Posté le 14/01/2023 à 15:32:09
Eliaz pénètre dans le tribunal et salue dans l'ordre le juge, les jurés, les clercs, les maîtres notaires et les gardes, et tous les autres représentants du gouvernement local, avant d'aller auprès du greffier prendre connaissance des déclarations faites le concernant, avec attention.
Il s'avança ensuite à la barre pour plaidoyer, cachant par dignité ses propres blessures sous un habit bon marché qu'il avait soigneusement nettoyé pour l'occasion afin d'être présentable devant la cour.
Votre honneur, j'aimerais satisfaire cette légitime curiosité que vous avez dû rappeler tout à l'heure, à propos des événements précédents la passe d'arme, afin de démêler les intentions manipulatrices qui apparaissent déjà plus ou moins manifestement dans le récit de l'accusateur. Ce fait, j'en suis sûr, n'aura pas échappé à un esprit aiguisé comme le vôtre.
Aussi, et avant d'entreprendre ma défense proprement dite en vous présentant mes arguments, je mettrai à disposition de la cour la mémoire heureument fiable dont le Seigneur a bien voulu me doter. Voici donc la scène telle qu'elle s'est réellement déroulée :
Je me trouvais dans la cache du phare avec mademoiselle Verley, endroit connu pour être un lieu d'entraînement international, quand arrivèrent les deux espagnols ici présents qui, après avoir abattu un gredin, se déclarèrent nos sauveteurs en proposant une facture et des ricanements. Je compris que ces gens n'étaient pas très sérieux, et entrepris de rebondir sur le ton de l'humour en déclarant :
"Je vois, je vois. Des migrants qui viennent nous ôter les gredins de sous notre épée... Il va falloir s'organiser pour le placement car d'autres gens vont arriver."
"D'autres gens ? Qui ?" Demanda alors mademoiselle Verley, à qui je répondais :
"Dame Hernanone et son échanson. Ils pourront s'occuper d'attirer les malfrats pendant que nous les abattons. Peut-être aussi dame Sarah mais elle ne répond pas ces derniers jours."
Mademoiselle Verley s'exclama alors :
"Oh c'est bien ça ! Puis j'pense qu'Herna pourra vous faire un peu de soins quand moi j'serais fatiguée. Faut pas qu'on commence à être trop par contre j'pense, c'est petit, on finirai pas plus savoir se déplacer sans se marcher dessus."
Je fais ici une parenthèse pour souligner le bon sens pratique qui caractérise les dames de notre belle colonie, même au plus jeune âge. Cependant il me semblait que nous n'étions pas encore trop nombreux, à condition bien sûr que tout le monde soit de bonne volonté et capable de communiquer.
J'essayais donc une approche plus pratique et concrète :
" En tous cas, vous madame *en désignant Naeemah* vous devriez plutôt vous placer juste au dessus de moi. Et vous monsieur, contre l'autre mur. *en montrant la case encore au dessus.*
Mais vous m'avez l'air encore trop inexpert pour bien profiter de l'endroit, car vous ne pourrez pas lire les livres et vous ne pourrez pas non plus les sortir d'ici, et les escarans vont vous faire subir, croyez moi !
Mais d'abord, je me présente : Eliaz, marin de Bretagne, explorateur sans-le-sous, et escrimeur à mes heures perdues. À qui donc avons-nous l'honneur ?"
À cette présentation d'usage, j'obtiens pour toute réponse de la part de l'espagnole :
"Je me sépare pas de lui."
Puis elle s'enroula immédiatement dans ses couvertures.
Je décidais de passer outre le ton glacial de cette réplique, d'autant que j'avais désigné deux places adjacentes. Je compris alors qu'il y avait eu méprise, et devant la nécessité établie d'un minimum d'organisation commune, je continuais mes explications :
" Enchanté, madame Jeumeséparpadelui, j'ai l'impression que l'esprit tactique n'est pas votre fort, mais je vous enjoints à considérer encore une fois mes indications en essayant de visualiser le résultat.
