Faux Rhum Le Faux Rhum Faux Rhum  

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Monsieur Ernest  
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Little Lily
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29/02/2012
Posté le 04/05/2014 à 19:37:03 

Lily s'amusait sur sa paillasse, se tournant dans tous les sens, parlant seule. Ou pas vraiment. Elle s'amusait avec Ernest, sa poupée. Toute rapiécée, moche et cousue de tous les côtés ! Elle avait l'air aussi vieille que le monde, cette chose. Et elle ne s'en séparait jamais. Elle disait aussi que la vieille poupée lui parlait. Alors ça, pfft! Personne hormis elle l'entendait.
C'est donc là, sur cette paillasse, que Lily commença...

"Mouahahaha ! C'est pas faux, c'est pas faux... Non ? Tu crois ? Vraiment ? Elle... Et lui ? Les cons !"

Et elle continuait. Un babillage enfantin, des moments de liberté qui arrachaient un sourire, voire un rire, méprisant ou attendri, aux spectateurs. Rire auquel Lily ne prêtait guère attention. Après tout, tant qu'on touchait pas à Ernest...

Une fois un autre éclat de rire solitaire passé, elle s'allongea sur le dos, la poupée calée à côté d'elle. Elle reprit son souffle.

"Dis, Ernest, je t'ai déjà raconté comment je t'ai eu ?"

Elle se répondit à elle-même, saississant le tas de chiffons et l'agitant doucement.

"Non ! Jamais. Raconte-moi. Et puis, j'aime bien entendre tes histoires, Lily."

Elle reprit sa voix normale.

"C'est pas tous les jours qu'on apprend d'où on vient, hein ? Je commence... Quoi ? Si c'est long ? Oui. Maintenant, ferme-la et laisse moi parler ! Alors..."
Little Lily
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29/02/2012
Posté le 04/05/2014 à 21:25:11 

Plantons là le décor.

Il y avait Voodoo, bien sûr. Les gens riaient et frissonnaient devant ses tours. Du vaudou, du juju, du bon Mojo à faire s'extasier les foules. Transformer un pécore en poulet. Faire grossir une grenouille de la taille d'une main jusqu'à ce qu'elle ait celle d'un boeuf. Et caetera.

Angus aussi, le nabot lutteur, l'australien, le truand de foire, vulgaire et brutal. Le gars dont on se moquait, ils vous défiait à la lutte. 10 pièces d'or si vous le battiez. Les confiants arrivaient le sourire aux lèvres, repartaient la gueule basse et pleine de poussière. Et parfois un trou dans la dentition.

Candy, la jolie Candy. Candide, d'ailleurs, la pauvre. Timide aussi. Elle parlait tout bas, Candy, on lui demandait souvent de répéter... Ca l'empêchait pas d'être une excellente trapéziste. Une des meilleures. Elle virevoltait à tant de mètres du sol que la foule retenait son souffle à chaque saut. Même s'il y avait toujours un salaud pour souhaiter qu'elle s'écrase, histoire de rigoler un peu. Mais ça n'arrivait jamais.

Monsieur Ernest, tiens. Comme la poupée. L'Hercule de foire typique ! Grand, costaud, charpenté comme un ogre, au torse velu et aux épaules larges comme deux hommes. Chauve et arborant une des plus belles moustaches que la Terre ait jamais portée, fournie et brillante. Pas un grand bavard, le gars. "Oui" et "non", c'étaient comme qui dirait les deux seuls mots de son vocabulaire. Même pas un juron.

Et puis Tata. Travesti, drôle et fragile, qui bien qu'étant un homme, ressemblait tellement à une fille qu'on le présentait comme une femme à barbe. Tout simple ! Le Freak dont on se moque, qu'on ne prend pas au sérieux. Celui qui subit les huées et les moqueries, les tomates lancées, les merdeux qui rigolent.

Et puis plein d'autres monstres, de gens difformes divers et variés, qu'on montre aux gosses en leur soufflant qu'ils finiront comme ça si ils n'arrêtent pas leurs bêtises. Une vraie ménagerie, dis ! Dont le Maître. Maître Gemini. Il... enfin ilS*, plutôt, étaient siamois. Tout le côté du corps, de l'épaule aux hanches... Deux bras, deux jambes, deux têtes. Parlant d'une même voix. Et méchant comme pas deux, justement.

