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Les Corruptibles  
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don Juan de Montalvès
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Posté le 07/04/2009 à 04:56:35 

Les Corruptibles

1

Gingembre de la Jamaïque

Le financier hollandais porta son verre de vin à ses lèvres en ne perdant pas de vue son interlocuteur. Suspendu à sa phrase inachevée, ce dernier s'était légèrement penché au-dessus de son assiette, les yeux immobiles, la bouche entre-ouverte. Jan Pieterzsoon trempa à peine ses lèvres, reposa son verre sur la nappe immaculée de sa table, prit soin de passer sa serviette sur sa bouche, puis reprit le cours de la discussion là où il l'avait laissée:

- ...le marquis n'a pas voulu m'en dire davantage, néanmoins, je connais mon homme, quand il parle, il fanfaronne, quand il se tait...sortez vos bas-de-laines !

Son vis-à-vis fit la moue, manifestement déçu de la réponse du Hollandais, se lova dans son élégant fauteuil, crispa ses yeux comme pour perçer le fond de la pensée de son convive. Son teint bronzé trahissait les activités en plein air de l'Espagnol, malgré le fin costume, le gilet de soie et la vaste chemise au col enfermé par une large cravate noire. Ses mains cailleuses s'emparèrent d'un couteau et d'une fourchette, puis découpèrent minutieusement un pavé de boeuf que le serveur du restaurant du Royal Yacht Club de Port-Louis venait d'apporter.

Le cafetero, grand propriétaire des plantations de café de la côte colombienne, enfourna un morçeau de viande dans sa bouche, le mastiqua longuement sans lâcher des yeux le financier hollandais, petit homme austère à la barbe courte et blanchâtre. L'Espagnol pouvait apercevoir son reflet dans les petites lunettes perchées au bout du nez du banquier de la Casa de la Moneda. Après un court silence, le cafetero reprit sur le ton de la confidence:

- Nous savons bien de quoi il est capable, mais là ça dépasse tout entendement...du moins si la nouvelle est vraie...Faire des affaires avec la pègre anglaise est une chose...mais la piraterie...

L'Espagnol prononça de façon quasi inaudible ce dernier mot, jetant des regards à la dérobée aux autres tables du restaurant et des clients de l'aristocratie déjeunant à l'entour.

Pieterzsoon ne quitta pas des yeux ses petites toasts qu'il beurrait avec application. Du bout de son couteau d'argent, il appliqua son tartare de saumon sur son pain grillé, puis mordit ostensiblement en levant un sourcil en direction de l'Espagnol.

- Je constate que les nouvelles vont vite mais comme la plupart des accusations que l'on porte sur lui, il est difficile de démêler le scandale des quolibets.

- Mais on ne dit pas que celà...il y a des accusations qui coûtent plus chères qu'un simple scandale...il y a des mots qui valent la corde dans les Caraïbes...

Le cafetero marqua une pause tandis qu'un laquais lui servait du champagne tout en lui apportant un cochonnet cuit à la broche, la viande rosée par les flammes, une pomme bien rouge dans la gueule.
Il attendit que le serveur s'éloigne, frappant des doigts contre sa flûte de cristal, puis n'en tenant plus, il s'écria entre ses dents :

- ...Est-ce que c'est vrai !?

Le financier hollandais tartina une nouvelle biscotte et eut un petit rictus.

- Si tout le monde le dit, cela doit être vrai. N'est-ce pas ? Il est certain qu'il est difficile de croire qu'il va faire ça. Sans compter que la réalité n'est nulle part aussi factice que sur Liberty...

On apporta un espadon frais au banquier de la Montalvès & Co. Les laquais enfarinés et perruqués le découpèrent sur une petite table annexe, déposant des fines tranches dans l'assiette du Hollandais.

- C'est sur toutes les lèvres, Pieterzsoon, tout le monde le dit mais personne n'en parle...Que savez-vous précisément ?

- Il y a des rumeurs. Des rumeurs au sujet d'une cargaison...pirate...qui fait voile vers Liberty. Ce genre de cargaison que l'on s'arrache...De la contrebande, biensûr, mais de celle sur qui pèse la prohibition royale...

- Vous voulez parler du...

-...Du gingembre de la Jamaïque, señor Miramàr, du bon gingembre de Kingston, un investissement sûr et totalement autorisé, l'interrompit le financier hollandais alors qu'un baron accompagné d'une fameuse cantatrice passaient à côté de leur table, en effectuant les salutations en usage dans la bonne société.

- Plus bas, señor, il y a des mots qui ne se prononcent pas en société...

L'Espagnol aquiesça du chef tandis que des serveurs aux gants blancs et au gilet pourpre apportaient un paon empaillé sur un lit de salades tendres devant le cafetero. Ils ouvrirent un flanc de l'animal pour découvrir des feuilletés fourrés et des tomates cuites.

- Mais comment vont réagir les gouvernements...et les commerçants ! S'il monopolise...et bien le gingembre de la Jamaïque...jamais nous ne le laisserons faire !

Jan Pieterzsoon eut un sourire énigmatique et fit signe aux laquais de s'approcher, retirant son verre de la table pour le porter à ses lèvres. Les serveurs installèrent de suite une tête de girafe trônant au milieu d'une jungle de palmiers en pâte d'amades et d'oasis de tranches de pastèque.

- Je peux vous assurer qu'il a obtenu la...collaboration bienveillant..de certains dignitaires des colonies. Il faut dire qu'en inondant Liberty de son...gingembre de la Jamaïque, il fait beaucoup d'heureux parmi les corsaires tandis que d'autres devront se faire violence pour résister à la temptation...

L'Espagnol frappa du poing sur la table, faisant s'interrompre un instant le quintet de violonistes qui jouaient au coin du salon et faisant s'exclamer quelques dames au fond de la salle.

- Pourquoi ?! Pourquoi fait-il ça à Liberty ! Cette île lui a tant donné déjà ! Quelle pulsion sadique le pousse-t-il ?

- Est-ce que ce n'est pas évident ? L'herbe est toujours plus verte...

L'Espagnol arracha de rage une des cuillères qui trempaient dans les crânes ouverts des macaques qu'on venait de leur apporter comme dessert et la pointa comme une arme menaçante.

- Le marquis devrait faire plus attention à son propre jardin au lieu de chercher à occuper celui des autres !
 
Le Hollandais, sans sourciller, plonga une paille dans la bouillie de cervelle et aspira la mixture.

- Il faut comprendre ses motivations, lorsque l'on est riche, on cherche toujours à s'enrichir davantage. Pourquoi se contenter d'un jardin...quand on peut avoir la forêt !

Le cafetero se rejeta en arrière dans son siège, lançant sa serviette au loin sur le tapis épais du restaurant. Mais évitant de justesse la flamme du serveur qui mettait le feu à une banane flambée.

- Comment peut-on être si égoïste ?! Trahir ainsi son propre milieu ! Pourriez-vous le faire Herr Pieterzsoon ? Pourriez-vous frayer avec la lie de l'humanité ?!

- Bien...disons...que c'est assez vulgaire... *le financier resta muet, semblant plongé dans une dispute intérieure, puis continuant*... Mais il y a pire, je le crains.

- Pire que...le gingembre de la Jamaïque ?

- Oui...je n'arrive pas à le dire...

Le Hollandais prit une plume et griffona quelques lettres : A S P I...Mais il s'arrêta quand des serveurs arrivèrent avec une immense forêt noire surmontée d'une tête de cerf. Les deux compères les chassèrent de la main et Pieterzsoon finit d'écrire puis jeta la serviette devant l'Espagnol.

Le cafetero bondit de son siège, poussant un cri et retira ses mains de la serviette comme s'il avait touché la main sulfureuse du démon.

- Dios mio ! s'exclama-t-il en se signant.

(hrp: petit épisode largement inspiré d'un remarquable spot de H&M

Ceci est un rp libre, prévenez-moi juste si vous voulez y poster, il y a un fil conducteur et de préférence pour les gens qui ont une âme de corruptibles, c'est-à-dire pas comme les 50 bisounours de Liberty )
don Juan de Montalvès
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Posté le 07/04/2009 à 09:42:02. Dernière édition le 04/02/2022 à 18:30:31 

2

Le Banquier privé

Les premiers invités étaient déjà arrivés et le cortège des fiacres devant l'hôtel particulier du ministre Juan de Montalvès s'intensifiait à chaque instant. Des dames aux belles robes bleues et rouges, couvertes de bijoux et portant des plumes noires dans leur coiffure recherchée, grimpaient les quatre escaliers du perron aux bras de capitaines français aux unifomes impeccables. Des marchands, des financiers et des administrateurs coloniaux, dans leurs complets aux noeuds papillons et vestes noires se pressaient dans les jardins du banquier espagnol, agitant leurs cartons d'invitation au nez des laquais et des majordomes.

Le Tout Port-Louis envahissait les salons richement meublés du marquis, discutant des affaires du maître de maison autour du buffet, des seaux à champagne et des macarons disposés en pyramides sur des tables aux nappes blanches.

Dans la galerie, les musiciens avient entamé leurs partitions tandis que des laquais en livrée circulaient entre les convives, portant les amuses-gueules et les flûtes. Il ne manquait plus que l'hôte qui brillait par son absence à sa propre réception.

Don Juan de Montalvès observait le théâtre de la bonne société depuis son cabinet de travail. Debout derrière une baie vitrée qui donnait sur l'entrée des jardins et le perron, il scrutait les petits rien de ce spectacle des vanités qu'il affectionnait tant.
Habillé de sa chemise blanche au noeud papillon blanc, de ses pantalons droits et sombres et des chaussures cirées, il demeurait pourtant en longue robe de chambre. Sa veste où était accrochée la médaille du Taureau restait suspendue au porte-manteau.

Le marquis se détourna de son observation des us et coutumes du monde pour s'assoir à son bureau. Il ouvrit un tiroir et sortit la liasse des lettres du jour. D'un oeil expert et d'une expérience épistolaire confirmée, il tria la correspondance sans même ouvrir les billets. Depuis son élection au poste de ministre, il était assaillit des lettres de solliciteurs, de jeunes dans la gêne, de pauvres achetant comme des héritiers et des commanditaires sans le sou.

Parmi ces lettres, une attira son attention plus particulière, celle de Rohel, ancien général français et capitaine des Loups d'Azur. Il la décacheta d'un geste sûr et la parcourrut rapidement, un sourire malicieux aux lèvres, plus ample au fur et à mesure de sa lecture :

Ode à don Juan de Montalvès!

Un nom qui signifie bien des choses sur cette île, oh ça oui!

Un nom qui signifie "honneur", car vous n'avez pas hésité à quitter Espéranza après avoir tout donner pour la sauver de sa triste destinée, en vain! Vous avez gardé la tête haute et rejoins ceux qui font de même: les Port-Louisiens!

Un nom qui signifie "courage", car durant de nombreux mois, vous avez endossé la difficile responsabilité de gérer le commerce sur cette île, que ce soit en temps que Ministre, ou comme le Directeur de la splendide et non moins renommée Casa de la Moneda!
Mais "courage" aussi pour votre acte digne du plus grand des héros de l'Antiquité, à savoir, la capture du Pirate Sing!

Un nom qui signifie "raffinement", car votre vision de la beauté n'a d'égale que celle des peintres italiens d'il y a deux siècles! Preuve en est: la Maison "Hélène de Miranville", déjà connue jusqu'à Versailles pour ses créations d'une qualité incroyable!

Un nom qui signifie "sérieux", car la Banque Montalvès & Co n'est sali par aucune affaire de détournement de fond, ou de magouilles en tout genre!

Et finalement, un nom qui signifie "générosité", car bon nombre de vos clients vous vouent une fidélité sans limite pour vos crédits salvateurs aux taux d'intérêt frisant la charité chrétienne!

Donc, vous pourriez me faire une potion de talent à crédit, s'il vous plait?

Cordialement,

Rohel Le Vioter"

Le banquier privé rit de bon coeur en déposant la lettre avec la correspondance en souffrance puis ouvrit une petite cassette soignement sculptée pour en tirer un cigare. Il l'alluma lentement, dégusta quelques bouffées puis glissa deux doigts dans la poche de son gilet pour en sortir une petite clé attachée à une chaînette dorée.


Il se dirigea vers un grand tableau de Hyacinthe Rigaud - La Menasseuse (1709) - accroché à son mur, près de la bibliothèque. Il resta un instant à contempler l'oeuvre, puis glissa sa main sous le cadre pour déclencher un mécanisme qui fit pivoter le tableau sur son axe, découvrant une armoire de fer encastrée dans la paroi. Montalvès tourna dans la clé dans la serrure et ouvrit l'un des battant de l'armoire.

A l'intérieur, on pouvait voir des cassettes contenant des pierres précieuses, des bijoux, des lingots d'or, des liasses de billets et plusieurs bourses de piécettes d'or. Sur le compartiment supérieur, un portait de Lord Ferrington, le Livre noir de Maître Sing, des lettres de créance de la pègre anglaise ainsi qu'une série de lettres marquées du sceau noir des Frères de la Côte.

Le banquier se saisit de la dernière lettre sur la pile, une lettre récemment reçue par émissaire discret de la part de la Flibuste. Il tira sur son cigarre tandis que de l'autre main, il dépliait le billet.

"Cher de Montalves,

J'ai bien l'impression qu'une entente est possible entre nous. Et par "entente", je veux bien évidemment dire "arrangements commerciaux profitables". Pour ce qui est de ta "liberté" de commerce, je te propose de faire un petit exercice de style avec moi, [passage passé au noir par le marquis lors de la première lecture] Dans les deux cas, il me semble qu'ils s'arracheraient ça comme des petits pains. La moindre nouveauté semble exciter les convoitises. Ce que je te propose, c'est de te donner une bonne cargaison à revendre. Tu me rends la valeur de la marchandise que je t'ai donné plus cinquante pourcent des benefices. Ca te laisse une marge de cinquante pourcent, on aura gagné autant dans l'affaire.

J'ai une autre proposition un peu plus délicate mais qui pourrait rapporter tout autant... Il y'a peu j'ai volé [passage au noir]. Elle est bien à l'abri dans notre planque, et il me semble qu'on pourrait en tirer quelque chose aussi. Je devais lancer des enchères mais elles ont été perdues. Je te donnerai [passage au noir] aussi. Si tu peux le revendre, je récupère 75% du prix, tu peux faire ce que tu veux des 25% restants.

L'idéal pour notre rendez-vous serait en effet dans un lieu isolé.
Les égouts de Port-Louis te conviendraient-ils? Ce n'est certainement pas le lieu approprié pour les narines délicates d'un noble comme toi, mais il faudra t'y faire, [passage au noir]. On vit pas dans la dentelle.

Au plaisir de faire affaire,

Wiggins"

Le banquier espagnol referma la lettre et la replaça dans l'amoire de fer, antre des petits secrets du marquis. Puis il remit le tableau en sa position initiale.
Le ministre fit quelques pas, fumant son cigarre, marchant le long de son salon particulier.

Voilà deux ans qu'il avait débarqué sur Liberty, sans un sou, et construit une fortune en homme pressé, c'est-à-dire sans scrupules. Banquier gentilhomme, banquier privé de la pègre, grand blanchisseur d'argent sale, il avait néanmoins toujours dû frayer avec les contrebandiers de la place pour ses affaires. Désormais il aspirait à mettre un pied dans le grand réseau lui-même, bien décidé à empocher une partie du gâteau du marché noir pirate.

Le ministre se sourit à lui-même dans le reflet du miroir quand on vint frapper à sa porte. La figue d'une jeune femme passa par l'embrassure. Des joues roses, le visage poudré et une perruque bouclée semblaient réhausser l'éclat de la jeunesse de la belle comtesse.

- Et bien, mon tendre ami, s'écria-t-elle malicieusement, vous êtes l'absent le plus en vue de Port-Louis ! Ne faites plus languir vos invités, paraissez monsieur le ministre !

La comtesse s'avança en riant pour lui prendre la main et le tirer gentillement à elle. La jeune aristocrate baissa les yeux avec une exquise coquetterie, passant une main négligée sur son cou et son collier de diamants que son illustre amant - un certain ministre français - lui avait offert la veille pour cette grande occasion mondaine.

- Ah, mademoiselle la rieuse, vous voici enfin. Que l'on renvoit tous ces fêtards chez eux ! Que l'on chasse ces ennuyeuses convives ! Que l'on n'ouvre pour personne ! Montalvès ne reçoit plus puisqu'il a déjà la seule compagnie qu'il désire !

Le marquis déposa un baiser sur la main de la belle. Depuis la porte entre-ouverte le tumulte de la fête leur parvint déjà ainsi que la valse que l'on jouait dans la grand'salle. Le ministre saisit la comtesse par la taille puis mit la main dans la sienne pour danser seuls dans le salon particulier. La comtesse se laissa prendre au jeu, suivant l'humeur de son amant.

- Monsieur, allez-vous ainsi me garder prisonnière de vos enfantillages ? Que dirait-on si l'on nous surprenait pareillement ? Le ministre volage et la comtesse courtisane ! Quel beau tableau ! Cher ami qui eut crû que j'accepta si aisément de me compromettre avec un pirate !

Ce mot lancé à la légère comme un trait d'esprit figea instantanément le marquis de Montalvès, sa figure s'assombrit et ses mains se serrèrent durement sur les poignées de la jeune femme.

- Qu'avez-vous dit ?

La comtesse le regarda stupéfaite et apeurée d'un changement si radical, elle essaya d'esquisser un sourire nerveux.

- Mais que vous arrive-t-il, monsieur ? Je ne comprends pas...je disais simplement qu'il serait cocasse d'être surprise avec un pirate de la finance tel que vous...mon ami...allons ne vous offusquez pas d'une pique innocente...

Le visage du banquier se radoucit toute-à-fait, laissant apparaître un large sourire.

- Pardonnez cette mauvaise plaisanterie de ma part, je vous effraye malgré moi. Mais si je ne mets pas un terme à notre valse, je danserais toute la nuit avec vous ! Que penseraient mes invités ?

Le marquis ôta sa robe de chambre, enfila sa veste sombre et offrit son bras à la comtesse. Quelques instants plus tard, la foule des convives accueillit chaleureusement le ministre de Montalvès, un honnête homme, un aristocrate raffiné et une banquier fortuné bien sous tous rapports...
don Juan de Montalvès
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Posté le 19/04/2009 à 17:53:05. Dernière édition le 04/02/2022 à 19:27:46 

3

Cognac trois étoiles

Les élections françaises furent remportées aisément par le marquis de Montalvès; une nouvelle fois, il entrait au service d'une capitale coloniale de Liberty en occupant le poste de ministre du commerce. Plus qu'une lucrative position, il lui était important d'avoir un oeil sur les affaires gouvernementales pour protéger ses amis et ses propres affaires...

