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Alice, Princesse Gardienne de Nollandie
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Posté le 22/10/2008 à 17:45:56 

Livre I – La Dame et le Fou

Chapitre I: Renaissance


Notre résurrection n'est pas tout entière dans le futur, elle est aussi en nous, elle commence, elle a déjà commencé. - Paul Claudel



Liberty, Port d'Ulungen, Avril 1708

Le silence.

Aller concentre-toi!

Rien.

Juste une pensée....

Rien.

La tête vide, la féline est assise contre la paroi de la cale du Thör. Elle soupire, et de colère donne un coup de pied dans le tonneau de rhum vide gisant à ses cotés. Il se met à rouler. Le bruit qu'il fait résonne dans la cale, et tout autant dans la tête de Wildekat.

Rien.

Le bruit du tonneau roulant au sol ne fait écho à rien d'autre. Pas un souvenir, pas une pensée, rien.
Les yeux dans le vide, la féline fixe... un point, sans vraiment le fixer. Son regard se porte au-delà, sans mener nulle part.

Elle attend.

Elle attend un signe. Quelque chose. Quelqu'un. De l'aide. Elle a envie d'hurler son mal-être, de vomir ce manque qui la ronge, d'arracher son coeur si vide et inutile.
Personne ne peut rien pour elle, personne ne comprendrait ce qu'elle a perdu, au mieux elle passerait pour une hérétique.... Personne... non... une personne comprendra peut-être. C'est son seul espoir, une fine lumière au bout du tunnel et elle attend fébrilement une réponse à sa lettre.

Elle attend...

Vlam!!

Un perroquet se cogne contre la coque du Thör. Elle se précipite dehors, laissant ses non pensées à l'intérieur de la cale. L'animal est sonné, et porte une lettre scellée. D'un coup d'oeil elle reconnaît l'écriture.
Elle décachette la lettre avec hâte et se met à la lire attentivement, debout, plantée sur le port.

Mademoiselle,

C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre précédente lettre. J'avoue qu'il est difficile de répondre à toutes vos questions avec autant de distance entre nous.
Je pense en effet qu'il y a des réponses que je pourrais peut être vous donner, ce que vous écrivez, vos doutes, vos rêves, vos cauchemars aussi me rappellent des choses que je connais bien et sans que vous n'ayez pu le savoir, vous m'avez sans doute apporté la réponse en même temps que vos questions.
Mais de tout cela, je ne peux rien dire tant que je n'ai pas vu la personne que vous êtes, ou devrais-je dire, tant que je ne vous ai pas vu tous les deux. Mais je m’expliquerai sur ce dernier point.
Sachez que si vous souhaitez des réponses a vos questions je vous en donnerai, sachez aussi qu'il est probable que vous n'aimerez pas cela, que se sera dur et douloureux. Vous devrez aussi me faire confiance, ce qui ne sera pas la moindre des choses surtout pour vous.
Vous ne me connaissez pas, mais moi par contre je sais à peu prêt tout de votre carrière, vous comprendrez vite pourquoi.
Pour le moment, comprenez que moi aussi je combatte mes démons, alors si vous souhaitez avoir des réponses, il vous faudra commencer par marcher, longtemps.
Rejoignez moi au temple maya, c'est ici que vous aurez (peut-être) ce que vous cherchez. Marchez tant que vous le pouvez, et n'ayez crainte, vous me trouverez.

Un grondement dans le ciel.

La féline lève les yeux: l'orage arrive, mais hors de question de retarder son départ.
Elle évite soigneusement ses frères et n'en croise qu'un qu'elle rassure tant bien que mal à coups de sourires et de taquineries. Sait-il que la féline est à bout? Sent-il qu'elle est différente, divisée, diminuée, incomplète? Elle ne lui en laisse pas le temps.
Il faut partir.
Maintenant.
L'instinct de survie est plus fort que tout dit-on.

Adieu Ulungen... je reviendrais plus forte ou je ne reviendrais pas.

C'est donc le coeur lourd que la panthère fit le chemin jusqu'au centre de l'île, bravant les tempêtes et les pentes glissantes des montagnes, évitant soigneusement les pirates et les mercenaires.
La solitude la gagnait plus que jamais, car elle avait rarement voyagé seule, Tjaard ne la quittant quasiment plus depuis qu'ils s'étaient trouvés sur Liberty. La mort de Rafaella et l'infinie tristesse de Louis-Philippe, la soudaine folie de Gaart et son départ de Hollande, tous ces récents évènements l'avaient affectée plus qu'elle ne voulait se l'avouer. La Panthère gagnait sur la femme et Wildekat se renfermait sur elle-même un peu plus chaque instant.


Liberty, Temple maya, Avril 1708

L'escalade du temple avait été longue et périlleuse. A bout de forces, elle hésita quelques minutes avant de pénétrer dans le sanctuaire. Son premier - et dernier avait-elle alors pensé - séjour dans le temple avait été éprouvant à tout points de vues... mais après tout cette fois-ci elle allait rejoindre une personne qui pouvait l'aider. Une personne qui la comprendrait sûrement et qui avait des choses à lui apprendre. Cela faisait déjà trop longtemps qu'elle avait retardé ce voyage… et puis elle n'avait plus rien à perdre depuis plusieurs mois déjà.

Sans regrets, elle se mit à descendre dans les entrailles du temple, pour se perdre au gré des chemins humides et chauds des souterrains. L'air était chargé de particules poussiéreuses qui emplissaient les poumons et empêchaient de respirer normalement. Dès que Wildekat sentait son rythme cardiaque s'accélérer, sa respiration était comme bloquée par cet air si lourd et asphyxiant, elle avait alors du mal à reprendre son souffle, et plusieurs fois elle crut mourir, incapable d'emplir ses poumons d'air vital.

Sombre, emplie de pensées tristes, la panthère ne dormait plus, et quand enfin elle trouvait un peu de répit ses pires cauchemars revenaient la hanter... Pour Wildekat, ce temple était devenu un catalyseur d' émotions, et tout ce qu'elle s'efforçait d'oublier et de refouler refaisait surface au grand malheur de la panthère.

Les quelques perroquets qu'elle avait pu trouver lors de ses premiers jours se firent de plus en plus rares au fur et à mesure qu'elle descendait dans les entrailles de la terre, et le contact avec le monde extérieur fut de courte durée. Elle du arrêter de correspondre avec ses frères et sœurs, ce qui pesait encore plus à la féline. Elle se trouvait maintenant seule, dans un espace clos hermétiquement, sans nouvelles du monde extérieur.
Les êtres vivants semblaient fuir ce qui se trouvait au cœur du temple, ce qui la confortait dans l'idée qu'elle était sur la bonne voie. A part quelques blattes, et autres insectes qui venaient piquer Wildekat dans son sommeil, plus aucun animal que Wildekat avait l'habitude de fréquenter sur Liberty n’était décelable. Ce temple était en tout points l'opposé de la vie sur Liberty.
Lorsqu'elle mettait la main sur un rat encore vivant, elle en profitait pour envoyer un court message à son correspondant afin de tenter de lui indiquer ou elle se trouvait. Au temps de réponse, Wildekat évaluait la distance qui la séparait encore de son but. Cette distance fictive était devenue son seul point de repère dans ce monde qui semblait faire partie d'un autre Univers.

Ses rêves étaient de plus en plus étranges, elle était passée de protagoniste à spectatrice, comme si ce qu'elle regardait était une autre vie, une autre enfant, dans un autre monde. Plusieurs fois elle avait senti une présence à ses côtés, une présence rassurante, et plusieurs fois elle s'était réveillée en sueur se demandant si elle ne devenait pas folle.

Les jours passaient, et la féline commençait à ressentir la présence de son lynx. Les signaux étaient faibles, mais il était bien dans ce temple, et il n'était pas loin, elle en avait la certitude.
Elle en informa la personne qu’elle recherchait dès qu'elle le pu, mais n'eu pas besoin d'attendre sa réponse pour sentir que Tjaard l'avait maintenant retrouvé et qu'il n'était plus seul.
Son esprit ne s'était pas rejoint à celui de Wildekat comme ils avaient pu l'être par le passé, mais elle sentait sa présence, et elle savait qu'il allait bien. C'était bien assez pour rassurer la féline. Il était à présent entre de bonnes mains, et elle savait que son correspondant en prendrait soin avant qu'elle ne parvienne à les rejoindre.
Un soir après avoir combattu d'étranges prêtres qui voulaient à tout prix l'enfermer, Wildekat s'effondra contre une paroi du temple, fiévreuse, affamée, et à bout.

mon Dieu... je n'y arriverais pas... je n'y arriverais pas... Aidez-moi....


En plein délire, elle sombra dans un de ses cauchemars... elle était assise dans un cachot sombre et humide qu'elle connaissait que trop. La souffrance, la peine, la mort.... voilà ce qu'elle attendait: la mort.
Le froid s'immisçait dans tous ses membres, jusqu'au plus profond de ses os, elle sentait sa peau frissonner... puis la présence qu'elle avait sentie avec elle ces derniers jours dans ses cauchemars refit surface. Quelqu'un était là, à quelques mètres. Elle leva les yeux, et vit une large silhouette se baisser pour être à son niveau. Seuls les barreaux rouillés séparaient leurs visages, mais elle reconnut ses yeux. Il était là, juste devant elle.

Une prière résonnait dans sa tête, comme un air lent et redondant...

Ses yeux s'ouvrirent d'un coup.
Elle n'allait pas mourir, elle allait vivre, et se battre.
Elle allait retrouver Tjaard et son correspondant.
Sans attendre elle se leva, grelottante de fièvre, trempée de sueur, la vision troublée, la gorge sèche, mais une volonté de fer. Elle s'appuya sur sa lourde épée pour marcher et se laissa guider par son coeur.
Elle tourna, descendit, remonta, rampa, grimpa, tourna encore dans le dédale maya, mais pour la première fois de sa vie, elle savait ou elle allait. Elle connaissait le chemin, les yeux fermés, elle suivait un fil invisible qui l'amènerait à son but.
Elle ne savait pas comment ses jambes la portaient encore, où elle trouvait l'énergie nécessaire pour marcher, mais elle avait un seul but: avancer, trouver Tjaard et son correspondant. Il en allait de sa survie, c'était maintenant ou jamais.

Il fallait qu'elle le trouve, il pourrait l'aider à retrouver cette osmose avec Tjaard. Il lui apprendrait ce qu'il savait... elle sentait qu'il connaissait de nombreuses choses qu'il lui avait cachées, mais elle était prête maintenant à apprendre. Il connaissait la Voie, et lui seul pouvait lui montrer...

Au détour d'un couloir, elle l'aperçut enfin.
L'homme était de dos, affublé d'habits de la croix Saint-Georges, portant un chapeau melon de commerçant anglais, mais même déguisé en pirate, elle l'aurait reconnu entre mille. C’était bien celui à qui elle pensait, malgré cette nouvelle tenue.
Son coeur fit un bond de soulagement, et un sourire se dessina sur les lèvres de la féline, le premier depuis des semaines. Elle n'avait plus la force d'avancer ni de parler, mais alors qu'il se retournait pour lui faire face, elle souffla son nom …
Gaïus Quesada
Gaïus Quesada
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Posté le 23/10/2008 à 15:24:29 

Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis. 
Edgar Allan Poe

Chapitre II : Révélations


- « Bonsoir Wildekat »
L’homme se retourna doucement vers la jeune femme son visage furtivement passa dans la faible lumière qui pénétrait dans la pièce.
- « Charles ? Charles de Craon ? »
- « William. Charles pour le moment est… parti. Mais je vous en prie asseyez-vous. »
Il fit un geste de la main vers une pierre plate tombée à même le sol et pris lui-même place sur une autre en face. La jeune femme le regarda interdite.
- « J’étais… J’étais à la recherche de quelqu’un et… est-ce vous ?
- « Plutôt que de quelqu’un je dirai que vous étiez à la recherche de réponse. N’est-ce pas ?
- « Oui… de réponses… je suis… je suis très fatiguée. »
L’homme qui se faisait appeler William se leva d’un bond et rattrapa la hollandaise sous les bras, avant qu’elle ne s’écroule exténuée.
- « Je vous avez dit de vous asseoir. »
William, souleva Wildekat avec un grognement et la posa le plus délicatement qu’il le put sur le sol, puis il entreprit de lui retirer ses armes et tout son accoutrement de combat qu’il posa sans ménagement à ses côtés.
- « Voilà, pour ce soir vous n’en aurez plus besoin. Dîtes-moi ? Vous avez des biscuits ?
- « Des biscuits ? euh ? Je ne sais pas…
- « Ca m’arrangerait un peu, parce que je n’en ai plus. »
La jeune femme regarda dans sa besace et fini par extraire quelques précieux biscuits du fond de celle-ci.
- « Je.. .Voilà…

- « Oh ! Magnifique ! Permettez ? »
William les lui prit des mains et émis un sifflement strident qui résonna sur les parois des murs du temple tout comme dans les oreilles de Wildekat.
- « Un, deux… trois ! »Il lança les biscuits en l’air, la jeune femme surprise les suivit des yeux dans l’obscurité et tout à coup elle vit surgir une ombre l’espace d’une demi seconde… Les biscuits avaient disparus sans avoir touché le sol.

