sol, fit enfin demi-tour et s'enfuit. Il n'osait pas encore courir, pas tout de suite, persuadé que la chose serait lente tant que lui resterait à peu près calme, comme si elle calquait ses mouvements sur les siens. Peut-être même qu'elle ne le suivrait pas, mais il en doutait.
 
THUD!
 
Fit la chose en atterrissant sur le sol. Fumeur accéléra un tout petit peu. Les pas sur l'humus mouillé étaient réguliers, un peu étouffés par la couche de feuilles en décomposition, mais bien audibles. Elle le suivait, donc. Et lui était parti sans armes, il avait tout laissé au camp pour pouvoir pisser tranquille. Intérieurement, il s'agonit d'injures. Il suait déjà à grosses gouttes, l'esprit fixé sur un but précis : aller chercher ses pistolets. Ensuite, ça irait mieux. Il aviserait. D'abord, les pistolets. Il ne put s'empêcher de regarder par-dessus son épaule et s'aperçut avec horreur que la chose n'était à une quinzaine de mètres derrière lui, marchant debout comme un homme, ses bras atteignant ses genoux et son torse maigre pulsant sur le rythme de sa respiration tandis qu'elle le rattrapait inexorablement. Vision de cauchemar pour une course silencieuse. Il distingua une fois de plus le fond de la gueule de la créature, et son coeur loupa un battement. Il bondit en avant, se propulsant avec la force du désespoir dans la pente douce qui menait aux chevaux -et au salut, l'espérait-il.
 
Fini de rire. Il compris en entendant la cavalcade précipitée dans son dos que la chose s'était mise à quatre pattes pour accélérer la cadence, et maintenant il lui parvenait le son de sa respiration sifflante. C'est comme si elle soufflait dans son cou... Il délogea involontairement un gros caillou de sa botte qui alla rouler dans la pente ; un son mat suivi d'un bref caquètement agacé lui signalèrent qu'il avait dû heurter la créature, lui faisant peut-être gagner quelques précieuses secondes.

Les chevaux étaient là, tout près ; il les entendait hennir. Là ! A une vingtaine de mètres, derrière l'arbre ! Il avait entraperçu le dos brun de la bourrique de Gemini et un pan de robe noire -Diva ! Il se précipita vers les bêtes attachées complètement paniquées ; une ruade de la monture de Gemini faillit le cueillir en pleine poitrine, et la méchante jument d'Héloïse essayait tour à tour de le mordre et de ronger son attache. Son propre cheval roulait des yeux terrifiés et il piétina sur place quand Fumeur plongea les mains dans les fontes de sa selle, priant d'avoir bien laissé un de ses pistolets là-dedans. Il ne trouva rien, pas tout de suite, et Diva et la bourrique finirent par rompre leurs attaches et s'enfuir dans la pente. Ne restait que son cheval à lui, ses sacoches et ses mains bredouilles qui... Ses doigts effleurèrent du métal froid. Un canon. Fébrile, il sortit au grand jour sa trouvaille, prêt à s'en servir de massue au besoin. Son autre main restée dans la sacoche pour trouver sa poudre, il put se retourner et surveiller son poursuivant. Il ne le trouva tout d'abord pas, le coeur au bord des lèvres, persuadé qu'il était déjà trop tard... Mais non. Il la vit devant lui en train de ramper comme une bête, progressant rapidement dans les fourrés, grosse araignée véloce à quatre pattes qui arrivait droit sur lui. Il trouva enfin les balles et la poudre et commença à charger l'arme, tremblant si fort qu'il versa la moitié de la poudre à terre. Et pour cause : la créature était proche, si proche qu'il pouvait distinguer les replis flasques de sa peau, son ventre couvert de plis, son cou décharné. Il jura même voir son reflet dans ses yeux d'outre-tombe. Une seconde de terreur absolue, et elle l'atteignit enfin. Elle lui agrippa la cheville avec force et tira sur sa jambe pour le faire glisser, le faisant tomber sur le cul, toujours cramponné à son arme mal chargée. La chose sembla avoir un haut-le-coeur. Elle hoqueta, chercha son souffle, et sa gorge gonfla à en éclater ; quelque chose se frayait un passage depuis son estomac... La bouche dégoûtante s'ouvrit en grand comme si elle n'avait aucune attache, et une masse rosâtre jaillit de la gueule de la chose, comme un sac que l'on aurait retourné. Et, en effet, des ossements s'en échappèrent : un crâne ressemblant à celui d'un mouton, quelques vertèbres, un tibia. La puanteur était insoutenable. Fumeur comprit avec une netteté glacée que la chose venait de régurgiter son propre estomac, histoire de le vider. Pour faire un peu de place, en somme.

La masse visqueuse vomie par la chose rampa sur sa jambe, progressant sur son mollet avec avidité. Et derrière, toujours ce regard horrible qui ne cillait pas. Fumeur hurla, pointa le pistolet entre les yeux de son agresseur, et pressa la détente.
Marco Gemini
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Posté le 08/07/2018 à 15:04:22. Dernière édition le 08/07/2018 à 18:23:04 

 

Héloïse se faufilait dans les sous-bois comme une ombre. La piste était évidente : son cher partenaire actuellement disparu ne s'embarrassait pas plus de délicatesse dans les corvées qu'à la guerre, brisant une branche gênante ou délogeant un rocher branlant sur son chemin... Dieu merci, son pas lourd avait nettement creusé le sol trempé de pluie ; la voie ainsi indiquée passait parmi un chaos de rochers et la poussait de temps en temps entre d'énormes caillasses en équilibre précaire. Ces reliquats d'un éboulement colossal, qui avait dû faire trembler la montagne il y a des milliers d'années, étaient couverts de mousse et d'arbustes qui lui fournissaient les prises nécessaires à l'escalade. Son souffle était toujours régulier, sa main sûre, son pied leste. Elle avait arpenté son Khanat de Crimée natal de long en large quand elle était petite, pister le gibier -et les soldats- c'était son jeu favori. Ici, elle était dans son élément. Elle souffla, pris son essor et grimpa sur une immense caillasse qui en d'autres temps aurait pu évoquer la tête d'un géant endormi sur le flanc de la montagne.


Elle tâchait d'économiser son souffle, incapable de dire jusqu'où la piste allait la mener. Peu inquiète pour Gemini en temps normal, elle se sentait cette fois étrangement mal à l'aise. Un orage, ça vous stoppe quelques heures tout au plus... Mais toute une nuit ? Ça non. Surtout lui. Si l'orage avait pris forme humaine, il l'aurait martyrisé pour le punir de l'avoir mouillé. Elle essuya la sueur de son front, se sentant transpirer à mesure que la journée progressait, et porta sa gourde à ses lèvres. Ses armes la ralentissaient, surtout le pistolet de Fumeur qu'elle avait emporté par pure précaution : quitte à tuer à distance, elle préférait de très loin la précision supérieure d'un fusil. Elle se planta haut sur son rocher, bien droite, pour dominer les alentours. Elle avait besoin d'une pause.