C'est lui qui dirigeait la foire, d'une main de fer. On osait pas contester son autorité. Enfin, si. Le petit groupe, là. Les fous ! S'ils avaient su. Tant pis. Continuons...

Et au milieu de tout ça, une petiote d'à peine six ans, élevée par son père et ses amis...

"Moi !" conclut Lily en se pointant fièrement du pouce.
Little Lily
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Posté le 05/05/2014 à 13:29:36 

Le Vieux Continent, Allemagne, 1704.

Un champ en friche, à minuit, non loin de Munich. C'est là que les forains ont planté leurs tentes. Les cages à animaux côtoient les roulottes et charrettes. Nuit noire, seule source de lumière : la lueur de torches non loin, encadrant l'entrée de la tente principale, immense chapiteau de foire tout ce qu'il y avait de classique. Et à l'intérieur...

Un tribunal. La foule des employés de la foire, réunis pour discuter des affaires qui concernaient ce petit monde fermé qu'est le cirque.

Les gradins étaient bondés. Eleveurs, acrobates, jongleurs, cracheurs de feu, Freaks disséminés au milieu de gens plus banals...

Angus assis au premier rang, renfrogné et ses courtes jambes dépassant du siège à l'horizontale. A ses côtés, Candy, ses yeux de biche grands ouverts, terrifiée et la bouche pincée comme une petite fille effrayée. Le nabot suivit du regard l'entrée des artistes. Des pas pesants se firent entendre, une forme plus large que la normale se détacha dans l'ombre. Elle marchait bizarrement. Rien d'extravagant... Juste, on n'aurait pas su dire ce qui clochait dans cette démarche.

"Bâtard." Le nain cracha.

"ChutilvatentendretaistoipassifortjetenprieAngus." La pauvrette parla d'une traite, sans articuler. Un souffle plus léger qu'une brise d'été. Elle était au bord des larmes.

Apparut Gemini, les deux frères siamois soudés à la vie à la mort. D'un pas conquérant il arpenta la piste comme au Grand Soir. Derrière lui avança en traînant les pieds le Gros Clown, qui maintenait fermement un jeune homme frêle au visage tuméfié en robe déchirée et chaussures de femme. Le Gros Clown campa ses pieds éléphantesques quelques pas derrière son Maître. Une petite fleur pendait tristement au revers de sa chemise.

La première tête de Gemini se pencha légèrement en arrière.


"Tiens-le bien."

La deuxième s'ajouta à la conversation.

"Où ils sont, les deux bouffons ? Je vois le nabot et la pinbêche. Il ne manque que les deux autres. C'est douteux."

L'énorme clown haussa les épaules. Fort velu, les poils dépassaient de son justaucorps, mêlés à la sueur et la crasse d'une journée de labeur. L'effet répugnant concordait avec le maquillage bon marché qui lui décorait la trogne.

"Sais pas. On les a cherchés, avec mes frères. Pas trouvés.

-Tant pis. Je parie que ces deux emmerdeurs sont là, quelque part. On s'en occupera plus tard.

-Oui, Gemini. Comme vous voulez, Gemini.

-C'est pas à toi que je parle, crétin !" crachèrent deux paires de lèvres à l'unisson.

Chaque tête entamait indépendamment l'une de l'autre une phrase, l'autre la terminait, et vice-versa... Et ce sans jamais se chevaucher. Gemini leva les bras, exprimant la bonhomie et la chaleur. Grand acteur que cet homme.

"Mes chers, très chers amis. Nous vous avons réunis ce soir pour une affaire grave... bien grave. Vous le savez, il y a certains... dissidents ...dans notre entreprise. Des gêneurs. Des gens, des employés, qui se fichent des règles, posent problème et déshonorent notre belle et grande famille. Un comportement plus que honteux. Sacrilège, même."

Il se tourna et désigna le prisonnier d'une voix de stentor.

"Contemplez le fautif !"
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Posté le 05/05/2014 à 21:18:31 

L'énorme Gemini se donnait en spectacle. Il éleva la voix pour que tous entendent.

"Catin ! On t'a trouvé au lit avec un autre dans ton genre. Un inconnu, un étranger à notre foire qui plus est. Tu te prostitues."