La pièce où se trouvaient les deux personnes était fort sombre si bien qu’il était difficile pour les yeux de s’y acclimater, terré au plus profond des dédales du temple inca l’air que l’on y respirait était lourd et chargé d’odeur de mort et de moisissures. Il y régnait une fraîcheur humide et malsaine. William, ou bien Charles, ou encore Athanael, lui-même parfois ne savait plus très bien n’avait pas vu les rayons du Soleil depuis des semaines, il en venait presque a regretter de temps en temps le camps des ours ou les rues de New Kingston qu’il n’avait, en fin de compte, que fort peu fréquenté depuis qu’il avait reçu les armes de saint George et surtout depuis que Zacharie était mort.

Il observa durant quelques longues minutes le visage de cette jeune femme qu’il ne connaissait que par les écrits qu’elle lui avait envoyé depuis quelques temps.Leur première rencontre, il s’en souvenait très bien, avait eu lieu le lendemain de la prise de la tour hollandaise de Van Ders. Ce jour là il avait dû la combattre, elle et son ami Tuxedo Fenrir, alors qu’ils étaient tous deux habités par un mal mystérieux. Il se rappelait comment à cette époque ce mal avait touché beaucoup de hollandais et comment le conflit qui engageait alors la France et la Hollande avait réveillé des forces obscures au-delà de tout entendement.  Bien sûr à cette époque il n’avait pas réellement compris ce qu’il en était, et même maintenant malgré l’enseignement qu’il avait reçu de Zacharie il était encore à la recherche de réponses sur les nombreux événements qui touchaient l’île de Liberty. C’est comme ça qu’il avait pris contact avec Wildekat, quand celle-ci s’était remise de son ensorcellement, et c’était aussi une des raisons de sa présence ici depuis si longtemps. Au fil de leur échanges épistolaires, Charles s’était rendu compte avec un certain soulagement qu’il n’était peut être pas le seul à découvrir des choses inexpliquées sur son parcours, et si lui avait, grâce à la Voie Subtile qui lui avait été révélée, réussi à aborder certaines questions quand à la véritable nature de cette île, il comprenait maintenant que le lègue laissé par son maître devrait continuer à être transmis. Et que par la force des choses il en était maintenant le dépositaire. Avant de connaître et d’éventuellement répondre aux nombreuses interrogations qu’avait Wildekat, Charles savait qu’il devait en premier lieu s’assurer d’une chose qui pourrait s’avérer fondamentale. C’est pour cette raison qu’il avait invité la jeune femme à le rejoindre. Et à cet instant elle était enfin devant lui. Il se devait de lever ou de confirmer ce doute qu’il avait depuis plusieurs jours, ce doute qui était apparu avec une de ces dernières lettre, un doute qui portait un nom imprononçable pour lui… Tjaard. 

- «  Je pense qu’il y a quelqu’un ici qui sera ravi de vous revoir chère amie. »
Wildekat quitta la contemplation de ses mains, ses yeux étaient encerclés de larges cernes noires, et il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’elle était à bout de force. Charles estima que ce serait là le meilleur moment pour réaliser l’expérience qu’il avait en tête. Il frappa deux fois dans ses mains.
- « Venez ici, vous deux ! »Après quelques petites secondes, deux ombres apparurent aux pieds du soldat. Il s’agissait d’un petit singe et d’un petit lynx que Wildekat reconnu aussitôt.
- « Tjaard ! » elle esquissa un sourire fatigué. « Je vois que tu vas bien » puis regardant Charles. « Je vous remercie de vous en être occupé ».
- « N’en faîtes rien, je crois au contraire que se sont ces deux là qui se sont occupés de moi ces derniers temps. Ils ont des capacités… impressionnantes. Surtout quand ils sont tous les deux ensembles. Mais depuis deux jours, Tjaard ne tient plus en place et montre un… pouvoir en constante augmentation.
- « Un pouvoir ?
- « Oui… ou quelque chose approchant, quelque chose qui m’à été révélé sous le nom de la Voie Subtile.
- « Je ne crois pas savoir de quoi vous parlez.
- « Peut-être justement que vous en savez plus que vous ne le pensez, peut-être que c’est juste le nom que vous ignorez. Dans… »
Charles fouilla dans la poche de sa veste
- « Dans vos lettres, vous parlez de rêves… étranges… de rêves qui vous ramènent souvent à votre enfance, à votre passé… je crois.
- « Je, oui, c’est vrai… Parfois ils sont très fréquents et parfois je ne le fait plus, parfois aussi j’ai l’impression que ce ne sont plus des rêves… mais… c’est ridicule je sais bien mais… parfois j’ai l’impression de le vivre comme s’ils étaient…
- « Réels ? »
Wildekat regarda l’Anglais d’un œil interrogateur.
- « Oui… c’est cela, mais comment le savez vous ? Je ne crois pas l’avoir jamais mentionné dans mes lettres.
- « Comment je le sais voire pourquoi je le sais n’a pour le moment pas de grande importance. Par contre ce qui m’intéresse c’est que vous vous le sachiez.
- « Comment ? Je… je ne comprends pas.
- « Comprendre n’est malheureusement pas toujours suffisant. »

Charles sourit et se leva, il fit quelques flexions pour se dégourdir les jambes qu’il sentaient prises peu à peu par le froid.
- « Il gèle ici n’est ce pas ? Dès qu’on ne bouge plus c’est encore pire. Vous vous souvenez de du coffee shop d’Ulungen ? Un endroit chaleureux et fort bien tenu, j’ai toujours plaisir à m’y rendre. » Wildekat secoua la tête en signe d’incompréhension.
- « Je… oui… évidement que je m’en souviens…
- « Quand y êtes vous allé pour la dernière fois ?
- « Je ne sais pas… je dirai il y a deux semaines peut-être… mais pourquoi me ? …
- « Racontez moi.
- « Pardon ?
- « Racontez moi la dernière fois que vous êtes allé au coffee shop. C’est pourtant simple. Dîtes moi comment c’était. »
Charles fit quelques pas et tendit le bras tandis que le petit singe lui grimpait le long de son épaule. Il caressa doucement la tête du petit lynx et le poussa gentiment vers sa maîtresse, lequel ne se fit pas prier pour aller se lover dans les bras de celle-ci.
- « Alors ? »

Interdite, Wildekat décida tout de même d’accéder à l’étrange demande de son interlocuteur.
- « Et bien, il n’y avait pas grand monde, comme… comme d’habitude quand on y entre Teufteuf est toujours derrière la porte pour vous saluer, il y a le comptoir avec les barriques derrière… une petite table sur la gauche et une plante verte juste derrière…
- « Comment sont les murs et le sol ?
- « Je… Wildekat fit un effort de concentration intense vu l’état de fatigue dans lequel elle se trouvait… Les murs sont recouverts d’une sorte de bois clair et le sol… le sol est fait de briques marrons sombres… je crois…
- « Il y fait chaud ?
- « Oui… oui je crois qu’il y fait souvent bon, il y a… des fauteuils rouges fort agréables sur lesquels j’aime à m’installer, souvent Ruud Bullit et Smoking Jam y sont aussi… »

Toute intensément concentrée qu’elle était sur la description du lieu, les yeux fermés pour se remémorer l’endroit et le petit lynx dans les bras, la jeune femme ne se rendit pas compte que la pièce où elle se trouvait changeait peu à peu de forme. L’air se faisait plus doux, l’espace plus grand, l’odeur de moisissure avait cédé la place à un parfum tenace de fumée… Quelque part plus loin, elle entendit même quelqu’un s’exprimer en hollandais. Cette dernière chose la perturba quelque peu tant elle avait le sentiment que la voix était réelle dans son souvenir. Elle ouvrit les yeux et lança un petit cri de surprise.
Devant elle, William Baker, ou bien Charles de Craon, le visage mangé par une barbe de plusieurs semaine et un petit singe  sur son épaule était assis confortablement dans un grand fauteuil rouge. Il fumait une pipe et la regardait en souriant.

- « C’est quand même un endroit bien plus confortable que ce temple n’est ce pas ?
- « Comment… comment avez-vous fait cela ?
- « Moi je n’ai rien fait du tout. En fait ça n’est pas la bonne question.
Wildekat regarda autour d’elle et tout était là, comme dans son souvenir, elle voyait même cet ami hollandais qu’elle avait croisé par hasard dans ce coffee shop la dernière fois qu’elle y était passée. Bien que celui-ci regarde dans leur direction il ne semblait pas s’être aperçu de leur présence.
- « C’est… impossible…
- « Disons que c’est… peu commun. Maintenant vous devez vous poser la bonne question…
- « La bonne question ? »
Charles tira une bouffée sur sa pipe.
- « Allez-y vous en mourrez d’envie.
- « Comment… comment ceci est-il possible ?
Charles sourit encore une fois.
- « Oui. Ca, c’est la bonne question. »

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Alice, Princesse Gardienne de Nollandie
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Posté le 24/10/2008 à 00:01:27 

                                                     Chapitre III : Eveil

                            On ne force pas une curiosité, on l'éveille – Daniel Pennac
 


La féline scruta l’homme, pour déceler une quelconque plaisanterie mais il semblait on ne peut plus sérieux. Ceci dit, Wildekat ne l’avait jamais vu plaisanter, et à vrai dire, elle se demandait si l’homme en était capable. Il semblait tellement froid et détaché. D’ailleurs, quelle cruauté que de lui demander autant d’efforts alors qu’elle était à bout de forces… son cœur était-il donc aussi dur que la pierre ?
Non, vraisemblablement, il n’était pas d’humeur taquine. Elle concentrait alors toutes ses forces pour réfléchir à ce qui se passait devant ses yeux, mais elle n'osait pas y croire... comment avait-elle pu faire cela?

Soudain, une lointaine expérience lui revint. C'était lors de son premier séjour au temple. Elle avait alors fait un rêve tellement vrai qu'elle avait cru à une hallucination, mais elle s’en souvenait bien. Elle s’était retrouvée sur son île natale, en Frise.
L’expérience n’avait pas été uniquement visuelle comme dans un rêve. L’air marin si particulier d’Ameland s’était introduit au plus profond de ses poumons et le sel s’était collé sur ses lèvres, leur donnant un goût salé, alors que la brise fraîche avait caressé ses cheveux. Elle avait même pu toucher le sable si fin du bout des doigts. Tout était comme sur son île natale, tout les détails étaient là, et Tjaard était là aussi, et...
La féline observa alors son lynx qui la regardait de ses yeux perçants et qui était toujours lové dans ses bras.

Elle leva brusquement la tête vers William, affichant un air surprise.

« Tjaard ! ... serait-il possible que... que ce soit lui qui ... qui rende tout ceci possible...? »
L'homme sourit une nouvelle fois à Wildekat. Quelques vapeurs de fumée s'échappèrent de sa bouche.
« Effectivement. Sans votre jeune lynx, rien de tout cela ne serait possible. »

La féline sembla accuser le coup. Elle avait toujours trouvé que son lynx était particulier, et elle savait que leur relation était pour le moins originale, mais elle n'avait jamais imaginé pareille chose. Machinalement, elle passa sa main dans la douce et épaisse fourrure de son lynx et il se mit à ronronner.
William l'observait calmement, fumant sa pipe comme si il était arrivé au coffee shop le plus naturellement du monde après un bon dîner à la taverne d'Ulungen. Seule sa barbe de plusieurs semaines et l'état de ses habits témoignaient d'où il venait en réalité. Monsieur Papillon ne quittait pas l'épaule de son maître et observait Wildekat avec des yeux encore plus curieux que ceux de William. Etait-ce la fatigue? Ses yeux secs la piquaient et entre deux clignements, elle cru apercevoir le singe sourire. C'est alors qu'une réalité la frappa.

« Charles! Monsieur Papillon et vous... c'est pareil n'est-ce pas? »
William semblait pensif, observant Tjaard puis Wildekat.
« Pareil, c'est un bien grand mot... chaque relation est unique dans ce monde, il en va de même pour la relation que vous avez avec Tjaard et celle que j'ai avec Monsieur Papillon. Cependant, vous conviendrez qu’il existe des ressemblances dans certains types de relations, et en ce sens, on peut dire que ces relations sont de même nature.
- « De quelle nature?
- « Vous avez déjà la réponse à cette question.»

Un frisson parcourut le corps de Wildekat. Il lui rappelait dans quel état de fatigue elle se trouvait, mais elle secoua vigoureusement la tête pour garder toute sa concentration. Elle n'avait pas fait tout ce chemin et ces efforts en vain. Elle se mit à réfléchir à voix haute:

« De toute évidence Tjaard et moi sommes étroitement liés... je n'ai jamais été aussi mal que ces dernières semaines alors que lui et moi étions... séparés...
- « Il existe un lien entre vous et Tjaard, un lien complexe.
- « Mais quel lien?
- « Je n'ai pas réponse à toutes les questions, mais j'ai quelques pistes. Nous en reparlerons.»

Wildekat détourna la tête pour observer les lieux. Chaque détail de ses souvenirs était là, et si elle n'avait pas été si extenuée et habillée moins salement, elle se serait effectivement crue au coffee shop d'Ulungen. Un détail cependant l'intriguait. Un de ses amis était présent près du comptoir, mais ne semblait pas les voir. Elle le fixa un instant, et eu l'impression qu'il avait sa propre vie, sa propre vision, et qu'elle et William étaient transparents à ses yeux. Elle s'approcha de William non sans effort, car ses muscles semblaient tétanisés de fatigue, et lui chuchota :

« Charles... mon ami Hollandais, il... il n'est pas vraiment là, n'est-ce pas?
- « Il est là, dans votre souvenir, au même titre que ce fauteuil très confortable que vous m'avez attribué, ce dont je vous remercie, ou que cette plante verte.
- « Je comprends. Tjaard me permet donc de matérialiser mes souvenirs... mais alors pourquoi est-ce que je revis mes cauchemars sans le vouloir... et pourquoi... pourquoi vous..... » Sa voix s'étouffa, elle avait la gorge tellement sèche qu’elle se mit à tousser.
Ses yeux se fermaient tout seul, et sa tête se faisait de plus en plus lourde, prête à exploser.