Elle en profita pour examiner son environnement. Toujours les mêmes roches empilées au petit bonheur, la même végétation de montagne, les grands arbres aux alentours... On entendait une rivière souterraine quelque part sous le chaos, un grondement sourd qui enflait par endroits. L'eau devait s'écouler juste en dessous d'elle, à peine à quelques mètres sous les rochers. Ajoutez à ça tous les petits bouts d'indices qui constituaient les pièces du puzzle. D'ailleurs... Il y avait une zone plus ouverte là bas, un genre de clairière naturelle beaucoup plus plane que le reste du chaos. D'ici elle pouvait déjà voir que le sol en était tout agité. Elle se retint à un arbuste minuscule, sauta à bas de son perchoir et atteignit la zone repérée en quelques foulées, silencieuse comme un chat. Pas de doute, on s'était battu ici. La piste de Gemini s'arrêtait en plein milieu, après tout n'était que fouillis de terre retournée, de coups dans la végétation et de rochers récemment éraflés. On avait dû lui tomber dessus à plusieurs, une demi-douzaine d'individus planqués dans les rochers. Des bandits peut-être, ou des villageois en colère. Qui sait ce qu'un con de paysan peut croire en voyant débarquer ce genre de personnage.

Elle fit involontairement la grimace. Les bouseux croyaient effectivement beaucoup de choses quand ils voyaient débarquer un type comme Gemini. Elle se coula dans l'ombre entre deux rochers, consciente d'être probablement épiée si jamais les agresseurs avaient laissé des sentinelles. L'heure était venue de se concentrer. Héloïse de L'Hydre n'avait pas usurpé sa réputation. Elle respira profondément à plusieurs reprises pour forcer son coeur à ralentir et resserra les liens de ses armes et de ses vêtements malgré la chaleur. Un couteau apparut sans un bruit dans sa main. Elle reprit son inspection, attentive à tout, les yeux grands ouverts, posant un pied après l'autre dans un silence absolu. On avait maîtrisé Gemini -ici, une grosse portion de terre retournée, comme un corps brutalement plaqué au sol qui se débat- et on l'avait traîné... Par là. Les feuilles bien lourdes de pluie n'étaient retournées que dans une seule direction. Facile. Elle leva les yeux : la piste descendait entre deux cailloux de la taille d'une petite maison. Si elle n'avait pas été capable de repérer la direction qu'avaient prise les agresseurs, elle aurait pu passer devant sans jamais deviner qu'on pouvait y circuler, et pour cause : il devait y avoir à peine un mètre de largeur, et ça partait en pente raide en direction de la rivière souterraine... Elle tâtonna du pied et décela deux marches creusées à la verticale dans la pierre, dissimulées à la vue des voyageurs qui ne connaîtraient pas le passage. Oui, ça descendait profondément, elle sentait déjà l'humidité sur les parois. Le chemin était ardu mais l'on pouvait deviner sans peine où poser ses pas une fois que l'on avait compris qu'il existait bien un passage. On devrait autant utiliser ses pieds que ses mains pour progresser.
 
De chat, Héloïse se fit araignée arpenteuse des parois enténébrées, et continua sa route prête à tuer.
Marco Gemini
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Posté le 10/07/2018 à 12:47:08. Dernière édition le 12/07/2018 à 21:37:36 

[https://www.youtube.com/watch?v=Y6IkIgRz7aM]

Le son de la rivière souterraine était assourdissant ; elle avait croisé une petite cascade sur son chemin, en-dessous de laquelle elle était restée quelques minutes pour se rafraîchir et remplir sa gourde. L'endroit était vénérable, empli d'une beauté brute qui la fascinait ; l'eau, en tombant sans arrêt de toute sa force, avait creusé des cercles dans la roche en bas, qui allaient en s'élargissant depuis des centaines d'années et continueraient de s'élargir bien après sa mort à elle. La pierre y était plus lisse que le cul d'un bébé. Elle s'était penchée autant qu'elle l'avait osé pour voir jusqu'où tombait la cascade une fois qu'elle avait rebondi, sans succès : plus bas, c'était le royaume des ténèbres. L'eau paraissait chuter jusque dans les tréfonds de la terre... C'est là, en plein dans les entrailles du chaos de roches, qu'Héloïse était tombée sur les premiers véritables signes d'une présence humaine. Des couvertures moisies au sol, un siège creusé dans la roche... Quelques armes. L'hypothèse des brigands allait de soi, elle pensait avoir vu juste. Mais les armes étaient en sale état, certaines avaient commencé à rouiller à cause de l'humidité omniprésente... Personne n'en prenait soin. Peut-être que leurs propriétaires n'étaient plus venus depuis des lustres. Pourtant, la piste menait bien ici ; elle était dans un cul-de-sac.

Héloïse s'assit dans le siège naturel, déjà usé par de nombreuses paires de fesses. Elle cogitait furieusement. On voyait un tout petit bout de ciel par le trou dans lequel s'engouffrait la cascade au-dessus de sa tête, et un unique rai de soleil s'y frayait un chemin. Elle contempla les grains de poussière qui dansaient dans la lumière... Et elle tiqua. Juste derrière le rayon, en partie caché par la brume produite par le torrent grondant, un passage minuscule s'ouvrait dans la paroi. Elle s'y précipita et se pencha pour voir où cela menait ; ses yeux encore habitués à la pénombre crurent y distinguer beaucoup plus de lumière. Elle pria pour qu'il s'agisse de la sortie. Elle s'engagea dans le trou, sentant se resserrer sur elle l'étreinte des centaines de kilos de roche qui l'entouraient, les oreilles malmenées par l'écho de la cascade. Même un enfant aurait dû passer par là à quatre pattes. Décidément, ces mystérieux troglodytes étaient bien audacieux... Et qu'il soit assommé ou non, ils avaient dû en chier pour faire passer Gemini là-dedans. L'idée la fit ricaner.

Quand elle put enfin se relever, elle se retrouva dans un tunnel vertical au travers duquel on distinguait la forêt. Elle tâtonna autour d'elle, il devait forcément y avoir un moyen de sortir, du matériel d'escalade... Victoire ! Les parois du tunnel étaient bien pourvues en prises. Les occupants de la grotte devaient logiquement envoyer le plus leste d'entre eux grimper à mains nues, et une fois arrivé en haut il déroulait une corde pour ses compagnons. Simple et efficace. Une fois que tout le monde était passé, on réenroulait le tout en haut pour ralentir d'éventuels poursuivants. Héloïse prit son courage à deux mains, choisit ses prises et débuta son ascension. Il devait bien y avoir six ou sept mètres de hauteur... Rien qui ne l'effrayait trop, surtout après tout ce temps passé dans ces cavernes à vous rendre claustrophobe. Plus elle se rapprochait de la sortie plus elle distinguait des voix par-dessus le grondement encore bien audible de la cascade souterraine. Elle se propulsa plus ardemment encore, l'afflux d'adrénaline lui fit franchir les quelques mètres qui la séparaient encore de son but et elle émergea enfin à l'air libre.
Marco Gemini
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Posté le 15/07/2018 à 16:13:49. Dernière édition le 15/07/2018 à 16:30:31 