C'est à dire que les cibles vont arriver par l'autre côté du brasero, donc hors de votre portée. Et si vous tentez de les attirer vous-même, ils vous blesseront trop vite et vous imobiliseront de surcroît, c'est un problème.
Peut-être préférez-vous avoir le crane fendu quelques fois par des gredins avant d'envisager une écoute plus attentive. Cela vous regarde. Mais si vous vous placez malhabilement sur la piste par manque de coordination, il me faudra vous en déloger."
Je suis gêné de devoir rappeler ici que les conjugaisons au futur et les particules conditionnelles indiquent une situation supposée, et qu'il s'agissait donc de prévenir les frictions sans contrecarrer leur liberté de mouvement.
Ce qui n'empêcha pas Naeemah d'avoir effectivement le crâne fendu par un gredin dès le lendemain.
Mais voici donc ce que me répondit alors le plaignant :
"Vous abattez les gredins du coin par votre inarretable degueuli qui vous sert de verve ?
Je me suis renseigné avant de venir ici, un vieux au pied du phare avait l'air de connaitre l'endroit. On est pas les premiers a venir, et probablement pas les derniers non plus
Il m'a expliqué comment faire. Donc ne vous en faites pas pour nous, nous nous debrouillerons.
Si tous les francais de cette ile sont aussi locace, on va se trouver une autre ile a conquerir je pense."
L'agression verbale est ici caractérisée dès la première phrase, et il est à noter que les dernières paroles de Vicente constituent, dans tous les univers connus, une déclaration de guerre.
En plus de révéler un ego démesuré aux ambitions inquiétantes, puisque ce monsieur qui viens aujourd'hui en béquilles, déclarait vouloir conquérir Liberty.
Nous voyons donc en réalité lequel de nous deux a exigé une allégeance, et lequel de nous deux à fait preuve d'une mauvaise volonté générale quant à l'organisation de l'entraînement commun et au partage des lieux.
Pourtant, je commis l'erreur de faire encore appel à sa raison, en déclarant :
"Je vois que votre savoir-vivre est aussi lacunaire que votre prononciation. Le phare est à tous, et c'est pourquoi il est de bon ton de s'organiser en bonne intelligence.
Sont-ce mes conseils ou mes mises en garde qui me valent ses insultes et cet air hautain ?"
Ce à quoi il répondit par un bâillement ostentatoire et railleur. J'usai alors en dernier recours d'une méthode adaptée à son niveau de compréhension :
"Monsieur le faquin anonyme, je vous prends en duel demain matin."
"Je n'avais meme pas realisé que vous aviez donné un conseil dans tout ce monologue.
A tout hasard, aimeriez-vous le son de votre propre voix ?"
Et ce furent ses dernières paroles de la soirée, après quoi il laissa les dames en première ligne.
Devrais-je preciser qu'un monologue ne se fait pas avec trois intervenants ? Et que ce drôle de personnage avait rejeté explicitement mes conseils quelques secondes auparavant, conseils qu'il avait donc bien vu alors.
Mais j'estime que ce court échange de mots suffit à démontrer l'attitude perverse de cet espagnol, qui use de manœuvres rethoriques plutôt que d'arguments, si bien qu'il peut renier ses paroles aussitôt qu'elles sont sorties de ses lèvres.
Et voilà que, devant votre honneur, il tient un discours mièvre et joue la victime, pour exploiter à son profit les sentiments compassionels et généreux qui animent votre cœur.
Je crois aussi qu'il commet l'erreur d'insulter votre intelligence, car il ne s'est même pas donné la peine d'inventer un récit à peu près crédible, au point que la raillerie manifeste devrait être considérée comme outrage à la cour.
De plus, monsieur Diego a déclaré ici que l'accusateur "n'a en rien agressé" ma personne. Ce qui constitue une erreur au mieux, car s'il n'y a pas eu de contact physique, il y a bel et bien eu agression. Mais je ne veux pas accuser monsieur Diego de mentir délibérément devant la cour, sachant qu'il pourrait être lui-même parmis les manipulés dans cette affaire.