Profitant de son immunité et sous couvert de l'inspection de la marchandise des cinq nouveaux contrebandiers, il se retrouva au manoir hanté espagnol par une journée d'avril maussade et moite. Les sentiers de montagne qui menaient aux falaises où s'était retranché le camp contrebandier furent coupées par un glissement de terrain que les pluies des derniers jours favorisaient. Le ministre fut donc contraint de passer la nuit dans l'une des suites du manoir.
Les guides indigènes se retrouvèrent tôt le lendemain pour planifier le contournement de l'avalanche. Le marquis se présenta dans une redingotte oliveet un large tricorne brun sur la tête. Son fiacre immobilisé, il dût se résoudre à grimper sur le dos d'un mulet du convoi. De ses gants de cuir il serrait obstinément les rênes de son âne, tandis que la montée et la amrche de l'animal le trimballait d'un côté comme de l'autre.
La longue file des indigènes, des porteurs et des soldats du Ministre atteignirent au bout de trois heures de marche la fin du sentier coupé. Non loin de là l'entrée de la grotte de la falaise. Des silhouettes filantes furent aperçuent dans les profondeurs béantes de la caverne, tandis que des points lumineux des torches s'enfonçaient dans l'obscurité.

Le marquis de Montalvès parcourut la distance de sol détrempé dans ses larges bottes à entonnoir tandis que des laquais le suivaient en portant un lourd coffre sonnant des multiples piècettes d'or.
S'apercevant de la présence d'un visage familier, le banquier ôta son tricorne et d'un geste élégant baisa la main de Leona, la commerçante hollandaise connue pour ses collections de robes et accessoires féminins.

Près du feu de camp, au détour d'un contre-fort de la grotte, des caisses de marchandises de contrebande, des fioles diverses, des coutelas, des amulettes et des armes à feu étaient examinées et marchandées par des hommes à la mine patibulaire. A son tour, le ministre estima les objets. De son oeil averti par deux années de commerce sur Liberty, il se décida pour quatre fioles d'amnésie et un crochet. Il savait pouvoir revendre à un bon prix ces objets fort prisés par les corsaires.
Et alors qu'il payait ses achats, il aperçut une petite caissette à moitié dissimulée sous des rouleaux de soie. Il souleva le tissu et découvrit une demi-douzaine de bouteilles de cognac, celui que la couronne française offrait aux capitaines de ses navires dans les Caraïbes. N'étant pas ouvert à la vente, il avait dû être "emprunté" sur un cadavre encore chaud...
Pour quelques louis d'or supplémentaires, le ministre français embarqua la caissette de cognac.

- Je suis certain qu'il va apprécier ce présent *murmura le marquis*

Le banquier fit charger ses marchandises sur le dos de son mulet, puis tira une petite montre de la poche de son gilet. Il eut l'air satisfait, et à la surprise générale, repartit dans la grotte, sa caissette de cognac sous le bras.

Il marcha seul un instant, s'éloignant du feu de camp vers une stèle s'élevant dans la pénombre. Il dut attentre que ses yeux s'habitue à cet environnement d'obscurité et d'ombres pour remarquer la présence d'un homme se tenant appuyé sur la mystérieuse colonne de pierre.
Le marquis ôta son tricorne et le salua bas.



- Commodore Salas ! C'est toujours une joie de vous retrouver, j'ai appris que vous faisiez de belles affaires avec les Hollandais...la rançon de leur gouverneur devra bien alimenter les coffres de la Confrérie qui en a bien besoin semble-t-il...
Pour ma part, j'ai également décidé d'amplifier mes activités au domaine de la contrebande et des marchandises pirates et des objets d'exceptions. Plus que jamais "Liberty is my business" bien que j'ai de plus en plus de peine avec les tabous et les interdits des colonies...


Le ministre sortie une bouteille de cognac qu'il tendit au capitaine pirate.

- A ce propos, voici un présent de collègue à collègue et un signe de ma bonne volonté envers la Confrérie des Frères de la Côte. Je sais bien que nos rapports ont été un peu tendu depuis la malheureuse affaire de Maître Sing...mais tout le monde sait que c'est l'Espagne qui m'a forcé la main. Veuillez passer mes salutations aux Confrères et amitiés toutes particulières à Lady Ching et à son tendre ami. Mettons de côté les griefs du passé et profitons de notre lucrative coopération !

Montalvès trinqua avec le commodore avant de lui offrir la caissette de cognac en signe de réconciliation. Le ministre avait cruellement besoin de resserer les liens avec une Confrérie peu enclins à travailler avec lui, mais il savait avoir besoin, un jour ou l'autre du soutien des confrères dans ses activités illégales de contrebande.

Satisfait de sa rencontre et de son cadeau, le banquier songeait déjà aux autres personnalités dont il faudra "graisser la pâte" et faire oeuvre de corruption pour assurer le succès de son nouveau réseau et de sa grande opération commerciale...
don Juan de Montalvès
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Posté le 24/04/2009 à 01:06:08. Dernière édition le 04/02/2022 à 19:39:34 

4

Oeil pour Oeil

La vieille épave du Direito no muro semblait plus imposante dans la douce lumière du petit matin. Des nuées d'oiseaux marins tournoyaient au-dessus de la Corniche, nichant dans les contre-forts de la falaise, étendant leurs ailes blanches pour plâner un instant, pour soudain,plonger à pique dans les eaux chaudes des Caraïbes et réapparaître d'entre les vagues, s'envolant, un poisson dans le bec.

Du haut de la falaise, le ministre Montalvès assistait à la danse matinale des oiseaux. Assit à une petite table de campagne, montée pour l'occasion en pleine nature, et couverte du petit déjeuner du marquis, il portait un beau costume crême, des souliers chocolats, une cravate bleue marine, une petite paire de lunettes de soleil et un chapeau de style Panama légèrement balayé par les vents. Il tournait, impassible, sa cuillère d'argent dans sa tasse en porcelaine, laissant son thé fumer dans le matin monotone. A ses côtés, un domestique tenait un parasol inutile mais très décoratif, fait de soie bleue et bordé de pompons dorés.

- Elle vend des robes *soupira le marquis* voilà deux semaines que je cherche un crochet et cette petite sotte de contrebandière de la Corniche vend des robes...

- Monseigneur ? *
hésita le domestique, surprit que son maître lui adressa la parole...pour ne pas lui donner un ordre*

- Quelle ironie n'est-ce pas ? Un entretien dans cette grotte aux affaires, quelle idée a bien pu traverser la tête du Panda ?

Le marquis sortit un étui de fer finement ciselé de sa poche et y prit un cigare qu'il alluma dans l'instant. Il tira quelques bouffées sans quitter des yeux l'horizon blafard emplit des silhouettes et des cris des oiseaux.
Puis, lissant ses moustaches d'un air distrait, il s'adressa directement à son laquais:

- Débarassez-moi de tout cela, rangez le service de porcelaine, je n'ai plus faim.

Devant le mutisme de son domestique, le ministre commença à perdre patience.

- Et bien, êtes-vous sourd ?

Il se retourna et eut un mouvement de surprise en apercevant le parasol jeté au loin, le corps du laquais étendu de tout son long aux pieds de sa chaise pliante. Le marquis mit la main au pommeau de sa canne, scrutant les environs quant il sentit une présence sur son côté ainsi qu'un léger parfum familier.

- "Tiens tiens...comme on se retrouve...."

Cette voix, se dit Montalvès. En se retournant, il aperçut la robe flottante de Lady Ching avant de sentir une violente douleur à la tête qui le fit sombrer dans l'inconscience.

Le ministre français se réveilla sur un tas de caisses vides empliées dans la grotte des affaires de la Corniche. Il pouvait entendre des conversations non loin, des négociations de prix, d'avis sur les marchandises. Mais très vite, il comprit qu'il n'était pas là pour des transactions commerciales...Lady Ching se planta devant lui.

17/04 20:05:26 :    Lady Ching regarde ta geule de bourgeois enfarinée et te penche au creux de ton oreille: "Tu ne pense tout de même pas que j ai oublié que tu es le responsable du calvaire que je viens d endurer...".

17/04 20:06:40 :    Lady Ching continue à te parler tout en fouillant nerveusement dans sa besace: "un calvaire! à arpenter les moindres recoins de cette île pour trouver un remède pour Sing...Remède contre le poison que TU lui as fait ingurgiter lors de sa détention...".

17/04 20:09:59 :    Lady Ching sort une longue aiguille à tricoter de sa vieille besace et plonge ses yeux ingurgités de haine dans ton regard:"imagine ce que pourrais te faire subir Sing si tu le croisais...et dis toi que ce ne sera que de la pisse de nouveau né à coté de ce qu il me vient à l esprit en te renconterant ici par hasard..."

17/04 20:13:21 :    Lady Ching sort sa destinée et l'appuie sur ton cou en attendant que tu te réveille, regardant le sang perler de ton cou avec délectation.

- Me blesser serait comme nuire aux pirates...de plus, j'ai ici de belles pierres que l'on m'a commandé pour vous...ne faites pas de bêtises, soyez raisonnable, ma chère !

*Tremblant comme une feuille, le banquier fouille dans so sac* J'ai d'ailleurs ici un contrat qui ne pourrait que vous plaire...je fais affaires avec vos frères...
Nous sommes des gens civilisés *louche sur la lame* Allons, je suis sûr que l'on peut s'entendre vous et moi...

A cet instant, le marquis aperçut, du coin de l'oeil, la déléguation espagnol du ministre Ricolo faire son entrée dans la grotte. Souriant nerveusement à la pirate, il attira l'attention des Espagnols. Le ministre d'Esperanza s'approcha mais ne fit rien pour aider le marquis en mauvaise posture...

17/04 22:48:16 : Ricolo sourit: "J'assiste a un bien triste spectacle, évidemment il pourrait vous aider mais l Espagne n est elle pas responsable de tous vos maux? Je suis prêt a discuter de votre éventuel revirement, de vos excuses publiques et de.. d une somme rondelette pour ne pas dire indécente pour taire la rumeur selon laquelle une femme vous terrorise..."

- Mais faites quelque chose, quelqu un va finir par être blessé...*répondit le marquis* Laissons de côté nos différents...c est une pirate, vous n allez pas croire tout ce qu elle raconte.

- Je ne cêde qu aux jolies femmes et a l'argent, et vous ne semblez pas avoir de poitrine.

Ricolo tourna les talons laissant le banquier français à ses ennuis.

Montalvès se sentit défaillir, son cou gelé par la lame froide du sabre pirate quand soudain une pensée se matérialisa dans l'instant. Il avait complétement oublié le rendez-vous avec Juan Serra. Le second de la Flibuste apparut comme par magie derrière Lady Ching.

Le Panda tenta en vain de raisonner Lady Ching, trop absorbée par ses pulsions de vengeance envers le banquier. Montalvès et lui comprirent vite qu'il fallait en venir à la manière forte...


Le combat qui s'en suivit fut épique entre les deux pirates. Montalvès se réfugia derrière une cargaison de robes rouges priant pour que Juan Serra ne soit pas éméché car alors tout espoir serait perdue...il pria donc doublement puisque sa prière tenait du vrai miracle...

Finalement, le Flibustier eut le dessus, laissant Lady Ching fort affaiblie par la bataille.
La frayeur du marquis étant passée, les affaires pouvaient commencer avec la piraterie...
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Posté le 27/04/2009 à 00:35:59. Dernière édition le 04/02/2022 à 19:48:08 

5

L'Associé

Comme convenu le marquis remit tout d'abord une jolie bourse à Juan Serra pour avoir sauvé sa précieuse dentition de la violence féminine de Lady Ching. Biensûr, son geste fut prudemment dissimulé car la proximité de la déléguation ministérielle espagnole étant très délicate en cas d'indiscrètion...

Tirant le Flibustier à l'écart des oreilles indiscrètes, le marquis s'assit à l'une des tables de fortune de la grotte des affaires. Il marqua un temps de silence afin d'alourdir l'atmosphère de confidentialité.

Malgré la présence de la clientèle des contrebandiers, allant et venant dans les passages obscurs et étroits de la cache, l'appât du gain et le nécessaire arrangement à venir firent prendre à nos deux associés le risque de parler de la future transactions.

Montalvès se frotta les mains quelques instants, regardant à l'entour, jetant un oeil par dessus son épaule puis interrogea le second de la flibuste qui semblait impassible sur bon tabouret.


- Juan, nous nous connaissons depuis longtemps, n'est-ce pas ? Ne tournons pas autour du pot, nous sommes les pas beaux, les vilains, les méchants. On fait des actions pas très réglos et on s'en cachent pas. Nous n'allons pas pas nous embarrasser des ronds de jambes et des finesses de société: quand pourrais-je récupérer la cargaison ?
L'on m'a simplement dit que c'était du lourd, de la marchandises fort prisée par les corsaires. Est-ce vrai ? Cela vient de Cuba n'est-ce pas ?

- *se triturant la fourrure du visage* ouais...du bon lourd cm't'dis...ça a mis un paquet d'temps à arriver, mais on a eu les nouvelles et s'pour bientôt...Des caisses d'bon rhum, des cigares d'La Havane...un vrai p'tit régal ! hahahaha !

- *les yeux scintillants* Magnifique ! Décidément, les affaires avec les pirates sont toujours aussi juteuses...Où pensez-vous décharger la marchandise ? J'ai déjà des mercenaires pour aller les récupérer...

- *fait une petite moue déçue* Oh...dommage, j'pensais qu'on aurait pu grapiller un peu plus d'or d'nos escl...d'nos gus...C'est qu'l'arbre des Pendus, ça fait une trote d'Port-Louis *clin d'oeil* Mais d'nuit ça ira...

- *L'air mystérieux* Ne vous inquiétez pas pour ça, c'est la pègre anglaise qui se charge de mes sales besognes...*tend un cigare au Panda* Mais si les choses tournent mal et que nos affaires soient...éventées...j'aurais besoin d'un lieu sûr...

- *Arrache les deux extrêmités du cigare de deux coups de mâchoire, puis l'allume et en tire quelques bouffées* Ca...on verra sur l'moment...dans l'doute j't'enverrais l'aut' Milady, cel' qui t'ressemb'. T'fil'ras un sauf-conduit pour not' repaire.

- Parfait Juan ! Une fois que la cargaison sera entre nos mains, il faudra "remercier" mes mercenaires...mais je suis certain que les Flibustiers se feront une joie de s'en occuper...

- *Les mains sur le fourreau de son épée* Hahaha ! ça compte sur moi m'gars ! C'est l'genre d'chose qu'j'sais faire...

Le marquis se jeta en arrière sur sa chaise, le sourire aux lèvres, tirant sur son cigare en montant les sourcils en direction du Panda, avant d'éclater de rire.

Il dénoua le mouchoir de soie qu'il avait noué autour de son cou sur la blessure infligée par Lady Ching et l'enfila dans son gilet. Le banquier saisit sa canne et salua le pirate d'un geste de sa main, agitant sa paire de gant de soie. Il remit son chapeau "Panama" et se dirigea vers la sortie. Au passage, il fit un signe de tête à Ricolo qui, semble-t-il, avait assisté à la scène, mais le marquis ne se départit pas de son flegme habituel. L'action était lancée, il était trop tôt pour plaire aux Pirates, il était trop tard pour plaire aux Corsaires...

Le fiacre l'attendait à l'entrée de la Corniche. En croisant un groupe de bretteurs français, le marquis les arrêta du bras et leur glissa malicieusement mais en imitant cette accent de peur dans la voix : "Faites attention, il y a un pirate dans la grotte aux affaires".

Puis le ministre s'éloigna l'air fort satisait, Juan Serra n'aurait pas la tentation ni l'occasion de monnayer les faveurs de la transaction qu'il avait avec le marquis...
don Juan de Montalvès
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Posté le 28/04/2009 à 02:55:19. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:12:23 

6

Mister Moon

Les lumières des lampadaires jetaient une lueur glaciale sur les rues pavées de New Kingston. Animées par la populace nombreuse et bruyante de la capitale coloniale anglaise. Des rires et des chants provenaient du Black Beer Pub aux fenêtres illuminées, les cents pas des prostituées le long des quais résonnaient aux oreilles des bigotes qui revenaient du confessionnal. Dissimulées au fond des portes-cochères, des silhouettes sombres épiaient les passants, disparaissant dans l'ombre des ruelles dès leur présence découverte. Du haut d'une fenêtre entrouverte, une bourgeoise, cheveux en chignon et grosses joues rougies, jetait un seau de pisse sur les chats qui se coursaient entre les poubelles du quartier tandis qu'un vagabond faisait résonner son goblet de piécettes, assit contre la muraille de la cité.

Juan de Montalvès, long manteau sombre sur le dos, cape arrivant aux chevilles, noir tricorne laissant apparaître les boucles poudrées de sa perruque, canne à la main, déambulait dans l'atmosphère permissive et libertine de New Kingston. Le long des trottoirs, il jetait des sourires entendus aux purostituées qui l'accostaient en faisant quelques pas avec lui, sourire enjoleur et déhanché aguicheur. Le ministre faisait simplement glisser sa main gantée sur le coin du menton des filles, en guise de réponse, esquissant une moue amusée.

Le marquis poussa bientôt la porte du Black Beer laissant une vaste lumière éclairer sa figure pâle aux moustaches impéccablement gominées. Nul besoin de se présenter aux vauriens qui jetaient des regards professionnels à ses bijoux et à la qualité de ses vêtements à moitié dissimulés sous sa longue cape, ces même larcineurs connaissaient notre homme comme un épicier connaît le goût de ses habitués. Les uns se retournèrent sur leurs tables et leurs chopines tandis que d'autres regardaient avec envie les bagues et les médailles du marquis, trésors inestimables mais hors de portée.

Saluant le tenancier à qui il jeta un louis d'or pour acheter un dîner comme sa discrétion, le banquier grimpa lentement les escaliers qui menaient à l'étage et aux chambres d'hôte.
Sans hésitation, il se dirigea vers la dernière porte du couloir et pénétra dans la suite de Lord Ferrington. Le marquis s'installa sans formalité à la table déjà servie de deux couverts et s'alluma un cigare en attendant son invité.

Quelque instants plus tard, la porte s'ouvrit à nouveau laissant entrer un capitaine anglais, dans son uniforme d'officier brittanique mais surlequel on pouvait reconnaître des médailles et insignes espagnoles. D'ailleurs les traits du personnage trahissaient une origine hispanique. Don Branlouz dé la Féñecki salua le marquis d'un geste martial, puis, rejettant son épée suspendue à sa ceinture, il prit place sur le siège en vis-à-vis du ministre français.


- Ah don Branlouz ! L'homme que j'attendais ! Prenez place mon cher, nous avons à parler d'affaires juteuses...

- Vous avez réson dé faire appel à nous por cé genre dé choses...lo sécret et los histoires dé gros sous sont notre spécialité...*répondit le mercenaire anglais*

- Parfait ! Figurez-vous que j'ai à récupérer une large cargaison de rhums pirates et de cigares de La Havane mais la mission est risquée puisque que la cargaison sera débarquée près de l'Arbre des Pendus à quelques encablures d'Esperanza...une sortie des Pistoleros pourrait être fatal à la transaction ...voilà pourquoi il me faut un groupe de gros bras. J'ai immédiatement pensé à mes bons amis des Quatre Lunes.

- *Don Branlouz eut un sourire moqueur* Les Espagnols ?! On ferait une corrida en pleine ville qu'ils né s'en apercevraient même pas ! Et si lé capitaine du navire né fait pas tirer les cañones au mouillage, on devrait pourvoir régler discrétement l'opération avec une petité troupe d'élite.