Le Maître prit une profonde inspiration, leva lentement la main et l'abattit sur la joue de Tata. Une fois. Deux fois. Il se ravisa avant la troisième et saisit le menton tremblant entre le pouce et l'index, serrant fort.

"Regarde-nous dans les yeux. Chien ingrat ! Ne te donne-t-on donc pas assez d'argent ? Ne prenons donc pas assez soin de toi à ton goût ? Monsieur... enfin, Madame... Voudrait-t-elle... Un château ? Etre une... Princesse ?"

Réverence ironique, la suffisance s'étalant grassement sur ses deux trognes plus laides l'une que l'autre.

"Camarades ! Il nous apporte la honte en vendant son corps. Que sommes-nous ? Un bordel itinérant ? Moi je dis... NOUS disons. Qu'il faut le punir ! Lui faire passer l'envie de servir de vide-bourses aux autres anomalies dans son genre ! Tabassons-le comme il le mérite ! Qu'il apprenne à bien se tenir !"

Il releva le visage rougi du travesti du bout de sa cravache. Le dégoût suppurait par tous les pores de sa peau.

"Je t'ai engagé parce que tu me faisais pitié. Quel gâchis. On balancera ton corps aux cochons."

Il se pencha, lui attrapa les cheveux et tira sa tête vers l'arrière.

"Ce qui se passe dans le cirque... RESTE dans le cirque."
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29/02/2012
Posté le 06/05/2014 à 17:40:36 

Tata chantonnait. De l'espagnol, sa langue maternelle. Dans un minuscule recoin de son esprit, intact ou du moins ce qui pouvait s'en approcher, le frêle travesti se recroquevillait dans le giron imaginaire de sa mère morte depuis longtemps.

"A los niños que dueeermen, Dios los beeendiiiceee... A las madres que velan, Dios las asiiisteee... Duérmete niño, duérmete niño..."

La comptine fredonnée tout bas n'émut certainement pas le Maître. Le Gros Clown en revanche flotta doucement dans le souvenir béni de sa vieille mère. Malheureusement pour lui, bercer trop près du mur c'était un peu une tradition chez elle. Ah, qu'est ce qu'elle lui manquait, maman ! Elle et sa gnôle planquée sous le lit, les différents papas qui se succèdent, les coups de ceinture, et... heu... Il se ressaisit et frappa Tata pour le faire taire. Le captif se mordit la langue, le sang coula goutte à goutte d'une nouvelle plaie.




"Moi aussi j'en connais des comptines. Maman m'en chantait, j'm'en rappelle. Tu veux les entendre ? Non ? Ok. Sans-coeur. BON. C'est à ce moment que..."

On toqua à la porte, trois coups secs et sonores. Evidemment, sinon c'est pas drôle, le coupable partageait la fâcheuse tendance qu'ont tous les parents à ouvrir la porte immédiatement après sans avoir attendu de réponse.

"A table, jeune fille !

-NANRENTRPAS ! J'SUIS A POIL, TONTON ! LES NICHONS A L'AIR ET TOUT !" gueula-t-elle du plus fort qu'elle put.

La porte se referma précipitamment.

"Oh merde, pardon. Viens manger quand t'es prête !

-Ouais, ouais. Reprenons..."

Lily s'installa plus confortablement sur son ventre, les mains sous le menton, et reprit son récit.
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29/02/2012
Posté le 07/05/2014 à 18:52:07 

Deux paires d'yeux lorgnaient la scène depuis l'ombre sous les tribunes, les uns gris acier et méfiants, les autres bleu sombre et inexpressifs.
Planqués, Voodoo bouillait et Ernest ruminait sa monumentale moustache.

Là-bas devant eux Gemini rossait leur ami à coups de cravache. Des goutelettes vermeil arrosèrent le sable de la piste, qui but avidement la panacée inespérée. Le vaudou se mordit une phalange jusqu'au sang.

"Faut intervenir.

-Oui.

-Tu es prêt ?


-Oui.

-Tu n'as pas peur ?

-Non.

-Alors... ON Y V... Nom d'une putain vérolée !?"

Lily avait eu la même brillante idée que son père, à savoir se faufiler au milieu d'une foule hostile en plein endroit fermé où on allait torturer un ami. Le tout sans avoir réfléchi à la suite. Donc, une petite fille courait sur la piste en direction du Maître, criant de colère de toute la force de ses poumons.