Étrange tableau que celui sur lequel elle tomba : tout un groupe de pouilleux qui s'agitait dans un petit camp de fortune. Un truc miteux, pourri. Un refuge pathétique rempli de silhouettes en haillons, des armes en sale état aux poings. Elle compta ses futurs adversaires, s'arrêtant à huit. C'est là que le merdeux sensé surveiller le passage souterrain se rappela son job et qu'il l'aperçut. Héloïse s'avança les mains levées le temps de s'assurer qu'aucun n'avait d'arme à feu, ça avait l'air d'être le cas. Dans ces cas là, on prie un coup et on y va. La sentinelle de pacotille pointa le doigt et donna l'alarme, attirant l'attention de ses congénères. Beaucoup se détournèrent d'une forme prostrée au milieu du camp, Gemini évidemment. Il était enchaîné, battu comme plâtre, du sang un peu partout sur le corps. Ils avaient réduit sa veste en lambeaux. Les pouilleux l'encerclèrent, en restant à bonne distance malgré tout. Trop hésitants pour être des soldats... Ses armes devaient les intimider. Merde, c'était vraiment un môme, cette sentinelle. Un rouquin avec du duvet sur la lèvre, à quelques années encore de former une vraie moustache. Squelettique. Il lui pointa une lance sur le torse, c'était qu'un bout de bâton avec un couteau attaché au bout, du vrai bricolage qui se brise au premier coup un peu rude. On l'interpella, on lui posa des questions. Surtout un, un grand type, roux lui aussi -sûrement le père du gosse ? Bâti comme une brute avec la barbe fournie, le torse velu et les bras épais qui serraient fermement une grande cognée. Leurs voix lui parvenaient de très loin. Elle pointa simplement son compagnon du doigt, elle ne posa qu'une seule et unique question. Pourquoi ?

Un choeur de voix indignées s'éleva, ils commençaient à l'insulter. Une sombre histoire de tribus de sauvages qui sévissaient dans la région, des types complètement fous qui ouvraient les portes et les fenêtres des maisons la nuit, y éteignaient les feux, massacraient le bétail et sabotaient les réserves, condamnant des tas de gens à périr de froid et de faim. Des adorateurs de l'hiver, qui les ont forcés à fuir les ruines de leur village pour se réfugier ici. Héloïse reconnut sans problème les méthodes de ces tarés de la Maison du Marcheur. Elle répéta sa question. Pourquoi l'avoir enlevé, lui ? On lui répondit qu'on l'avait surpris à rôder autour d'une de leurs planques, c'était un être monstrueux, pas humain. Clairement l'un d'entre eux. En tout cas, pas l'un d'entre nous. Le grand barbu s'énervait, son gosse s'excitait aussi. Les autres autour n'en menaient pas large, plus peureux qu'autre chose. Le gosse agita sa lance, le père sa hache. On l'accusa d'être de mèche, d'être elle aussi l'un de ces fous dangereux qui tuaient des honnêtes gens et qu'il fallait dégager de la montagne. Elle ne dit rien, se contentant d'observer son compagnon terrassé qui peinait à émerger du brouillard dans lequel ils l'avaient plongé à force de le battre. Elle était assez proche pour constater qu'une grosse balafre sanguinolente lui entaillait la bouche en diagonale jusqu'au menton. Comme s'il avait besoin de plus de cicatrices.

Ça n'en finissait plus, les réfugiés déversaient leur bile et leur peine. Elle s'en foutait. Les pouilleux parlaient encore quand elle saisit la lance du gosse, la lui arracha d'une torsion du poignet et la lui retourna dans les tripes ; la lame se brisa dès qu'elle commença à tourner l'arme dans la plaie, évidemment. Le gosse vomit du sang et tenta en vain de retirer la lance pendant que son supposé père hurlait derrière. La moitié des pouilleux prit directement la fuite. Deux autres voulurent jouer les héros, le premier eut le temps de sentir sa mâchoire se détacher quand Héloïse le sabra en travers de la bouche et le second se fit trancher le bras à hauteur du coude puis promptement achever une fois tombé au sol. Le reste des réfugiés s'éparpilla à ce moment là. Ne restait que le grand barbu, qui lui fit signe d'approcher en serrant les dents, les yeux rougis par les larmes. Gem' s'était enfin réveillé et suivait le combat en essayant de dire quelque chose. Il avait les yeux fous. Le barbu avait une allonge bien supérieure et une hache bien affûtée... Très dangereux. Un coup, et elle était au tapis. Elle banda ses muscles et commença à danser. Impossible de toucher pour l'instant, son sabre était bien trop court en comparaison pour jouer l'offensive. Impossible de parer, sa lame se serait brisée ; elle ne pouvait guère que dévier les coups. Et là, l'ouverture : il avait pris trop d'élan pour un coup de taille, il lui fallait une seconde de trop pour ramener sa hache. Elle sauta sur l'occasion pour lui ouvrir la cuisse. Le type beugla comme un animal et perdit définitivement les pédales ; il lui fonça dessus en agitant son arme dans tous les sens, inconscient des blessures qu'elle pourrait lui infliger. Ils étaient maintenant au corps à corps, sa carrure lui donnait un énorme avantage et elle savait qu'elle ne ferait pas le poids longtemps niveau force brute. Dieu bénisse Fumeur et ses pétoires. Elle dégaina son unique pistolet -mais le barbu la força immédiatement à détourner le canon sur le côté. Elle ne pouvait pas pointer l'arme sur son adversaire, sa poigne était terrifiante.

Au combat, il était très rare qu'Héloïse se mette en colère. Elle analysait, observait, et réagissait en conséquence. Chaque duel était une partie de jeu des Latroncules, chaque victoire le résultat d'une stratégie soigneusement planifiée. Mais même le meilleur stratège ne peut vivre sa vie de guerrier sans jamais s'en remettre au moins une fois à la chance. Elle visa sur le côté, en direction de Gemini et de ses chaînes, pria sa déesse et appuya sur la détente.

