Le Faux Rhum   

Elle s'était réveillée seule au milieu de l'immense jardin, la boule au ventre pour son premier mariage. Où qu'on aille, les invités bavardaient, riaient et échangeaient des blagues ou des conseils, et tous s'étaient habillés pour célébrer l'événement.

Elle profita de la discrétion d'un fourré pour se changer après une toilette rapide, enfilant la robe toute neuve achetée pour l'occasion lorsqu'il était devenu évident que la verte était devenue trop petite pour elle. Celle-ci était d'une belle couleur bordeaux agrémentée de touches rose pâle ; elle douta un moment, voyant passer de belles dames aux toilettes bien plus sophistiquées, puis elle haussa les épaules.

- Eh, rien à fiche, dit-elle à voix haute, puis elle se dirigea vers l'endroit où allait se tenir la cérémonie.

La jeune femme s'éveilla comme ces derniers jours dans sa chambre, enfin celle qu'elle partageait maintenant avec son époux, sur l'île des pestes. Ils l'avaient à peine quitté depuis que l'endroit avait été inauguré, quelques jours plus tôt.

Souriante, mais possiblement déjà bien en retard, elle ouvrit sa commode et passa en revue les différentes tenues possible. Arquant un sourcil interrogateur vers Andras, ce dernier lui montra une robe asymétrique, ajusté à la taille par un noeud et tombante assez bas, à la frontière de ses genoux. Le choix était fait. S'installant devant son miroir, peignant ses cheveux et ajoutant un maquillage discret sur ses pommettes, Sita vérifia le résultat dans son reflet. Semblant satisfaite, elle attrapa délicatement sa touche finale. L'éventail que lui avait offert son amie d'enfance.

Prête, elle attendit sagement contre l'embrasure de la porte de leur chambre.

En sortant, le couple découvrit la future mariée et son escorte. La robe était si belle que Sita en eu le souffle coupé. L'observant avec le sourire aux lèvres, semblant fasciné par la reine du jour. C'est son mari qui l'a sortit de sa rêverie, l'entrainant vers le lieu de la cérémonie, à travers le chemin prévu à cet effet entre les arbres.

S'installant aux côtés de sa soeur Lisbeth, au premier rang, pour ne rien loupé du discours de Madre Anna, Sita suivit émue l'échange des consentements, la remise des anneaux et le fameux baiser, tant attendu par le nouveau marié. Elle ne pu s'empêcher de serrer la main de son mari, tout en le regardant. La journée faisant écho à une autre, qu'elle chérissait dans ses souvenirs. Se levant pour les acclamer et applaudir avec joie les nouveaux mariés, elle espérait que ses amis auraient autant de bonheur dans leur mariage qu'elle en avait elle même.

Suivant la mariée, le vin d'honneur se prit sur la terrasse, devant la maison dans une ambiance festive et agréable. Les invités rivalisèrent toutes et tous de leur plus beau atour, et Sita attendit comme bien d'autres le début de la soirée. Un concours de danse avait été mentionné, et elle avait bien l'intention de trainer son époux sur la piste pour y participer.

Son second mariage sur Liberty en un an, sous un autre drapeau et pour une autre sœur. Une robe assorti à la couleur de ses yeux et un maquillage léger, elle avait pris plaisir à se préparer pendant que son fiancé dormait.

 

La cérémonie était comme elle les aimait, belle, joyeuse, pleine d'amour et courte ! Pas le temps de bailler que la mariée sublime aux bras de son époux nous avait entrainés pour un vin d'honneur sur la terrasse où les félicitations résonnaient au grès des coupes de champagne qui s'entrechoquaient.

 

L'île des Pestes resplendissait de joie et de bonheur, un bonheur simple entouré de la famille et d'amis, tous avaient répondu présents pour fêter l'amour qui unissait maintenant pour la vie Bougnette et Jax. Tous sauf une qui lui manquait terriblement.

- Nokoooo !!! Vas-y lèves toi et rejoins moi à la maison, t'es à la bourre !!!

Ouvrant un œil ensommeillé, Nokomis se retourne dans son lit et observe la tête de Bougnette dépassant de la trappe de sa cabane.

- Hum …

Elle se retourne de nouveau et tâtonne à côté d'elle puis choppe le Corbeau et le tire à elle. La trappe se referme dans un claquement, et l'indienne n'a pas le temps d'entendre sa sœur finir de descendre de l'arbre qu'elle s'est déjà rendormie. Quelques minutes plus tard, un ronflement de son compagnon la tire de nouveau du sommeil et elle se redresse, en panique.

- Oh merde !! J'suis en retard !

Envoyant valser les peaux de bête servant de couverture, elle se précipite vers l'unique coffre de sa cabane pour y sortir son unique tunique de cérémonie qu'elle a légèrement modifié pour l'occasion. Elle l'enfile en quatrième vitesse, passe se débarbouiller au seau d'eau, et récupère quelques plumes de balbuzard et de corbeau qu'elle plante dans ses cheveux tressés à la va-vite.