La féline luttait pour rester éveillée et concentrée sur ces questions qui la tracaissaient, mais le froid revenait lui glacer les os alors que son front semblait brûler. Elle sentait par ailleurs son dos se raidir de douleur à chaque seconde. Wildekat porta la main à son visage pour tenter de cacher son mal-être mais elle sentit tout son corps se ramollir comme si il ne lui appartenait plus. Elle devint aussi blanche que la fumée qui s’échappait de la pipe de William et n'eut pas le temps de voir disparaître autour d'elle les murs du coffee shop.

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Gaïus Quesada
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Posté le 24/10/2008 à 10:56:50 

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Et leurs pensées se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur.
V
ictor Hugo


Chapitre IV :  Méditations

Charles allait tirer une nouvelle bouffée de cette excellente herbe mais la pipe avait disparue. Il avait beau savoir qu’elle n’avait jamais existé il la regretta immédiatement ainsi que le fauteuil rouge, bien plus confortable que la pierre où il se retrouvait à nouveau assis.

- « Mince, souffla t-il, toujours au meilleur moment. »

Il se leva d’un bond et rattrapa l’hollandaise qui s’écroulée exténuée sur le sol. Le petit Lynx à côté d’elle semblait nerveux.

- « Ca va aller, dit le Français, ne sachant pas très bien s’il s’exprimait pour lui-même, pour la jeune femme ou pour le félin. Elle est à bout de force, c’est normal ».

Il sorti une couverture de son sac et la passa sur les épaules de Wildekat, puis il l’allongea dans un coin de la pièce du temple.

- « Dormez maintenant, jeune fille, nous veillons sur vous. »

La nuit était déjà bien avancée, mais il redoutait toujours une apparition subite de ces prêtres maudits qui peuplaient l’endroit, la seule chose que Charles appréciait chez eux c’est qu’il étaient peu bavards. Cela lui convenait tout à fait, il n’aimait pas discuter avec ceux qu’il tuait. Pas question non plus de faire un feu, là où il se trouvaient il n’y avait plus un seul bout de bois. De la pierre et des cailloux, voila tout ce qu’il avait sous la main.
Charles s’installa près de Wildkat et attendit, dans quelques heures il leur faudrait repartir, et cette fois il n’était plus seul. Pour la première fois depuis très longtemps il se sentit responsable de l’avenir de quelqu’un, du moins responsable de l’avoir amenée là où elle était.
Pour autant il ne regrettait rien, le regret était quelque chose qu’il avait peu à peu effacé de sa psychologie. Le temps faisait son œuvre, et s’il n’oubliait rien, il ne se permettait pas de s’attarder trop longtemps sur ses décisions. Il fallait qu’elle vienne ici, dès la première lettre qu’il avait reçue de la part de la jeune batave il l’avait compris, il l’avait senti. Maintenant et grâce à l’expérience qu’ils venaient d’accomplir tous les deux, il n’était que plus sûr de son choix. Il y avait là un potentiel incroyable qui devait recevoir une formation et cette fois il n’aurait pas le droit à l’erreur. Elle était la troisième personne qu’il connaissait à montrer ce don, la première était bien sur lui-même, la seconde avait suivi son chemin… cette fois il devait savoir.  

La nuit avançait à pas de loups et le Français sentait des mouvements autour de lui, monsieur Papillon non plus n’était pas tranquille, ils ne pourraient pas rester là bien longtemps. A côté d’eux Wildekat dormait profondément, c’était bien comme ça, elle aurait besoin de toutes ses forces pour les jours à venir, la partie qu’ils allaient jouer ne faisait que commencer et elle n’était pas prête.

- « Moi non plus d’ailleurs », se dit-il en lui-même.

Deux, peut-être même trois heures de plus passèrent. Charles toujours assis sur le sol montait la garde, l’esprit ouvert et les sens à vif. Il appliquait en cela ce que lui avait enseigné Zacharie durant les longs mois qu’ils avaient passés dans la jungle. D’une certaine manière il était toujours en formation, même si Zacharie n’était plus. Il serra dans sa main le bandeau noir que ce dernier lui avait donné avant de mourir. Avait-il échoué ? Sans doute. S’était-il fourvoyé ? C’était certain. Mais au fil des jours qu’il avait passé ici, une nouvelle voie s’était imposée a lui, quelque chose de simple quelque chose auquel il aurait peut être du penser bien plus tôt…Mais il croyait au destin, et il savait aussi que les actions du passé préparent bien souvent celles du futur.  

Soudain, un bruit de casseroles retentit à plusieurs mètres d’eux. Charles sourit dans le noir.

- « Ca marche à tous les coups »

Il secoua doucement la jeune femme qui dormait près de lui. Elle se réveilla en sursautant.
- « Charles ? Mais que… »Il lui posa une main sur la bouche.
- « Taisez vous. C’est l’heure pour nous de partir. Quand je vous le dirai et pas avant vous vous lèverez et vous partirez sur votre gauche. Inutile de répondre, vous m’avez parfaitement compris. »

Le Français enleva sa main et se leva. Avant même que la belle ai pu souffler le moindre mot il disparu dans l’obscurité.
Wildekat attendit quelques minutes, des bruits de pas résonnaient doucement autour d’elle. Tout à coup elle senti un souffle chaud près de son oreille droite.

- « Allez y. »

La jeune hollandaise se leva bien plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru possible. Et doucement se déplaça sur sa gauche, presque à tâton tant l’obscurité qui régnait dans la pièce était importante.
Elle avançait encore quand soudain elle se retrouva nez à nez avec un de ces prêtres maléfiques qui hantent le temple. Sa bouche s’ouvrit mais aucun cri ne put en sortir.  Une lâme traversa la gorge du prêtre qui s’écroula. Wildekat reconnu t le visage de Charles qui se tenait derrière. Il avait un regard de fou amplifié par sa barbe hirsute.

- « Ecartez-vous ! »

Le Français la prit par la taille et la fit tourner sur elle-même, tandis que son pistolet cracha une balle à bout portant dans le crâne d’un second prêtre. Charles fit le tour de la pièce. Il n’y avait plus personne. Wildekat était restée sans bouger, transie. L’homme ne semblait absolument pas faire attention à elle.

- « Prenez vos affaires nous partons. »
Elle le regarda surprise.
- « Et… Et où allons nous ?  Charles se retourna et sourit.
- « Chercher des réponses. »


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Alice, Princesse Gardienne de Nollandie
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Posté le 03/11/2008 à 22:31:13 

                                                 Chapitre V: Connection 

         Les relations sont surement le mirroir dans lequel on se découvre soi-même
                                                   – Jiddu Krishnamurti



Encore sous le choc, Wildekat ne discuta pas. Elle attrapa sa lourde besace, remit sa ceinture, glissa son sabre dans son fourreau et emboîta le pas à Charles, qui était déjà parti dans un petit couloir sinueux.

L’homme avançait vite, et Wildekat avait du mal à le suivre, mais elle avait bien remarqué qu’il n’était pas question de discuter. Pour une fois, la féline s’exécuta, sans remettre en question la décision de l’homme.
Leur progression était difficile. Parfois ils croisaient un groupe de prêtres et William s’en occupait aussi rapidement et froidement qu’une machine. Ceci dit, Wildekat n’éprouvait aucune compassion pour ces derniers. Du peu qu’elle en avait vu, ces prêtres là étaient encore pires que ceux du continent. D’ailleurs ils parlaient peu, et dans une langue qui lui était inconnue.

Cependant, elle observait l’homme attentivement. Elle connaissait peu de tireurs, et elle avait souvent pensé que leur art était des plus approximatifs. Il lui semblait que pour la plupart d’entre eux, du moment qu’ils faisaient beaucoup de bruit avec leur canon, l’impact importait peu. Charles, lui semblait être aussi incisif avec son pistolet que Wildekat avec son épée. Il tirait avec une précision et une concentration extrêmes et procédait méthodiquement, à la façon d’un chasseur.
Sa façon de faire lui plaisait. Pas de chichis, pas de courbettes, pas de souffrances inutiles, droit au but.

Les couloirs s’agrandissaient, et l’air se faisait plus respirable. Ils débouchèrent alors sur un carrefour, où plusieurs corsaires de Hollande et de France avaient installé un campement de fortune pour se reposer. Wildekat fût surprise de voir des êtres humains dans ces lieux si reculés et austères.
Elle aurait aimé leur parler, mais Charles accéléra le pas, vissant son chapeau melon sur sa tête et elle comprit qu’il ne voulait pas être reconnu. Il était effectivement recherché par les Français, et n'avait jamais été le meilleur ami des Hollandais.

Elle tourna les talons et entrepris de le suivre alors qu’un Hollandais la hélait :
 

« Hé ! Wilde ! »

Elle fit mine de ne pas entendre et accéléra le pas derrière Charles en direction d’un des couloirs qui quittaient le carrefour quand son frère la rattrapa en lui accrochant le bras.

« Hé ! Wilde ! Tu es devenue sourde ? Qu’est-ce que tu fais là ? »
La féline se retourna et se força un sourire de surprise.
- « Tiens ! Bonjour ! Mais, et toi… qu’est ce que tu fais là ?
- « Je cherche les trésors pardi ! Il parait que les mayas ont caché des tonnes d’or avant de disparaître de l’île !
- « Je vois… tu sais, tu ne devait peut-être pas… je veux dire, ce temple est étrange… à ta place je n’irais pas voler les trésors des incas.
- « Tu rigoles ? Ils sont morts depuis longtemps ! Techniquement ces trésors ne sont plus à eux… »

Son frère remarqua alors l’Anglais qui se tenait non loin de Wildekat, dans un coin plus sombre, et il fronça les sourcils pour tenter de mieux discerner l’homme. 

« Tu es avec qui ? »
Elle prit un air surpris.
- « Comment ?
- « L’homme là-bas, il est bien avec toi ? Je vous ai vu arriver ensemble.
- « Ah ! Lui ! Euh, oui, effectivement.
- « Tu traînes avec des Anglais maintenant ? 

La féline sentait que Charles l’observait et qu’il ne perdait rien de la conversation. Elle était tendue, cette situation ne lui plaisait guère. Si son frère découvrait que Charles de Craon était ici, ils auraient à se cacher de ceux qui lui en voulaient – et ils étaient trop nombreux ces derniers temps. Si son frère décidait que cet Anglais n’avait rien à faire ici, Charles serait obligé de se défendre et elle se retrouverait dans un dilemme des plus terribles. La féline tenta de garder son sang froid.
 

- « Oui pourquoi, cela te pose un problème ?
- « Ca dépend… tu sais comment ils sont, Wilde. Ils vont profiter de toi et essayer de te voler au mieux…
- « Arrête, tu sais comme moi qu’ils ne sont pas tous pareils.
- « Qui est-ce ?
- « William Baker.
- « William qui ?
- « William Baker. Tu ne dois pas le connaître, il est arrivé il y a peu sur Liberty. » Son frère regarda dans la direction de Charles, et malgré la pénombre, Wildekat avait peur qu’il ne reconnaisse le visage de Charles de Craon qui était parmi les plus connus sur l’île. Elle se mit alors entre son frère et Charles et attira son attention. 

- « Mais dis donc, tu as une sacrée plaie là !
- « Oui, mais j’ai rien pour me soigner, tu sais que j’ai jamais pu m’enrouler un bandage moi-même.
- « Laisse, je vais te soigner. » 

Ni une, ni deux Wildekat sorti de sa besace un peu d’alcool et quelques précieux ingrédients qu’elle avait pris avec elle pour les vilaines blessures. Elle désinfecta la plaie, appliqua une pommade et entreprit de mettre un bandage. Son frère leva alors les yeux pour de nouveau observer Charles.
 

- « C’est étrange quand même, j’ai l’impression de l’avoir déjà vu cet Anglais. Son visage me dit quelque chose, et les seuls visages que je n’oublie jamais sont ceux de mes ennemis. Comment tu as dit qu’il s’appelait déjà ?
- « William Baker
- « Et tu le connais comment ?
- « Il est commerçant.
- « Oui mais com… Aie ! Tu y vas un peu fort ! »

Wildekat venait de serrer le bandage plus que de raison, mais il fallait bien que son frère oublie la présence de Charles.
- « Désolée, mais le bandage va se desserrer avec le temps. Ca tiendra mieux. Bon, je dois y aller, je suis un peu pressée… encore pas mal de route à faire… tu comprends… Fais attention à toi, et ménage-moi cette plaie !
- « Heu, oui, d’accord. Fais attention à toi aussi Wilde. » 

Elle était déjà bien loin à la fin de sa phrase, et avait poussé Charles devant elle pour quitter ce lieu. Au bout de quelques minutes, l’homme s’arrêta net. Wildekat lui rentra dedans tellement elle était pressée et concentrée sur sa route. Elle leva la tête, surprise.
Charles la dévisageait, avec un regard qu’elle ne lui avait encore jamais vu. Elle était surprise, et ne savait pas quoi faire, alors elle l’observa elle aussi à son tour. Après de longues secondes, elle l’entendit souffler un « Merci. » avant de se retourner et de continuer sa route. 