Elle ne put pas voir si le tir avait atteint son but. La détonation l'assourdit, elle cligna des yeux et l'odeur âcre de la poudre envahit l'air ; l'instant d'après, elle était soulevée dans les airs et brutalement plaquée au sol. Le barbu était tout d'un coup au-dessus d'elle, en train d'appuyer sa cognée en travers de sa gorge. Elle poussa de toutes ses forces pour empêcher sa trachée de céder sous le manche de la hache ; son sabre était tombé trop loin d'elle, attraper l'une de ses dagues l'aurait forcée à relâcher la pression qu'elle opposait à ce qui l'étranglait. Le barbu lui postillonnait des insultes à la figure... Et d'un coup la voix injurieuse se brisa et la pression se relâcha, d'abord sur sa gorge, puis sur son corps tout entier. Elle vit avec des yeux émerveillés le colosse rouquin s'élever dans les airs... Des gros doigts s'étaient enroulés autour de sa gorge et de son visage. Il lâcha sa hache. On continuait de le soulever et de le tirer en arrière ; le propriétaire des doigts tenta une première fois de lui tourner la tête de force mais le barbu résista. Il griffa et frappa les doigts, les fit lâcher, mais ils revinrent plus déterminés que jamais, ils écartèrent les mains de leur victime et serrèrent encore plus fort. La tête commença à tourner plus qu'il ne lui était possible en temps normal, et Héloïse vit clairement la panique dans les yeux du barbu qui comprenait qu'il arrivait quelque chose d'extrêmement peu naturel à son corps. La nuque céda soudain ; le barbu se retrouva avec une bosse de la taille d'un poing en travers du cou et sa tête tomba sur son épaule comme un poids mort. Son meurtrier rejeta son corps sur le côté comme un vulgaire sac de sable.

Gemini se tenait maintenant debout à la place de feu le barbu. A moitié nu, le corps sale couvert de bleus et de coupures et l'air hagard, il n'avait plus rien d'humain.
 
Marco Gemini
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Posté le 20/07/2018 à 17:10:06. Dernière édition le 20/07/2018 à 17:10:57 

C'est un brouillard flou qui occupe alors l'esprit de Gemini. Son frère se fait plus présent dans ces moments-là, comme si l'affaiblissement du plus fort d'entre eux deux permettait à l'autre d'émerger. En plus, le tonique de Merveilleuse lui redonne clairement un coup de fouet. Il a même pu discuter avec son frère l'autre jour, comme quand ils étaient enfants. Il ne sait pas trop s'il doit s'en réjouir ou non. Porter son frère faible, oui. Vivre à deux sur le même corps...

Il resta debout, indécis. Tout son corps lui faisait mal, ils l'avaient battu comme plâtre durant les quelques heures où il était resté leur prisonnier. Devant lui, Héloïse gisait les bras en croix ; sa voix enrouée lui demanda s'il allait bien.

Il était incapable d'y répondre correctement.

"Tu m'as tiré dessus."

Héloïse tourna la tête pour cracher maladroitement un peu de sang, dressée sur ses coudes. Elle tremblait, encore ébranlée par son corps à corps avec le grand paysan à la tignasse rousse.

"Tes chaînes, idiot."

Ah. Effectivement. La balle l'avait éraflé, lui laissant une belle entaille de plus sur l'avant-bras ; mais ce faisant elle avait aussi entamé un maillon, juste assez pour qu'il se débarrasse de ses liens. Très forte, la demoiselle. Les dieux devaient vraiment veiller sur elle pour qu'elle réussisse un coup de chance pareil.

Héloïse se remit enfin debout, chancelante sur ses pieds. Elle se massa la gorge où fleurissait déjà un bel hématome violacé.

"Ça va mal. Ils t'ont pris pour un des dévots de l'hiver qui infesteraient le coin. Ce n'était pas le cas la dernière fois que je suis passée dans la région... Notre périple devient risqué, il va falloir nous hâter de traverser le col pour atteindre des terres plus hospitalières. J'ai laissé Fumeur au camp pour garder les chevaux et l'essentiel des bagages. On se pose cinq minutes le temps que je t'examine et on part d'ici."
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Posté le 24/07/2018 à 12:26:27. Dernière édition le 25/07/2018 à 14:35:30 

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Année 1718

Retour à l'instant présent. Vingt ans plus tard, Gemini émerge enfin de ses souvenirs. L'exercice est aussi douloureux que gratuit, mais il ne peut s'empêcher de ressasser le tout dès qu'il touche à ces parchemins ; car devant lui se trouvent encore les antiques manuscrits pnakotiques dont il est gardien. Enfin, non. C'est son frère qui en a été désigné gardien, et non lui ; au temps pour la formidable Destinée à laquelle il s'attendait. Sacrée petite mascarade que nous avons là, car l'époque où Iacopo était en pleine possession de ses moyens est bel et bien révolue. Mais qui peut prétendre saisir les desseins tortueux des gens du Rêveur ? Même enfouie sous les mers, la bête impossible veille à ce que sa volonté soit accomplie. Haut gradé ou non, à la fin lui ne reste qu'un pion, avec le simple espoir que sa Maison fasse partie des favorites qui échapperont au courroux du Rêveur qui finira bien par sortir de son sommeil.
 
La première lettre lui est parvenue hier, écrite de la main d'Ishaq. Tous les autres -les survivants de la guerre- y sont cités. Surtout Héloïse.

Gemini songe à sa femme. Est-elle toujours aussi belle ? Il est certain que oui. Les années l'auront même embellie, si ça se trouve. Il tente de s'imaginer une Héloïse aux cheveux striés de gris, des pattes d'oie au coin des yeux. Il peine à se rappeler son visage en détail, et la tristesse l'accable.

Son frère lui fait mal ; il sent l'endroit de son corps où ils sont rattachés -sur le torse, à droite, lui faisant une grosse bosse jusque sur l'épaule- qui le lance. C'est bien douloureux, de plus en plus. Il dépérit ; malgré le tonique de Merveilleuse qu'il prend depuis vingt ans, malgré les regains de santé périodiques de Iacopo, malgré sa force et sa résistance, si son frère meurt il l'entraînera avec lui. Il en vient à envisager l'impossible, mais comment parler d'impossible sur une île où les morts marchent ? Où les créatures les plus humbles deviennent des brutes sanguinaires ? Où la Mort elle-même semble bien timide...

Il frissonne. Il L'a vue de près, grâce à Voodoo Jim, Angus et les autres qui l'ont laissé pour mort après leur petite révolte. Il savait qu'ils étaient tous venus ici ; l'île semblait attirer les pires raclures. Tout s'entremêle dans sa tête, avec la douleur en fond comme une brûlure persistante. Il s'octroie une gorgée de tonique, plus forte que d'habitude ; il bourre sa pipe de tabac et de feuilles volées dans une des caisses du Coffee Shop d'Ulungen, et une forte odeur de chanvre envahit la cabine lorsqu'il tire sa première bouffée. La drogue l'apaise et chaque inspiration le plonge un peu plus dans un isolement béat.

Il laisse les souvenirs l'envahir à nouveau, son sauvetage, la fuite vers le col, l'improbable horreur rôdant sur les sommets et tout ce qui a mené à la grande guerre entre les Maisons.

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Marco Gemini
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Posté le 01/08/2018 à 13:03:38. Dernière édition le 03/09/2018 à 23:19:28 

Retour en 1698.

La marche dans les bois leur parut durer des siècles -après des millénaires passés à descendre Gemini dans les cavernes par lesquelles Héloïse avait retrouvé les réfugiés.

Ils pouvaient sentir que ça s'agitait dans la forêt. Ça se réveillait... Des appels retentissaient d'un côté ou de l'autre de la vallée, qui résonnaient parfois jusqu'à eux. Impossible de dire si on leur donnait déjà la chasse ; elle espérait avoir suffisamment effrayé les réfugiés pour qu'ils s'enfuient sans demander leur reste...