- *Le Ministre sort un parchemin sur lequel il stipule les termes du contrat* Voici les Quatre Lunes s'engagent à m'escorter jusqu'à l'arbre des Pendus, assurer la sécurité du débarquement et le transport des marchandises en lieu sûr...

- Nos termes du contrat seront 2% de la cargaison par Quatre Lunes présents...on séra peut-être plus qu'une petité troupe...héhé *regarde l'approbation du marquis et signe le document*

- *Le marquis appose son sceau sur le parchemin* Je vous tiendrais au courant de la date d'arrivée de la cargaison, tenez-vous prêts !

Don Juan plia le contrat et l'enfouie dans une large poche intérieure de son manteau. Sans un mot supplémentaire, il prit sa canne et les deux hommes sortirent de la suite de Lord Ferrington. Montalvès descendit d'abord les escaliers menant à la grande salle noire de monde à cette heure avancée de la nuit. Joueurs de tripot, buveurs de scotch, amateurs de music hall, tous les corsaires anglais occupaient l'ensemble des tables bondées d'où s'élevaient les clameurs, les fumées des cigares et les vapeurs d'alcool.

Sur une petite scène faisant face à la faune déchaînée des corsaires, un petit homme fluet en costumes d'opérette fit signe aux musiciens de commencer à jouer. Les permières notes s'envolèrent, attirant l'attention de l'assistance, puis il commença à entonner sa chanson :

Fly me to the moon
Let me play among the stars
Let me see what spring is like on
Jupiter and Mars

In other words, hold my hand
In other words, darling, kiss me


Le marquis sourit en regardant quelque instants le spectacle tandis que don Branlouz fendait la foule vers le fond de la salle, rapidement rejoints par deux mercenaires qui s'étaient levés sur son passage. Les Anglais se consultèrent brièvement puis disparurent par une porte dérobée.

Fill my heart with song
And let me sing forever more
You are all I long for
All I worship and adore

In other words, please be true
In other words, I love you


Montalvès sortit du Black Beer Pub sans s'attarder davantage, le pas léger et alerte, trottinant dans les rues pavés de New Kingston, faisant tournoyer sa canne entre ses doigts, passant à côté des bigotes marchant les jambes serrées, la tête basse et ne put s'empêcher de claquer les fesses d'une des vieilles rombières lui faisant pousser un cri scandalisé; puis le marquis attrapa deux prostituées par la ceinture dans chaque bras et les embrassa dans le cou avant de piquer, dans un geste rapide, le goblet de piècettes d'or du mendiant, de le vider dans la poche de son gilet avant de lui lancer son ustensile dans la figure.

Fill my heart with song
Let me sing forever more
You are all I long for
All I worship and adore

In other words, please be true
In other words
In other words
I love...you !

Des applaudissements nourris se firent entendre depuis le Black Beer tandis que le banquier grimpait dans son fiacre et frappa de sa canne contre le plafond de la voiture. Le cochet fouetta ses chevaux qui partirent en trombe, faisant danser les lumières des lampadaires sur leurs robes sombres et brillantes.

( crédit: Fly me to the moon, Bart Howard, 1954
http://www.youtube.com/watch?v=znjEVqSmUSE version de Frank Sinatra)
don Juan de Montalvès
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Posté le 29/04/2009 à 00:23:48 

7

Le scandaleux Verdict

Le fiacre du ministre Montalvès roulait le long d'un sentier de la côte ouest suivit par les cavaliers français de l'escorte gouvernementale.
Un mince filet de lumière perçait à travers les rideaux fermés sur les fenêtres du carrosse; dans la pénombre, le marquis semblait endormit, la tête reposant sur un large coussin de soie. Même le balancement du véhicule ne perturbait pas ce sommeil apparent.

Pourtant, les petites moues que faisaient, par intermittence, le ministre français trahissaient une profonde réflexion et une intense activité derrière ce masque de sérénité.

- Comment faire ? *murmurait-il*

Il ouvrit soudain de grands yeux étonnés avant qu'un sourire malicieux se fasse sur ses lèvres. Il tira une carte de Liberty qu'il avait roulé dans un de ses coffres, la déplia sur le nord de l'île. De l'index, il pointa l'emplacement de l'Arbre des Pendus. Doucement il glissa son doigt vers Esperanza puis vers La Madonne...

- Mais biensûr ! *s'écria-t-il*

Rapidement, un grand plan se mit à l'oeuvre dans son esprit, fait de diversions et de spectacles pour la galerie dans le but de détourner les regards de la véritable scène du crime...
Le marquis imagina le déroulement comme du papier à musique, comme un opéra tragique. D'abord, une amorce en douceur: une altercation avec le ministre espagnol. Un échange de noms d'oiseaux avec Ricolo sera parfait pour commencer à égratigner les relations franco-espagnoles.

Puis, à l'image d'un coup de cimballe, le procès contre l'Espagne ! Les Espagnols n'hésiteront pas à insulter le ministre français, voire à lui refuser toute occasion de justice. Il faudra exhalter le patriotisme français...ce sera chose aisée...Il lui fallait simplement des hommes d'action...des Action Heros !

Port-Louis, le 14 avril 1709,

Cher Monsieur Marius,

Je vous écris car vous me semblez l'homme de la situation pour une frappe chirurgicale. Il est très probable que les Espagnols mettent énormément de mauvaise volonté aux fins d'améliorer leurs relations avec la France. Il suffit pour s'en convaincre le nouveau contrat de nation lancé contre moi par ces infâmes Ibères...

L'Inquisiteur Valenstein m'a promis son aide publique dans cette affaire mais vous savez comme moi que les Espagnols ne connaissent que la loi du plus fort et j'estime nécessaire d'envisager toutes les pressions nécessaires et proportionnées.

Puis-je espérer une action d'éclat de la part de l'Ordre ? Je pense plus particulièrement à une expédition sur La Madonne. Sa possession pourrait faire comprendre aux Espagnols la détermination de la France. Vous soutiendrez ainsi l'honneur bafoué de notre colonie et aurez un moyen de confirmer la puissance nouvelle de notre nation.

Il va de soi qu'en cas de dénouement heureux et pécuniairement favorable, l'Ordre ne sera pas oublié...

Cordialement,

don Juan de Montalvès

Le marquis continua de penser à la suite de son intrigue...Il faudrait ensuite imaginer une réponse de l'Espagne mais comment faire...Impossible de mobiliser un groupe d'Espagnols sans être suspect, il faudrait faire appel à un homme uniquement. Pour le coup de poignard de la tragédie, un assassinat qui mettra le feu aux poudres...Un attentat sur un haut personnage du gouvernement...disons qui serait réunit pour accueillir Milady à Port-Louis...

Port-Louis, le 22 avril 1709,

Cher señor de Jardín,

J'ai entendu parler de vos nombreux talents, parmi ceux-ci, l'art du tir à longue distance. Me suis-je laissé abusé trop hâtivement ? Vous me savez fort amateur de chasse, et il faudrait un expert dans le tir afin de me ramener cette proie toute particulière. Un fin tireur comme vous ne saurait manquer un cible, même dans l'agitation d'une cité, n'est-ce pas ?

Faites-moi savoir si vous êtes prêt à partir en chasse ? Vous avez tué des gens auparavant ? L'élimination de la cible que je me propose de vous donner bénéficera à nos intérêts bien compris, à moi et à l'Espagne biensûr.

Vous serez payé 15'000 piécettes d'or si cette petite tâche s'avère concluante. Une affaire à ne pas manquer.

Seuls impératifs : il faudra vous rendre à Port-Louis de façon déguisée afin de ne pas éveiller les soupçons, vous serez déguisé en nain de jardin mexicain. Votre cible vous sera communiquée une fois que vous serez parvenu sur le balcon des bâtiments de Port-Louis qui donnent sur la place centrale (hrp: ingame il faut te poster à l'une des fenêtres d'un des étages et faire un screen :P).

J'attends votre réponse.

Cordialement,

don Juan de Montalvès

L'assassinat du Général Cactus Jack par un Espagnol précipitera les deux nations dans une guerre larvée qui retiendrait tous les esprits loin d'une côte espagnole balayée par les vents des Caraïbes. Les contrebandiers pourront aisément débarquer leurs précieuses marchandises...

Le Ministre se frotta les mains, se félicitant d'être si ingénieux et machiavélique ! Il s'assurerait les services de Maître Johannes Von Schiller pour défendre son procès-mascarade à Espéranza, en sachant pertinnement qu'un scandaleux verdict - issue plus que probable - finirait d'envenimer le relations entre Port-Louis et Esperanza...Laissant le champs-libre à son traffic illégal...

(hrp: ces épisodes RP ingame n'ont malheureusement pas pu être mis en oeuvre mais je tiens à remercier chaleureusement les personnes qui ont accepté de se prêter au jeu, mais hélas, une certaine inertie et surtout des "dons de voyance" français, ont finalement empêché ces actions...:triste: )
don Juan de Montalvès
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Posté le 30/04/2009 à 02:27:20. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:13:32 

8

Portrait d'une voleuse

La marée descendante avait abandonné une large bande de terre sur le rivage, laissant apparaître de gros rochers plats, rentenant au gré de leur surface polie, des flaques d'eau salée où se réfugiait toute une vie marine frétillante. L'odeur des algues et du bord de mer se répendit aux alentours tandis qu'une barque échouée sur les récifes se balançait sur les ondes. Un ciel clair et sans nuage s'étendait au-dessus de la crique de la plage des joyaux. Les noires et obscures mines de la caverne humide débouchaient ici sur une veritable terrasse sur la mer. Les rochers taillés et déchiquetés par les vents et l'océan, brillants d'humidité offraient un spectacle saisissant de contraste avec la clareté du ciel et de la mer.

Sur les îlots formés par la marée, à quelques mètres de la plage, bourdonnaient d'activité de contrebande. De petites chaloupes brisaient les vagues à la force des rameurs, poussant sur les flots les caisses empilées et attachées à leurs embarcations. Au large, on devinait les silhouettes lointaines de pinasses et corvettes attendant le retour des trafiquants. Sur ces bancs de sables épargnés par la mer, des hommes aux mines patibulaires troquaient leurs marchandises ou s'échangeaient des bourses de piècettes d'or, des scènes donnant lieu à des propos musclés et des haussements de voix.

Au bord de la plage, une figure délicate et élégante de simplicité observait ce curieux manège, à moins qu'elle ne regardait que cet horizon où le ciel rencontre la mer. La jeune femme était enveloppée dans un léger manteau marron à large capuche. Ses traits du visage, nobles et beaux, ses yeux émeraudes, sa mouche menue, son nez mutin et ses pommettes roses se retrouvèrent ainsi entourés de l'obscurité de la capuche.
Milady, aristocrate fraîchement débarquée du Continent, attendait l'arrivée d'un autre éminent représentant de la noblesse européenne.

Elle ne dû pas attendre longuement puisque le marquis de Montalvès apparût enfin dans la crique. Il s'approcha à la manière des cortes de Madrid, il la salua bas, le tricorne à la main, puis il s'avança vers la jeune femme pour lui saisir la main et approcher ses lèvres du dos de sa main.

- Milady, It's a pleasure to meet you, Madame. J'ai grandement apprécié votre courrier et l'on m'a vanté votre beauté et la grâce que vous avez montré en Espagne. Je constate que ces compliments étaient en-deça de la réalité.

- Marquis, vous êtes un charmant courtisan, je sais fort bien que nos amis communs ne tiennent pas ce genre de language. Mais je vous remercie d'enjoliver ainsi leurs rudes paroles de flibustiers...

- N'en voulez point à leurs moeurs de pirates, nous savons bien que parmi les plus sauvages boucaniers se trouvent souvent les élégants gentilshommes de salon. Un bon mot à Versailles est souvent plus mortel qu'un coup de sabre dans la jungle...

- Don Juan, de tels propos suffiraient à vous mener à la potence, même dans certaines colonies aussi éloignées que Liberty. D'ailleurs, nos amis le savent bien...et malgré leur sauvagerie, ils n'en ont pas moins le sens de la loyauté. *Milady regarda le banquier d'un air mystérieux*

Voici le sauf-conduit que Juan Serra vous a promis. *Elle sort un billet cacheté au sceau de la Flibuste* Il vous permettra d'entrer dans le repaire des Flibustiers au cas où les affaires tourneraient mal...

Le marquis prit le billet et l'enfouie dans une poche de sa veste, souriant largement mais néanmoins peu rassuré à l'idée d'avoir sur lui une si grande preuve de son implication auprès de la piraterie de l'île.

- Milady, vous transmettrez mes remerciements au Second de la Flibuste. C'est plus compromettant qu'une carte d'aspirant mais certainement bien plus utile !

Le banquier éclata d'un rire un peu forcé. Milady lui sourie simplement avant de sortir une petite cassette de fer qu'elle tenait dissimulée dans un pli de son manteau.

- J'ai encore un service à vous demander...connaissant vos "pratiques" bancaires et certains de vos clients, j'aimerais savoir si vous pouviez vous occuper d'un petit pécule que j'ai amassé en soulageant les poches de certains Espagnols.

- Ah Madame ! Ce serait une joie et un honneur d'ouvrir pour vous un compte auprès de ma banque !

- Voici donc 20'000 piècettes d'or contenues dans cette cassette. Prenez-en soin.

Le marquis accepta la cassette et la tendit à un laquais qui courrut la placer dans le coffre du fiacre de Montalvès. Le banquier allait poursuivre la conversation sur un ton plus romantique quand il se redressa vivement, sentant la froide lame d'un sabre dans son dos...

Lady Ching passa félinement le bras au cou du marquis, en lui serrant fermement le cou et affiche un grand sourire.

- Et bien, décidément nos chemins sont liés, je ne vous dérange pas j'espère...

- *Essaye de rester faussement décontracté* Lady Ching vous voyez que je suis en charmante compagnie...vous n'allez pas me faire une scène devant cette charmante lady ?!

- Une scène ?! Voyons, nous sommes entre gens civilisés ici...

La pirate sortit sa pipe bleue et fit tournoyer quelques ronds de fumée en direction du marquis. Ce dernier se retourna vers Milady.

- Ma chère amie, nous avons fort à discuter avec Lady Ching, pourquoi n'iriez-vous point m'attendre dans mon fiacre, le temps que nous échangions une conversation entre adultes elle et moi ?

Milady acquiesca sans un mot, regardant la pirate avec suspicion et disparut à l'intérieur de la caverne humide.

Montalvès fit face à Lady Ching.

- Allons, vous n'allez pas recommencer ce cirque...vous êtes seule et j'ai une vingtaine d'hom...

On toussa bruyamment derrière le marquis et celui-ci vit avec horreur Anne Providence, un sourire mauvais aux lèvres. Montalvès comprit immédiatement que sa vie tenait à un fil entre ces deux furies pirates...
Il fouilla hâtivement dans les poches de sa veste pour en resortir, triomphalement, une paire de lunettes qu'il avait arraché à l'un de ses débiteurs ainsi que le reste de ses possessions pour incapacité de paiement de ses dettes. En un instant, il les enfila au bout de son nez.

- Mesdames, soyez raisonnables, vous n'allez pas frapper un homme avec des lunettes...

Providence eut un rire terrifiant.

- Franchement ? Moi sans soucis et j'ai une affection particulière pour les coups en dessous de la ceinture. Vas-y Ching, arrache-lui les couilles !

Montalvès poussa un grand cri qui fut étouffé par la droite que Lady Ching lui donna sur la mâchoire. Le pauvre marquis cracha une dent de sa bouche sanguinolante. Il se retourna pointant du doigt son agresseur.

- Mais elle m'a cassé une dent ! Cette traîn...heu...nan...nan...ce n'est pas grave, un coup ça peut partir tout seul...Estimez-vous satisfaites chères amies...

Lady Ching rammassa la dent et la jeta à la figure de Montalvès.

- Allez, il est l'heure de payer l'IRP et file aussi quelques pierres précieuses ! Ah ah !

Montalvès eut l'air dépité. Il n'avait jamais payé l'IRP et voilà qu'il se faisait rançonné par ces deux garces !

- Mais vous tombez mal, voyez, je suis dans la gêne en ce moment *répondit-il en retournant des poches "spéciales" et vides de ses pantalons*

Lady Ching se tourna vers son amie pour se moquer du banquier quand celui-ci en profita pour se sauver en courant vers la caverne.

- Sur ce, adios !

Le marquis prit ses jambes à son cou, criant à son cocher de fouetter les chevaux. Milady eut le temps d'ouvrir la porte du carrosse dans lequel le marquis se jeta littéralement tandis que les balles des pirates se fichaient dans les murs du véhicule.

Le fiacre, à une allure folle, sortit des mines du crâne en trombe, menant le marquis et son invitée sur la route de Port-Louis.
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Posté le 04/05/2009 à 01:14:02. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:20:30 

9

La Petite Egypte

La lune voguait haut dans le ciel obscur, ronde et lumineuse au milieu des nuages noirs. De son sombre autel étoilé, elle jetait son regard vitreux et pâle sur le monde des hommes, observant son reflet dans les eaux chaudes des Caraïbes. Cette reine de la nuit sourit et s'amuse de voir ces créatures nocturnes profiter de son royaume pour leurs quatre cents coups. Comme ces corvettes silencieuses qui s'avancent à l'horizon vers les plages espagnoles. Seules leurs coques craquent sous le poids des ondes et leurs voiles claquent gonfées par la brise marine.
Tandis que, à l'ombre spectrale de l'Arbre des Pendus et de ces corps se balançant à ses branches comme de macabres parrures, un groupe de mercenaires armés jusqu'au cou se faufile sans un bruit.
La lune vit aussi s'approcher un fiacre sans écuisson, toute lumière éteinte, faisant entendre la cavalcade des chevaux et la voix étouffée du cochet le visage emitouflé dans une large écharpe, les revers de son manteau relevés. S'arrêtant au bord de la route, à quelques encablures du rivage, le fiacre laissa descendre un personnage de marque, reconnaissable à son tricorne au panache blanc et à sa perruque poudrée.
Amie et complice, la lune tira, à cet instant, un rideau de nuage sur sa splendeur pour donner au marquis toute la discrétion dont il avait besoin en cette nuit.

- Et bien, señor dé la Féñecki ?! Avez-vous aperçu une présence armée espagnole à l'entour ? La cargaison est-elle arrivée ?

Montalvès s'était rapproché du groupe de mercenaires anglais et de parias français qui se tenait sur ses gardes non loin de l'arbre. Des laquais tendaient des lampes à huiles pour éclairer les deux hommes.

Le capitaine des Quatre Lunes salua le marquis avant de lui répondre.

- Excellenzia, bien qué nous soyons près dé Espéranza, aucoune présence hostilé dés Espagnols n'est à déplorer...quant aux corvettes piratas, elle viennent dé apparaître au large...là-bas !

Don Branlouz donna une longue vue au marquis qui appliqua toute sa sagacité à observer la scène au large, mais ses expressions de dépit ne laissèrent guère de doute sur la piètre vision qu'il en retirait. Don Branlouz jeta un regard aux laquais qui firent semblant de rien, connaissant trop bien leur maître. Finalement, le mercenaire prit la longue vue des mains du marquis et la lui retourna à l'endroit.