Plusieurs heures plus tard William s'arrêta enfin de marcher. Wildekat était une fois de plus à bout physiquement et la journée lui avait paru durer une éternité.
Le Français – elle n’arrivait pas à le voir comme un Anglais malgré son « déguisement » - prépara un campement sommaire pour se reposer, et se mit à organiser toutes sortes de pièges autour de l'espace qu'il avait délimité.

Wildekat posa alors la question qui lui brûlait les lèvres depuis de nombreuses heures, et à laquelle Tjaard ne voulait pas répondre:
 

- « Charles... vous vous souvenez, je vous ai parlé de mes... rêves... enfin, mes visions ou je revivais mon passé...
- « Oui.
- « Il y en a eu de nombreux, mais à chaque fois, il y avait comme une... présence. Quelque chose qui ma rassurait... je... vous... vous étiez dans une de mes visions, j'en suis persuadée, je vous ai vu, je ne pourrais pas me tromper... et pourtant ces visions, vous m'avez dit que ce sont mes souvenirs... comment puis-je vous voir dans un de mes souvenirs... et... étais-ce vous ? » 

Charles s’arrêta d’arranger ses pièges et son visage, éclairé par une faible lumière qui émanait d'une statue, marquait une sorte de gêne.
Il regarda Monsieur Papillon un instant, puis soupira avant de prendre la parole: 
- « Nos animaux ont d'étranges pouvoirs... moi-même je n'en mesure pas encore les limites. Il est un peu tôt pour parler de ce que nous vivons dans ce temple.
- « Vous n'avez pas répondu à ma question. » 

La féline était un tantinet énervée par la fâcheuse habitude qu'avait le Français à éviter de répondre directement à ses questions. Elle attendait une réponse claire, et il détournait la conversation. De nature peu patiente, sa fatigue ne faisait rien pour arranger les choses. Elle le pressa quelque peu et haussa les sourcils.
- « Charles ? Une nouvelle fois il soupira.
- « Ecoutez...
- « Je vous écoute, je ne fais que ça. Je me demande si vous, vous m'écoutez ! je vous ai posé une question simple…
- « Pas si simple que cela.
- « C'était vous ,oui ou non ?
- « J'ai vu plusieurs choses...
- « Plusieurs choses? Lesquelles?
-«  Du sable... des enfants qui jouent... des dunes, une maison, un médecin... une grange... un…
- « QUOI ? »

La féline explosa. L'homme avait visiblement partagé tous ses cauchemars, et à fortiori une partie de son passé. Il reprit:
 
- « Ecoutez, je ne sais plus bien, c'était flou...
- « Vous mentez. La prison aussi ? Vous y étiez n'est-ce pas ? Je vous ai vu ! »Charles la fixa dans les yeux.
- « Oui, j'y étais aussi.
- « Je vous INTERDIS ! Je vous interdis de vous introduire dans ma tête! Vous m'entendez ? Vous n'avez pas le droit ! » La féline se dirigea vers lui et telle une furie se mit à frapper Charles au torse avec ses petits poings. Il ne bougea pas, et se laissa faire. Des larmes de rage coulaient sur les joues de Wildekat alors qu'elle hurlait.

- « C'est MA vie! C'est MON passé ! Vous n'avez pas le droit ! Comment avez-vous pu ? Je vous hais ! Je vous hais ! Je… vous... hais... »
 Les derniers mots étaient étouffés par des sanglots alors que la féline se laissait tomber sur ses genoux. Elle porta ses mains à son visage pour cacher ses larmes puis se poussa contre une paroi du couloir pour y trouver refuge. Si elle avait pu se faire aspirer par la paroi, elle l'aurait bien volontiers fait.

Charles n'avait pas bougé. Il s'était laissé frapper, non pas que la jeune femme lui ait fait mal, mais il n'avait même pas tenté de l'arrêter.

Plusieurs minutes passèrent, elle s'était quelque peu calmée mais restait prostrée dans son coin, son visage entre ses bras, autour de ses genoux.
 Charles vint alors s'asseoir à coté d'elle, sans rien dire.

D'autres minutes passèrent, le calme et le silence revinrent apaiser les esprits. Wildekat leva enfin la tête, les yeux rougis, et les joues mouillées. Elle ne regarda pas Charles qui était à ses côtés, mais fixa ses mains.
Il prit la parole :
- « C'était loin d'être évident pour moi aussi vous savez.

Il réussit à capter son attention, elle ne broncha pas, mais leva quelque peu les yeux. L'homme continua.
- « Ces cauchemars... ces... visions... je les ai vécues avec vous. C'était très éprouvant. Je ne savais pas que c'était vous. Je l'ai su seulement dans la prison. Là, je vous ai reconnue. Et vous m'avez vu. Je n'ai rien fait pour que cela arrive, je n'ai rien demandé. » 

Un long moment s'écoula. La féline réfléchissait. Elle regarda son lynx, qui s'était installé en face d'elle, non loin de Monsieur Papillon.
- « Je comprends. C'est Tjaard. C'est moi. C'est moi la responsable. » Wildekat se mordit les lèvres, et cherchait ses mots pour expliquer ce qu'elle ressentait.

- « La vérité c'est que... je n'ai jamais parlé de ma vie à personne. Je veux dire, ma vie avant d'arriver ici. J'ai essayé plusieurs fois, mais je n'ai jamais réussi. Et puis il y a des choses qui mettraient mon existence en danger. Vous comprenez? »

Elle tourna son visage pour faire face au Français.
- « Je comprends. Je ne suis pas ici pour vous juger, Wildekat. Nous… Nous avons tous nos petits secrets.
- « Vous vous souvenez, un jour je vous avais dit que vous sauriez qui se cache derrière Wildekat?
- « Je me souviens.
- « Hé bien... c'est un début. Ne tirez pas de conclusions hâtives. Je vous expliquerais. Quand je serais prête. »

Elle se leva, et récupéra sa besace qu'elle avait jetée à terre de colère, puis se retourna vers l'homme, qui était toujours assis et qui l'observait:

- « Et Charles....
- « Oui?
- « Je ne vous hais pas.

L'homme esquissa un sourire
- « Je sais. » 

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L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs.
Oscar Wilde
 

Chapitre VI : Collisions


Plusieurs jours passèrent et les heures d’entraînement s’enchaînaient sans relâche. Il fallait continuer à progresser dans le temple pour en trouver les limites et il fallait sans cesse se battre contre de nouveaux monstres, à chaque instant plus nombreux, plus forts et plus dangereux encore.Charles était fatigué mais il essayait tant bien que mal de ne pas trop le montrer car il savait que Wildekat, qui ne ménageait pas ses efforts, devait l’être aussi. Au bout d’une longue journée de plus ils parvinrent enfin dans une grande salle à ciel ouvert. Il s’y trouvait des arbres et des plantes en tout genre et plus important encore aux yeux du Français… de l’eau claire et limpide.Il parvenait à eux une fine lueur de fin de jour. Charles s’arrêta brusquement les yeux tournés vers le ciel, il pouvait deviner les premières lueurs des étoiles qui prenaient place sur la voûte céleste. A ses côtés, Wildekat s’était arrêtée elle aussi.
- « C’est magnifique, dit-elle
- « Oui. »

Plusieurs minutes passèrent ainsi, les deux êtres perdus dans la contemplation de la naissance d’une nuit. Comme s’ils n’en avaient jamais vu, comme si c’était la première fois de leur vie, comme si le monde tout à coup avait cessé d’exister pour laisser place au spectacle de l’univers.




Monsieur Papillon grimpa sur l’épaule de Charles et mordilla le lobe de l’oreille du soldat le tirant de sa rêverie.
- « Oui, mon ami, je sais. Il faut préparer le camp. »

Charles s’éclipsa pour aller préparer quelques pièges comme il le faisait tous les soirs.  Puis une fois n’était pas coutume il ramassa du bois et fit un feu. C’était un luxe qu’il n’avait pas connu depuis plusieurs semaines et en allumant la première flamme à l’aide d’un peu de poudre à tromblon et de sa pierre à briquet il ressenti la chaleur caresser sa peau. Il déposa ses armes et retira sa cuirasse, il hésita un instant, jeta un œil vers la jeune hollandaise qui s’afférait un peu plus loin sans faire attention à lui. Et décida à se déshabiller complètement. Il prit des affaires sous le bras et partit vers la source d’eau dans laquelle il plongea rapidement. L’eau était bien sûr froide mais ce n’était qu’une toute petite contrariété, comparé au plaisir de pouvoir enfin enlever toute la crasse qui lui collait au corps. Il se frotta énergiquement, démêla ses cheveux et tenta tant bien que mal de remettre de l’ordre dans sa barbe. Monsieur Papillon s’amusait à plonger dans l’eau pour en ressortir immédiatement semblant prendre autant de plaisir que son compagnon à ces ablutions.A regret ils sortirent tous deux de leur bain improvisé, Charles se rhabilla rapidement et rejoignit Wildekat qui se tenait près du feu.



- « Alors ? C’était agréable ?
- « Je… oui très.
- « Cela vous dérange si je prend mon tour ?
- « Euh… non faites je vous en prie.
- « Vous ne regarderez pas ?
- « C’est promis.
- « C’est votre parole d’Anglais ou de Français ?
Charles regarda la jeune femme ne sachant que répondre. Devant son air bête Wildekat éclata de rire.
- « Je plaisantais ! De toute façon en ce qui concerne les femmes aucune des deux n’est vraiment fiable n’est ce pas ? »
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et parti vers la source sans se retourner. Charles la poursuivi du regard jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il venait de promettre de faire exactement le contraire. Il rougit et se détourna pour se concentrer sur les flammes du feu.Il attrapa son bardas et en sorti quelques tranches de cochon séché qu’il fit réchauffer sur le petit bûcher.
Wildekat revint à son tour sans que Charles n’ait vraiment vu le temps passer. Elle s’assit en face de lui et accepta la tranche de viande qu’il lui tendit. Ils mangèrent en silence n’écoutant que le crépitement du feu, leurs animaux sagement allongés près d’eux.Ce fut la jeune femme qui prit la parole la première.
- « Charles ?
- « Oui ?
- « Je peux vous posez une question indiscrètes ?
- « Ce ne sont pas les questions qui sont indiscrètes Wildekat, se sont les réponses…
- « Certains disent en Hollande que vous voulez… ou plutôt vouliez… devenir pirate.
- « Ils ont raison.
- « Mais, je ne comprends pas. Pourquoi quelqu’un tel que vous ? Vous aviez tout en France, la richesse, la notoriété, le pouvoir…
- « Et la vanité de penser que c’était vrai. Pensez-vous que cela puisse suffire à un homme ?
- « C’est déjà beaucoup, non ?
- « Non. En vérité c’est bien peu…
- « Mais ça ne répond pas à ma question. Pourquoi vouloir devenir membre de la Confrérie ?
- « Je suis comme vous Wildekat, moi aussi je cherche des réponses.
- « Et vous pensiez les trouver chez ces brigands ?
- « Oui, j’ai pensé… j’ai cru qu’ils pourraient m’apporter quelques lumières… en fait…
Charles s’arrêta deux secondes.
- « En fait j’ai cru que c’est que Zacharie aurait voulu.
- « Qui est Zacharie ?
- « Je ne sais pas.
- « Vous ne savez pas ?
- « J’imagine que c’était un ami, peut-être plus… une sorte de guide. Je n’en suis pas sûr.
- « Et ce… guide… voulais que vous deveniez pirate.
- « J’ai dit que c’est ce que j’ai cru. Je n’ai pas dit que c’est ce qu’il voulait.


Charles se leva et marcha quelques pas, il ramassa une branche qu’il jeta dans le feu. Wildekat remarqua que ni Monsieur Papillon ni Tjaard ne le quittaient des yeux. Le Français semblait perturbé, plus que la jeune femme n’aurait cru possible et chose plus étonnante encore, elle voyait les deux animaux comme perturbés eux aussi.

- « Il y a quelques temps je suis parti finir ma formation au beau milieu de la jungle. C’est à cette époque que j’ai reçu vos premières lettres, c’est aussi à cette époque que pour la première fois nous avons rencontré Tjaard. Bien sur à cette époque il était impossible pour moi de savoir ce que votre animal pouvait faire… pourtant je pense que Zacharie lui l’avait compris. »
Wildekat se leva d’un bond, elle sentait une tension qui l’envahissait à son tour.
- « Comment ça il savait ? Comment aurait-il pu savoir ce que moi-même j’ignorai ? »
Elle s’arrêta un instant. Comme si une pensée désagréable venait de lui traverser l’esprit.
- « Qui est Zacharie ?
- « Il est mort…
- « Ca ne me dit pas qui il est !
- « Il y a sans doute une vingtaine d’années… peut-être plus.
- « Quoi ????
- « Je ne sais pas exactement. Ce que je sais c’est qu’il était déjà mort quand je l’ai tué…
- « Vous… vous avez tué votre…guide… qui était déjà mort. »
Charles fit une grimace.
- « Oui c’est a peu près ça. »
Wildekat se rassit comme abattue. Elle fixait le feu sans rien dire, comme si elle avait le souffle coupé.
- « Vous savez Wildekat, ce que vous m’avez dit l’autre jour, ces rêves que vous faisiez, ces choses que j’ai vues sans le vouloir… Ces longs mois dans la jungle, cette erreur que j’ai faîte le jour où j’ai cru que la trahison m’indiquerait mon nouveau destin… Tout cela est lié. Tout cela et bien plus encore. Il y aurait tant à dire, tant à comprendre de chacune de nos actions menées ici. De tout ce qu’elle entraînent, ce qu’elles impliquent. De leurs incessantes collisions dans nos passés, nos présents et bien sur nos futurs. Je me suis fourvoyé. Je le sais. Je le sais parce que vous êtes là et que même si je ne comprends pas encore ce que cela veut vraiment dire, je sais au moins que vous et Tjaard n’êtes pas ici par hasard. »
La jeune hollandaise suivait à nouveau des yeux le Français qui tournait en rond sur lui-même tout en contemplant le ciel.
- « Il y a quelque chose ici qui nous pousse à rester, quelque chose qui demande à être trouvé, à être compris.
- « Je… je ne suis pas sure de vous suivre…
Charles se retourna et pour la première fois esquissa un sourire vers la jeune femme.
- « Moi non plus.
- « Mais alors c’est peine perdue. »

Charles ne sembla pas avoir entendu la dernière phrase de Wildekat, il semblait humer l’air qu’ils avaient au dessus d’eux. La jeune femme s’aperçu que Monsieur Papillon faisait exactement la même chose que lui, si bien que par mimétisme on n’aurait pu dire si c’était le singe qui faisait l’homme ou bien l’homme… le singe. A la grande surprise de la hollandaise le petit lynx lui aussi semblait renifler le ciel. Par reflèxe elle fit comme eux mais mis a part les magnifiques étoiles elle ne vit rien de particulier… Cependant une chose particulière attira son attention, un parfum, une odeur, un son, une sensation comme si un par un ses sens se mettaient en éveil, ou bien se liaient à ceux des êtres qui l’accompagnaient. C’était étrange, enivrant, c’était… elle rougit malgré elle tout à coup et se reprenant, la jeune femme se rendit compte que Charles et les deux animaux la regardaient.