Impossible aussi de dire s'il s'agissait bien des réfugiés. Elle n'osait pas imaginer l'alternative : tomber maintenant sur une bande de dépravés affiliés au Marcheur, c'était la mort assurée. Bien que leurs Maisons vivent officiellement en bonne entente, en vérité les escarmouches et les accidents étaient fréquents : dès que l'une des deux Maisons marines voulait s'étendre un peu vers l'intérieur des terres elle avait de grandes chances d'empiéter sur le territoire du Marcheur, dont les sauvages adeptes ne s'encombraient généralement pas de diplomatie au quotidien. Et puis, bon. Héloïse avait elle-même dirigé plusieurs opérations visant à ramener des prisonniers pour leurs cités côtières, futurs esclaves et chair à canon mêlés ; y figuraient régulièrement des membres de la Maison des adeptes de l'hiver.

Gemini pesait lourd sur son épaule, elle l'avait déjà soutenu lors de batailles qui avaient mal tourné ; mais son affrontement avec le grand rouquin et la longue marche matinale l'avaient plus profondément affectée qu'elle ne l'avait cru. Le souffle lui manquait, et Gem' hébété n'arrivait plus qu'à marcher droit devant lui comme un automate. Le sang qui coulait de l'entaille en travers de sa bouche commençait à peine à coaguler et son teint pâle n'augurait rien de bon. Elle n'était même pas sûre de pouvoir dégainer son sabre si on les attaquait. Elle essuya rapidement la sueur qui lui coulait dans les yeux et tendit l'oreille. Les cris se rapprochaient. S'ils n'arrivaient pas bientôt au campement...

Elle pria pour que Fumeur soit encore là. Si les Marcheurs les avaient trouvés lui et les chevaux, ils étaient tous morts.
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Posté le 03/09/2018 à 23:18:53. Dernière édition le 03/09/2018 à 23:29:46 

La tête monstrueuse ballottait dans un sac accroché au flanc du cheval.

Ils avaient trouvé leur compagnon dans un état déplorable, prostré à l'entrée de la caverne, ses pistolets chargés sur les genoux, la satanée pipe à opium qui lui valait son nom à la bouche. Une légère odeur opiacée flottait dans l'air, mais même le puissant remède n'aurait pu calmer tous ses tremblements. Non loin de là gisait la chose, avec un trou béant à la place de l'un de ses yeux énormes et le corps lardé de coups de couteau -infligés post-mortem, comme le leur avait expliqué Fumeur entre deux inspirations nerveuses. Héloïse avait longuement contemplé l'immonde bête avant de lui trancher la tête d'un coup de sabre et de la placer dans un sac ; cela intéresserait fortement les têtes pensantes lorsqu'ils seraient arrivés à destination... Il était hors de question de s'attarder ici. De bien sombres choses s'agitaient dans cette région maudite, des choses qui annonçaient que la guerre à venir allait être terrible. C'était un miracle que les villageois qui avaient capturé Gemini soient encore de ce monde ; leur futur n'avait rien de radieux, mais comme l'avait démontré Héloïse nulle pitié n'allait venir du trio de malfrats. Le colosse en sale état s'était attaché à sa monture, déterminé à ne pas en tomber lors de la cavalcade qui allait suivre ; les affaires furent hâtivement rassemblées en baluchons, les chevaux encore nerveux après l'attaque dont ils avaient été témoins furent préparés et sellés, et ç'avait été le départ. La meute les avait rattrapés deux heures plus tard. Tout n'avait ensuite été qu'une succession d'attaques désordonnées dignes de bêtes sauvages ; les adorateurs du Marcheur étaient en cela fidèles à leur réputation. La fuite du trio s'était peu à peu transformée en chasse à grande échelle, et les sauvages étaient tenaces.

Deux nouveaux fous furieux déboulèrent en aboyant, soulevant un nuage de feuilles dans leur course effrénée, droit sur les cavaliers qui ne ralentirent pas. Héloïse se pencha sur sa selle, les jambes tendues dans les étriers ; le chemin était assez large pour lui permettre de tirer parti de ses talents de cavalière des steppes. Le sabre siffla dans l'air et la tête du premier sauvage vola dans une gerbe de sang écarlate ; le second s'écroula en hurlant lorsque le cheval de Gemini le percuta de plein fouet ; les os craquèrent sous les grands sabots de l'animal et le cri s'interrompit d'un coup. Ils n'étaient vêtus que de peaux de bêtes, des pièces miteuses couronnées de crânes de cerfs, de loups ou de sangliers, et leurs armes étaient aussi primitives : des gourdins, des lances de bois durcies au feu, et de temps en temps des armes rouillées volées aux villageois, aux bandits ou à quelque infortuné voyageur. Une épée antique avait laissé une longue estafilade de plus dans la cuisse de Gemini affaibli, trop lent pour se défendre, et sa pâleur ne laissait aucun doute : il ne tiendrait plus ce rythme très longtemps. Héloïse essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux et se replaça en tête de la colonne, maintenant l'allure malgré sa propre fatigue. Un coup de feu occasionnel provenait de l'arrière couvert par Fumeur, qui taquinait à coups de plomb quiconque se serait trop approché.
  
Fumeur n'égalait pas sa compagne de route question équitation ; cependant, celui qui avait été dans une autre vie le fils cadet du domaine Agnelli avant de tomber en disgrâce savait diriger un cheval sans les mains si besoin était. Il finit de recharger son arme, repéra un autre sauvage qui arrivait en travers de leur route, visa depuis sa monture lancée à vive allure et tira la seconde après. Sa cible glissa sans grâce sur le tapis de feuilles pourries, morte à l'instant où la balle avait pénétré son coeur. Fumeur voyait en chaque poursuivant abattu un clone de l'horreur qui l'avait agressé.

"Bâtard", jura-t-il entre ses dents alors qu'il rechargeait à nouveau.
Marco Gemini
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Posté le 01/10/2018 à 13:14:08. Dernière édition le 01/10/2018 à 13:25:50 

Ils arrivèrent enfin sur l'étroit plateau herbeux balayé par les vents, seul passage possible d'une vallée à l'autre par ces montagnes. Les chevaux étaient épuisés, l'écume aux lèvres et le souffle ronflant comme un soufflet de forge. Il n'y avait plus signe de leurs poursuivants depuis plusieurs minutes.

"Ils abandonnent ! Ils abandonnent !"

Fumeur s'époumonait, toujours en queue de la file, ses pistolets fumants encore à la main. Héloïse hurla sa joie, épée levée. Ils étaient passés, le col était sous leurs yeux, le salut à leur portée. Gemini était en besoin urgent de soins : son sang ruisselait le long des flancs de sa monture. Il était presque totalement affalé sur sa selle, le souffle court et le teint pâle. Un dernier galop...