Elle se précipite ensuite vers la trappe pour sauter dans le vide et se réceptionner avec souplesse quelques mètres plus bas sur l'herbe parfaitement entretenue de la demeure.

Courant vers l'entrée de la maison, elle cherche partout du regard sa sœur. Sur la terrasse, des invités partout, en train de finir leur petit-déjeuner avant de se diriger vers le jardin où se déroulerait la cérémonie.
Entrant en trombe dans l'énorme séjour, elle capte les voix de ses sœurs cachées derrière les bibliothèques. Un dérapage maîtrisé pour s'arrêter à côté d'elle, et elle tente de reprendre son souffle.

- Désoleee !! J'suis en retard bordel pas foutue meme le jour du mariage de ma sœur...

- C'est moi qui suis désolée d'être entrée sans ton autorisation dans ta cabane, Noko !

La sauvageonne regarde sa sœur de travers. C'est le jour de son mariage et elle s'inquiète d'un si petit détail, alors que Bougnette sait très bien qu'elle ne lui refuserait jamais rien ? Elle se met à rire, avant de s'arrêter, stupéfaite. Sa sœur, sa grande sœur adorée. Elle si … rayonnante, si solaire, si … incroyable.

- Tu es … magnifique.

C'est ce moment que Rider choisit pour arriver et commencer à faire ses réflexions vaseuses. Mais sa présence rassure tout de même l'indienne : Rider, tout comme elle, avait fait peu d'effort, mais des efforts quand même. Au moins ne serait-elle pas la seule à paraître un peu trop comme tous les jours.

- Tiens, je te confie mon alliance. Cendre aura celle de Jax.

Rangeant précautionneusement le précieux bijou dans une poche cachée de ma jupe, Nokomis hoche la tête. Voilà que le stress recommence à monter.

- On ferait peut-être bien d'y aller, dit Anne en regardant l'heure. Jax va finir par faire une crise cardiaque à force d'attendre sinon !

- Oui, et ça sera plus vite fini ! S'exclame l'indienne avant de se précipiter dehors pour prévenir les retardataires sur la terrasse qu'il est plus que temps.

Sur le chemin jusqu'au Jardin de cérémonie, Rider et Andras n'arrêtent pas de blaguer pour détendre l'atmosphère. Une fois au jardin, les exclamations des invités et la musique accompagnent l'entrée de la mariée.

On ne saura jamais si c'est Nokomis qui accompagnait Bougnette jusqu'à l'arche de verdure où l'attendait son futur mari, ou si c'était Bougnette qui supportait Nokomis qui pliait sous le stress.

Le couple lui avait fait part depuis un petit moment de leur désir de se marier prochainement et dès qu'elle le sut, Aénor s'était aussitôt mise à réfléchir à la robe qu'elle porterait. Jax, son ami de longue date qui épousait l'adorable Bougnette... La française tenait à tout prix à ce que sa tenue soit parfaite, en leur honneur.

 

Elle avait connue Jax lorsqu'il avait rejoint la France, lors de sa venue sur l'île, puis il avait trouvé l'amour chez les hollandais, une nation qui tenait à coeur aux deux amoureux. Le bleu et le orange devenaient alors une évidence dans l'esprit de la doctoresse.

 

Peu après elle passa commande chez l'un des meilleurs couturiers qu'elle connaissait pour qu'il réalise son souhait et c'est ce qu'il fit au bout de plusieurs semaines. La française était ravie du résultat.

Et elles ne furent pas déçues. Une cérémonie réussie. Des jeunes mariés magnifiques. Les musiques, les rires, le bruit des vagues et mille voeux qui s'envolèrent jusqu'au ciel, ce mariage avait tout de parfait.

Quelle magnifique journée de mariage, pleine de rires, de larmes de joie, d'émotions et surtout de bonheur.

Nous vous souhaitons une vie aux reflets de celle-ci.

L'irlandaise avait éprouvé moultes hésitations à se rendre à ce mariage. Voynich n'était déjà d'ordinaire pas à l'aise avec la foule et les mondanités, mais se rendre au mariage de "Jax" lui paraissait plus qu'improbable.

Mais il ne s'agissait pas uniquement du mariage de Jax. Il s'agissait, aux yeux de Dulcina, d'un jour important pour son amie Bougnette.

Bien sûr, il lui paraissait difficile de se réjouir pour elle. Après tout, elle allait épouser l'un des hommes les plus détestables et détestés de cette île.

Mais comment pourrait-elle juger cela, et ne pas comprendre qu'il puisse avoir un tout autre visage à ses côtés? Après tout... elle-même avait connu cette situation, lorsque Nick était l'un des hommes les plus recherchés de Liberty, et qu'elle l'avait épousé à l'incompréhension générale de plusieurs de ses proches.

L'Amour a ses raisons que la Raison elle-même ignore, se répétait-elle en souriant à ce souvenir heureux.