- « Vous l’avez senti n’est ce pas ?
- « Je… quoi ?
Charles sourit.
- « Oui, bien sur que vous l’avez senti.
- « De quoi parlez vous ?
- « La collision, l’osmose, la Voie Subtile…
- « La quoi ? »
Charles s’allongea près du feu et s’enroula dans une couverture.
- « Demain nous partons. »
Wildekat, stupéfaite le regarda faire.
- « Puis-je au moins vous demander où ?
- « Qui sait, l’Espagne sans doute, mais avant nous retournons dans la jungle.
- « Mais je croyais que nous devions rester ici pour essayer de comprendre et…
- « Plus tard. D’abord nous devons répondre à cet appel. »

Wildekat allait poser une question mais Charles se retourna ostensiblement de manière à lui tourner le dos tandis que Monsieur Papillon montait sur son dos pour pousser un long cri en direction du ciel. Tjaard lui aussi poussa un long grognement vers le ciel.
- « Parfois je me demande si vous n’êtes pas tous des fous !
- « Il y a longtemps que je suis persuadé que si. Bonne nuit. »

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                                             Chapitre VII: Poisons

                             Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
                                   De tes yeux, de tes yeux verts,
                           Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
                                      Mes songes viennent en foule
                              Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

                  Le Poison - Extrait – les Fleurs du mal – Charles Baudelaire

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« Wildekat? »
L'homme tourna lentement sur lui-même, avec assurance.
« Wildekat? »

Il avanca un peu, faisant craquer quelques feuillages secs qui jonchaient le sol de la jungle.
« Voyons Wildekat, je sais que vous êtes là. »
Un bruissement.
L'homme déguéna son pistolet, puis se mit en joue. Sa voix se fit plus discrête, comme un murmure impérieux
« Wildekat? »La féline sauta habilement de la branche qui lui servait d'observatoire et atterit juste derrière Charles, dans un bruit à peine perceptible. L'homme se retourna en une fraction de seconde et pointa son canon sur le front de la féline. Elle le regardait, ses yeux brillants de malice.
« Je suis là, Charles. »

Il baissa son pistolet, affichant un air reprobateur
« On ne vous a jamais dit que les arbres n'étaient pas destinés aux jeunes femmes? »
Le sourire de la jeune Hollandaise s'élargit pour dévoiler ses petites dents « Oh que si...
- « Cela vous amuse?
- « Oui.
- « Ravi que vous preniez cela à la légère. J'aurais pu appuyer sur la détente.
- « Allons, Charles, vous ne m'auriez jamais tiré dessus.
- « Vous êtes bien confiante.
- « J'ai confiance en vous. »
Il la regarda, interdit, s'arrêtant alors qu'il allait parler.
« Pourquoi?
- « J'étais allée inspecter les environs. On voit mieux de là haut. Et puis j'attendais l'arrivée de deux oiseaux, mais avec votre voix discrête, nul doute qu'ils ne viendront plus maintenant
- « Non, non... » il secoua la tête, un peu perturbé « pourquoi me faites vous confiance? »

La féline soupira, puis plongea son regard dans celui du Français.
« Pourquoi pas?
Charles resta sans voix, et elle reprit, pensive « Je ne sais pas. Faut-il toujours tout prévoir et tout savoir, Charles?
- « C'est mon métier.
- « Vous travaillez en ce moment? »
Charles parut gêné « Non...
- « C'est peut-être justement pour cela que je vous fais confiance... » Elle se mit à rire, et Charles perdit son air sérieux pour la rejoindre.
- « Tout de même, ne refaites pas cela.
- « J'essayerais... » elle lui fit un clin d'oeil avant de remonter sur sa branche à la recherche de sa besace.

Les deux corsaires avaient quitté le temple depuis maintenant plusieurs jours pour se perdre dans la jungle à la suite de cet appel qu'ils avaient reçu, et leur progression était lente et éprouvante. Mais Charles et Wildekat étaient tous deux plus à l'aise dans ce milieu plus naturel, tout comme Monsieur Papillon et Tjaard  prenaient plaisir à sauter de branche en branche ou à se faufiler entre les feuillages épais de la luxuriante végétation.

Wildekat quant à elle profitait de cette excursion pour refaire le plein de plantes médicinales qui commençaient cruellement à lui manquer dans le temple. Charles s'amusait à regarder la féline gratter les écorces d'arbres pour récupérer la sève, creuser sous les champignons ou encore s'exclamer de joie lorsqu'elle trouvait une orchidée en fleur.Ils étaient beaucoup plus sereins hors du temple, et on pouvait même déceler une certaine joie de vivre qui renaissait faiblement au sein de chacun des deux corsaires. Charles était plus détendu depuis qu'il n'avait plus à prévoir les attaques des prêtres au beau milieu de la nuit, et Wildekat était plus paisible depuis que ses cauchemars se faisaient plus rares.

Charles, toujours sous l'arbre, s'impatientait et leva les yeux vers Wildekat, qui s'était réinstallée sur sa branche, visiblement à l'affut de quelque chose.« C'est pour aujourd'hui ou pour demain? »
La féline glissa doucement de la branche et atterit en face de Charles.

« Venez!
- « Mais vous allez m'expli...
- « Chuut! »

Elle mit sa main sur la bouche de Charles avant qu'il ne finisse sa phrase, puis lui prit la main et l'entraina avec elle en direction d'un arbre dont les racines s'entrelacaient au sol. Elle s'accroupit et fit signe à Charles de faire de même. Alors elle écarta de grosses feuilles vertes et dévoilà une cavité formée par deux racines.

Charles ne vit rien, et chuchotta, interdit: « Qu'est-ce que...? »
- « au fond... regardez! »
Charles se pencha et plissa les yeux. Il distingua alors un nid d'oiseau fabriqué à base de fines brindilles et de plumes colorées entrelacées.
Wildekat lui souffla à l'oreille
« Vous les voyez?
- « Qui....?
- « Les oisillons... au fond du nid. »
Charles s'approcha de nouveau et remarqua alors deux petits becs rouges qui siégaient au centre du nid.
- « Oh! »

Wildekat sortit délicatement de son sac une paire de pinces qu'elle utilisait pour extraire les balles perdues sur ses patients. Elle les trempa dans une fiole qui contenait un liquide à base d'eau saturée en sel puis souleva une plaque de mousse sous les racines de l'arbre. Une multitude de cloportes et autres insectes se mirent à grouiller et elle en pinca agilement deux au bout de sa paire de pinces. Elle l'approcha alors du bec des oisillons qui se ruèrent goulument sur la nourriture.

Wildekat recommença méthodiquement l'opération plusieurs fois puis attrappa une fiole vide et propre dans son sac ainsi qu'une petite cuillère en bois d'ébène. Elle passa habilement sa petite main tenant la cuillère au fond du nid et l'utilisa pour prélever les fientes fraiches des jeunes oisillons et les déposer dans la fiole. Une fois cette dernière remplie, elle la reboucha attentivement, et se mit à chercher quelque chose dans le nid avec sa main. Elle fronça les sourcils, concentrée, puis afficha soudainement  air satisfait: elle avait trouvé ce qu'elle cherchait. Elle sortit sa main, et l'ouvrit délicatement pour découvrir son contenu.

Charles ne cacha pas sa surprise: Wildekat tenait dans sa main une petite grenouille colorée bleu et rouge, visiblement morte depuis peu.



Charles s'approcha et l'inspecta.
« Je n'en ai jamais vu d'aussi belles!
- « Belles, oui, mais mortellement dangereuses. Savez-vous qu'elles secrètent du poison? Un poison mortel si il passe dans votre sang. Bien sur, il en faudrait à forte dose pour vous tuer, mais une relative quantité pourrait troubler vos sens pendant plusieurs heures, et provoquer des douleurs abdominales puissantes.
- « Et vous la prenez dans votre main...?
- « Je ne risque rien, le poison ne passera pas à travers ma peau. Il faudrait une blessure directe ou une ingestion pour cela.
- « mais que fait-elle dans ce nid? »
Wildekat sourit.

« Voilà la bonne question. Je vous avais dit que ces oiseaux étaient étonnants. Les parents leur donnent majoritairement de telles grenouilles à manger. D'ailleurs, les parents eux-mêmes se nourissent de ces petites grenouilles mortelles. Elles semblent nécéssaires à leur survie. Etrange n'est-ce pas?
- « Un poison pour survivre... hm. »

Charles était pensif, et Wildekat replaça minutieusement le cadavre de la grenouille dans le nid, puis les grosses feuilles qu'elle avait déplacées pour cacher le nid, de façon à ce que ses actions n'aient laissé aucunes traces.Elle se leva et entraina de nouveau Charles plus loin en posant sa main sur son épaule, chuchottant

« Venez, il ne faut pas que les parents nous voient. »
- « Je n'avais encore jamais vu d'oiseaux faire des nids à terre. C'est étrange.
- « Ce sont les seuls sur cette île. Enfin, de ce que j'ai vu depuis presque deux ans. Ils sont particulièrement intéressants comme oiseaux, surtout au niveau médicinal, et je n'ai pas encore fini d'en faire le tour, mais il est très difficile de les approcher. Parfois il faut attendre des heures sans bouger pour espèrer en voir un. Sur cette île je n'en ai recensé qu'une petite dizaine, et je ne les avais jamais vus faire un nid. Vous imaginez ma surprise quand je les ai apperçus ce matin par hasard! Une véritable aubaine pour récolter des fientes !
- « C'est donc pour cela que vous vous êtes éclipsée avant l'aube? »

La féline bafouilla. Elle ne pensait pas que Charles avait remarqué ses virées nocturnes, et elle ne voulait pas lui avouer qu'elle avait toujours beaucoup de mal à trouver le sommeil, malgré leur éloignement du temple. En vérité, ses insomnies n'étaient plus dues aux cauchemars et aux troublantes visions, mais aux réalités qu'elle devait admettre. Son esprit était rationnel, et elle ne parvenait pas à accepter ce qu'elle ressentait, et ce dont elle était témoin avec son lynx. Bien plus encore, elle voulait comprendre pour quelle raison elle se retrouvait accompagnant un homme qu'elle avait jadis hai, qui était tout son opposé, et envers qui pourtant elle se sentait liée.

Elle reprit, se demandant si il lui en voulait pour ses virées nocturnes.
« Non, je... enfin c'était par hasard, au fil de ma balade. »
L'homme soupira. Wildekat ne put déceler si il était fâché, ou tout simplement las du comportement ingérable de sa compagne de route.
- « Wildekat... puis-je insister...quand vous allez vous promener, prévenez-moi au moins, plutôt que de filer en douce... si vous croyez que je ne remarque pas... » La jeune femme rougit
- « C'est vrai... vous n'avez pas tord. Je... j'avais juste besoin de réflechir. Je n'ai pas encore l'habitude de rester aussi longtemps avec... » Elle s'arrêta, cherchant le mot juste pour qualifier Charles. « Frère » était inapproprié, « ami » l'était moins, mais toutes ses relations amicales n'avaient rien d'aussi troublant que celle-ci, « guide » aurait été approprié si effectivement l'apprentissage était à sens unique, ce qui était loin d'être le cas. Elle ne savait pas ce qu'ils étaient l'un pour l'autre, mais ils étaient, peut-être était-ce suffisant. Il la coupa dans ses pensées.