Le ciel noircit soudain, se remplissant de lourds nuages noirs, des menaçants nuages d'orage qui ne demandaient qu'à déverser leur fureur sur les fuyards. Les premières gouttes de pluie s'abattirent, et Héloïse tendit la langue, visage levé vers le ciel, pour les goûter. Le galop des chevaux se ralentit et leurs cavaliers les laissèrent enfin souffler. Il ne pleuvait pas tout à fait... Rien ne se décidait : le ciel restait chargé, toujours plus noir, on se serait cru en pleine nuit. Mais les quelques gouttes de pluie avaient stoppé net. Le vent souffla un dernier grand coup, une bourrasque bien plus puissante que les autres qui coucha l'herbe du plateau, puis plus rien. Un silence absolu, profond. Et toujours ce ciel noir d'encre, accompagné d'une forte odeur d'ozone. Les cheveux des voyageurs se dressaient sur leurs têtes. Héloïse, en tête de file, se retourna à demi sur sa selle, sourcils froncés et nez plissé, interrogeant ses compagnons du regard. Et soudain, le ciel explosa.

Un éclair frappa juste devant, accompagné d'une bourrasque d'une puissance terrifiante. Héloïse et son cheval volèrent dans les airs, projetés en arrière par le soudain déchaînement de la Nature. Le vent se mit à hurler en continu ; le cheval de Gemini s'arqua sur ses sabots pour ne pas être emporté, aidé en cela par le poids de son cavalier ; Fumeur ne dût son salut qu'au fait d'être en partie abrité derrière eux.

"A terre ! A terre, bordel de Dieu !"

La voix de Fumeur se perdit dans la tempête. Les deux hommes étaient aveuglés, incapables de voir où aller dans la tempête. Fumeur sauta à bas de son cheval à la première accalmie, tirant Gemini hébété de sa selle et le poussant à l'abri d'un des rares rochers qui parsemaient la lande. Le vent se remit à souffler, leur envoyant des gifles glacées dans la figure. Il grêlait. Plusieurs rochers en équilibre les uns sur les autres basculèrent sous la force du vent.

Diva gisait sur le flanc, tuée sur le coup. Les pattes de la jument d'Héloïse étaient tordues, son torse étrangement enfoncé. Non loin de là gisait sa maîtresse inconsciente, un bras cassé en plusieurs endroits et un énorme hématome naissant déjà sur son front ouvert. Le vent soufflait par à coups maintenant, se concentrant quelque part à mi-hauteur du sol et des nuages ; Gemini se précipita aux côtés de son amante blessée et se coucha sur elle dans l'espoir de protéger son corps. La grêle martelait ses membres, et certains grêlons faisaient la taille de son poing. Il se crispa en attendant l'impact qui ne manquerait pas de s'abattre sur son crâne, le plongeant définitivement dans le noir. Il ouvrit un oeil. Les éclairs tombaient à nouveau, par grappes. Leurs pauvres chevaux en firent les frais. La monture de Fumeur paniquait, galopant à droite et à gauche ; un éclair la frappa en pleine course, tuant net l'animal. Le hongre placide de Gemini prit la fuite, fou de terreur, et disparut derrière la crête. Les cris de Fumeur étouffés par le vent, le corps flasque d'Héloïse sous lui, ses propres blessures bien trop fraîches et le déchaînement naturel autour de lui se mêlèrent pour former un chaos abominable. Il leva la tête, osant enfin regarder en l'air.

Le ciel n'était que noirceur, un véritable bouclier de nuages entre eux et le soleil. Et, l'espace d'un instant, il LA vit, au milieu de la tempête. La gigantesque, l'impossible silhouette d'un géant fait d'orages et de blizzard. Il put sentir le regard de l'être loin, si loin au-dessus d'eux, se poser sur lui. Un immense espace sombre s'ouvrit là où aurait dû se trouver sa bouche, et une série de coups de tonnerre retentit comme si l'être parlait, si fort que Gemini crut que ses tympans explosaient. Il s'évanouit.
Marco Gemini
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Posté le 27/10/2018 à 14:47:02. Dernière édition le 29/10/2018 à 22:33:27 

Tout était noir. Une obscurité terrible, plus profonde que la plus noire des nuits, plus opaque que les fonds marins les plus inaccessibles, ceux où évoluaient les enfants bénis et les ancêtres vénérés...
Iacopo, à l'instar de son dieu, rêvait. Sa voie, d'abord toute tracée comme celle de son frère Marco, avait cependant divergé. Marco le fort avait dédié sa vie aux cultes abyssaux, comme sa compagne, après sa lecture des manuscrits qu'il avait rapportés du Jessamine. Mais Iacopo sentait qu'il existait un schisme fondamental entre lui et son frère, une fissure définitive dans leurs mentalités respectives.

Peut-être était-ce pour cela qu'il s'était détourné de la voie de Père Dagon.

Chaque jour était une lutte pour sa propre survie. Il dépérissait. Année après année il ne faisait que grappiller l'énergie de son frère, condamné à être le faiblard du lot, le demi-mort, l'éternel agonisant. L'élixir miraculeux offert par la vieille peau allait lui rajouter plusieurs années d'espérance de vie, il pourrait même peut-être regagner ses forces, pouvoir parler, communiquer... Voir le monde qui l'entourait ! Il en aurait tremblé d'excitation s'il en avait eu la force. Il s'imaginait déjà pleinement revigoré, lui et son frère formant un duo terrible régnant sur quelque village d'esclaves, pillant les caravanes qui sillonnaient l'Europe... Ou les bateaux naviguant dans les îles loin au-delà de l'océan, dans les Caraïbes tropicales et sauvages.

Mais il était conscient du problème qui se poserait un jour. Tôt ou tard, l'élixir ne suffirait plus. Ou alors son organisme exigerait des doses toujours plus fortes, à l'image des opiomanes dont l'addiction ne faisait que croître jusqu'à ce que la seule dose qui les satisfasse soit mortelle.

Mais son dieu lui avait insufflé le courage. Sa conscience gigantesque l'effleurait dans son sommeil, il le sentait en train de sonder les limites de sa compréhension lorsqu'il osait fermer les yeux pour faire le vide dans sa tête. IL l'avait infecté avec ses songes d'un autre temps ; et alors Iacopo ne rêva plus que de grandeur.

Son cher frère Marco avait vu le Marcheur, et son esprit déjà abîmé n'en sortirait sûrement pas indemne. Le sauvage, la bête, le souverain des barbares, des chamans et des fous furieux, celui qui poussait les plus voraces de la tribu à dévorer la chair des plus faibles quand l'hiver écrasait le pays sous son joug glacial. Il marchait inlassablement, rôdait en lisière des forêts, parcourait les nuages, enjambait les montagnes... chacun de ses pas était la tempête, et chacun de ses mots était semblable au tonnerre. Mais il n'était rien face à son maître à lui, le Rêveur aux mille siècles d'existence, le seigneur incontesté du monde pour toujours endormi dans sa tombe océane.

Iacopo en tira de la force, et il força son frère à ouvrir les yeux.
Marco Gemini
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Posté le 06/11/2018 à 23:16:18. Dernière édition le 07/11/2018 à 23:14:30 

Deux mois après la catastrophe.