Sans un mot, le marquis fit une petite moue puis observa à nouveau le grand large.
Peu à peu, un sourire se dessina sur ses lèvres.

Les corvettes battant pavillon pirate avaient déjà jeté l'encre. Leurs silhouettes immobiles se balançant sur les vagues. Des matelots semblaient s'activer sur le pont, chargeaient des chaloupes de centaines de tonneaux de rhums de contrebande et de caisses de cigares cubains. Près de la proue de la plus imposante corvette, on pouvait voir inscrit un nom gravé sur une plaque dorée: La Petite Egypte.

Des échelles de cordes furent lancer depuis les bateaux, se dépliant le long de la coque. Des pirates descendirent bientôt dans les barques et commencèrent à ramer par rang de deux en direction de la côte. Montalvès suivit avec appréhention leur avancée vers le rivage jusqu'à ce qu'enfin les premières embarcations furent hissées sur la plage.

- Parfait *murmura le banquier entre ses dents* Ils sont là...


Les mercenaires payés rubis sur l'ongle par le marquis ne tardèrent pas à fraterniser avec les contrebandiers sautant hors des barques. Plusieurs déjà donnaient un coup de main pour décharger la précieuse cargaison.
Le marquis déambula de groupes en groupes, inspectant les caisses, frappant de son poing les tonneaux de rhums, incitant les pirates à se hâter. L'Arbre des Pendus n'étant qu'à quelques heures de marches de la capitale coloniale espagnole, un raid des pistoleros aurait été fatal à son entreprise...

Le capitaine pirate, véritable caricature du flibustier des histoires d'enfants, s'approcha enfin du banquier fort distrait par ses inspections.

- M'sieur Montalvas, j'suis l'capitan de La Petite Egy...

- Oui, je m'en fous, vous êtes certain que toute la marchandise est intacte, pas d'avarie ? *coupa le marquis sans même lever les yeux sur le capitaine*

Le contrebandier mit sa main à son sabre pendu à sa ceinture mais au même instant il vit don Branlouz et les mercenaires des 4 Lunes l'imiter et lui faire des signes négatifs de la tête.
Don Juan n'eut même pas conscience de cet échange muet mais agressif et leva la tête vers le capitaine l'interrogeant du regard.

- Non, m'sieur l'marquis, les tonneaux ont bien résisté et les cigares n'ont pas pris l'humidité...

- J'en suis fort aise. Et comme convenu avec Juan Serra et les Flibusiters, voici vos 500 piècettes d'or...

Le capitaine pirate bondit sur place, son visage devenant cramoisi.

- Quoi ?! 500 pistoles pour plus d'deux cents rhums pirates ! Mais c'est du vol !
*Il voulu tirer son sabre mais les Quatre Lunes, menaçant, se placèrent derrière Montalvès.

- Non, monsieur, c'est du commerce ! *répondit le banquier* Voyez-vous le cours du rhum pirate est très dévalué depuis que le gouvernement espagnol est devenu très nationaliste, la moindre marchandise pirate est saisie...quant à l'Angleterre, depuis qu'elle paie les Confrères, le cours du rhums chez eux s'est effondré...Et en ce qui concerne les cigares, c'est un cadeau pour ma petite nièce de 5 ans...vous n'allez pas me facturer un cadeau ?

Le marquis fit sa plus belle figure, ses yeux les plus brillantes et sa mine la plus aimable.

- Mais c'pas c'qu'on nous a dit !

- Taratata, vous ne metteriez pas ma parole en doute, voyez, j'ai tellement confiance que je suis venu désarmé au devant de vous...nous sommes entre amis ici, et entre amis, on ne se fait pas de cachoteries...


Les Quatre Lunes lui firent signe de dégager en sortant légèrement leurs sabres de leurs fourreaux. Le capitaine pirate se mordit les lèvres et serra le poing avant de remonter dans sa chaloupe et de rappeler ses hommes.

Une fois le contrebandier éloigné, le marquis de Montalvès se retourna vers don Branlouz en lui désignant l'endroit qu'occupait le capitaine de la Petite Egypte un instant auparavant:

- C'est un faux-jeton, un voleur et un menteur ! J'ai horreur de ces gens ! Horreur ! *il leva ses index en l'air et fit les gros yeux pour ponctuer sa remarque*

(HRP: un grand merci à Ely pour la déco ! )
don Juan de Montalvès
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Posté le 08/05/2009 à 06:09:45. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:31:54 

10

Le Trouble-fête

La cargaison des contrebandiers fut finalement chargée sur des mules du convois. La solution des chariots fut rapidement écartée étant donné la route choisie pour traverser l'île en toute sécurité: à travers la jungle épaisse et profonde.

Montalvès supervisa l'opération, vérifiant que les sangles furent bien attachées sur les mulets, frappant les tonneaux pleins de rhum pirate. Le soleil montait dans le ciel de cette matinée de mai dévoilant le groupe nombreux de mercenaires au grand jour. Nerveux de paraître en si mauvaise compagnie et au grand jour, le marquis hâta les préparatifs de départ. Mais ce fut peine perdue, une voix qui lui était familière se fit entendre à quelques pas du groupe.

Le Gouvernator Liberator parut, puissamment armé de ses doubles pistolets, les pointant vers l'ancien ministre espagnol.

- Tiens, tiens que se passe-t-il ici...
Le banquier parut un instant décontenancé, il savait la probabilité de se faire découvrir très grande à mesure que la journée avançait mais la surprise le prit tout-à-fait. Rapidement, cependant, le marquis de Montalvès se resaissit, pointant sa canne vers le gouverneur espagnol.

- Voilà messieurs, notre trouble-fête ! Et l'honneur n'est point moins grand quand il s'agit du gouverneur...

- Montalvès, je ne suis pas là pour t'arrêter *répondit le gouverneur* mais je viens négocier le passage de ta marchandise...

- Ah Liberator...on tente t'escroquer un escroc...votre curiosité vous perdra ! *Faisant signe aux 4 Lunes* Faites prisonier ce joli damoiseau !

Les mercenaires se jetèrent sur le gouverneur qui n'eut guère le temps de réagir avant de se retrouver ligoter et jeter sur un banc de sable tandis que l'on finissait de tout charger.

Le marquis sourit à la vue de pareille situation quand don Branlouz dé la Féñecki s'approcha de lui. Il avait dans la main le fameux contrat signé avec le marquis quelques jours plus tôt.
A la vue du document, le marquis fit la moue, il leur devait 60 tonneaux de rhum pirate pour leur labeur.

Montalvès savait ce qui attendrait les mercenaires en fin de course, le guet-apen des pirates mais pour l'heure, il fallait se montrer conciliant.

- Don Branlouz, vos hommes font merveille ! Je suis fort satisfait...mais vous comprendrez que je ne puis vous fournir l'intégralité de votre dû. J'ai d'abord besoin de recenser la marchandise, faire mes comptes. calculer les parts...

Le capitaine espagnol mit simplement la main à son sabre, pas de geste menaçant, un simple geste mais que le marquis comprit aisément.

- Toutefois, je vous accorde la moitié de ce qui vous est dû, c'est-à-dire 30 tonneaux de rhum. Cela vous convient-il ?

- Parfaitement, don Juan. Voici notre connaissance commune, Doudou la Chopine, qui se chargera de la première livraison...


Le marquis aperçut la silhouette dodue du ministre anglais qui prenait la peine de mettre les flacons de rhum pirate dans son coffre-fort, étiquettant la part de chacun des 15 mercenaires présents. Les yeux des Quatre Lunes s'illuminèrent à la vue de ces précieuses liqueurs...

Montalvès eut un sourire mauvais puis se retourna vers la séance de "torture" que l'on infligeait à Liberator, pour se détendre...Et se fut avec bonheur qu'il vit Poulpi, le compagnon de JeanPoulpe, essayer de tentaculer le pauvre gouverneur qui se débattait tant bien que mal. Quand il vit approcher Gabian avec un large coutelas aiguisé, le marquis mit le holà.

- Je crois que Liberator a compris la leçon...laissez-nous, je vous prie, nous avons à parler lui et moi...

Le marquis s'agroupit aux côtés du gouverneur, pencha la tête pour contempler l'Espagnol puis eut un sourire éclatant, un peu similaire à celui qu'il arborait lors de la capture de Maître Sing...

- Alors comme ça, vous venez négocier...vous conviendrez que vous êtes en fort mauvaise posture pour cela...

- Scélérat, je ne viens pas t'arracher une part de ta cargaison, je veux parler de ravitaillement de la colonie d'Esperanza...au cas où nous subirions un blocus maritime de la part de l'Espagne.

- Oh, je comprend mieux, Liberator ! Il est certain qui si vous déclarez l'indépendance, vous ne pourrez compter sur aucune autre nation pour vous aider face aux troupes del Rey ! J'entrevois une collaboration inattendue, mon ami...bien que je ne suis pas certain que mes "fournisseurs" vous enchantent...

- Je sais que tu fais affaires avec les contrebandiers et les pirates, mais je suis prêt à mettre le prix pour obtenir ces marchandises en cas de guerre...

- Entre d'autres temps et en d'autres lieux, j'aurais volontiers noué moi-même la corde pour te pendre à cet arbre, Liberator, mais les gains de cette aventure m'intéressent au plus haut point. Marché conclu ! Mes réseaux fourniront à Esperanza toute l'aide matérielle dont elle aura besoin...Gardons le contact !


Le marquis bouscula le gouverneur en se relevant, manquant de le faire basculer pieds et poings liés.

D'un pas alerte, il grimpa dans une chaise à porteur fermée soulevée par quatre laquais. Le marquis, une fois assit, ouvrit la fenêtre et fit signe à son escorte et au convoi de se mettre en route.

- Allons, messieurs, en route, un long chemin nous attend jusqu'au temple maya !


La longue colonne de mules et de mercenaires prit le sentier sud, longeant la forêt primaire espagnole puis prit les chemins sinueux à l'orée de la jungle, évitant de trop s'enfoncer dans cette mer de verdure luxuriante...

Dans sa chaise à porteurs, le marquis se mit à lire sa correspondance et rédigea deux lettres pour chacun des deux capitaines pirates de Liberty...
don Juan de Montalvès
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Posté le 04/06/2009 à 04:29:06. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:34:28 

11

Fauteuil vide

La cargaison de rhums pirates fut bien stockée dans l'une des profondes salles du temple maya, à l'abri des regards et des convoitises. Le marquis de Montalvès espérait pouvoir en retirer un très bon prix sur les marchés de l'île mais une lettre du Commodore Salas vint quelque peu bouleverser ses plans. Sans attendre, il congédia les mercenaires et prit la direction de Port-Louis.

Sur la route, au gré des relais atteints pour la nuit, il suivit l'étonnante nouvelle de la déclaration d'indépendance d'Esperanza. Parcourant les gazettes qui faisaient leurs choux gras des affrontements avec la France et la Hollande, Montalvès songeait déjà aux avantages économiques à retirer de cette situation. Une ville bientôt assiègée acheterait des denrées à prix d'or...quelle belle vengeance avec ce procès perdu devant la cour de justice espagnole...

Mais bientôt ses spéculations financières sur la guerre s'évanouirent, il avait des affaires plus pressantes et plus difficiles à mener. Le marquis jeta un coup d'oeil par la fenêtre du carrosse qui l'emmenait vers la capitale française, on pouvait déjà apercevoir la côte et les silhouettes noires des navires aux ombres allongées par le soleil couchant.
 
Il songea à ses deux années passées sur l'île de Liberty, deux ans qu'il avait débarqué d'un de ces navires anonymes sur les quais d'Esperanza. Petit noblieau perdu au milieu des pistoleros, revendant des peaux d'ours pour acheter des bandages bon marché auprès des commerçants de la place pour aller les revendre au manoir hanté où la nécessité et la demande faisaient le reste. Pour ensuite recommencer l'opération en y ajoutant des objets plus fins, de meilleure facture et de plus grande valeur. Chaque vente était une joie, chaque bonne affaire une aventure. Braver les périls des grottes, des caves humides, des ports cachés, des monastères obscurs pour acquérir les premières pierres précieuses et les bourses d'or. Aujourd'hui, le marquis pouvait gagner les profits de ces années de dur labeur en signant la vente d'une relique maya, d'un artefact pirate.

Biensûr, le jeune et petit négociant avait troqué l'excitation de ces folles années contre le confort de l'homme arrivé, du ministre d'Etat. Mais sa fortune, sa renommée, ses relations avaient-elles payé le prix de la fin des rêves et des illusions ? Pouvant acquérir toutes ses fantaisies, le marquis en avait perdu le goût et le plaisir que seul l'effort pouvait procurer. L'âme même de cette vie s'était matérialisée dans sa plus belle création, son plus doux rêve, sa plus belle parrure: La Casa de la Moneda.
Et les pirates demandaient aujourd'hui son sacrifice.

Montalvès retrouva Port-Louis dans le tumulte de la guerre. Des mousquetaires et des capitaines défilaient dans les rues pour rejoindre le siège de Louis-le-Grand tenue par les Espagnols, des canons étaient tirés par des chevaux faisant tonner leurs lourdes roues sur le pavé de la ville. Le banquier se hâta de regagner sa demeure française dont les aménagements furent achevés quelques jours plus tôt.
Il trouva un refuge pour fuir toute cette fièvre et l'animation de sa maison, de ses solliciteurs, de sa clientèle dans ses appartements privés et sa nouvelle garçonnière fraîchement redécorée.

Le marquis sortie la lettre du Commodore de la poche de son gilet, la déplia pour la relire encore. L'offre de la piraterie était de celle qui bouleverse une vie mais qui ne se propose qu'une fois. Elle souffla comme un vent puissant, une tempête qui emporte tout et brise celui qui résiste tandis qu'elle soulève aux cieux celui qui l'accompagne. Montalvès regarda autour de lui, sa maison, son oeuvre et sa vie. Il passa sa main sur les tissus soyeux des tapisseries, sur le cuir brillant des fauteuils, sur l'or et les boiseries de ses meubles, puis s'assit confortablement derrière son bureau pour rédiger une lettre.

"Très estimés membres, marchands et associés de la Casa de la Moneda,

Au printemps 1707 est née une idée simple mais révolutionnaire, celle de penser que les commerçants  de Liberty auraient leur maison pour leurs affaires et s'enrichir mutuellement. Simple par son réseau et son échange d'informations, révolutionnaire car elle défendait le droit à l'enrichissement des marchands jusque là relayés au rôle de cantiniers des corsaires, fournissant à prix comptant et ne recevant aucune gratification par des sociétés où seuls l'épèe ou le tromblon sont reconnus.

En fondant la Casa de la Moneda, j'ai simplement voulu montrer que les pulsions naturelles de l'homme parmi lesquels l'envie de richesse et l'avidité nous ont suivi par-delà l'océan formant les fondements même de notre économie. Les commerçants ont dû faire accepter que l'enrichissement, la réussite n'étaient pas des mots coupables face à des corsaires dont l'hypocrisie dictait le taboo du bénéfice !

Aujourd'hui, cette compagnie commerciale et bancaire est devenu une institution forte, reconnue et respectée. Mon oeuvre est accomplie, voilà pourquoi je vous annonce ma démission en tant que directeur de la Casa de la Moneda et mon départ de la compagnie.

Sachez que ce choix a été difficile et la décision longue à être prise. C'est avec tristesse mais avec des projets plein la tête que je vous quitte.
Continuez de perpétuer l'idéal marchand de ses débuts, la liberté du commerce et la force du capital.

Je nomme au poste de directeur, mister RomOne qui a prouvé à de nombreuses occasions ses grandes capacités et son intelligence commerciales.

C'est en vous souhaitant un avenir fait de bonnes affaires et de coffres remplient de pièces d'or que je prend congé de vous,

don Juan de Montalvès
"




Le marquis scella la lettre puis la posa sur le guéridon du courrier en partance. Il ouvrit son armoire de fer dissimulée derrière le tableau de Hyacinthe Rigaud pour en tirer une cassette où il rangea ses pierres précieuses, ses bijoux et un large portefeuille de billets à ordre à toucher auprès de la Banque royale. Il la posa sur ses malles qui attendaient déjà dans l'antichambre à côté de plusieurs solides coffres remplis de plus de 100'000 piècettes d'or.
Tous ses bagages furent installés à l'arrière de son fiacre sombre. Le banquier congédia son personnel et fit fermer les grilles de l'hôtel particulier.

Avant de quitter, une nouvelle fois sa maison pour d'autres lattitudes et d'espoirs de richesses plus grandes encore, le marquis rédigea un court billet pour son "parrain", Wiggins O'Malley:

"Mad Wiggins, je confirme ma décision et accepte la décision de la piraterie. Je serais au Phare dans deux jours avec tous mes effets personnels ainsi qu'une cargaison de 140 bouteilles de rhums pirates que j'offre à la Flibuste et aux Frères de la Côte pour fêter ma venue. J'y attendrais la corvette pirate à l'extrémité de la presqu'île hollandaise.

Montalvès
"

Le fiacre de l'ancien ministre de deux colonies de Liberty quitta Port-Louis à quatre heure du matin pour rejoindre le sentier côtier menant au phare et vers une nouvelle vie...
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Posté le 04/06/2009 à 22:31:15. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:34:50 

12

La Ville sans nom

La Chute


Le Marquis était joué. Il apprit l'effroyable mensonge, là, au milieu des monts venteux et de l'ombre froide du phare. La mer déchaînée frappa contre les rochers de la côte, bourdonnant dans ses oreilles. Montalvès se tenait, debout, à côté de ses malles et coffres, le regard perdu au loin, crispant son poing sur une nouvelle lettre du capitaine des Frères de la Côte. Le Commodore Salas l'informait que les efforts du banquier avaient été vain et que nul navire ne viendrait pour lui. La Piraterie voulait de nouvelles épreuves, une nouvelle postulation, donnant le nom de "persévérance" à cette félonie.

Le cocher fut renvoyé, ses gages en poche et le carrosse comme indemnité de départ. Le fiacre s'éloigna laissant le marquis assit sur l'une de ses malles assemblées au pied du phare. Don Juan se sentit soudain assaillit par la fatigue, l'ambition de ces années maintenait sa volonté et alimentait sa force, désormais, si près du but, il trébuchait. D'un geste las, il ôta son tricorne et sa perruque, laissant ses cheveux noirs en bataille sur une visage grotesque, poudré et fardé.
Il inspira profondément, observant la nature autour de lui et le vaste horizon de l'océan, puis retourna la lettre des Pirates pour rédiger sa réponse au dos :

"Commodore Salas,

Je crois plutôt comprendre que les pirates me mènent en bourrique depuis déjà plusieurs mois. J'ai plus que fait mes preuves concernant ma collaboration avec le bandeau noir, j'ai même abandonné la compagnie commerciale que j'ai crée pour vous rejoindre, je vous offre même un présent et vous me dites que nous en sommes au point de départ ?!

Voyez-vous, commodore, je ne suis pas homme à confondre persévérance et obstination. Vous dites ne pas vouloir me retenir ? Ne me retenez point, j'ai coupé les ponts de mon passé et vous brûlez les bateaux de mon avenir, vous avez assez fait comme cela.