"Arrête, sale moche ! L'a rien fait d'mal !"

La gifle du Maître cueillit l'enfant. Elle fut stoppée en pleine course et s'étala sur le sable.

"Voilà la merdeuse. Encore un de ces dégénérés, l'équipe de rêve ! Nul doute que Tata l'a aussi accueilli dans sa couche, heh ? Et qui sait s'ils se sont pas tapé la gamine, aussi ? Ou même le nain ?!"

La deuxième tête rit aux mots de la première. Pleurant à chaudes larmes, la lèvre fendue, Lily tenta de cracher au visage du directeur. Comme elle avait entendu son père vouloir le faire. Cela ne plut certainement pas au Maître.

Il frappa la gamine d'un revers de cravache. Le cri de douleur qu'elle poussa fit silence sur le chapiteau. Il leva le bras à nouveau, pour larder encore le visage de la petite merdeuse. 

"Petite insolente ! Petite peste ! J'en ai assez ! Où se planque ton taré de géniteur ?

-Ici, connard !"

Un corps comme un sac de sable le percuta avec la force d'un cheval au galop. Sonné, le Maître déséquilibré se retrouva le cul dans la poussière, la cravache volant loin de sa main. Le gros clown se précipita à son secours, fébrile.

Gemini leva les yeux sur un Voodoo droit comme un I, furieux et serrant les poings.

"Tu oses... Lever la main sur moi -Nous ?!"

"Maître ! Tu maltraites mon ami, tu frappes ma fille ! C'est TOI qui oses ! Tu nous traites comme des animaux. Assez ! Tu nous payes une misère. Tu t'engraisses sur notre dos."

Il fallait haranguer la foule. Voodoo déplia ses longs bras scarifiés et offrit ses cicatrices et brûlures à la vue de tous.

"Pas étonnant que Tata vende ses charmes. On a pas de quoi se payer une vie. La monstrueuse brute qui nous sert de chef n'a cure de nos petites vies d'employés. Il doit payer !"

Ernest ne prêta attention ni à Gemini ni au Clown. Il releva Tata, le poussant vers une sortie inespérée, puis alla planter sa masse aux côtés de son ami.

"Toi aussi, tu me défies ? Abruti. Tu es prêt à crever avec ces chiens ? Tu y passeras aussi."

La moustache du colosse s'agita. Sa belle voix ample et grave fit comme un trou de silence dans la rumeur ambiante.

"Oui."
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Posté le 08/05/2014 à 15:55:52 

L'instant de flottement divin provoqué par le moustachu ne dura guère longtemps. Rapidement, les murmures reprirent dans l'assistance. Les avis étaient partagés... Les deux clowns restants, aussi fidèles au Maître que l'était leur gros frère, se frayèrent un chemin à coups d'épaules vers l'avant de la foule pour aller protéger leur employeur. On commençait à protester.

Les uns : Maltraiter un membre du cirque ? NOTRE cirque ? Frapper la gosse ? Enfoiré ! Brute ! Il a pas tort, on vit comme des paysans. C'est indigne de nous.

Les autres : Il a raison. C'est qu'une bande de sournois. Toujours à magouiller... De toute façon, je les ai jamais aimés ! Pas faux, merde ! Mate moi cet air chafouin... J'savais qu'ils cachaient des choses ! Perfides !

L'accouplement verbal détonnant : Bande d'enfoirés ! Salauds ! Vous voulez not' mort ? Tu parles, chiffe molle ! la mort du petit cheval, c'les types dans ton genre ! Tu veux les défendre ? Va donc baiser les clients à ton tour, déchet !

Un dénommé Ricolo -et pourtant je vous assure que ses parents l'aimaient- , cracheur de feu de son état, prit la défense de la bande d'insurgés. Il fut réduit au silence par un jongleur, lui-même frappé par un trapéziste, ensuite pris à parti par un homme-crocodile... De loin un des meilleurs spectacles jamais produits dans ce cirque de fous.





Le Maître ne tarda pas à faire sa tribune du terreau de doutes.

"Il vole les cadavres ! Hérétique ! Apostat ! Cannibale ! Voyez son air de singe malade et ses dents gâtées ! Et vous faites confiance à ce type ? N'voyez-vous donc point ? Imbéciles ! Pendez-les !"