Le ciel était bleu, l'air frais caressait le visage de l'homme assis sur la chaise de bois, placée sur la terrasse d'un chalet rustique. A l'intérieur, le poêle à bois tournait déjà à plein régime, diffusant une chaleur bienvenue dans la pièce et faisant parvenir jusqu'à l'homme des lambeaux de chaleur occasionnels. Les nuits étaient froides, de plus en plus, et les soldats devaient amasser autant de bois que possible en prévision de la mauvaise saison. Après tout, nul ne savait combien de temps ils resteraient ici et même le soleil au zénith n'empêchait pas l'air froid de se faire douloureusement sentir.

Prostré sous une épaisse couverture, Gemini observait le petit village en silence ; il n'était constitué en tout et pour tout que de quelques maisons de bois et de pierre bien entretenues par leurs précédents propriétaires -lesquels gisaient maintenant six pieds sous terre, officiellement tués par la bande de fous barbares qui hantait la région ; Gem' soupçonnait cependant les troupes de l'Hydre de s'être débarrassées elles-mêmes des éventuels survivants réfugiés dans les collines, histoire d'être les seuls occupants du coin.
 
 
Les maisons bordaient une route, à peine un chemin blanc tracé dans les collines qui serpentait jusqu'au col où s'était déroulée la débâcle. Il lui suffisait de lever les yeux et de contempler les montagnes se dressant en arrière-plan pour se remémorer l'horreur hantant le col. Elle avait brisé leurs chevaux et manqué tué sa compagne et lui-même avant de disparaître comme elle était venue, aussi brusque que la tempête, aussi éphémère que l'orage, laissant les voyageurs gisant au milieu du chaos d'impacts de foudre et de grêle déjà fondante. Seul Fumeur s'en était sorti plus ou moins indemne. Bien que fortement secoué, il avait pu rejoindre les frères siamois étendus de tout leur poids sur Héloïse inconsciente pour la protéger ; Marco s'agitait, n'arrivait pas à parler correctement, bredouillant un mélange de mots sans queue ni tête. Il avait chancelé une fois remis sur ses pieds, préférant bien vite se rasseoir lourdement pour mettre sa tête entre les genoux. Héloïse respirait malgré un creux au niveau des côtes et un bras affreusement tordu ; le dégingandé dandy avait très vite bandé le torse blessé et redressé autant que possible le bras cassé. Sans lui, la femme aurait probablement succombé et lorsqu'il avait été assez remis pour comprendre ce qu'il s'était passé, Marco avait fermement décidé qu'il couvrirait son vieil ami de richesses des pieds à la tête en remerciement.

Ils n'avaient pas eu le choix : avec ou sans chevaux, il fallait avancer coûte que coûte. Juste le temps de récupérer quelques affaires sur les cadavres de leurs montures, nourriture sèche, gourdes d'eau, armes et matériel divers -plus l'ignoble tête de la créature des bois- et ils s'étaient remis en route. Les barbares pouvaient encore reprendre la chasse, se décider à gravir la route menant au col, les atteindre alors qu'ils étaient vulnérables. Gem' n'était plus capable que de servir de bête de somme, portant Héloïse sur ses larges épaules tordues, suivant placidement Fumeur qui sentait ses dernières bribes de calme relatif céder petit à petit devant la possibilité de voir débouler d'autres fous venus achever le travail. Il avait manqué défaillir de joie en apercevant les premiers toits de lauze loin en bas de la pente, droit sur leur chemin. Restait la possibilité que le village soit infesté d'ennemis, mais il pensait que non : ils semblaient vraiment hésiter à franchir le col, comme s'ils avaient peur.

Et pour cause : la chance leur avait enfin souri. La Maison de l'Hydre, qui  nourrissait depuis longtemps des projets de conquête envers des territoires déjà convoités par ceux de l'Hiver, plus précisément deux vallées offrant un passage sûr et rapide au travers des montagnes, avait enfin décidé de passer à l'action. Les troupes de l'Hydre lourdement armées étaient descendues loin vers le Sud, prêtes à en découdre avec les barbares ; elles les avaient repoussés en quelques jours seulement hors de la première vallée, fortifiant ensuite la région jusqu'au col qui faisait maintenant office de frontière tacite. Ainsi, sans le savoir, le trio remontant vers le Nord avait donc dû traverser un territoire déjà dangereux bourré d'ennemis en déroute, sur le qui-vive et s'attendant à chaque instant à se battre. Mauvais plan, très mauvais plan, qui dieu merci n'avait pas eu de conséquences plus funestes. Il s'en était cependant fallu de peu.
 
Les troupes de l'Hydre avaient accouru à leur rencontre en les voyant descendre le chemin en direction des maisons, armés jusqu'aux dents et prêts à faire feu : fusiliers burinés, épéistes rudes et miliciens fanatiques guerroyant sur les côtes depuis des années. Les signes de reconnaissance habituels avaient été échangés, beaucoup avaient combattu avec Gemini dans le Nord par le passé et avaient reconnu sans peine l'étrange officier de l'Abysséen qu'il était, et très vite les canons et les lames se baissèrent et on appela les médecins de la troupe. L'inquiétude se transforma en rage lorsque les vétérans reconnurent leur capitaine bien-aimée en si mauvais état, et nombre injures et menaces furent lancées en direction du col. Depuis, ils avaient passé la majeure partie de leur temps alités, reprenant laborieusement des forces le temps que leurs blessures guérissent. Héloïse avait passé de longues semaines dans un coma profond ; il avait tenu à s'occuper d'elle lui-même, la nourrissant avec de l'eau et du miel et faisant sa toilette lorsque cela était nécessaire. Les cultistes les plus zélés de la troupe priaient leur déesse pour la guérison, convaincus qu'elle ne laisserait pas mourir sa fille chérie, et ils avaient érigé un petit autel près d'une cuve en pierre à l'orée du village, déposant là un peu de nourriture et de petites statues qu'ils sculptaient dans du bois et de l'os en guise d'offrandes.
 
Le village était actuellement calme, nous étions en pleine matinée et les troupes s'activaient autant dans les champs & les potagers que sur le terrain d'entraînement. D'abord réticent à jouer à l'homme des bois, Fumeur avait fini par prendre goût aux vallées giboyeuses et aux forêts de montagne, emmenant chaque jour un contingent d'éclaireurs avec lui pour ramener du gibier -et les scalps de maraudeurs de l'Hiver avec si possible. Les incursions des barbares se régularisaient, on les débusquait toujours un peu plus bas de ce côté du col tous les jours. Ils s'enhardissaient. On avait perdu deux hommes, des éclaireurs retrouvés décapités et pendus grossièrement aux branches d'un sapin, leur corps désacralisé par des gravures du symbole de l'Hiver faites au couteau dans leur chair. Les hommes s'impatientaient et il serait bientôt nécessaire de lancer l'assaut pour terminer l'affaire.
 