- « Je comprends. » Charles pointa alors vers le sac de Wildekat, intrigué « les fientes, elles vous servent à quoi? »
Wildekat lui sourit mystérieusement

« Je me demandais quand vous alliez poser la question. Nos petits amis distillent le poison des grenouilles et produisent un concentré dans leurs fientes. En les mélangeant avec quelques autres ingrédients dont j'ai le secret, on obtient un poison d'une puissance à faire tomber un géant en moins de quelques minutes. »

Charles leva les sourcils d'étonnement
« Hé bien! Je vais tacher de ne pas trop vous ennerver...
- « Je ne l'ai pas encore testé sur les hommes.
- « Pas encore...?
- « Il y a plusieurs façons de tuer un homme. L'épée n'est pas toujours le moyen le plus... approprié.
- « Vous avez quelqu'un en tête?
Il plongea son regard dans le sien. Elle ne cilla pas.
- « Peut-être.
- « Faites bien attention. Il existe plusieurs types de poisons. Certains sont chimiques, d'autres... affectifs. Le poison que vous injecterez dans  le sang de votre victime ne fera pas disparaître celui qui coule dans le votre. »
La féline soutint le regard de Charles.
« Je prends le risque. »

La route fut longue mais plutôt paisible jusqu'à Esperanza. Ils passèrent les lourdes portes de la ville Espagnole en fin d'après-midi. Les odeurs d'épices et le vacarme de la ville contrastaient énormément avec l'ambiance plus calfeutrée de la jungle et du temple. Si bien que Wildekat était un peu perdue dans cette foule d'humains. Charles, quant à lui était aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau, et prit les choses en main de façon très professionnelle. Il remarqua que la féline était désorientée face à cette foule inatendue sur la place publique, et la prit gentiment par le bras pour la guider jusqu'à l'auberge de la ville.
Wildekat fut surprise de l'entendre parler Espagnol aussi bien qu'un natif. Il ajoutait même un léger accent anglais, ce qui rendait le discours de William Baker encore plus convainquant.

« Que puis-je pour vous, Monsieur....? 
- « Baker. William Baker. Nous aimerions une chambre dans votre établissement.
- « Bien le bonjour Monsieur et Madame Baker! Nous avons de magnifiques chambres très calmes au deuxième étage, mais pour un jeune couple tel que vous je peux vous proposer la... » Sans réfechir, Widekat lui coupa la parole
- « Je ne suis pas sa femme. Nous voulons deux chambres séparées s'il vous plait. »
Le réceptioniste afficha une mine déçue, mais leur délivra deux clefs pour deux chambres avoisinantes.

Il les accompagna à l'étage et leur fit rapidement faire le tour du propriétaire. Wildekat inspecta sa chambre alors que les deux hommes discutaient dans le couloir.
« Vous n'avez pas de bagages? »
- « Nous voyageons léger. »
- « Très bien. Nous servons les repas à partir de sept heures, je vous invite à réserver une table car notre établissement est très réputé à Esperanza. »
- « Merci, nous ferons le nécessaire. »
Charles salua l'Espagnol, et passa la tête dans la chambre de Wildekat. Cette dernière était allongée sur son lit, les bras écartés en croix, et fixait le plafond.

« Votre chambre vous convient? » Elle tourna la tête vers Charles.
- « Oui. A vrai dire, ce lit est presque trop confortable, je risque de ne jamais me réveiller.
- « Profitez-en pour vous reposer. Nous devrons repartir d'ici peu, et il vous faudra toutes vos forces. Je vais dans ma chambre, retrouvons-nous pour diner si vous le voulez bien.
- « Cela me convient. »

Wildekat profita de ce retour à la civilisation pour faire nettoyer son linge et réparer ses chemises déchirées. 
Toutes ses affaires étant sales, elle se fit porter une tenue propre et neuve à l'auberge.  Elle regretta un peu de ne pas avoir été elle-même voir le couturier quand elle découvrit que sa nouvelle tenue était une robe de facture hispanique avec des froufrous aux manches et des fils jaune-doré cousus sur le corsage. Une jolie tenue, certes, mais pas une tenue pratique pour se promener en forêt. Mais peu importait au final, elle avait une tenue propre pour la soirée et cela n'avait pas de prix après les semaines passées dans le temple et la jungle reouverte de boue et de crasse.

Elle prit un bon bain chaud au lait et au miel, et démêla ses cheveux qui n'avaient pas vu de peigne depuis des semaines. Ses boucles ébène retenaient prisonnières des petites feuilles d'arbres auxquels elle avait grimpé, et des pétales de fleurs variées et colorées. Au fil des passages du peigne, les pétales tombaient délicatement dans l'eau alors que Wildekat grimaçait de douleur à chaque noeud. Une fois l'exercie terminé, Wildekat ne trouva pas de ruban pour attacher sa chevelure et la laissa donc retomber naturellement sur ses épaules. Sa crinière lui donnait un air sauvage qui, fort heureusement, était adouci par le contraste de ses habits propres et neufs.La féline s'habilla et se mit en route afin d'acheter des bandages et des morceaux de viande séchée, ainsi que des biscuits pour Monsieur Papillon et Tjaard pour la suite de leur périple.

Des enfants jouaient dans les rues, et la ville respirait le bonheur et la joie. Elle se laissa entrainer par de jeunes Espagnoles qui décidèrent de la coiffer à leur façon. Après avoir relevé plusieurs mèches de cheveux, elles piquèrent des fleurs de frangipanier dont la couleur blanc crème contrastait avec le noir de ses cheveux bouclés. La fine odeur des fleurs se distillait autour de Wildekat, et se mélangeait à celle du miel qui émanait de sa peau veloutée. Les enfants venaient jouer sur ses genoux, et même si ils ne parlaient pas la même langue, ils écoutaient avec admiration les histoires que Wildekat leur racontait.

Le temps passait et à l'heure du repas Widekat retrouva Charles à l'auberge.
Elle ne le reconnut pas tout de suite.
Il avait, tout comme elle, prit le temps de faire sa toilette. Sa barbe de plusieurs semaines avait laissé place à une moustache qui surlignait finement sa bouche, et il portait lui aussi des habits propres et neufs. Il était installé au bar de l'auberge, et humait nonchalament un verre de vin rouge.

Elle allait tout juste le rejoindre quand elle sentit une grosse main se poser sur son postérieur. La féline écarquilla les yeux de surprise, puis, aussi rapide que l'éclair, se retourna et attrappa le bras qui avait osé faire cela. C'était un Espagnol, et il se retrouvait en bien mauvaise posture, Wildekat prête à lui briser le bras.
« Recommence et je te coupe le bras, Dieu m'en soit témoin! »
L'homme se mit à hurler.
Elle réalisa qu'elle attirait l'attention des autres Espagnols de l'établissement, et se ravisa avant de lui donner une bonne correction. Elle lacha son bras tout en le poussant brusquement vers la porte. Il se retourna et marmonna quelque chose en Espagnol qu'elle ne comprit pas, mais qui ne semblait pas très aimable.
Wildekat rejoignit alors Charles au bar, et le salua.
« William.
- « Wildekat. »
Il se baissa doucement vers son oreille, l'air mystérieux, et chuchotta « Il ne faut pas lui en vouloir, vous êtes tellement jolie. »

En temps normal elle aurait répondu séchement que ce n'était pas une raison pour la tripotter de la sorte, mais lorsqu'il s'était penché vers elle, l'odorat de la féline avait alors décelé la fragance de Charles, un mélange de poivre et de coriandre, relevé de vétiver et de cèdre, qui la troublait. Ce parfum, et très certainement les mots de Charles, l'avaient désorientée et elle tentait de dissimuler qu'elle était en train de rougir.

Charles fit mine de ne rien voir, et l'accompagna à leur table.Le repas fut copieux, ce qui n'était pas un luxe pour les deux voyageurs qui n'avaient pas avalé un bon repas chaud depuis des semaines. Ils commandèrent du vin et passèrent un agréable moment. Malgré cela, Wildekat avait du mal à se réajuster à la vie en société. Le retour était trop brusque, et elle ne savait pas si elle préferait un bon repas à la bruyante auberge ou un frugal repas sous la quiétude du ciel étoilé. Elle faisait tout son possible pour être joviale, mais Charles n'était pas dupe. Il savait se fondre dans toutes les situations, et cet exercice là ne lui posait aucun problème, mais il comprenait que sa compagne de route, de nature moins sociable, puisse ne pas trouver sa place dans ce milieu.

Ils venaient de commander un dessert quand deux jolies femmes entrèrent et montrèrent Charles du doigt. Elles ricanaient toutes les deux en s'avancant à la table de Charles et Wildekat.
La première était très grande et portait une robe bleue pâle qui faisait ressortir ses yeux de la même couleur. Ses longs cheveux blonds étaient relevés en un chignon négligement refait à la va-vite. Son décolleté etait vertigineux et Wildekat n'osait pas croire qu'on pouvait créer une telle robe avec autant d'échancrures de toutes parts.
La deuxième était vétue d'une robe rouge à froufrous typiquement Espagnole, et des tresses relevaient ses cheveux d'un roux vibrant. Ses lèvres étaient peintes du même rouge que celui de sa robe, et elle portait de longs gants noirs.

Une fois au niveau de leur table, les deux femmes s'adressèrent à Charles dans un anglais très basique, tout en ignorant totallement Wildekat.
« Sir Baker? C'est bien vous?
- « C'est moi.
- « On dit que vous êtes commerçant?
- « Effectivement. »

Les deux femmes se pâmèrent à la réponse de Charles, puis se mirent à glousser. La femme à robe bleue passa ses bras autour du cou de Charles alors que celle en rouge lui chuchottait quelque chose à l'oreille.
Tout à coup, Wildekat eut l'impression qu'on lui administrait un poison et le sentit se deverser dans son sang à une vitesse fulgurante. Elle quitta sa chaise d'un bond.

« Je vous laisse. Passez une bonne soirée. »

Elle tourna les talons sans laisser à Charles le temps de s'exprimer, et monta en direction de sa chambre, abandonnant Charles avec ses deux admiratrices. Elle n'était vraiment pas d'humeur à constater une fois de plus que les hommes étaient tous les mêmes, et préférait rester dans l'ignorance en ce qui concernait certaines choses.Wildekat était partie tellement vite qu'une des fleurs de frangipanier qui était accrochée à ses cheveux tomba sur la table, laissant derrière elle une légère odeur sucrée et douce là où elle avait disparu.

Un poison doux et entêtant, enivrant et intriguant.



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Gaïus Quesada
Gaïus Quesada
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Posté le 12/12/2008 à 10:11:02 

« Boire à sa bouche de rose… Son souffle en un baiser. »
Théophile Gautier, Poésies.

Chapitre VIII : Vivre et laisser mourir

Charles regarda la jeune hollandaise s’enfuir dans sa chambre. Il ne pu s’empêcher de penser qu’elle était vraiment très belle lorsqu’elle était en colère. Il ramassa la fleur qui était tombée sur la table et la porta à son nez. C’était un parfum enivrant, pour une femme qui, il commençait à s’en rendre compte ne l’était pas moins. Ses doigts parcoururent les pétales une à une, cherchant comme l’extension d’une pensée le long des rainures de la plante.
- « Eh, Hombre, tu nous as oublié ? »
Charles se tourna vers les deux demoiselles qui étaient là debout près de lui.



- « Non myladies comment le pourrais-je ? Asseyez vous je vous en prie.
La demoiselle à la robe rouge prit place à table, tandis que l’autre restait debout en retrait.
- « Tu ne la suis pas ?
- « Non.
- « Pourquoi ?
- « Parce que mon petit doigt me dit que vous avez quelque chose à me dire.
- « Tu es bien sur de toi Mister Baker, ou devrais-je dire Monsieur de Craon ? »
La jeune femme sourit d’un air entendu, puis se ravisa en voyant que Charles était toujours perdu dans la contemplation de la fleur laissée par Wildekat.
- « Tu ne semble pas étonné.
- « Pourtant je le suis.
- « Vraiment ?
- « Oui bien sur. Vous avez été très longues à venir me voir. Pourtant je n’ai rien fait, bien au contraire pour me cacher en arrivant en ville. »
Charles déposa soigneusement la petite fleur devant lui et sorti de sa poche une petite pipe en bois qu’il bourra de cette herbe qu’il affectionnait tant et qu’il ne manquait jamais de se procurer quand il passait à Ulungen. Une fois sa préparation terminée, il l’alluma et ira une profonde bouffée.
- « Alors mesdames, que me veux la Confrérie ?
- « Comment sais-tu que nous venons de sa part ?
- « Les dames que je ne connais pas s’assoient rarement à ma table pour le plaisir de parler avec moi, sauf celles que l’on paye pour que se soit le cas.
- « Nous pourrions faire partie des services secrets espagnols.
Charles sourit à cette dernière remarque. 
- « Vous pourriez en effet, si ce n’est que je viens d’avoir une discussion fort intéressante il y a deux heures avec l’un d’entre eux… Allons mesdames, nous n’avons je crois, ni vous ni moi
De temps à perdre avec ces petits jeux.
La jeune femme qui se tenait en face de lui cacha à peine sa frustration, apparemment le petit jeu des deux belles tournait court.
- « Fort bien, puisque tu es si malin beau Français, et faux Anglais, passons directement aux choses sérieuses. La Confrérie voudrait s’assurer que tu paieras bien la dette que tu lui dois.
- « Il me semble qu’elle a reçu, il y a peu, une forte somme d’argent.
- « Oui, il semble en effet. Mais nous sommes toutes les deux chargées de nous assurer que tu t’acquitteras du restant. Dans le cas contraire, comprends bien petit Comte que nous serions obligées de nous occuper de toi d’une manière qui n’aurait rien à voir avec le plaisir.
- « Je vois, c’est tout à fait clair. Charles tira une nouvelle fois sur sa pipe et souffla lentement la fumée inhalée. Le restant de la somme devrait arriver d’ici quelques heures par l’un de mes commis. Vous comprendrez que je ne la porte pas sur moi. Où puis-je vous l’apporter ?
- « Tu ne devines pas ? Toi qui prétend si bien connaître cette île ?
- « Disons… Chez Salim ?
- « Et bien tu vois que tu n’es pas si idiot que tu en à l’air. »
Charles inclina doucement la tête tandis que les deux femmes quittaient l’auberge sans tarder. L’herbe d’Ulungen commençait à lui monter à le tête et une multitude d’idées s’enchaînaient à grande vitesse sous sa boite crânienne. Mais au final deux solutions s’offraient à lui. Qu’il le veuille ou non, Charles avait ses principes alors il en élimina rapidement une et se concentra sur la seconde au moment même où il eu une vision d’une petite grenouille bleue.
- « Mesonero !
- « Si senor ?
- « Dos botellas de Champagne. La primera inmediatamente con dos copas. La segunda en reserva.
- « Muy bien senor. Cuando quieres haber la segunda ?
- « Dos horas… y fresca por favor.
- « Desde luego.
- « Gracias. »