Postés face à face, les deux -ou plus exactement les trois- chefs de parti improvisés étaient tendus à se rompre. Voodoo, les siamois. Leurs lieutenants d'un soir qui se fusillent du regard. Les clowns, l'Hercule.
Le premier geste vint du Gros Clown. Il fonça sur Ernest, levant une matraque de chêne, visant la tête. Le colosse bougea immédiatement, interceptant le coup et repoussant l'agresseur d'un monumental coup de boule. S'y mélèrent les deux autres membres du trio de comiques.

Le combat s'engagea, les clowns occupés par Ernest tandis que Voodoo s'avança sur Gemini. Plus maladroit et plus lourd, le Maître peinait à esquiver les coups, mais il avait l'avantage de la force sur Voodoo, plus mince et noueux.

La vague de violence percuta la foule. Elle trembla, s'agita, et tout déborda.


Little Lily
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Posté le 09/05/2014 à 01:58:59 

Ca se battait de partout. A coups de planches, de piquets de tente, de bouts de métal et quelques véritables armes d'ordinaire planquées dans une chaussure.
La première victime de la soirée, un mime, tourna trois fois sur lui-même avant de s'écrouler sans un bruit. Un vrai pro. La colère monta d'un cran ; de méchante baston de bar ça devint une vraie bataille.

On aurait pu passer des heures à décrire les combats, mais ça aurait été mentir. Tout alla très vite ; quand on a pour seule arme la première merdouille trouvée on n'a pas droit à de belles passes d'armes ni à des échanges courageux, juste une suite de coups vicieux qui laissent un pauvre gars sur le carreau avant qu'on s'en prenne à un autre ou qu'on se fasse soi-même cueillir.



Plus bas sur le sable -l'oeil du cyclone, sauf que l'intérieur était pour cette fois aussi ravagé que les alentours- Ernest était maintenu par deux clonws, tandis que le troisième le tabassait à coups de matraque. Le géant se débattait tant et si bien qu'il donnait autant de coups qu'il en recevait.


Voodoo luttait pied à pied avec Gemini, prenant le dessus quelques instants. La main droite serrée autour d'un cou, la gauche bataillant pour dévier les coups. Une main qui pare un coup de poing vers l'abdomen, l'autre qui tente de repousser un visage grimaçant. La main gauche du maître saisit la mâchoire de son ennemi, voulut la tordre ou la déboîter, mais se retrouva retirée précipitamment lorsque Voodoo referma les dents et serra du plus fort qu'il put, assez pour quasiment sectionner une phalange. Le goût du sang lui emplit la bouche et l'acte lui donna quelques précieuses secondes de répit, le Maître pestant et jurant en secouant la main comme un beau diable.



La meilleure arme à portée de main ? Une épingle, auparavant fichée dans une poupée.

La cible la plus atteignable là, maintenant tout de suite ? ...

Voodoo brandit son arme improvisée, visa l'affaire d'une demi-seconde et amorça le mouvement. Gemini vit le coup venir et tenta d'arrêter le geste, paniqué. Il serra tant qu'il put le poignet armé, louchant sur la longue pointe effilée qui s'approchait. Un filet d'urine coula le long de sa jambe. Le pauvre s'était pissé dessus dans sa peur. Voodoo ahana et redoubla d'efforts.

Lentement, l'aiguille parcourut les derniers centimètres la séparant de l'oeil initialement visé et entama la cornée. Gemini commença à hurler à l'unisson, les jambes ployant en arrière et la tête vibrant presque de manière de incontrôlable. Le bout de métal acéré continua sa traversée du globe oculaire et atteignit le nerf derrière. C'est après une légère résistance -vaincue lorsque Voodoo banda ses muscles pour enfoncer plus loin l'épine meurtrière en tremblant- qu'elle pénétra le cerveau. Du sang gicla, mêlé à l'humeur blanchâtre coulant de l'oeil crevé.