Héloïse s'était enfin réveillée trois jours plus tôt, très faible mais bel et bien consciente. Il faisait beau, lui-même finissait enfin de guérir, et il s'ennuyait.
Marco Gemini
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Posté le 30/11/2018 à 21:14:44. Dernière édition le 30/11/2018 à 21:35:07 

Encore un rêve.

Cette fois, c'est un augure de guerre : le sang bout dans ses veines. Il marche dans la forêt silencieuse, la même que lui et ses compagnons de route ont fui en toute hâte. Il est torse nu, l'air frais frappe son corps. Mais il ne ressent ni froid ni inquiétude. Là où il marche le dieu des barbares ne peut pas l'atteindre, même au beau milieu de son royaume de bois humide et de feuilles mortes. C'est un univers figé dans l'annonce d'un hiver éternel, pour toujours agonisant, qui ne lui inspire que mépris.

Il est obnubilé par les batailles à venir. Il réimagine la saveur de ses premiers combats sous la bannière de l'Abysséen, les troupes de sa Maison marchant au pas côte à côte avec leurs frères et leurs soeurs de l'Hydre -alliance puissante persécutant les faibles croyants du faux dieu unique, ceux qui ont oublié la force des marées et le goût des embruns. Une fois la bataille gagnée, ils rappelaient aux survivants ce qui vit au fond des mers à coups de masse et de marteau rituels. Chaque articulation brisée, les bras et les jambes rompus, on jetait les corps hurlants à la mer pour nourrir les dieux.

Sa compagne lui apparaît, incarnation vivante de ces glorieux souvenirs. Elle qui d'ordinaire a la peau sombre est d'une pâleur inquiétante. Elle est apprêtée comme pour un rituel, quasi-nue, uniquement vêtue de la toge des fidèles de Mère Hydra... Et elle porte la couronne de la grande prêtresse. Serait-ce un rêve prophétique ? Son coeur se gonfle de fierté à l'idée d'être le compagnon d'un membre si haut placé des Maisons.

Elle lui parle, longuement, mais les mots qui sortent de sa bouche ne lui évoquent rien. Il remarque alors une absence à la fois terrible et soulageante. Il baisse les yeux pour examiner son torse ; pour la première fois de sa vie, son corps est intact et bien proportionné. Son frère n'est plus là.

Marco Gemini
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Posté le 01/05/2019 à 14:18:18. Dernière édition le 02/05/2019 à 22:52:42 

Les ordres venaient d'en haut, tout le monde était réquisitionné. Eux trois étaient coincés. Ils avaient échoué : la guerre les avait devancés. Et elle s'éternisait...

Ce qui ne devait être qu'une simple étape sur leur route devint un véritable arrêt de plusieurs mois. Les escarmouches dans la vallée se transformèrent en siège de longue haleine, on fortifia les villages confisqués aux locaux, on arma les nouvelles recrues fraîchement converties, on amassa de la nourriture et du matériel pour prévoir à toute éventualité. Personne, pas même les grands prêtres, n'avait prévu que ceux du Marcheur tiendraient aussi longtemps. Il faut dire que la folie permet de grandes choses, à n'en point douter. 

Les compagnons de route n'avaient rien perdu de leur superbe, au contraire ; l'aventure avait resserré les liens entre la brute et ce coupe-jarret de Fumeur, maintenant aguerri par toutes ces semaines de chasse à l'homme. C'est qu'il avait gagné du muscle, et de la résistance à la boisson ! Peut-être était-il aussi en route pour arrêter la consommation d'opium à laquelle il devait son pseudonyme...

Héloïse avait finalement récupéré. Qu'importe que son bras était encore faible, il lui suffisait de manier le sabre de l'autre main pour se dresser face aux barbares ; sa hargne faisait le reste. Que ce soient ses convictions ou l'amertume de sa défaite sur le col qui la motivaient à ce point, Gemini n'aurait su dire.

Tous trois se tenaient détendus sous le grand arbre, partageant du tabac et du vin. Les pendus se balançaient au-dessus de leurs têtes, et les charognards attendaient impatiemment que le trio reparte pour se remettre à leur sinistre tâche.

"Un de moins."

Héloïse leva les yeux, fixant le visage du pendu du milieu : l'un des lieutenants du Marcheur tout récemment abattu, sale type maigre comme un clou qui leur avait mené la vie dure dans la vallée. Le macchabée lui renvoya son regard de ses orbites vidées par les corbeaux. Ses cinq femmes tournaient doucement à ses côtés, bercées par la brise.
Marco Gemini
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Posté le 22/08/2019 à 10:57:54. Dernière édition le 02/09/2019 à 14:05:41 

Les hommes chuchotaient entre eux, n'osant qu'à peine poser les yeux sur le macabre trophée... *Elle* l'avait ramené d'une patrouille, seule, couverte du sang de la bête et de celui de ses camarades. On n'avait pas eu plus d'explications. Gemini, Héloïse et les autres officiers avaient eu l'air de se contenter de la voir revenir avec cette... chose dans les bras. On parlait à mi-voix d'une promotion. Les hommes n'étaient pas ravis... Non pas qu'il soit inhabituel de voir une femme prendre la tête des opérations chez eux, mais celle-ci... Elle faisait peur. Les plus téméraires disaient même, après s'être assurés qu'il n'était pas à portée de voix, qu'elle mettait cette brute de Gemini lui-même mal à l'aise.

Elle était arrivée, comme ça, son visage n'exprimant pas grand-chose, et devant Héloïse elle avait coincé l'ignoble tête coupée entre les branches basses d'un chêne comme pour en faire une sentinelle silencieuse, la bouche béante figée dans une grimace et le sang épais attirant déjà un nuage de mouches. Gemini avait examiné le trophée sous toutes les coutures, n'osant cependant pas y toucher.

C'était un odieux mélange de traits humains et bestiaux ; les yeux étaient bel et bien ceux d'un homme, mais le nez... Le museau ? N'avait rien de normal. Pas plus que les crocs tordus comme des défenses de sanglier qui lui déformaient la bouche... Le pire, c'était les bois. Une parodie de la ramure des cerfs, mais on ne pouvait s'y tromper. Ils émergeaient du crâne couvert de fins poils noirs comme s'ils avaient poussé à travers l'os.

L'air grave, les officiers s'étaient rassemblés pour délibérer.
Marco Gemini
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Posté le 02/09/2019 à 14:05:09. Dernière édition le 03/02/2020 à 17:07:57 

L'ambition court dans mes veines. Si Héloïse partage la couche de Marco, moi j'ai la confiance de l'autre frère.

Je suis sa servante préférée. J'ai vaincu l'abomination dont la tête orne désormais l'entrée du campement. J'en trouverai d'autres, j'en tuerai d'autres, et j'enrôlerai d'autres soldats du Rêveur, élus parmi les servants des Maisons inférieures -le Marcheur, l'Abysséen, l'Hydre, le Messager... Tous se plient immanquablement devant Celui Que Je Sers. Iacopo Gemini est son prophète, et je suis son bras droit. 

Moi, Salamandre !
 

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