Si les pirates souhaitent se passer de moi dans leur équipage, il n'y avait pas meilleur moyen de s'y prendre. Considérez ma demande comme nulle et non avenue. Vous pouvez transmettre ma décision à vos frères, commodore.

Je ne vous salue pas,

don Juan de Montalvès"


Le marquis attacha la lettre à l'une des poignées de ses malles, puis se dirigea vers l'entrée du phare. L'imposante bâtisse se tenait silencieuse et solitaire sur son cap rocailleux. Il laissa sa canne au pommeau de diamant sur le mur du phare, puis pénétra dans le bâtiment. Le banquier ôta son précieux veston de velour tandis qu'il gravissait péniblement les marches et l'abandonna sur l'une des escaliers.

Montalvès jetait parfois un coup d'oeil par les petites fenêtres carrées qui ornaient les étages du phare pour admirer l'immensité de la mer et le vol élancé des mouettes au-dessus des vagues. Il se remémora les instants précieux de son court mais mouvementé séjour sur Liberty. Les aventures et les quêtes, les chasses et les courses-poursuites, les bals, les fêtes et les guerres. Ses souvenirs lui arrachèrent un sourire mélancolique alors qu'il arrivait au sommet du phare. Le banquier laissa son gilet de soie sur le sol froid puis escalada l'escalier rouillée qui menait au foyer.

Il contourna la loge du gardien qui alimentait le feu de bois en s'accrochant à la rambarde, le vent puissant soufflant sur son visage. Lentement, il se retourna pour faire face au grand vide, se tenant des deux mains, les talons sur le mince rebord de pierre.

Ne pouvant revenir en ville sans subir un cuisant ridicule, ayant perdu sa compagnie, suspecté par les gouvernements et traqué par des chasseurs de têtes, le marquis comprit que la roue avait tourné, que sa chute devenait inévitable.

Il ferma un instant les yeux pour sentir autour de lui cette immensité, ce gouffre aux odeurs si particulières du grand large. L'air marin, le parfum de la mer. Il sentait le froid du fer enserré dans ses paumes. Puis il ouvrit les yeux pour fixer avec attention la vertigineuse courbe du phare, il regardait comme il observait une précieuse marchandise, un bijou de valeur, en estimant le prix. Même sur sa fin, le marquis ne put s'empêcher de faire le commerçant. En contre-bas s'étendait le monticule accéré des roches taillées par l'écume et de l'autre côté tout Liberty embrassé en un seul regard. On pouvait deviner l'ombre épaisse de la jungle où le sommet du temple maya surgissait comme une île de pierre, les reflets de Port-Louis au milieu de sa plaine en fleur, le roc du Gouda et sa statue colossale brillant au soleil, puis plus loin, minuscle perle scintillant à l'horizon, suspendue entre terre et ciel, la cité d'Esperanza.
Montalvès resta là, immobile, à écouter le grondement du vent et de la mer, puis son visage se figea.

Un instant, une silhouette sombre se courba sur le rebord du phare. Depuis le pied du bâtiment, on eut pu deviner une figure noire, indistincte se pencher au sommet puis se redresser. Il y eut comme une perturbation dans l'air, un vent fendu, puis une ombre s'envolant le long des pierres du phare, qui disparue dans le tumulte des vagues et de l'écume.
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Posté le 07/06/2009 à 17:05:32. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:56:17 

13

Le Signe de Caïn - 1ère partie

Plongé dans une mer de brouillard, dense et opaque, la barque fendait les eaux des Caraïbes. Deux rames actionnées vigoureusement par une figure sombre et encapuchonnée dans une robe de bure monastique. La barque, soulevée par la houle côtière, gardait son cap, longeant les falaises de la presqu'île hollandaise.
Une petite lampe à huile, accrochée à l'avant de l'embarcation, éclairait faiblement la route empruntée par le moine qui ramait avec force.

Au travers de cette brume marine, on pouvait apercevoir, au loin, briller les lumières d'Ulungen, les feux des cantines du port et les hautes fenêtres des tours du guet. Mais la petite embarcation ne prit pas la route du port, au contraire, le moine ralentit son allure pour se diriger vers un embarcadère qui semblait appartenir à une propriété privée. Le petit quai émergeait au bord d'un grand parc boisé au milieu duquel s'élevait un manoir de taille modeste. Debout sur le ponton, une silhouette tenait une torche et faisait des signes au personnage encapuchonné qui orienta sa barque en sa direction.


Au milieu d'une nuit noire, la barque vint s'arrêter contre la bergue. La bruine montait jusqu'au jardin, laissant ses arbres nus allonger leurs ombres spectrales sur son voile. Le moine lança une corde au personnage debout sur le quai qui la réceptionna et amarra la chaloupe. Le moine remonta sa robe de bure, laissant apparaître de solides sandales de cuir grossier. D'un bond il se retrouva sur le rivage.

L'homme qui l'attendait avait un aspect stricte des bourgeois hollandais: grisonnant, l'aspect martial, le col cintré et des petites lunettes sur le bout du nez. Il salua bas le moine, le visage toujours enfoui dans sa capuche. Le religieux lui répondit d'un simple geste de la main tout en scrutant les alentours, déserts et silencieux.
Le secrétaire de la banque Montalvès & Co. lui tendit une petite malle de voyage ainsi qu'un exemplaire de la gazette "Morgen" de Ullungen.

- Comme convenu avec votre excellence, les fonds et bons au porteur ont été transféré dans votre compte offshore des Bahamas dès que nous avons appris votre...disparition. Comme vous pouvez le constater la nouvelle s'est vite répandue.

Jan Pieterzsoon ouvrit la gazette qui titrait :"La mort du tumultueux banquier Montalvès". Le moine saisit la brochure et la parcourrut rapidement émettant un petit ricanement quasiment inaudible, enfouit dans sa large capuche.

- Vous aviez raison, monsieur le marquis, la Confrérie n'en a pas fini avec vous...

Le moine ôta son capuchon pour laisser apparaître les traits de l'ancien ministre, naturels mais tendus, sans fard ni poudre, une simple paire de lunette sur le nez, la barbe naissante et les cheveux hirsutes.

- Les Pirates me testent encore. En me convoquant, ils savaient que je devrais me découvrir aux yeux des corsaires. Ils savent maintenant que je n'ai plus le choix que de subir et me jeter à corps perdu dans la Confrérie.

Le marquis sembla plongé dans sa réflexion quelque instants puis se retourna vers le Hollandais.

- Avez-vous prévu mes effets personnels pour mon voyage ?

Le secrétaire parut embarrassé.

- Monseigneur est bien certain de vouloir emprunter cette identité, cela est fort peu commode...néanmoins, nous avons fait au mieux pour répondre à vos demandes...

Il se tourna vers le jardin en indiquant un arbre auquel était attaché un âne portant une petite scelle sur le dos. Montalvès regarda l'animal avec curiosité et un certain dégoût mais sa volonté était claire et résolue. Il défit la malle et en vida le faible contenu dans un baluchon qu'il accrocha à la scelle de son bourricot. Il enfoui la gazette dans la doublure de sa tunique de grosse toile puis remit sa capuche sur la figure. Le moine grimpa sur sa monture qui rechigna bruyamment mais fut rapellé à l'autre par deux coups de sandales bien placés dans son flanc.
Le secrétaire détâcha l'âne puis tendit au moine une longue branche à l'extrêmité de laquelle pendait une botte de carottes.

- Cela peut toujours servir, n'est-ce pas ? Ces animaux ont la réputation d'avoir la tête dure !

- Pas que les ânes, monsieur Pieterzsoon, il paraît que les financiers aussi...


Le moine tendit la canne devant lui et l'âne se fit de suite à la poursuite des carottes, gagnant peu à peu de la vitesse, trimballant son cavalier à la façon d'un sac à patates. Le Hollandais marcha rapidement à ses côtés, haussant la voix pour couvrir le bruit des sabots.

- Où pourra-t-on vous joindre, monseigneur ?!

- Ne m'écrivez point, je vous contacterais si j'ai besoin de liquidités. En cas d'urgence uniquement, vous pourrez m'écrire au monastère St-James à l'attention de Frère Célestin !

Le moine franciscain s'éloigna sur le dos de son âne, trottinant vers la sortie du parc brumeux et s'engagea sur un sentier défoncé et sineux en direction d'Ulungen.



 
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Posté le 16/06/2009 à 08:29:57 

14

Le Signe de Caïn - 2nde partie

Trois jours plus tôt...

Montalvès se tenait sur le promontoire du phare et semblait attendre, immobile au-dessus du vide. Il commença à frapper de son soulier en signe d'impatience quand soudain des cris presque inaudibles à cause de la force du vent lui parvinrent. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres. Des silhouettes s'agitaient et le pointaient du doigt depuis le pied du phare. Le groupe devint plus nombreux à mesure que l'on vociférait et tentaient de le raisonner.
Lentement, le marquis se déplaça sur la corniche afin de disparaître aux yeux de ces témoins affolés. Il ôta sa chemise de soie tandis que lui parvenaient les rumeurs d'affolement dans les étages du phare - des corsaires accourraient pour sauver le malheur suicidaire. Déjà d'autres curieux escaladaient les rochers en contre-bas pour tâcher de l'apercevoir, le temps était compté...

Sans hésitation, le marquis suivit les étapes de son plan, il jeta sa chemise couverte de dentelles et de cravate de soie dans le vide. Les pans de la chemise frappèrent dans le vent, fendant les airs dans sa chute. Des cris effrayés accompagnèrent sa course qui finit dans le tumulte des vagues et des rochers. Des pleurs d'épouvante s'élèvèrent aussitôt et chacun convergeaient vers les lieux du drame pour tenter de récupérer le corps, sans espoir.

Montalvès, profitant de la confusion, souleva un vasistas du phare, donnant sur la salle du foyer et se glissa à l'intérieur. A quatre pattes, il se précipita dans un coin, observant les ombres des corsaires courrant vers le promontoire, défiler sous la porte du local. A moitié nu, l'ancien ministre attendit patiemment que les clameurs des corsaires s'éloignent pour entre-ouvrir la porte et s'engager dans l'étroit couloir de l'étage pour tenter de gagner la loge du concierge. Mais au moment d'atteindre son sésame, un nouveau groupe de corsaires parut dans les escaliers exprimant à haute voix leur intention de prévenir le concierge du drame qui venait de se dérouler dans son phare.

Le Marquis dût réagir promptement et se jeta sur une porte adjacente qu'il ouvrit et referma sur lui à la vitesse d'un éclair. Sans bouger, il se tint contre la porte tandis que l'on frappait à celle du concierge.
Tous ses sens étaient en l'alerte, tendant l'oreille aux discussions qui se tenaient au-dehors, le coeur palpitant.
Mais bientôt il sentit un regard sur lui et une présence dans la pièce inconnue. Lentement, le marquis se retourna pour apercevoir que sa sensation était exacte : un vieli homme se tenait debout derrière un étrange grimoire. Le vieillard portait une longue tunique grise sur laquelle tombait ses longs cheveux blancs et sa barbe grisonnante. Une petite musique mystérieuse s'éleva quand le marquis s'approcha de l'étrange personnage.

- Salut à toi, noble étranger...je te souhaite chance et perspicacité car, de toi, dépend la victoire de tes valeureux camarades.

Le Marquis resta interdit devant cette curieuse introduction, il regarda silencieux le vieil homme tourner un sablier alors que d'une autre main, il tendait une clé par la fenêtre du phare.

- Attention, si tu ne trouve pas la solution de l'énigme, je laisse tomber la clé dans la mer...
- Non mais, vous ne comprenez pas, je n'ai que faire de votre clé.
- Ecoute bien étranger: je suis la marque divine de l'infâmie, Ayant fait couler le sang de ma famille.
- Je n'ai vraiment pas le temps maintenant...
- Guidé par la jalousie fraternelle, A jamais sous le regard de l'Eternel.


Montalvès s'aprêtait à repartir, laissant ce fou à ses énigmes, quand une idée germa dans son esprit. D'un geste, il saisit le sablier et l'éclata sur la tête du vieillard qui lâcha la clé par la fenêtre avant de s'évanouir. On pu entendre des râles de déception tandis qu'une voix féminine demandait lequel des participants iraient rechercher la clé dans la mer...

Le Marquis ne perdit pas de temps, ôta la robe de burre du vieil homme avant de l'enfermer, inconscient, dans un placard. Il se revêtit rapidement de cette tunique de religieux, rabattit la capuche sur son visage et se faufila dans les couloirs de l'étage du phare.

Dans les escaliers, le moine croisa les corsaires qui accourraient, commentant la tragédie qui venait de se dérouler. Certains demandaient qui était le disparu ou si l'on avait trouvé le cadavre ? Montalvès baissa la tête, croisa ses bras dans les vastes manches de la robe de burre, descandant les marches à petits pas rapides.

Certains Hollandais l'interpellaient afin de lui demander des informations, mais le moine leur répondait d'un signe de croix et on le laissait passer imaginant que le pauvre frère moine se précipitait pour donner les derniers sacrements au suicidé.

En arrivant au pied du phare, Montalvès s'aperçut que les gardes fouillaient déjà ses affaires abandonnées et qui découvraient, avec l'horreur, l'identité du malheureux qui s'était jeté de le vide.
Sans perdre plus de temps, le moine dévala un faible pente vers la plage où il rejoint des pêcheurs qui démêlaient leurs filets, une barque montée, à sec, sur la plage. Après avoir échangé quelques mots et une poignée de piècettes, les pêcheurs embarquaient le moine sur leur chaloupe et prirent la direction du large laissant derrière eux le phare et l'émoi qui avait gagné ses occupants.
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Posté le 14/07/2009 à 03:25:00. Dernière édition le 04/02/2022 à 20:58:53 

15

Le Roi de l'artichaut

Savez vous planter les choux ?
A la mode, à la mode
savez vous planter les choux
à la mode de chez nous ?
On les plante avec la main
à la mode, à la mode,
on les plante avec la main
à la mode de chez nous
On les plante avec le nez...


Un groupe de gros moines hilares, plantés les uns à côté des autres, frappent dans leurs mains en chantant la comptine pour enfants. De larges sourires niais traversant leur figure rouge, les yeux voilés par le vin de messe, les pomettes pourpres, ils chantent en scandant les paroles de coups de sandales au sol.

à la mode, à la mode,
on les plante avec le nez
à la mode de chez nous

on les plante avec le coude...

Regroupés au bord d'un jardinet, ils ne cessent de faire dérailler leur chanson tout en encourageant l'un des frères moines bêchant, en rythme, les sillons des légumes et des choux alignés dans le champ. Sous sa capuche, le frère Célestin, plié en deux sur son outil, leur jette des regards de haines, les maudissant d'un simple coup d'oeil.

- Frère Célestin, c'est le roi de l'artichaut ! *lance l'un des moines avant d'engloutir un demi-litre de vin rouge directement au goulot*.
- Oui, on s'amuse bien avec Célestin ! *ajouta un autre* Avant on tournait autour du monastère en chantant "Un kilomètre à pied ça use, ça use" pour savoir combien de fois on pouvait tourner avant le souper ! Ca change !
- Qu'est-ce qu'il y a après le coude ?
- Le g'nou !
*répondit un autre moine*
- Non le pied !
- Je croyais que c'était la qu...
- LA PAIX !!!!! *
se releva Célestin hors de lui*
- Ah non, c'est pas une partie du corps ça *
s'exclama un moine avant de s'évanouir ivre mort*
- La paix, fichez-le camp ! Laissez-moi tranquille, il faut que je finisse de planter ces choux sinon le Père Henry nous pourra pas les vendre dans une semaine au marché d'Ulungen ! Et étant donné que c'est la seule ressource que nous ayons pour vivre...
- Non, c'est pas vrai *souleva un moine titubant* on a aussi la soupe aux choux !
- Et la quiche aux choux ! *ajouta fièrement un deuxième*
- Et la Choux-croute !  *renchérit le moine évanouit qui se souleva dans un dernier et vain effort*

Frère Célestin resta un instant à les regarder d'un air de profond désespoir avant de leur envoyer son rateau dans la figure, puis s'en alla vers le monastère d'un pas décidé, faisant frapper ses sandales de cuir sur le chemin pavé.

Alors qu'il pénétrait dans le cloître, il fut arrêté par la voix du Père Henry, prieur du Monastère Saint-James. Célestin s'immobilisa et regarda le prélat lui faire des signes depuis la galerie opposée.

- Frère Célestin, Frère Célestin, attendez-moi, j'arrive, il y a une lettre pour vous !

Célestin eut un profond soupir, baissant la tête, puis s'adossa à l'une des colonnes de granit soutenant la galerie. Il commença à fredonner tandis qu'il observait la pénible progression du Père Henry, obligé de faire de petits pas saccadés, corseté dans son habit ceintré.

- J'arrive, Frère Célestin, j'arrive !

Finalement le prieur arriva à lui en lui tendant une lettre au cachet noir. Frère Célestin en reconnut l'origine, l'arracha pratiquement des mains du Père Henry et l'enfouie dans un pan de sa large robe de burre.

- Elle est arrivée aujourd'hui, mon fils. Je n'ai pas voulu vous la donner avant, je vous savais fort occupé aux champs ! D'ailleurs à ce propos, j'aurais besoin que vous alliez vendre quelques choux à la prochaine foire de New Kingston...Oh je sais que vous n'aimez pas ça, vous avez fait voeu de chasteté et de pauvreté, mais vous semblez doué pour les questions d'économat...vos idées de Mont-de-pièté et de vente d'indulgences sont fort intéressantes bien que nous n'ayons pas les moyens...vous avez dû être banquier dans une autre vie ! Ah ah !

Célestin rit jaune mais n'en donna point l'impression, se contentant d'atttendre que les rires mutuels meurent dans un pathétique decrescendo. Le Père Henry laissa bientôt Célestin qui s'empressa d'ouvrir la lettre. Comme attendu, il s'agissait d'une lettre du Commodore Salas.

Il la parcourrut rapidement et se rendit bientôt compte qu'il s'agissait d'une commande pour le moins inhabituelle : des bandeaux de diverses nationalités. Les pirates préparaient un mauvais coup mais pourquoi lui faire ce genre de commande si aisée ? Célestin haussa les épaules en rangeant sa lettre.

Le lendemain, il accepta la commission du Père Henry et ce fut sur un mulet chargé de paniers de choux que le Frère Célestin se mit en route pour les capitales coloniales. A près une demie-journée de route, il bifurqua du sentier côtier pour se diriger vers le manoir des planteurs. Sans attirer l'attention, il tira une clé de sa large poche et ouvrit une petite porte dérobée menant au cellier.
Célestin tira des chiffons cachant de lourdes caisses sonnantes de la douce mélodie de bouteilles de grande cuvée. A l'aide d'un pied-de-biche, il fit sauter un couvercle et admira le scintillement de ce rhum de contrebande si chèrement obtenu. Il remonta quelques caisses qu'il chargea sur un âne appartenant à un voyageur hollandais de passage au manoir et prit la poudre d'escampette avec ses deux bêtes.