Elle était parvenue à se faire inviter, bon gré mal gré, à l'enterrement de vie de jeune fille de Bougnette. Elle n'aurait pas insisté à y participer si elle n'était pas convaincue que sa présence puisse réjouir son amie. Et puis... c'était là l'occasion de passer un moment agréable en sa compagnie, et surtout, sans celle de son futur époux qu'elle ne quittait évidemment plus en dehors de cela.

Puis, le jour des noces était arrivé.

Voynich avait été sollicité la veille lorsqu'Aegis était arrivé avec le bébé Kristina inanimée, qui nécessitait l'intervention d'un alchimiste, aux dires de Caitlin. L'occasion était trop belle pour son compagnon, qui tenait là une excellente raison d'échapper à une partie des festivités.

Dulcina s'était donc rendue seule avec Catherine et Marius, pendant que Voynich confectionnait un antidote, assisté d'Alexis et sous la surveillance de Caitlin, dans le laboratoire des Pestes.

Elle s'était installée sur l'un des derniers bancs, entourée de ses deux enfants. Elle ne souhaitait pas monopoliser l'un des premiers rangs, réservés aux proches des deux mariés, et préférait rester discrète.

Chose qui fut rendue difficile par l'arrivée d'Egbert, qui la héla publiquement à peine installé. Non content d'avoir mis une éternité à répondre à sa dernière missive, celui-ci lui reprochait désormais de n'avoir pas été assez réactive à répondre à son tour, alors même qu'elle avait reçu sa dernière lettre la veille, alors qu'elle était occupée à fêter la fin de vie de célibataire de Bougnette.Elle préféra ignorer ses invectives, car elle ne souhaitait en aucun cas entacher d'n quelconque scandale cette journée si importante pour Bougnette.

Celle-ci arriva d'ailleurs peu de temps après. Elle était radieuse.

L'irlandaise était forcée de constater que ce n'était pas uniquement sa belle robe qui la rendait si magnifique. Non, son visage resplendissait de bonheur, et d'amour. Et cette simple vision suffisait à effacer le reste. A lui donner du baume au coeur.

Jusqu'à ce que les remarques désagréables pleuvent à nouveau.

Cendre, Rider, puis Madre Anna firent des invectives et autres sous-entendus qu'elle ne comprit que trop bien. Pire encore, Bougnette encouragea la nonne en la remerciant d'officier, bien trop heureuse pour comprendre la signification des propos amers et cachés en partie à son égard.

Dulcina repensait à son dernier passage à Ulüngen. Ces insultes, gratuites, incessantes, qu'elle avait encore reçues. Concernant sa grossesse, ou son couple. Concernant le fait qu'elle "n'avait pas intérêt à accoucher sur les pavés de la ville, ou pire, pendant la cérémonie".

Comme si l'irlandaise avait pu souhaiter pour son bébé que la première chose qu'il voit, à sa naissance , ce soit leurs têtes de pioche.

Elle supportait toutes ces moqueries sans y répondre depuis bien longtemps. Elle les ignorait.

Mais aujourd'hui, alors que son amie était en train de se marier, elle les subissait devant ses enfants. Et c'en était trop.

Elle n'avait guère de choix : soit elle y répondait, soit elle partait. La première solution aurait signifié d’entacher la cérémonie du mariage. Et il en était hors de question.

Elle prit donc les mains de Catherine et Marius, et se leva pour quitter les lieux, en silence. Un bref regard désolé à son amie, et elle disparut de la clairière leur servant de lieu de cérémonie.

Fort heureusement, Voynich la rejoignit rapidement. Il était parvenu à concocter le breuvage en question, et elle partit se blottir dans ses bras. Elle évita pourtant, dans un premier temps, de lui dire ce qu'il venait de se passer, non pas qu'elle rechignait à lui donner raison, en repensant aux arguments concernant leurs raisons de ne pas venir qu'il avait énoncées : il faut dire qu'il prenait sur lui continuellement en entendant ces méchancetés continuelles à l'égard de sa compagne.

Mais elle souhaitait avant tout rester jusqu'à avoir pu féliciter Bougnette. Et elle craignait, à juste titre, ne plus avoir d'argument pour le convaincre de ne pas partir.

La suite des festivités se déroula dans de meilleures conditions. Elle s'y sentait un peu étrangère, mais elle prit plaisir à voir Bougnette heureuse.

Et le lui signifia lorsqu'elle put enfin aller à sa rencontre.

Après tout, elle n'était pas dupe, et ne pouvait que constater tous les efforts que Jax faisait à son encontre depuis plusieurs semaines, pour Bougnette.

Quand bien même cela ne soit pas forcément sincère, elle ne pouvait que remercier son amie.

Et puis, le plus important restait que cet homme avait littéralement transformé la vie de Bougnette, qui transpirait désormais le bonheur.

C'était une chose qu'elle ne pourrait jamais reprocher à Jax, loin s'en faut.

Lorsqu'elle quitta l'île des Pestes, la nuit tombée, accompagnée de toute sa famille, elle partit le cœur léger du souvenir d'un couple aussi improbable qu'incroyable.