Bien évidemment, cette excuse ne peut pas s'appliquer au plaignant. Outre qu'il ait deconvenu à la plus élémentaire politesse, à l'étiquette d'usage des salles d'entraînement en refusant de se coordonner avec les aventuriers qui étaient sur place avant lui, et qu'il ait même faillit à tous devoir de gentilhomme en ne répondant pas à ma déclaration de duel, tout cela ne relève pas encore du pénal.
Cependant, et en plus de nombreux mensonges par omission et suggestions fallacieuses que contient la fable qu'il a présenté, l'accusateur s'est rendu coupable de fausses déclarations quand il prétend que j'ai exigé son allegeance, que je lui ai donné des ordres, ou qu'il ait coopéré en quoique ce soit en arrivant dans la cache.
Je n'ai pas besoin de préciser, à un grammairien de votre qualité, ce qu'implique le conditionnel dont j'ai usé dans mes recommandations et mes mises en gardes. Ni même que, lorsque j'ai désigné "l'autre mur", je ne lui proposais pas de rester sur place, bien que je lui en ai laissé toute latitude par ailleurs.
Et bien que l'on pourrait encore excuser un faible niveau de compréhension de notre beau langage de la part d'un espagnol qui semble un peu rustre, même selon les standards ibériques, le manque d'éducation ne légitimise pas les insultes grossières qui suivirent.
De plus, l'accusateur a menti encore lorsqu'il déclare le combat imprévu et l'heure indécente. Je lui ai même laissé un jour entier et deux nuits complètes pour qu'il s'y prépare ou qu'il présente ses excuses. Il a choisit de n'en rien faire et de rester sur place.
C'est donc le surlendemain seulement que je l'assommai, après l'avoir souffleté convenablement. Le jour suivant, un autre complice espagnol venu de nul part et qui n'était pas présent lors des événements, ni concerné en rien par le duel, débarqua dans la cache et profita de mes blessures pour m'assomer à son tour, sans dire un mot au préalable. Revanche opportuniste et tout à fait irrégulière selon les convenances des nations civilisés, mais qui n'aura donc pas suffit dans le cas des espagnols, puisqu'il vient de surcroit porter plainte avec tous les apparts de la victime, jouant d'une fausse ingenuité et crachant dans le palais de justice.
Pire encore que la tromperie, celui-ci jure de ses mensonges, ce qui constitue un blasphème public et flagrant, en plus du manque de respect à l'égard de la cour. Mais que fait l'inquisition espagnole ?
Et en vérité, votre honneur, il m'apparaît que l'accusateur estime pouvoir manipuler l'institution judiciaire avec fort peu de subtilités. Tout comme il entendait détourner le pacte de protection des débutants pour insulter les honnêtes citoyens sans en assumer les conséquences.
Pour les citoyennes, par contre, il montre plus de révérence mais peut-être pas moins de manipulation. Il est à craindre d'ailleurs qu'il vous ait pris pour l'une d'entre elles, eu égard le niveau de politesse qu'il récupère avec célérité lorsqu'il peut en tirer profit.
Ce qui ne doit pas vous inquiéter outre mesure, car le plaignant semble aussi devoir faire appel à un remplaçant dès qu'il s'agit d'un travail d'homme, voir à une remplaçante.
Il lance un bref regard vers l'andalouse qui avait ouvert le dossier, puis vers Vicente qui astique le parquet, pour revenir ensuite vers le juge.
Pour conclure, votre honneur, la question de principe est de savoir si la protection des débutants est un blanc-seing pour l'insulte et l'outrage à l'usage des trolls caverneux, ou s'il s'agit au contraire d'éviter les hostilités.
Et j'espère que votre jugement ne se fera par le complice des conquêtes espagnoles, dussent-elles commencer par les lieux d'entraînement.
Je dois d'ailleurs me rabattre sur d'autres endroits puisque la cache du phare a été accaparée par ses comparses.
Il va ensuite s'asseoir à la place prévu pour les défenseurs. |