Dans les paniers de choux, cachés par une trappe aménagée se trouvaient ses armes de voyage, sa pourfendeuse, sa plate maya, son prototype et tout l'équipement nécessaire à son expédition.
Profitant de vendre son rhum sous le manteau, Frère Célestin partagea ses journées entre des quêtes devant les églises, un peu de mendicité en jonglant avec des choux (ce qui impressiona grandement les Espagnols) et prêchant, à l'occasion, la fin du monde, se qui rapportait quelques bijoux que des bourgeois lui offraient en échange de leur salut.

Deux semaine s'écoulèrent bientôt quand le Frère Célestin fit une halte à la fameuse crique pirate afin d'y faire quelques affaires pas très catholiques. Les habituels poivrots du coin s'étaient déjà emparés du zinc tandis que des poules bon marché et édenttées alléchaient le chaland. Au fond du bar, un piano désaccordé comblait les rares silences entre les cris, les rires, les chansons improvisées et les rixes pour passer le temps. Célestin s'accouda au bar et fit signe de la tête à Ralex qui semblait négocier deux-trois arnaques dans son coin.

Mais bientôt, un homme à la cheveulure grisonante et foisonante s'approcha du moine franciscain et l'observa de son regard fou. Célestin leva un sourcil montalvesque sur l'impromtu tandis que l'autre gesticulait devant lui ne le lâchant pas d'un cil.

- Je suis le Professeur Maboulus Foldingus ! *s'introduisit le curieux bonhomme et lui jetant un regard perçant, semblant reconnaître son vis-à-vis*
- Enchanté, je suis le Frèr...

Avant que Célestin n'eut terminé sa présentation, le Professeur deroula une pendule devant ses yeux et la fit lentement se balancer.

- Vous suivez le pendule, vos paupières sont lourdes, vous obéissez au son de ma voix...

Célestin suivit l'oscillement de la pendule, ouvrant une bouchée béate, le regard volé, ses yeux accompagnant bientôt la trajectoire de cet hypnotique monotonie.

- A trois, vous ferez ce que je vous dis...vous allez me donner votre cargaison de rhum...à trois...un...vous allez partir d'une démarche tranquille vers votre âne...deux...vous sortez les bouteilles de leur cachette...trois...vous me les donner gratuitement...

- QUOI ?! GRATUITEMENT ! *s'exclama Célestin comme sortie d'un rêve* Mais vous vous prenez pour qui avec vos salamalèques ? Un chevalier JEDI ?! Gratuitement ?! Je ne sais pas d'où vous venez mais avec un commerçant comme moi, sachez qu'il n'y a que l'argent qui compte, les piècettes d'or, le blé, le pez, le fric, la galette, le pognon, le flouze, bref, professeur Frappadingo, allongez la monnaie si vous voulez goûter à ce rhum-là !

Frère Célestin rembarqua ses effets sous les yeux médusés des habitués qui se demandèrent qui était ce moine si tendu.

- Il vend des choux...*s'exclama un des poivrots d'un air entendu*
- Ah d'accord...*acquiéssèrent en choeur ses camarades de beuverie*
don Juan de Montalvès
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Posté le 21/07/2009 à 00:26:51 

16

Forte tête

Frère Célestin revint ainsi bredouille de son tour de l'île, sans nouvelle des Frères de la Côte mais chargé de bandeaux de toutes nations. Cheminant sur le dos de son âne, il pénétra sur un sentier traversant un petit bois au sud du lac français. Le soleil, perçant au travers des branchages, jouait avec les ombres et les lumières, animant la route déserte.

Le moine franciscain étant perdu dans ses pensées, tâchant de deviner se qui avait bien pu advenir des pirates, ne s'aperçut pas que le sentier allait déboucher sur la clairière proche de la Corniche et du Direito no muro. Il y avait là de l'activité, une sorte de bivouac aménagé entre les buissons. Des filles de joie, plus habituées aux salons des bordels de Port-Louis qu'aux rigueurs d'un campement de fortune, sembalient avoir trouvé refuge dans cet endroit insolite. Leurs habits flamboyants tranchant avec la sobre nature des environs. Le moine fut tiré de ses rêveries solitaires par les voix de ces jouvencelles causant à haute voix d'une certaine Dame Blanche.

Célestin - fort aguerrit par ses deux années d'aventures sur Liberty - flaira l'affaire d'importance. Il se rapprocha donc, l'air de rien, écoutant avec attention les bavadages de ces demoiselles. Le moine comprit vite que l'équipage du Sournois avait cédé temporairement la place à un certain Capitaine Bwade-Bein et à ses projets...qui ne furent pas pour déplaire à Célestin. Enlever et revendre des esclaves blanches aux Turcs, cela était piquant et judicieux.
Tendant l'oreille, Célestin s'en fut de surprises en surprises: l'équipage de la Dame Blanche conduit par un vieillard et une maquerelle italienne avait commencé sa razzia sur les jeunes filles offrant des valeurs sûres...dans ce commerce lucratif.

Remontant sur sa mule, le moine franciscain reprit la route mais il n'eut guère le temps d'aller bien loin avant de remarquer une silhouette noire se mouvant dans les bosquets à proximité du campement. Un être étrange, filiforme, vêtu d'un costume noir et portant une sorte de masque bleuâtre sur la figure. A son regard lubrique pointé sur les Françaises et à la bave perlant aux commissures de ses lèvres, Célestin comprit qu'il s'agissait-là d'un des sbires de la Dame Blanche. Il descendit de son âne et s'approcha à pas de loup du curieux spécimen. Il sortit une bouteille de rhum de sa besace et attira l'attention de Joey l'Astic.

"Frère Célestin, ermite du Monastère *le moine t appelle en te faisant de grands signes* hey toi, la tête d ampoule vient par ici !" à Joey "l Astic"


Tu donnes 1 Rhum de la confrérie - A emporter à Joey "l Astic"

"Frère Célestin, ermite du Monastère *t offre une bouteille de rhum* Viens par ici, il faut qu on cause de cette cargaison...très spéciale" à Joey "l Astic"

"Frère Célestin, ermite du Monastère Dites-moi où je pourrais trouver la signora Guiseppa..." à Joey "l Astic"

Le pirate parut surpris de la présence du moine et sans doute encore plus de sa question. Il s'approcha du Frère Célestin et piocha directement d'autres bouteilles de rhums dans la besace du franciscain, preuve s'il en fallait encore de sa condition de boucanier...

Joey "l Astic" "La signora se repose sans doute dans ses quartiers, dans le repaire de la confrérie pirate, contactez-là si vous voulez organiser un rendez-vous".
Joey "l Astic" "cependant, je ne sais si elle voudra traiter avec vous...".

Sans un mot de plus, le pirate s'éclipsa laissant le moine à sa réflexion. L'affaire se corsait. Clairement ce nouvel équipage n'était pas aussi compréhensif que le précédent...

***

De retour au monastère St-James, le Frère Célestin retrouva sa cellulle...et ses cultures de choux. Dans la cour intérieure, il rejoignit les moines qui profitaient de la fête mexicaine mensuelle organisée par le Père Henry. Le Frère Gorenflot, bedonnant franciscain aux allures de chérubin, avait les yeux bandés et frappaient dans le vide à l'aide de son bâton, tâchant d'atteindre la piñata aux couleurs vives,que ses frères tenaient suspendu à un filin. Le Père Henry, vêtu d'un poncho et d'un sombrero à pompons rouges accueillit Célestin à bras ouverts tandis que des frères s'éffondraient dans le bol à sangria.

- Ah Frère Célestin ! J'espère que votre voyage s'est bien passé ?! Il s'est passé tant de choses ici ! Figurez-vous que le Frère Yacinthe s'est retrouvé coincé, tête en bas, dans le puit ! Nous en avons rit toute la semaine !

- Quel dommage d'avoir raté cela...Y a-t-il une lettre pour moi ?

- Oui, Frère Célestin, encore une lettre au cachet noir. Je l'ai laissé sur votre table de chevet.


Célestin se hâta d'ouvrir la lettre mais il remarqua immédiatement une différence troublante: il ne s'agissait pas de l'écriture du Commodore Salas mais une autre plus pénible et laborieuse sur le papier. L'écriture d'une main ferme mais fatiguant rapidement. En un instant, Montalvès comprit de quoi il s'agissait et la suite de la lettre lui confirma son sentiment : les pirates de Bwade-Bein ne souhaitaient pas l'avoir dans les pattes:

"Salut mon gars !

Alors, parait que c'est toi le termite du monastère ?

Fan de bois ?
Faut dire que le bois, c'est merveilleux, comme dirait l'autre..

Bon, je t'écris aujourd'hui parce qu'il parait que tu voulais rejoindre la bande de bras cassés qui se taule à longueur de journée sur la Dame Blanche avec le capitaine Bwade...

Ben c'est bien.. Mais là, ils sont "indisponibles".. Et du coup, c'est le plus vieux de l'équipage qui prend les rennes...

Tu devineras pas qui c'est ?.. Ha ha !

Ben, moi du coup, faut que je prenne une décision...
Parait que le Commodore il aime bien trainer et voir ce qu'il se passe, mais vu que c'est moi le chef maintenant, et que j'aime pas quand ça chipote, on va régler ça vite fait :

Donc voilà : désolé mon gars, mais le seul bandeau noir que t'auras, c'est un français crasseux.
Nous, on peut pas t'en refiler un...

Faut dire, c'est que la contrebande de tissu, ça ne met pas du pain sur le table...
Enfin, je dis ça, au niveau contrebande, tu t'y connais mieux que moi..

Je dis pas que t'es pas intéressant, mais bon...
Pour moi, il te manque une paire de miches qui ressort de la soutane et un gros arrière train bien gras...

Allez.. je vais arrêter de torturer le parchemin, là...
L'écriture, c'est pas mon fort...

A la prochaine, Termite !"


Montalvès commença à trembler de rage, le rouge lui monta aux joues et une poigne écrasa la lettre entre ses doigts. Sans perdre un instant, il se mit à son pupitre et rédigea sa réponse à l'Ancêtre afin de lui faire comprendre que la partie n'était pas terminée et que l'on ne congédiait par le marquis de Montalvès comme un vulgaire laquais !

"Ah vieux débris !
Alors comme ça tu ne me veux pas à bord de ton rafiot, tu vas voir de quel bois je me chauffe ! Et mes bandeaux de toutes les couleurs, je vais te les faire bouffer un par un...

Saches que je vais monter, d'une façon ou d'une autre sur ce navire que l'on rebaptisera l'Eunuque Blanc en ton honneur ! Ah ah !

Tu crois que Juan de Montalvès se laisse si aisément congédié par une vieille planche pourrie comme toi ?! Je vais t'envoyer à l'hospice pépé avant que tu t'en sois rendu compte et tu pourras lire mes exploits futurs, naviguant sous le pavillon noir, foi de Montalvès !

Trembles pas trop, le fossile, j'aimerais pas que tu abimes ton dentier...

Montalvès"

Au moment précis où Montalvès, alias Frère Célestin, finissait sa lettre, la fugure jovial du Père Henry apparut dans l'entrebaîllement de la porte.

- Frère Célestin, j'ai entendu du bruit, tu vas bien ici ?!

Le moine se leva de sa chaise et rabaissa sa capuche en dévisageant le prélat du monastère.

- Je ne suis pas le Frère Célestin...

- Comment ça vous n'êtes pas Célestin ? Mais si vous être le gentil frère Célestin, prépossé à la production de soupe aux choux !

Célestin ouvrit un tiroir et sortit une petite boite à tabac et en tira une mouche qu'il apposa sur le coin de sa pommette droite. Soudain le visage du Père Henry changea en une expression de stupeur et de terreur.

- Juan de Montalvès ! *s'écria le prieur* Comment avez-vous pu nous berner à ce point ?!

- Tout comme l'équipage de la Dame Blanche, vous me sous-estimez mais vous allez bientôt vous rendre compte que vous n'êtes rien car je suis le méchant !

A cet instant des moines à la mine patibulaire firent irruption dans la cellulle par la petite fenêtre, en surgissant hors du placard et apparaissant sous le lit, se regroupant, les bras croisés, derrière Montalvès. Les uns posant un genoux à terre, d'autre se tenant debout, le menton levé en signe de défi au Père Henry.

- Mais mon fils, je ne comprend pas...

Montalvès leva son bras d'un coup et claqua des doigts faisant démarrer la musique qui envahit le cloître. Dansant en rythme avec Montalvès, les moines se déhanchaient, balançant leur jambe,  roulant des épaules et tournant sur eux-même en poussant des petits cris très menaçants.
Le marquis eut un sourire mauvais en chantant :

- Your Butt Is Mine
Gonna Take You Right
Just Show Your Face
In Broad Daylight

Célestin s'approcha en se déhanchant et claquant des doigts tandis que des moniales bondissent dans les couloirs en balançant leurs robes de nonnes au rythme de leur postérieurs endiablés...

- I'm Telling You
On How I Feel
Gonna Hurt Your Mind
Don't Shoot To Kill
Come On, Come On,
Lay It On Me All Right...

Le moine saisit le père Henry par le col en le poussant contre la porte de la cellulle, lui parlant face à face, lui arrachant le trousseau de clés ouvrant les coffres du monastères.

I'm Giving You
On Count Of Three
To Show Your Stuff
Or Let It Be . . .
I'm Telling You
Just Watch Your Mouth
I Know Your Game
What You're About

Célestin jeta le pauvre prieur au sol, et courant un crucifix à la main dont il frappa contre les barreaux des cellulles, le moine déboucha sur les jardins intérieurs bordés des galeries de granit. Aussitôt sa troupe de religieux chahutèrent en dansant tandis qu'une nuée de petits chanteurs à la croix de bois, dans leurs habits de communiants, bondirent hors des cellulles, faisant des signes obscènes et formant le choeur.

Well They Say The Sky's The Limit
And To Me That's Really True
But My Friend You Have seen Nothing
Just Wait 'Til I Get Through . . .

Because I'm Bad, I'm Bad-
Come On
- Really, Really Bad ! *s'éclamèrent les enfants de choeur*

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It
- Really, Really Bad ! *s'éclamèrent les soeurs à moitié dévêtues*

You Know I'm Bad, I'm Bad-
Come On, You Know

- Really, Really Bad *reprit le moine Gorenflot faisant des pas de tangos avec la piñata*

And The Whole World Has To
Answer Right Now
Just To Tell You Once Again,
Who's Bad . . .


Un moine sortit une miniature de la Dame Blanche et du Capitaine Bwade-Bein. Célestin prit la miniature et s'adressa directement à elle.

We Can Change The World
Tomorrow
This Could Be An Awful Place
If You Don't Like What I'm
Sayin'
Then Won't You Slap My
Face . . .

Célestin jeta la miniature contre l'un des piliers de la galerie et entraîna sa bande dans une danse effraynée en direction de la chapelle...tandis qu'un vent violent faisait s'envoler la robe de bure de Célestin dont les pans frappaient dans l'air.

Because I'm Bad, I'm Bad-
Come On
- Really, Really Bad

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It
- Really, Really Bad

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It, You Know
- Really, Really Bad


And The Whole World Has To
Answer Right Now
Just To Tell You Once Again,
Who's Bad . . .


Célestin prit une pose, levant son bras droit en l'air et en poussant un cri de guerre. Les portes de la chapelle furent ouvertes laissant entrer une abondante lumière sur le travail des artistes et des peintres qui réalisaient les fresques et tableaux muraux figurant la descente de la Croix. Les artistes se retournèrent, terrorisés par l'arrivée de ces vandales encapuchonnés et vêtus comme des moines.

Célestin s'approcha du tableau, saisit un gros pinçeau plongé dans de la peinture noire et écrit en lettres capitales un "BAD" recouvrant les principaux personnages.

Because I'm Bad, I'm Bad-
Come On
- Really, Really Bad

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It
- Really, Really Bad

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It, You Know
- Really, Really Bad


And The Whole World Has To
Answer Right Now
Just To Tell You Once Again...

Les hordes de moines déchaînés chassèrent les peintres et ses saissirent de leurs instruments pour profaner les statutes des saints et autres anges, vierges et chérubins, leurs peignant des bandeaux noirs sur la tête, des dents carriées, des jambes de bois, des caches-oeils, des boucles d'oreilles...

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It
- Really, Really Bad

You Know I'm Bad, I'm Bad-
You Know It, You Know
- Really, Really Bad


And The Whole World Has To
Answer Right Now
Just To Tell You Once Again,


Who's Bad !

Montalvès se tenait devant la salle des coffres du Monastère, jouant avec le trousseau de clés sous les rires moqueurs de ses sbires.

Quelques instants plus tard, un fiacre sans blasons ni fioritures quitta le Monastère St-James laissant les religieux attachés en sous-vêtements et baîllonés dans une des caves désormais vide de ses trésors et liqueurs.

(hrp: crédits : BAD, Michael Jackson (1987), album BAD. RIP l'artiste !)
don Juan de Montalvès
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Posté le 23/07/2009 à 06:01:34. Dernière édition le 04/02/2022 à 21:02:58 

17

La Dame aux oiseaux

- Every night in my dreams
I see you, I feel you,
That is how I know you go on

Far across the distance
And spaces between us
You have come to sho
...

- Madame la Marquise...veuillez m'excuser...mais tout le monde à débarquer...il vous faut descendre du navire...

Doña Carolina, Marquise de Montalvès fut sortie de sa stupeur, les bras écartés, debout sur la pointe du pont, regardant l'immensité de la mer et chantant les paroles d'une sorte de mélodie pour naufragés...

La Marquise réajusta son démesurément large chapeau crème orné d'un gigantesque noeud de ruban violet et bleu. Le visage légèrement poudré, les joues rosées et portant de brillantes boucles-d'oreille de diamants et une rivière de saphirs autour du cou, descendant sur sa robe émeraude. Elle saisit ses gants de soie dans une main et tendit l'autre à un laquais qui se précipita pour l'aider à descendre sur le quai. L'on posa sur ses épaules un courte manteau bordé de fourrure rousse puis ce fut un cortège de porteurs de bagages, de grooms, de laquais perruqués et poudrés, de petits mamelouks enturbanés promenant les caniches de la marquise qui s'avança vers le carrosse de l'aristocrate.
Au moment de monter dans son fiacre, la Marquise se figea sur place, ouvrit de grands yeux et forma ses lèvres rouges en un O muet et se retourna sur sa suite multiple et colorée.

- Mais où sont mes petits mignons, mes petits chéris ?!


Aussitôt le majordome bondit hors du cortège et claqua des doigts, faisant apparaître trois serviteurs portant des cages dorées recouvertes d'une pièce de satin. On les retira et des dizaines de petits oiseaux de toutes les couleurs apparurent, sautillant, piaillant, s'ébrouant dans leurs points d'eau ou chantant en s'accrochant aux barreaux. Toute une faune bruyante et agitée, multicolore et musicale.
La Marquise s'approcha de ses oiseaux et leur lança des baisers, les imitant, les saluant de l'index en les appelant par leurs noms:

- Bonjour Sir Holmes, as-tu trouvé qui avait volé la paille de la señorita Flora...ah ah, oui évidemment *elle jeta un regard complice à un petit oiseau qui virvoletait de congénères en congénères, semblant les gratter de son aile* y a toujours du Vardek Crom la dessous... Et toi Noudwi, tu ne donne pas la patte ce matin ?! *riant en apercevant un oiseau bombant sa gorge de plumes rouges en passant devant des femelles* Ah dom Pedro Rodriguo, le coq en sa basse-cour !