Le Maître tomba à la renverse, le premier frère déjà perdu avant d'avoir touché le sol ; le deuxième en état de choc, sentant le poids inerte de son jumeau mort soudé à lui l'entraîner peu à peu. Il chuta lourdement en arrière. Ce qui restait du tyran tenta de ramper, crispant les doigts sur le sable et la poussière et traînant vainement à sa suite, en crabe, le cadavre qui constituait la moitié de son propre corps. Cela se finit dans un hoquet poussif, glaviot sanglant rejeté avec peine.

L'homme gris retira la longue épine et la jeta loin de lui. Ce n'était pas la première fois qu'il tuait, mais pas devant sa fille. Lily se cachait les yeux mais ne pleurait pas. Le père se précipita vers elle, la rassurant du mieux qu'il pouvait. En s'interposant, il cacha le cadavre à la vue de la petite.
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Posté le 09/05/2014 à 12:16:25 

Les sons déferlèrent sur le petit groupe comme un ouragan.

"...Ils ont tué Gemini !

-LE MAITRE A ETE ASSASSINE !

-GEMINI ! GEMINI EST MORT !

-A MORT !! PENDEZ-LES !

-LYNCHEZ-LES !"

La mêlée redoubla dans les gradins. Les plus téméraires des partisans du Maître escaladèrent les rangées de bancs, sautant dans l'arène. On poussa Angus qui tomba à son tour du premier rang. Il fallut de l'aide aux trois clowns pour maîtriser Ernest et le balancer au sol. On lui attacha les mains dans le dos, et un petit groupe de pouilleux entreprit de passer une corde autour d'une des poutres et de traîner le colosse vers la potence improvisée...

Les mains agrippèrent les vestes, les vêtements se déchirèrent. Candy fut tirée, hurlante, dans la masse d'émeutiers en colère. Angus tenta de son mieux d'arrêter le mouvement, mais un vicieux coup de coude l'envoya au tapis.

Sang et violence !
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Posté le 09/05/2014 à 17:52:11 

Voodoo tourna la tête, cherchant son ami du regard. Une trouée dans la foule le lui révéla.

Le pendu se débattait, les yeux exorbités et la langue pendante. Aucun râle ne franchit sa gorge torturée. Pas un grand causeur, dans la mort comme dans la vie. L'entouraient ses bourreaux, qui lui crachaient dessus, le frappaient et l'insultaient.

Angus tira énergiquement sur la veste de Voodoo bloqué par la vision d'horreur, l'amenant à se pencher. Il lui colla ensuite une baffe à réveiller un mort.

"Debout ducon ! T'pote est en train d'crever là-bas !" cria-t-il en pointant du doigt Ernest se débattant au bout de sa corde.

"Tu nous les casses d'puis des années avec tes conneries, alors FAIS QUELQUE CHOSE ! T'Sorcer-docteur oui ou merde ?! Balance ta putain de purée d'juju !

-Merde merde meeerde, oui, je sais, attends, non attends pas, merde, j'peux tenter un truc mais..."

Le mais lui valut une autre mandale.

"Pas de "mais", ducon. Agir s'conjugue au présent !

-Vite, vite !" La sueur coulait le long des tempes du Voodoo qui entama des gestes compliqués, tordant ses mains dans des poses grotesques. Autour du petit groupe de rescapés, la mêlée se faisait sauvage, les hurlements de douleur et de rage constants. Les bruits du bois et du métal frappant la chair allaient crescendo. Des torches s'agitaient dangereusement près de la toile du chapiteau.

Il effectua quelques gestes compliqués. Loin au-delà de la bataille, un hurlement bref scella le sort de Candy.

De désespoir, Voodoo attrapa la première chose à sa portée : la poupée de sa fille. Il tendit le bras vers le mourant en psalmodiant l'ultime mot du maléfice. C'est à ce moment que la nuque d'Ernest se brisa dans un craquement sonore. On put voir la vie quitter ses yeux, et... Non, pas disparaître. S'étendre, en fait. S'étendre tellement qu'une ombre épaisse comme de l'encre virevolta vers le petit fétiche de chiffon en une fraction de seconde.

La seconde d'après, la gamine arracha par réflexe la poupée à son père. Pas le temps de savoir si ça avait marché. Le chaos était total. Rester ici, c'était mourir. La tente avait pris feu, plusieurs corps piétinés jonchaient le sable de la piste. On put voir le Gros Clown étendu de tout son long dans une flaque de sang, le crâne enfoncé par une massue improvisée. Personne ne l'avait jamais aimé, de toute façon. Même pas ses frères, pour le moment nulle part en vue.