Dans le fond de la salle un vieil hidalgo jouait un air étrange et mélancolique sur une guitare.
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La pipe s’était éteinte doucement et Charles la nettoya avant de la ranger dans sa poche. L’aubergiste ne mis que quelques minutes à apporter la bouteille et les deux verres. Sa décision était prise et il en tirait une certaine satisfaction, depuis quelques temps et en particulier depuis sa rencontre avec Wildekat dans le fin fond du temple maya, le Français avait peu à peu repris le goût de vivre. Aujourd’hui serait d’une certaine manière le premier jour de sa nouvelle vie.
Il attrapa la bouteille et les deux verres et monta tranquillement à l’étage, il s’arrêta quelques secondes devant la porte la jeune hollandaise et se décida à frapper. Ce fut un soulagement pour lui quand la porte enfin s’ouvrit.
- « Ca y’est ? Vous avez déjà fini avec vos amies ? »
La voix de Wildekat cachait mal l’amertume de celle-ci. Charles ne répondit pas, traversa la chambre et posa les deux verres sur la table de nuit, puis il se tourna vers elle. La jeune femme avait défait ses cheveux mais elle était toujours parée de cette magnifique robe qui la mettait tant en valeur.
- « C’est pour le repos du guerrier que vous êtes venu ? Vous vous amusez avec les premières catins qui passent et ensuite vous monter me voir pour boire un coup c’est ça ? Et puis tant qu’on y est on rigolera un bon coup pendant que vous me raconterez vos exploits ! »
Elle était vraiment magnifique pensa-t-il. Charles cette fois n’hésita pas, il fit les trois pas qui le séparaient de la jeune femme et sans un mot l’embrassa.
Wildekat fit un pas en arrière, ses yeux étaient noirs de colère. D’un geste rapide et précis, elle gifla violement le Français.
- « Qu’est-ce que vous croy… »
Sans lui laisser le temps de terminer sa phrase l’homme passa une main puissante derrière son coup et sans aucune douceur porta les lèvres de la jeune femme jusqu’aux siennes tout en resserrant son étreinte. Il força le baiser, jusqu’à cette seconde où enfin la féline céda et cessa de se battre. Leur baiser fut long et d’une intensité que Charles n’avait plus connu depuis des années, c’était comme si tous les désirs qu’il s’étaient efforcé de nier durant tout ce temps se réaffirmaient à cet instant. C’était un sentiment violent, une décharge d’émotion incroyable, il en ressentait un vertige profond, c’était comme une explosion qui traversait tout son corps. 
Quand enfin leur bouche se séparèrent, il cru qu’il allait tomber par terre si bien qu’il du poser sa main sur la table de nuit afin de garder une certaine constance. Aucun son, aucun mot à ce moment n’aurait pu sortir de sa bouche, cela aurait semblé si plat après cette vague de plaisir. Wildekat avait les pommettes empourprées ce qui la rendait encore plus jolie, elle posa ses mains sur ses joues et semblant se rendre compte de son trouble devant cet homme qui ne la quittait pas des yeux, elle s’esquiva tel un chat dans la petite pièce d’à côté où se trouvait une bassine d’eau fraîche prévue pour la toilette.
Charles profita de ce répit et se ressaisit rapidement, il se remémora la raison de sa venue dans la chambre et se dépêcha de faire ce qu’il avait à faire tandis que Wildekat était dans l’autre pièce.
Il scruta la chambre du regard et enfin il vit le sac de la jeune femme, sans bruit et avec beaucoup de dextérité il en fouilla le contenu sans rien déplacer jusqu’à ce qu’il mette enfin la main sur un petit sachet rempli d’une poudre blanche. D’une geste rapide il le mit dans sa manche, à peine une seconde avant que celle-ci ne revienne.



Le Français se retourna et se fendit d’un sourire beaucoup plus crispé qu’il ne l’aurait souhaité.
- « Je… Je suis désolé » parvint-il à articuler.
Avant que Wildekat n’ai pu répondre, si tant est qu’elle l’ai voulu, il franchi la porte de la chambre et dévala rapidement les escaliers de l’auberge.

- « Mesonero ! Mi Botella !
- « Pero senor, la botella esta todavia no fresca
- « No tiene importancia.
- « Muy bien senor.
Charles attrapa la bouteille sur le comptoir et sorti de l’auberge, sans attendre il prit le chemin de la maison louche d’Esperanza. Après quelques minutes de marche il parvint chez le très célèbre Salim Aouachria. Juan Bandito gardait l’entrée du bâtiment.
- « Ton patron est là ? Je crois qu’il m’attend. »
Le pirate ne répondit pas se contentant de s’effacer de devant la porte pour le laisser entrer. Charles posa sa main sur son épaule.
- « La conversation risque de durer un moment, alors fait en sorte que personne ne rentre l’ami. »

A l’intérieur de la maison louche le Français retrouva avec plaisir les deux jeunes femmes qui l’avaient accosté peu avant. Derrière le comptoir, comme immuable et à la même place que Charles l’avait vu à chaque fois qu’il était venu dans cet endroit, se tenait Salim.
- « Salam Aleikoum, mon ami.
- « Aleikoum Salam, Salim.
- « Tu as apporté ce que la Confrérie te demandait ?
- « Cela sera là d’ici quelques minutes maintenant, tout est arrangé, je viens de m’en occuper personnellement.
- « Voilà une très bonne nouvelle mon ami, je suis heureux de voir que tu es raisonnable. Cela plaira sans aucun doute à la Confrérie.
- « 17 000 pièces d’or, en effet Salim je pense que ça leur plaira.
- « Pourquoi tiens tu cette bouteille à la main ? »
Charles fit mine de remarquer le champagne.
- « Ca ? Et bien c’est de la faute de tes filles Salim, depuis qu’elles sont passées je n’ai pas eu une minute à moi et j’ai soif ! Allez mon ami sort des verres pour nous et tes belles et fêtons notre avenir commun à moi et à tes frères de la côte. »
Charles déboucha la bouteille et la porta à sa bouche. Il avala une grande gorgée de champagne.
- « Tu sais bien que je ne bois pas mon ami, je suis musulman.
- « Je sais maudit chien d’infidèle ! Mais tes demoiselles elles boiront bien un verre avec moi non ? Je voudrais me faire pardonner de notre mauvais échange de tout à l’heure. J’ai manqué de courtoisie.
Salim sorti trois verres.
- « Dans ce cas, je vous laisse boire ce verre de l’amitié, ça passera le temps en attendant l’or.
- « C’est ça ! Et donne moi ça ! »
Charles attrapa les verres et servi à chacune des deux femmes une coupe bien remplie de champagne, tandis qu’il avalait une autre rasade directement à la bouteille.
- « Allez buvez un coup mes amies, aujourd’hui c’est un grand jour, aujourd’hui je commence à vivre ma nouvelle vie.
- « Te voilà bien poète beau Français, je suis heureuse que tu ais fait le bon choix, moi et mon amie nous aurions eu de la peine si nous avions dû te faire souffrir.
- « Mon cœur souffre rien qu’en vous voyant mes belles. Allez, passez moi vos verres que je vous resserve. »

Le temps passa ainsi, la discussion se détendant au fur et à mesure que la bouteille se vidait. Seul Salim semblait s’impatienter quelque peu mais pour le moment il ne disait rien. Puis une heure passa et il n’y avait toujours pas de nouvelles du commis de Charles. Salim ne disait toujours rien, tandis que la conversation battait son plein. Charles sembalit atteint par l’alcool.
Au bout de deux heures d’attente et une autre bouteille bue, celle-là offerte par Salim, le marchand pirate d’Esperanza perdit patience.
- « Dis moi l’ami, c’est pas qu’on s’ennuie, mais il est où ton commis ?
Charles le regarda l’air absent et imbibé d’alcool.
- « Mon commis ? Il éclata de rire. Ah Salim, sacré bâtard, mon commis, je n’aurais jamais pensé qu’un porc comme toi fut si drôle !
Salim se leva d’un bond, un couteau à la main. Les rires des jeunes femmes cessèrent et la tension devint tout à fait palpable.
- « C’est moi que tu traite de porc ?
Charles regarda le marchand et le couteau qu’il avait sous le nez et tout à coup son regard devint tout à fait vif et clair, contrastant totalement avec la gueule d’ivrogne qu’il offrait à voir la seconde d’avant. En un éclair il sorti un pistolet de sa manche et le pointa sur Aouachri.
- « Range ton cure dent « mon ami ». Assied toi et écoute, j’ai besoin que tu reste en vie. Qu’elle chance pour nous deux que tu ne boives pas. »
Les deux jeunes femmes réagirent plus vite que Charles ne l’avait escompté et il se retrouva avec deux pistolets pointés sur lui à son tour.
- « Je sais pas à quoi tu joues le Français, mais c’est toi qui devrait ranger ton crachoir avant de te faire trouer par mes filles.
- « Je pense que ça ira.
- « Qu’est ce que tu racontes ? »
Devant lui, Charles perçu le léger tremblement dans la main d’une des deux filles, puis l’autre montra quelques secondes plus tard les mêmes symptômes.

- « Vous savez ce que j’ai appris il y a quelques jours ? Il y a des oiseaux sur cette île qui font leur nid par terre, étonnant non ?
- « De quoi tu parles avec tes oiseaux ? Range ton flingue ou je dis à mes filles de te transformer en passoire.
- « Non, Salim, écoutes, c’est passionnant. Imagine toi que ces oiseaux qui font leur nid par terre… se nourrissent de petites grenouilles bleues… extrêmement toxiques. »
La première des deux filles, baissa d’un coup son bras comme si celui-ci ne lui obéissait plus, son pistolet tomba tandis que son corps se mettait à trembler tout entier. La seconde eu à peine le temps de regarder la scène avant de vomir un jet de sang. Elle lâcha elle aussi son pistolet.
- « Tu vois Salim, ce qui est superbe dans cette histoire, c’est que les grenouilles ne tuent pas les oiseaux, par contre la fiente de ces petits êtres… peut tuer un homme en un peu plus d’une heure. Un homme ou une femme.
- « Tu n’as rien mis dans les verres ! Je t’aurais vu le faire et ils sont à moi ces…
Charles leva la main droite la paume en avant, tous ses doigts étaient blancs du côté intérieur, comme recouvert d’une fine poudre. 
- « La fiente des oiseaux, Salim, une fois séchée, ressemble à une petite poudre blanche, qui se dépose sans problème sur le fond d’un verre juste en le prenant. »
La fille qui avait vomi du sang était à genoux par terre, elle lâcha un « non ! » pathétique et s’agrippant le ventre et en se tordant de douleur. L’autre sans doute moins forte, était déjà tombée dans un coma qui la menait rapidement vers une mort certaine.



- « Dis à tes frères Salim, dis leur que je suis de retour. Dis leur que puisqu’ils m’ont pris pour un chien, je saurais en être un avec eux. Et enfin raconte leur ce qu’il en coûte de m’envoyer des sous-fifres pour me menacer de mort. Dis leur bien tout ça Salim, et n’oublie pas d’ajouter que je n’aurais pas la moindre pitié pour eux où leur serviteurs. Ils voulaient que je paye ? Ils vont être payé ! Mais cette fois ce sera en plomb.
- « Tu n’as aucune chance, pas tout seul contre eux, ils te massacreront où que tu sois.
- « Ils ont déjà essayés Salim, mais vois tu je suis Charles de Craon, et je suis immortel ! »
Charles se dirigea vers la porte enjambant les cadavres des deux jeunes femmes.
- « Juan ! Arrive ici !
Le gardien de porte pénétra dans la pièce et reçu aussi sec un coup de crosse de pistolet sur le crâne qui l’assomma aussitôt.
- « Les clefs Salim.
Le marchand attrapa le trousseau et le jeta au Français qui l’attrapa. Tu dors avec tes amis ce soir salim. Aujourd’hui je commence une nouvelle vie, et je regarderai crever tous ceux qui voudront m’en empêcher. Je te dis adieu « mon ami » et n’oublie pas te prévenir tes frères que la prochaine fois que j’en croiserai un, il faudra qu’il tire plus vite que moi. »

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Alice, Princesse Gardienne de Nollandie
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Posté le 26/12/2008 à 00:17:51 

                                      Chapitre IX: Renouvellements

                                                 Tout recommence
                                            Mais rien ne se répare
                                     Quand les coeurs sont en faience
                                           C'est foutu, c'est trop tard.

                                      Miossec – extrait « Recouvrance »

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Aucun son n'était sorti de sa bouche.

Elle avait regardé partir le Français – ou plutôt courir – hors de sa chambre, sans rien tenter pour le retenir – ou le chasser, elle ne savait pas bien elle-même ce qu'elle aurait voulu faire. Peu importait au final, car elle n'avait été capable de rien.