*Puis sentant une agitation apeurée se faire dans la cage, elle vit débarquer trois oiseaux noirs, marchant côte-à-côte, les ailes écartées et frémissantes, roulant du croupion en rythme et jetant des regards de tueurs aux autres oiseaux semblant dire "Quand on arrive en ville..."*

Lady Ching, Madre Anna et la Providence, toujours à jouer les caïds, de belles petites garces mais avec un bon fond !

La marquise de Montalvès remit le morçeau de satin sur les cages puis les fit embarquer dans son carrosse.
Port-Louis brillait de ses splendeurs, de ses façades colorées et des places bruyantes et tumulteuses. Certains badauds furent intrigués de voir passer un carrosse à l'allure familière dans les rues pavées de la cité, ces laquais en livrées debout derrière le fiacre, ce train flamboyant de six chevaux portant des panaches blancs sur la tête...chacun échangeant des regards intrigués.

Le carrosse déboucha sur la grand place de Port-Louis et devant lui s'éleva l'imposante bâtisse de l'hôtel particulier du banquier don Juan de Montalvès. La Marquise tira l'un des rideaux du carrosse et jeta un oeil à la dérobée sur les jardins et les grandes fenêtres de l'élégante demeure. Un sourire énigmatique se fit sur ses lèvres passées au rouge avant de se retourner vers Jan Pieterzsoon qui l'accompagnait assit en vis-à-vis.

Elle ouvrit son éventail et se rafraîchit en lui jetant des regards profonds et lui faisant des clins d'oeil avant de reprendre une posture tout-à-fait masculin et reprenant sa voix naturelle, trahissant sa vraie nature et son véritable genre. Ce fut un don Juan de Montalvès, travestie et grimé qui s'exprima le temps de cette entrevue privée.

- Je devine à votre regard embarrassé que cette comédie vous met mal à l'aise. Pourtant elle est nécessaire. Ma "retraite" au monastère m'a permis de me faire oublier des gouvernants trop zélés mais ne me permettait guère d'agir avec l'ensemble de mes moyens...Mes ennemis me croyant disparu, ils auront relâchés leur garde. L'apparition de la soeur héritière de ma fortune finira de les désarçonner mais me permettra surtout de repérer les convoitises et les âmes corruptibles afin de mettre mon plan à exécution.

- Mais Madame...monsieur...msieur-dame...enfin était-il nécessaire de passer par ce nouveau déguisement ? Pourquoi ne pas agir au grand jour désormais ?

- Il est trop tôt encore...et de nouveaux corsaires ont débarqué, de nouveaux pirates aussi qu'il me faut conquérir et corrompre. Et l'on pense pouvoir profiter toujours plus aisément d'une femme riche et à marier, et l'on estime - fatalement hélas - qu'une marquise est moins dangereuse mais c'est pour mieux dissimuler ses griffes.

- Que pensez-vous faire une fois que vous aurez récupérer vos 200'000 piècettes et toute votre bijouterie ?

- Et bien...je vais me trouver un mari !
*répondit sarcatisquement Montalvès* Mais surtout il me faut mettre la main sur une certaine maquerelle italienne...

Le carrosse s'arrêta devant les grilles de l'hôtel où l'attendait une haie de laquais, de femmes de chambres en uniformes, de cuisiniers et autres jardiniers, prêts à accueillir la nouvelle maîtresse des lieux. On ouvrit la porte du fiacre et la marquise de Montalvès leva son regard, entrecoupé par son gigantesque chapeau porté en oblique, sur sa domesticité tandis que deux serviteurs en livrées lui offraient leurs bras pour la soutenir en descendant les marches. Montalvès s'avança parmi cette haie et parut satisfaite en foulant, pour la première fois depuis des semaines, la pelouse parfaitement entretenue de ses jardins, elle passa la belle allée de gravier blanc bordée de sculptures afin de pénétrer dans les salons de l'hôtel. Là doña Beatriz prit place sur l'un des fauteuils bleus et contempla son si cher domaine. Pour l'heure les premiers pas de sa reconquête étaient réussis mais la plus dure partie restait à venir...
don Juan de Montalvès
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Posté le 08/08/2009 à 19:36:08. Dernière édition le 04/02/2022 à 21:04:27 

18

Pas de cadavre au Mexique

- Il était la lumière...

C'est par ces mots que le curé de l'église d'Esperanza commença la messe des défunts dédiée à don Juan de Montalvès. Derrière un cercueil ouvert et vide - le corps du marquis n'ayant pas été retrouvé au phare Amineux - doña Carolina se tenait debout, en habits noirs, un voile sombre tombant sur son visage, sanglotant et pris de spasmes, mais dissimulant derrière son costume d'obsèque un sourire malicieux de moquerie.

- ...la lumière éclairant nos vies comme une étoile conduit le chemin des égarés dans le désert. *le curé regarda à la dérobée vers un landsquenet dissimulé derrière un pilier qui pointait son tromblon dans sa direction*.
Sage en toute chose, don Juan a su montrer son attachement à sa patrie, à ses amis et à sa foi ! Par cinq fois élu Ministre du commerce de l'Espagne, il a rendu au centuple cet amour et cet engagement que lui ont manifesté les habitants d'Esperanza...

Certaines personnes toussèrent dans l'église en écoutant le curé mais elles furent remises à l'autre par leurs voisins leur indiquant la bourse de piècettes d'or que chacun avait reçu pour être présents aux obsèques du défunt marquis.

- Victime des machinations et des noirs desseins des nationalistes espagnols, il s'est sacrifié, comme Christ sur la Croix, portant le fardeau de l'exil à travers Liberty.

La marquise poussa un sanglot déchirant, semblant chaceller par l'émotion, tira un mouchoir de son sac qui disparu sous son voile, puis elle le serra dans son poing presque levé comme une menace ou une malédiction à ceux qui ont fait tant de mal à son frère.

- Mécène des arts, ami des Compagnons des Pauvres, généreux donateur des oeuvres caritatives de l'île, don Juan de Montalvès a su montrer que la fortune que Dieu lui avait permit de constituer, ne lui faisait jamais oublier le destin de la grande majorité des corsaires de Liberty, vautrés dans leur médiocrité...*le curé s'arrêta de lire son texte mais fut bientôt foudroyé par un regard de la marquise qui le rappela à l'ordre*...et de leur pauvreté, fille de leur oisiveté et paresse congénitales. Puisse don Juan de Montalvès, marquis del Basto, reposer à la droite du Seigneur...chantons !

La cérémonie prit fin après la messe, un cortège en uniformes porta le cercueil du marquis recouvert des drapeaux espagnols et français qui fut promené à travers les rues d'Esperanza.
Il fut mis en terre en-dehors de la cité, près de la plage, où une petite plaque marque l'emplacement de la tombe.

Quelques instants plus tard, la marquise s'assit dans une fauteuil en vis-à-vis du notaire d'Esperanza, qui devait procéder à l'ouverture du testament de l'ancien ministre.
Doña Carolina écrasa une larme tandis que le notaire déchirait le sceau puis se tourna vers la marquise.

- Señora, étant donné que nous n'avons plus d'espérance de retrouver votre frère en vie...
- En effet, monsieur, n'ayant point reçu la dépouille mortelle à Acapulco, où je réside, j'ai résolu de venir en personne depuis le Mexique pour régler les affaires de mon frère.
- Il sera donc considéré comme décédé...souhaitez-vous dire quelques mots avant l'ouverture du testament ?
- Oui, monsieur.


La marquise se leva devant la petite assistance dans le cabinet, surtout composée d'officiels espagnols venus reconnaître la légalité de la procédure.

- Le marquis de Montalvès, don Juan, n'a jamais été l'homme que la postérité et l'opinion publique dépeignent depuis près de trois années. Nous savons tous que la caricature des corsaires est souvent féroce, elle l'est davantage quand viennent s'ajouter des motivations de concurrence commerciale et de politique. Vivre dans un endroit comme Liberty n'est point une chose aisée, la nécessité et le besoin étant les seules valeurs qu'on y possède. Quiconque jurant qu'on peut y faire une carrière de saint est soit un imbécile, soit un menteur !

Il suffit d'observer la vie sur cette île pour s'en convaincre: voyez ces corsaires anonymes, ceux que l'on croisent dans les couloirs étroits des manoirs, au détour d'une caverne, dans les cachots des prisons et à qui on octroie un coup d'oeil rapide et qui sortiront de nos esprits dès qu'on les aura perdu de vue. Que savent-ils des affaires de guildes, des inimitiés de nations, des intrigues de puissants, ce qui compte à la fin du jour c'est d'avoir survécu à cette journée, d'avoir assez de bandages et d'alcools pour continuer sur cette route qu'un gouverneur, un prêtre, une veuve ou un mendiant les aura mis. D'avoir assez de peaux de bêtes, de coutelas émoussés et de quincaillerie à vendre une fois revenu à la maison. Avec pour seule pensée cette belle marchandise qu'ils ont entraperçu dans la besace d'un commerçant qui est passé sans les voir. Pensez-vous qu'ils se préoccupent de l'honneur si cher aux nationalistes et autres marcheurs au pas de l'oie ? S'inquiètent-ils de savoir si une colonie a pris le dessus sur telle autre, qui possède quoi, qui s'arrange avec qui ?

Ces considérations n'ont pas d'importance, du moins pas celle exagérée et fanatique que les plus anciens leur accordent. C'est dans cet esprit de liberté et de libéralisme que don Juan de Montalvès a puisé son credo et trouvé sa ligne de conduite. Et bâtit sa fortune. Mais sur Liberty comme en Europe, la richesse des uns fait la suspicion des autres. Don Juan de Montalvès n'emporte pas sa fortune avec lui dans l'autre monde, mais son souvenir, lui, portera toujours la marque de ces suspicions, elles lui survivront.


Le notaire déplia le testament du banquier et ouvrit des yeux d'étonnements à sa lecture :

"Je, sous-signé Juan de Montalvès, marquis del Basto, sain de corps et d'esprit, fais ce testament afin de gérer mes avoirs mobiliers et immobiliers ainsi que de désigner les bénéficiaires. Ceci sont mes dernières volontés.

Je souhaite être enterré avec toute ma fortune et ma bijouterie (rectifié le 17 avril 1709);
Je souhaite léguer mon corps à la science...à condition qu'elle y mette le prix (rectifié le 28 avril 1709)
Je souhaite offrir 100'000 piècettes d'or à la colonie de Port-Louis à la condition que les Français inversent le nom de leur ville (rectifié le 10 mai 1709)
Je souhaite léguer l'entierté de ma fortune à mon fils et bâtard que j'ai eu avec *** (rectifié et partiellement effacé le 4 juin 1709)

Je souhaite léguer l'entierté de ma fortune, pierres précieuses, toiles de maître, collection de distinctions, actions de la banque Montalvès, ainsi que l'ensemble de mes biens mobiliers et immobiliers à ma soeur, doña Carolina de Montalvès.

Fait à Ulungen, le 4 juin 1709"

La marquise prit le testament des mains du notaire et l'enfouie dans son corset, salua les officiers espagnols et sortit en leur adressant un ultime regard:

- Etant donné qu'Esperanza s'est déclarée indépendante de la Couronne espagnole, je ne dois pas une piècette pour les frais testamentaires. Adios !
doña Carolina, Marquise de Montalvès
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19

La Guerre des trafiquants

Une mélodie s'éleva dans le manoir de Montalvès, les notes du piano emplissant les élégants salons déserts. Nulle âme ne semblait se mouvoir dans les pièces richement meublées. La musique continua de parcourrir les appartements privés où seule la brise marine soulevait légèrement les rideaux à travers desquels filtrait la lumière du soleil. Seule la partition remplissait le hall et sa monumentesque escalier bordée des portraits des hildagos et prestigieux dignitaires de la famille d'aristocrates espagnols. La musique glissa sur les tapisseries des antichambres jusqu'au cabinet privé.

Dans cette atmosphère et semblant accompagner les notes de piano, la voix du marquis don Juan de Montalvès s'éleva de nul part, comme hors du temps:

J'habite dans une hôtel particulier qui borde la Grand Place Royale de Port-Louis, jouxtant le palais du gouverneur. Mon nom est Juan de Montalvès, je suis marquis et banquier de mon état. J'estime qu'il est important de prendre soin de soi, en un régime équilibré et des exercices réguliers.

A cet instant un laquais, en livrée et perruque entra dans le couloir et poussa la porte de la chambre à coucher du marquis en portant un plateau de petit-déjeuner mais il ne porta aucun attention ni à la musique ni à la voix. Il posa son plateau et tira les rideaux laissant entrer la lumière du jour sur le marquis se réveillant dans son lit. D'autres laquais entrèrent à sa suite, certains des serviettes au bras, d'autres portant cartons à souliers, chapeaux, cannes, poudres, parfums et perruques diverses.

Mais aucun d'eux ne parut entendre la musique ou la voix qui continuèrent:

Au petit matin, si ma figure est un peu bouffie, j'applique quelques piècettes d'or sur mon visage et un baume fait de lys et de poudre de perles concassées pendant que je calcule ce que me rapportent - le temps de mon petit-déjeuné - les intérêts des crédits que j'octroie aux pauvres de cette île: je peux en dépouiller des miliers maintenant.

Les laquais aidèrent le marquis à enfiler sa robe de chambre tandis qu'on nouait sa serviette autour du cou, qu'on lui servait ses mouillettes et son café chaud dans de la porcelaine de Chine. Puis on apporta sa baignoire dans laquelle les serviteurs versaient des cruches d'eau chaudes, disposant les éponges, onguents, et savons parfumés.

Après avoir passé en revue ma collection de pierres précieuses, je prend mon bain au lait tiède si la matinée est fraîche. J'utilise différentes crèmes pour ôter les peaux mortes, nettoyer les pores et tonifier ma peau. Puis des onguents à base de pêche et de miel. J'applique des touches de parfums venus du Continent, des meilleures fragrances qui ont court à Versailles.

Le marquis sortit de sa baignoire et se fit vêtir d'habits couleur émeraude sur sa chemise de soie, puis assit sur un confortable fauteuil, il choisit les souliers qu'il souhaitait porter aujourd'hui parmi les diffèrentes paires que lui exposaient ses laquais, la même chose pour sa canne et sa perruque. Une fois habillé, le marquis tira les tiroirs d'une petite commode pour en sortir ses poudres et accessoires.

Je continue en mettant un soin particulier à mon teint. Quand je me poudre le visage, j'essaie de ne pas trop forcer sur l'aspect de craie, j'utilise une poudre plus fine car trop de blanc jauni les dents mais j'applique plus de rouge sur les paumettes pour accentuer l'incarnation de la jeunesse,  je ne voudrais pas paraître plus vieux. Puis je place ma mouche au coin du menton ou sous une paumette selon mon humeur. Du bout de l'index je passe une pommade rosacée sur mes lèvres pour leur donner un aspect plus mat.

Les laquais mirent la perruque du marquis sur sa tête, et une large serviette sur ses épaules tandis que Montalvès tenait sur son visage un cône de papier masquant sa figure. Les serviteurs soufflèrent alors sur des tas de poudre posés sur des feuilles de papier, blanchissant la perruque alors que les grains de poudres se posaient sur elle. Une nuage s'élévant autour de la tête masquée de l'aristocrate.

Il y a une idée d'un Juan de Montalvès, une sorte d'abstraction mais il n'y en a pas de réelle qui soit véritablement moi, uniquement une entité, quelque chose d'illusoire.

Le marquis ôta le cône de son visage, se fit attacher une épée d'apparât à sa ceinture puis se tourna vers le grand miroir de sa chambre à coucher et resta immobile, sans expression, silencieux, à se regarder dans la glace.

Et bien que je puisse dissimuler mon regard fixe et froid et que vous puissiez me serrer la main en sentant de la chair contre la votre, peut-être même vous direz-vous que nos styles de vie sont comparables : je ne suis, simplement, pas là...


BAN BAN BAN !

- Ouvrez cette porte !

Une pluie torrentielle tombait sur Port-Louis au milieu de la nuit, détrempant les feutres et uniformes des mousquetaires qui frappaient à la porte de l'hôtel particulier.

- Au nom du Gouvernement de Port-Louis, ouvrez cette porte ! Ouvrez immédiatement !!
Vociférait le capitaine en frappant de la crosse de son pistolet.
Nous avons un ordre de bannissement de Madame la marquise de Montalvès ! Ouvrez !!

Un secrétaire, apeuré, fit irruption dans le cabinet de doña Carolina de Montalvès qui écrivait tranquillement à son bureau.

- Madame, fuyez, les mousquetaires viennent vous arrêter et vous conduire aux portes de la ville ! Le ministre Lacroix vous fait bannir !! Il vous faut quitter cet endroit sans perdre un instant !


La marquise leva un regard vide sur son domestique et eut un sourire inexpressif.

- Allons, allons, mon bon ami, faites donc entrer ses messieurs...Je les attendrais ici.

L'homme parut troublé mais il retourna sur ses pas après avoir salué sa maîtresse. Doña Carolina finit de rédiger sa lettre puis la signa avant de la cacheter et de la ranger dans une petite malle de voyage. Tout semblait avoir été préparé à l'avance. Dans le hall, des rumeurs se firent entendre. On ouvrit la porte aux militaires qui firent sonner leurs bottes sur le marbre de l'entrée. La marquise se tourna vers l'un des tableaux suspendu au mur de son cabinet de travail, le fameux Buste de noir tenant un arc de Hyacinthe Rigaud.

Elle actionna un loquet qui fit pivoter le tableau laissant apparaître la non moins fameuse armoire de fer dont les lecteurs ont appris l'existence plus haut dans le récit. Sur une pile de lettres importantes, elle tira un message cacheté à La Havane et émanant d'une société commerciale caraïbéenne, la Compagnie des Mers du Sud (cf. Rumeurs) et signé au nom de Monsieur Sylvestre...

La marquise en parcourrut rapidement mais tranquillement les lignes tandis que les mousquetaires prenaient les escaliers menant à l'étage des appartements privés de l'hôtel:

"Marquis d'mes deux, tu crois peut-être que je ne t'ai pas reconnu sous ton déguisement?
Bref, tu es l'homme de la situation. Je te propose d'integrer la World company. Pour ça, tu dois faire tes preuves.
Ton expedition sur l'archipel des damnés doit aboutir. Qu'importe la nation qui bénéficiera du trésor, c'est un commerçant de la World company qui fera fortune grace aux sang que les corsaires auront versé.
SI tu faits tes preuves, tu entreras dans la grande famille de la Compagnie des Mers du sud !"



Beaucoup d'eau avait coulé sous les ponts depuis la réception de ce pli et l'Expédition qui s'en suivit sur l'Archipel des Damnés. Ces maudits contrebandiers avaient déjoué son stratagème pour faire oublier sa véritable identité : pour tous, le marquis Juan de Montalvès devait être mort...Il se retrouva donc à la merci de cette tentaculaire compagnie de commerce.