Angus, les cheveux en bataille, la barbe brûlée à plusieurs endroits, agitait une planche dans tous les sens, tabassant sans pitié ceux qui tentaient de s'en prendre à lui, hurlant des imprécations à chaque mandale. Tata ne lâchait pas le nabot, griffant sauvagement le visage de ses adversaires avec ses ongles. Le tandem bataillant comme de beaux Diables au beau milieu du capharnaüm. Une peinture vivante, infernal reflet de la folie que n'aurait pas renié Hieronymus Bosch.

Tata se retourna et attrapa le bras de Voodoo avec une force que ne laissait pas présager sa frêle carrure. Une veine battait à sa tempe. Le sang coulait sur son visage depuis une longue estafilade sur son front.

"Et maintenant bouge-toi, abruti ! On doit mettre la môme en sureté !" siffla-t-il.

Le Gris prit sa fille dans les bras, envoyant un coup de pied qui brisa le nez d'une silhouette agressive.

"On se barre !"

Plus trace de la jolie Candy. Ils fuirent, Angus et Tata, puis Voodoo serrant sa fille dans les bras, qui elle-même étreignait la poupée à s'en blanchir les phalanges. La petite regarda en arrière. Au loin, les flammes léchaient le bord du lourd chapiteau et l'incendie se propageait aussi vite que la panique. La silhouette d'Ernest supplicié se détachait sur les flammes.
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Posté le 10/05/2014 à 01:04:50 

Personne d'autre ne se retourna. En vérité, ils allaient fuir, se retrouver éclatés aux quatre coins du monde. Ils ne se reverraient pas avant de nombreuses années. Pour le moment, ils prenaient une courte pause le temps de reprendre leur souffle et s'assurer qu'aucun gêneur ne les avait suivis.
Angus et Tata examinèrent leurs blessures le souffle court. Le repos était bienvenu.

"Ouf... Mille m'liards de putains. Ouf... ouf... J'en reviens toujours pas."

Tata, à genoux, se lavait la crasse et le sang du combat dans l'eau d'une flaque. Voodoo s'assurait que sa fille n'avait rien.

"Angus...

-...Putain de pinte que j'me prendrais, là...

-Angus.

-...Putains de bouseux...

-ANGUS !"

L'appel tendu trancha dans la nuit. Si le duo père-fille avait entendu, il n'en montra rien. Angus soupira et écouta mais fuit le regard du travesti.

"Quoi ?

-Qu'est ce qu'il a fait, là-bas ?

-Qui donc ?

-A ton avis.

-Ah. Lui. J'en sais foutrement rien, beauté.

-Moi je vais te le dire, Angus. Ne ris pas.

-On vient d'buter plusieurs d'mes amis. J'pas envie de rire.

-Verdad sea dicha, hermanito. Ha salvado a un alma."

Silence se fit, lourd et pesant, étouffant même. Que dire, de toute façon ? Tata, catholique espagnol pratiquant d'Aragón élevé aux Reyes Magos et à la Semana Santa, priait en son for intérieur. Pour Ernest, pour Candy, même pour Gemini et tous les morts de l'émeute. Angus rageait de son impuissance devant le funeste destin d'Ernest et songeait avec regrets à la douce et jolie Candy, qu'il n'avait même pas eu le temps de bien connaître et encore moins de trousser.




Les deux camarades contemplèrent encore le père et sa fille, ainsi que la poupée macabre qu'elle ne lâcherait plus pour rien au monde.

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Posté le 10/05/2014 à 01:06:32 

Lily étancha sa soif après cette longue histoire. Elle claqua de la langue deux fois, posément.

"Tu sais d'où tu viens, maintenant. Une belle histoire, je trouve. Et c'est rare."

Elle papillota, perdant le fil de ses pensées comme si un oiseau arc-en-ciel la régalait d'une parade. Elle regarda sa poupée en biais, dans les yeux de bouton.

"Mais ce n'est pas aussi important que de savoir où est-ce que tu vas."



Il y eut un bref silence. Mais différent. Comme une chape de plomb. Puis vint l'appréciation. Une belle voix, ample et grave. Simple et nette, résonnant dans la petite pièce.


"Oui."
 

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