La Guerre des trafiquants avait débuté pour le contrôle du commerce des Caraïbes et le banquier voulait en être. Il est donc bien finit le temps du commerce nationale et des petits profits, de nombreuses et précieuses marchandises arrivaient sur le marché et il était bien décidé à avoir sa part du marché même si cela signifiait travailler pour la Compagnie des Mers du Sud.

L'Expédition fut un fiasco à cause des corsaires obtus et sans cervelle, prêts à crever la bouche ouverte pour un morceau de tissu et les intérêts d'une nation, c'est-à-dire les intérêts de tous donc ceux de personne...Ce n'était pas la philosphie de don Juan de Montalvès. Néanmoins, il avait prouvé ses capacités à sortir du carcan nationaliste et sa volonté de concurrencer les nations dans les futures entreprises de Liberty.

Des voix se firent plus pressantes dans l'antichambre, les mousquetaires étant pressés d'humilier le nom de Montalvès par un nouvel exil. La marquise referma son armoire et cacha la lettre dans ses bagages et tandis que les uniformes bleus des Français entraient dans son champ de vision, elle se remémora un épisode de son Expédition, lorsque, trahie par Rohel, il lui lança ce bon mot à la figure : "Laché par les pirates, laché par les corsaires". Le mot était dur tant il était vrai : don Juan de Montalvès ne pouvait plus espérer trouver son salut ni auprès des pirates ni auprès des nations, il lui falait trouver une alternative...ce sera la Compagnie des Mers du Sud.

Le capitaine des mousquetaires salua à peine la marquise et lui tendit l'ordre de bannissement de la colonie française. Aucun jugement n'avait été prononcé, aucune explication ne fut donnée, seulement la décision arbitraire et partial d'un gouvernement qui agit par préjugés.

La marquise hocha de la tête et accepta l'ordre comme on accepte un compliment ou une salutation. Sans même laisser percevoir ses sentiments. Elle pria les mousquetaires de l'attendre dans la cour où se tenait déjà son carosse. Don Juan de Montalvès, sous les traits de sa soeur, prenait une nouvelle fois le chemin de l'exil mais cette fois-ci sans la moindre chance de retourner dans une colonie de Liberty, ni de rejoindre la Piraterie...la partie s'annonçait ardue...

(hrp: bravo à ceux qui m'ont envoyé par MP la juste référence cinématographique de la scène d'intro )
don Juan de Montalvès
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Posté le 13/04/2010 à 17:56:06. Dernière édition le 04/02/2022 à 21:34:31 

20

La Ville sans nom - 1ère partie

"Six mois s'étaient écoulés depuis la fuite de Port-Louis. Plusieurs semaines dans le camp paria avait fait mûrir le goût de revanche du marquis. Dans sa cahute, sous une pluie battante coulant de la toiture de paille, Montalvès lisait à la lueur de la bougie les lettres que le courrier osait lui faire parvenir dans cet endroit de désolation et de violence. La barbe hirsute, une large chemise salie par la boue et les branchages, véritable Robinson Crusoé, don Juan ruminait sa condition et ce fut avec des yeux illuminés par la flamme de la renaissance qu'il parcourut une missive d'un capitaine sillonant la côte de Liberty à la recherche de perles et de coraux précieux. Ce dernier lui annonçait une découverte faite au large du rivage français: un navire échoué non loin du Direito no muro, une nouvelle victime de ces bas-fonds traîtres et sans pitié. Le navire éventré faisait choir sa cargaison à même la plage et les rares caisses récupérées au large ne laissait aucune place au doute, des objets d'exception et fort recherchés.

N'écoutant que son honneur et révolté que l'on puisse ainsi s'accaparer le fruit du labeur d'autrui, le marquis saisit son parasol et sa carabine avec la ferme intention de se rendre sur place et de veiller à ce que chaque caisse revienne à son juste propriétaire.

Après des jours de marches à travers la jungle, vêtu de ses habits de fortune fait de culottes de peaux et de palmes, Montalvès rejoignit l'épave. Constatant que l'équipage avait déserté l'embarcation échouée, il grimpa à l'aide d'une corde qu'il avait tressé avec des lianes ramassées à l'orée de la jungle, à bord du vaisseau à moitié enfoui dans les sables de la plage. Cherchant quelques survivants à soigner ou à secourrir, Montalvès fut en peine de retrouver une seule âme qui vive. Malgré sa réticence, il força la porte des cabines des officiers afin de fouiller les papiers et trouver l'origine du navire ainsi que les informations nécessaires pour restituer la cargaison à son commanditaire. Hélas tous les papiers avaient mystérieusement été jeté dans le poêle encore en activité, faisant disparaître à jamais toute possibilité d'identification.

Le marquis, fort marri de n'avoir pu rien faire pour ces malheureux ou pour retrouver le propriétaire de la cargaison, fit venir certains pêcheurs des alentours pour l'aider à sauver ce qu'il restait à récupérer de la cargaison. Il y avait là des pièces de fort belles factures. En bon chrétien, il fit don de la majeur partie des biens à la paroisse communale dédiée aux disparus en mer, le reste ayant été distribué parmi les bonnes âmes qui avaient aidé au débarquement.

Seule consolation qu'il conserva dans son impuissance, ce fut une jeune pouce de tulipe qu'il planta bientôt dans un pot de terre. Après des mois d'errance, le marquis avait trouvé sa nouvelle vocation: continuer à aider son prochain et faire éclore les beautés que notre Seigneur a semé sur la Terre. Il baptisa sa petite échoppe du nom de la Tulipe Noire afin de célébrer le souvenir de sa délivrance.

FIN"


Le banquier eut un sourire énigmatique en posant sa plume. Il referma le petit feuillet dans lequel il venait de finir sa rédaction et se lova dans son fauteuil d'un air satisfait. Sur la couverture, on pouvait voir un dessin représentant Montalvès et un titre de ses Mémoires: La Vie et les aventures étranges et surprenantes de don Juan de Montalvès, homme de bien, qui vécut sur l'île de Liberty et échappa à la piraterie grâce à ses valeurs chrétiennes et à son caractère d'honnête homme. Ecrit par lui-même.

Il regarda autour de lui, cette cabine où il se trouvait, véritable officine de capitaine de navire marchand: des cartes de route espagnoles, des instruments de navigation, un uniforme impeccable pendu sur son cintre, des portraits d'une jeune femme avec deux enfants en bas-âge posés sur le bureau et des lettres de marques justifiant une expédition partant de Cadix via Carthagène.
Il se saisit d'un tricorne espagnol qu'il essaya sur sa tête et se regarda dans le miroir de la cabine mais sans y trouver quelque attrait. Il jeta le chapeau et prit son livre sous le bras en se dirigeant vers la porte.

Des rires et des coups de tromblon se firent entendre de l'autre côté et le marquis sourit en ouvrant grand la porte pour laisser apparaître un spectacle de ruine.
Partout des cadavres gisant sur le pont, des flibustiers les amassant dans un coin tandis que des marins à l'allure de tueurs, larges couteaux ensanglantés à la ceinture, déchargeaient la cargaison du galion dans des frêles chaloupes amarrées au navire marchand. Un pillage systématique de caisses, de coffres, de sacs pêle-mêle y compris les affaires personnels des morts. Mais un attroupement s'était fait autour d'un homme ligoté et mené sur la plache au fil du hachoir de boucher et du harpon.

Les yeux suppliants, émettant des râles au-travers de son baillon, le capitaine semblait implorer la vie sauve. Montalvès s'approcha du groupe de forbans et d'écorcheurs qui s'écarta sur son passage. Il rejoignit le malheureux et, sans mot dire, l'attrapa par ses mains liées et lui ôta son anneau qu'il passa à son propre doigt puis d'un geste de main le condamna.
Dans un grand cri de joie, les pirates et autres contrebandiers levèrent la planche et le capitaine espagnol coula à pique dans la mer.

Le marquis contempla avec bonheur le saccage du galion, faisant flotter les plumes noirs de son chapeau aux vents, lorsqu'un matelot grisonnant et boitant lui apporta une mèche. Du regard, le Pirate suivit la cordelette qui disparaissait vers la cale où étaient entreposés des barils de poudre. Montalvès alluma la mèche puis la jeta au sol.

D'un pas lent mais sûr, il rejoint le canot que ses hommes avaient hissé sur le pont. Et tandis qu'il faisait redescendre l'embarcation attachée à quatre cordes, le Pirate ouvrit un des petits coffrets finement décorés de pierres précieuses pour découvrir un pendentif à l'allure majestueuse représentant une tête de Minotaure. Le marquis remit le bijou dans son écrin et ajusta un large manteau de fourrure sur ses épaules tandis que des rameurs éloignaient le canot du galion en direction des chaloupes des contrebandiers qui mouillaient à distance raisonnable.

Le Pirate sortit un cigare de la poche de son manteau et gratta une allumette, passant la flamme sur les feuilles de tabac roulées. Et alors qu'il tirait sur son cigare une gigantesque explosion éventra le galion, faisant voler le pont en éclat, détruisant les mâts, déchirant les voiles et dégageant une funeste colonne de fumée noire au-dessus du galion s'enfonçant lentement dans les flots.

Sans même se retourner, Montalvès ouvrit une lettre décachetée et dissimulée dans son gilet. Fumant sur son canot fendant les vagues à grands coups de rames, don Juan sourit aimablement en relisant cette missive très spéciale de la Compagnie des Mers du Sud. Elle lui octroyait la franchise de l'utilisation d'un vaste réseau de contrebande pour l'île de Liberty. Voilà deux semaines que cette position était sienne et il n'avait pas perdu de temps pour mettre la contrebande en coupe réglée et en tirer les premiers bénéfices.
don Juan de Montalvès
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Posté le 15/04/2010 à 12:31:46. Dernière édition le 04/02/2022 à 21:29:49 

21

La Ville sans nom - 2nde partie

La chaloupe fendait les vagues en direction de la côte, le vent gonflant ses voiles légères, glissant sur la mer sous un ciel découvert. Le Marquis se tenait près de la barre, les yeux clos, laissant la brise marine caresser son visage, les senteurs de la mer envahirent ses narines. Les cales chargées de marchandises de contrebande, la navire voguait à vive allure, sa coque éclaboussée d'écume, et accompagné de mouettes volant haut parmi les nuages.

Montalvès reconnu rapidement le cap que venait de doubler son bâtiment, la côte sud-ouest de Liberty, laissant derrière lui les massifs verdoyants s'étendant à perte de vue dès la sortie des mines du Crâne. Désormais l'épaisse jungle venait recouvrir toutes les falaises piquant droit dans la mer.

Les récifes de plus en plus apparents déchiraient les vagues devant la chaloupe qui ralentit son allure pour éviter les pièges mortels de cette partie de l'île. Non loin, à queqlues encablures de là, avait eu  lieu le fameux naufrage du vaisseau portugais. C'est dans ce chapelet de récifes traitres, de pics rocheux se jetant dans la mer, de grottes naturelles, de criques inondées à la marée, que les contrebandiers avaient choisi d'élire domicile.

La chaloupe s'approcha davantage de la côte à très faible vitesse, passant presque sous l'ombre des imposants défilés de rocaille, arches de pierre que l'île lançait dans la mer. Des nuées d'oiseaux multicolores pouvaient être vues à l'oeil nu s'envolant d'arbres en arbres. L'eau de la lagune d'un vert d'émeraude allait rejoindre les plages de sable gris et humide.
Une eau si limpide que l'on pouvait deviner la vie aquatique qui s'activait dans les coraux juste sous le navire.

- C'est donc bien ici, je reconnais le grand roc *fit Montalvès en indiquant la côte d'un vaste geste de la main*
Le navigateur, un homme plutôt âgé portant ses années d'expérience comme autant de rides sur le front, ôta sa pipe de sa bouche et acquiesca aux dires du marquis.

- Oui, monseigneur ! C'est le meilleur endroit pour nos activités. Facile de s'y cacher et de perdre les navires douaniers et autres galions de la flotte coloniale ! Les caches sont nombreux, ces grottes sont un vrai labyrinthe ! C'est pour ça que les premiers colons ont choisi ces lieux, loin des Espagnols et parfaits pour y vivre en sécurité.

- Les boucaniers !

- Toujours en chasse de cochons sauvages et de vaches à faire cuire sur les boucans, monsieur. Ils étaient les seuls points de ravitaillement pour les navires des Caraïbes. Ah ça, ils étaient heureux les matelots lorsqu'ils voyaient s'élever les fins filets de fumée des boucans ! Pour sûr !
Vous voyez ce bassin naturel du bout de la point du roc jusqu'au défilé des falaises, c'est la fameuse Baie des Boucaniers ! Au-delà de ce cap, c'est la Corniche du Poulpe et ensuite Port-Louis.



- La Baie des Boucaniers...*sourit Montalvès en embrassant du regard cette vallée montrant le dos à la terre ferme, et ouverte sur la mer, fait de ses hautes falaises et de ses rocs taillés comme des diamants*

Le chaloupe s'immobilisa alors que l'équipage jeta l'ancre. On descendit le canot pour rejoindre la côte. Le Pirate y grimpa d'un pas léger tandis que d'autres embarcations légères étaient apparues comme par magie des petites criques dissimulées au pied des falaises.

Ce fut principalement du meubilier qui fut déchargé sur les canots ainsi que du bois de construction, des vivres et de la poudre noire. Toute cette flotille légère se dirigea ensuite vers un pic rocheux plus imposant que les autres, imposant monolithe suspendu entre ciel et terre.

Sur la plage, on pouvait apercevoir de minuscules silhouettes d'hommes, lourdement armés, et semblant attendre les canots. Et dans le ventre du colosse, une fièvre semblait à l'oeuvre, des bruits de pioches, de marteaux, de scies, des ponts suspendus jetés au-dessus du vide, des étages érigés, des maisons de bois construites pour accueillir un nouvel havre de la contrebande, un paradis de pirates.

Le Marquis parut satisfait du spectacle grandiose qui était à l'oeuvre, très bientôt la baie des boucaniers retentira des chants de flibustiers et de forbans, des rires des filles de joie, des éclats des tripots et des pintes que l'on entrechoque dans les tavernes. Il pouvait déjà entendre cette douce musique à ses oreilles, cette vie nouvelle, cette aventure qui commençait ici, sur cette côte reculée de Liberty, dans cette nouvelle ville sans nom.
don Juan de Montalvès
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Posté le 06/02/2022 à 22:10:35. Dernière édition le 06/02/2022 à 22:21:28 

22

Mon froussard favori - 1ère partie

La traversée de l'océan Atlantique avait été exécrable pour le Marquis. Non seulement la tempête et la houle soulevaient le ventre délicat de Montalvès mais surtout les pensées noires faisaient chavirer tout espoir aussi surement que l'orage démâte le plus puissant des galions de guerre.

Voilà des semaines que le Marquis, vêtu à l'ottomane, avait suivi le reflux des forces turques ayant tenté l'invasion de Liberty. Entraîné dans cette fausse identité qu'il avait prise pour satisfaire l'occupant, il fut englouti dans la débâcle et la fuite des Ottomans. Son unique consolation fut d'obtenir un relatif confort à bord des navires qui repartaient vers la lointaine Constantinople, grâce à la proximité qu'il avait cultivé avec l'héritier du Sultan.
Maigre promesse qui cachait mal la réalité de sa fuite, une fuite désespérée pour garder sa tête sur les épaules, ces corsaires de Liberty sont des ânes, stupides mais têtus dans leur revanche. Montalvès n'avait pas ce genre de superbe : plutôt la frousse que l'échafaud ! Moins glorieux mais infiniment moins sanglant...

A l'abri de ces planches de bois malmenées par les vagues de cette mer nue à perte de vue, don Juan prit son mal en patience, profitant pour méditer sur ces dix dernières années qui l'avait conduit de la Baie des Boucaniers jusqu'à cette frégate ottomane.
 

Cette période faste pour le riche banquier qui vit sa fortune doubler et son premier million de pièces d’or s’accumuler dans ses coffres à l’abri des convoitises fiscales des colonies, enfouis dans la cache profonde au cœur de la crique. Assurément cette vie de contrebandier et de boucanier lui avait rapporté, non seulement en or mais aussi en prestige. Ses étales furent remplis d’armes uniques, des fameux talents de la flibuste, d’émeraudes gigantesques et de drogues exotiques. Une renommée qui attira l’attention des Frères de la Côte qui l’engagèrent en 1712 comme nouveau cambusier de la Chimère.


Mais la vie de groupe au sein de l’équipage pirate s’avéra plus rude et beaucoup trop égalitaire au goût d’un aristocrate comme don Juan de Montalvès. Il n’était pas prêt à partager son butin et les fruits de sa contrebande avec de la racaille populaire. Aux premiers grognements, à la seule vue de la planche, l’Espagnol profita de la première escale pour filer à l’anglaise…
 

Une invitation de la Cour de Versailles tomba à point nommé pour que l’on oubliât le passé sulfureux du Marquis, cela d’autant plus que le Roi Soleil déclinait et disparu bientôt, ouvrant de belles opportunités pour tous les affairistes et bon-vivants qui qui gravitaient autour d’un nouvel astre : le Régent. Dès 1715, Montalvès revenait sur Liberty, avec de belles lettres de marque françaises signées par Philippe d’Orléans et le Marquis reprit ses lucratives activités de ministre du commerce. Il sut profiter des derniers feux de l’industrie marchande sur l’île, profitant des deniers publics pour armer flottes et corsaires, tout en tirant de juteuses marges qui lui permirent de sereinement songer à sa pension…Lorsque l’on tient le cahier de commandes et les cordons de la bourse, il serait honteux de ne point s’enrichir sans danger.  

Comme John Law en France, Montalvès introduit, quatre ans plus tard, les couronnes caribéennes. Ce papier monnaie dont la spéculation lui rapporta quelques dividendes de change et qui voyait son cours monter à mesure que l’on descendait dans loin dans les mines et autre jungle profonde pour ceux qui avaient trop de pièces d’or sur eux pour être sereins. Fichus voleurs ! Les pires ennemis des honnêtes citoyens mais les meilleurs amis des bons capitalistes !  

Montalvès caressa la large poche de son caftan turc où il avait fourré une liasse de couronnes pour s’assurer un exil confortable et songea, amoureusement, à leurs milliers petites sœurs qui attendaient dans sa fameuse armoire de fer dissimulée à Port-Louis. A la simple pensée de sa fortune, l’aristocrate retrouva quelques couleurs et son solide appétit. Déjà le temps marin se fit plus doux, la flotte entrait en Méditerranée et l’on serait bientôt en vue de la capitale ottomane. Le voyage lui avait paru une éternité mais maintenant que l’on approchait de Constantinople, Montalvès se vit à court de temps pour élaborer la suite de ses projets.  

Comme à l’époque de la mort du commerce sur Liberty : il avait fallu se réinventer et chercher une nouvelle voie pour continuer de peser sur la vie de l’île. S’il quittait le confort de son ministère, Montalvès reprendrait un autre fauteuil gouvernemental : courageux, certes, mais pas téméraire. S’il l’avait fait par le passé, il le pourrait aujourd’hui encore, se dit-il, esquissant un sourire à la fois enjoué et moqueur. Mais il fut tiré de sa rêverie par des ordres criés sur le pont et de l’agitation dans l’équipage, l’on arrivait en vue de la Corne d’Or !
 

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