Elle se sentait complètement sonnée, imperméable aux besoins physiques de son corps, comme si son enveloppe charnelle ne lui appartenait plus. Elle eut l'impression d'être en apnée, et fournit un effort surhumain pour commander à son corps de respirer, alors que ses jambes se dérobaient. Prise d'un soudain malaise, elle se rattrapa sur le coin de son lit et s'y étendit.Etrange contraste où son état physique était comme annihilé par le tourbillon de sentiments variés qui déchaînaient une véritable tempête en elle.

Un mélange de surprise, de désir, de plaisir, de colère, d'incompréhension et d'agacement.
Le comportement de Charles l'avait complètement déroutée. Elle pensait le connaître assez pour savoir ce qu'il ferait ou ne ferait pas. Or, ce baiser était tout ce qu'il y avait de plus instinctif, inconvenant, sauvage et irrationnel, ce qui ne ressemblait pas au Charles qu'elle connaissait. Elle le voyait sous un jour nouveau, qui n'était pas pour lui déplaire.

La féline était quelque peu fâchée qu'un homme ose l'embrasser sans son accord, mais la palette d'émotions nouvelles qu'elle avait ressenti lors de ce baiser lui faisait volontiers pardonner cet écart. Elle en frissonna de plaisir rien que d'y repenser. La dernière fois qu'elle avait ressenti cela, c'était...  il y a très longtemps.
Elle avait oublié cette sensation de chaleur incomparable qui naissait au creux des lèvres, réchauffait le coeur jusqu'à ce qu'il se mette à palpiter follement, puis venait tourbillonner dans le bas-ventre. La féline se demandait comment elle avait pu oublier quelque chose d'aussi extraordinaire et comment elle avait pu vivre sans, car il lui semblait à cet instant précis, qu'elle venait de se réveiller d'une longue, très longue sieste qui avait plongé ses sens dans un état léthargique. D'un coup, tous les plaisirs de la vie que Wildekat appréciait tant parurent fades et futiles comparés à l'intensité de ce qu'elle venait de vivre.
Et cela lui fit peur.
Elle avait d'ailleurs eu tellement peur de ce qu'elle ressentait à l'instant même où leurs lèvres s'étaient quittées, qu'elle n'avait pas pu supporter le regard de Charles, qui lui parlait plus que tous les mots qu'il avait pu lui dire ou lui écrire ces derniers mois.

Apeurée, elle avait seulement pu battre en retraite dans la petite pièce adjacente à sa chambre, dans un sursaut de protection, ou elle s'était laissée tomber contre le mur, le souffle coupé et le coeur battant à tout rompre.

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Un poids se fit soudainement sentir sur le lit, et la ramena au moment présent. C'était Tjaard qui venait de sauter à ses cotés, et qui s'installait confortablement sur la couverture. Machinalement, elle se mit à caresser son lynx, passant ses doigts dans la foret épaisse et chaude de la fourrure de l'animal qui ne tarda pas à ronronner.

Les sentiments de Wildekat étaient étrangement emberlificotés, et elle ne savait pas ce qu'elle devait faire: essayer de retrouver Charles, faire comme si de rien n'était, ou attendre qu'il revienne? Mais la féline n'était pas femme à attendre passivement, et elle décida que la meilleure option serait d'aller voir Charles tout de suite, sans savoir pour autant ce qu'elle lu dirait.

La féline se redressa doucement, comme un nouveau né s'éveille à la vie. Elle aperçut la bouteille de champagne avec les deux verres vides, et se servit une coupe pour se donner du courage. Elle la but sans grande conviction, le goût du champagne paraissant fade après cet étrange baiser.Elle jeta un dernier regard vers Tjaard, qui lui, ne semblait pas se faire le moindre souci, et restait confortablement installé sur le lit, avant de quitter sa chambre.
Wildekat réalisa une fois dans le couloir qu'elle était pieds nus, et les cheveux lâchés, mais renonça à retourner dans sa chambre, de peur de perdre le peu de courage qu'elle avait amassé pour aller voir Charles.Elle s'avança près de sa porte à pas feutrés. Seul le léger bruissement que faisait sa robe sur le plancher était perceptible dans la nuit. Elle effleura la porte doucement, grattant délicatement le bois du bout des doigts, tout en chuchotant:

« Charles? »
Elle maudissait son coeur qui frappait aussi fort dans sa poitrine, assourdissant ses oreilles, l'empêchant d'entendre le moindre mouvement dans la chambre. Elle essaya de nouveau, un peu plus fort.
« Charles? Ouvrez s'il vous plait. »

Toujours aucune réponse, et aucun bruit perceptible. La féline soupira. Charles dormait peut-être, où pire encore, ne voulait peut-être pas répondre... Cette seule pensée lui figea le coeur.
Après plusieurs minutes d'attente insoutenables qui lui semblèrent des années, elle se décida à  rebrousser chemin.
Le couloir étroit de l'auberge, le corset de la robe, le bruit des rires émanent de la salle à manger au rez-de-chaussée, tout ceci rendait la féline mal à l'aise, sa poitrine était oppressée et elle fut prise d'une soudaine crise d'angoisse et de claustrophobie.
Elle se précipita dehors pour respirer l'air frais de Liberty.Le souffle quasiment coupé, elle se dirigea d'un pas rapide vers la porte de la ville, pour se rendre vers la forêt. Il lui fallait de l’air, de la nature, de l’espace.
Elle était trop mal à l'aise pour réaliser que c'était une mauvaise idée de se promener pieds nus, en robe, désarmée, en dehors d'une ville qu'elle ne connaissait pas.

Courant presque, elle atteignit les premiers cocotiers qui bordaient la plage de sable fin au Nord de l'île, juste à la sortie de la ville.
Son corset l'empêchait de respirer proprement, et elle entrepris de desserrer quelque peu les lacets pour se donner plus d'aisance, puis elle s'assit contre un tronc de cocotier, reprenant lentement son souffle. Le vent frais de la nuit lui caressait les joues et dansait dans ses cheveux détachés, alors que le sel venait gentiment lui piquer les narines. Elle ferma les yeux et essaya de se calmer. Il fallait qu'elle reprenne le contrôle d'elle-même.
Wildekat, après plusieurs minutes, se leva et se dirigea vers l'océan. Il était calme cette nuit, la pleine lune brillait et se reflétait sur la surface miroitée de l'eau, alors que les vagues rythmaient les battements de son coeur qui étaient devenus plus calmes et sereins.



Elle releva sa robe au-dessus des genoux, non sans penser en son for intérieur que les robes n'étaient décidément vraiment pas pratiques, et se mit à marcher le long de la plage. A chaque pas, elle sentait sous sa voûte plantaire le sable mouillé s’enfoncer doucement sous son poids. Les vagues qui venaient grignoter la plage lui chatouillaient les pieds, alors que de nombreuses pensées s’immisçaient en elle.
Le passé, le présent, le futur... Elle avait beau essayer de le chasser de son esprit, Charles était présent dans toutes ces pensées.

L'Amour, elle l'avait déjà vécu.
Elle ne voulait pas renouveler l'expérience.
Avait-elle vraiment le choix ?

Elle se l'était promis.
Trop de souffrances, trop de déceptions... c'était au delà de ses  forces.
Elle marchait, ne s'arrêtant que pour remonter les différents jupons de sa robe qui glissaient parfois et qui allaient se mouiller dans l'eau salée.

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« Jolies jambes ma mignonne! »
La féline fut tellement surprise, qu'elle trébucha sur un couteau de mer et perdit son équilibre. Elle se retrouva assise dans l'eau, face à une ombre large et effrayante qui se tenait à quelques pas d'elle, sur la plage. La douleur de l'eau de mer sur l'entaille qu'elle s'était faite sous le pied n'était rien face à la peur qu'elle ressentait.
Elle se maudissait d'avoir été si négligente. Plongée dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendu s'approcher.
La féline le fixa, sans  bouger.

« Allons ma cocotte, ne fais pas ta timorée. Fallait pas m'montrer ces jolies gambettes que tu as là... » l'homme s'approcha, et Wildekat vit alors son sourire mauvais et son regard fou. Le faible espoir qu'elle avait eu initialement pensant que c'était peut-être un honnête homme s'évapora instantanément. Il n'y avait pas d'honnêtes hommes, elle le savait pourtant bien.

Ce sourire vicieux, elle l'avait déjà vu par deux fois... une fois sur ce porc de Baern, l'autre fois sur un Français, un Français qu'elle n'oublierait jamais et qu'elle avait laissé sur le continent. Son coeur se mit à battre rapidement alors qu'elle revoyait ce Français s'approchant d'elle, menaçant. L'homme lui aussi s'approchait, et commença à se baisser vers Wildekat.
Instinctivement, elle serra profondément ses mains dans l’eau et les remplit de sable mouillé, qu’elle balança dans les yeux de l'homme lorsqu'il arriva près d'elle.
Il hurla:« Aaaah! 'Spece de catin! Tu vas m'payer ça! »
Alors que Wildekat essayait de se relever, ses jupons trempés et lourds dans l’eau, l'homme plongea sur elle, lui attrapant la taille et l'écrasant sous son poids, le visage sous l'eau.
La féline crut mourir noyée, mais au dernier moment, l'homme lui tira les cheveux de façon violente et releva sa tête hors de l'eau. Elle sentit son haleine chargée d'alcool et de tabac au creux de son oreille, alors qu'elle essayait de respirer, toussant l'eau salée avalée:

« C'dommage, j'voulais être doux avec toi, mais si tu veux t'débattre, j'vais devoir m'montrer plus ferme. P't'être que c'est ça que tu veux ben? »
Wildekat planta ses ongles dans les mains de l'homme, et il hurla de rage
« Raaaaah! Sale p'tite garce! Quand j'en aurais fini avec toi, tu 'f'ras plus ta maligne! J'vais te montrer qui est l'chef ici! Aller viens par là !»

Il la tira sans ménagement par les cheveux jusque sur le sable sec, et la plaqua de nouveau au sol, face contre terre. La féline se débattait tout ce qu'elle pouvait, mais sans armes, embrigadée dans sa robe mouillée, pouvait peu face à l'homme, deux fois plus grand et plus costaud qu'elle.
Elle sentit ses mains fouiller son corsage, et le délacer violemment

« Mais t'avais déjà commencé l'travail ma coquine… J't'ai fait attendre! Attends, ça va plus traîner... »
Wildekat, était prise au piège et ne pouvait plus qu'hurler, espérant éperdument que quelqu'un l'entendrait. De toute son âme elle appelait Charles, mais son appel était désespéré, sachant qu'il était loin... Le sable remplissait sa bouche et l'étouffait alors que des larmes de terreur voilaient ses yeux.
Elle se revoyait, deux ans auparavant, dans une belle demeure de Leewarden, sur le carrelage froid en marbre, se débattant de la même façon, dans une robe aussi encombrante.

Elle ne voulait pas renouveler l'expérience.
Avait-elle vraiment le choix ?



L'homme qui se tenait à califourchon sur les fesses de Wildekat avait maintenant délacé son corset, et elle sentait ses cheveux long et gras caresser sa peau de façon répugnante. Il se mit à la mordre violemment sur le dos et elle hurla de plus belle.
L'homme, visiblement un peu effrayé qu'elle n'attire l'attention, la réduisit à silence d'une main et se mit à déchirer ses jupons de l'autre.

Le bruit du tissu qui se déchirait violait le silence de la nuit et tuait le coeur de Wildekat à chaque centimètre, mais elle ne céda pas: elle se débattait comme elle pouvait, sachant que cela ne suffirait pas... il fallait faire quelque chose, et vite.

D'un coup violent, l'homme la fit rouler sur le dos, et elle se retrouva face à lui, à demi nue, toujours réduite à silence par la lourde main crasseuse sur sa bouche.
C'est alors qu'elle tenta le tout pour le tout.

La panthère, grande prédatrice, avait déjà eu l'occasion d'étudier les techniques que ses proies mettaient en oeuvre pour lui échapper. Se faire passer pour morte en était une.
Ce soir, elle n'était pas la prédatrice.
Ce soir elle endosserait le rôle de la proie, et l'instinct de survie était plus fort que tout.

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D'un coup, elle se concentra.
Elle canalisa toute la peur qu'elle ressentait en elle et regagna petit à petit son sang froid, oubliant le visage de l'homme assis sur elle, oubliant sa main rugueuse et sale qui lui empoignait un sein, oubliant la sensation d'étouffer sous cette lourde main qui lui bouchait la bouche et le nez.
Elle ferma les yeux et essaya de se focaliser sur une pensée positive pour se donner du courage. Le baiser qu'elle avait échangé avec Charles lui revint, et elle sentit une douce chaleur rassurante l'envahir. Le sentiment était si fort qu'elle eut l'impression que Charles était là, juste à coté d'elle.
Alors elle se détendit, et relâcha tous ses muscles, un par un, comme si, enfin, elle capitulait.
Comme si, enfin, elle consentait.

L'homme s'arrêta net, savourant sa victoire.
« Aaaaah! Quand même! T'as compris qu'je n'voulais que t'donner du plaisir! J'fais ça très bien t'vas voir... toutes les pouliches qu'j'ai montées n'se sont jamais plaintes! J'vais t'apprendr' des tas d'choses ma belle, t'vas en frémir d'plaisir! »
Mais tout ce qu'il pourrait jamais lui apprendre fut qu'un prédateur trop sûr de lui était un prédateur mort.
Wildekat, avec un sang froid dont elle ne se serait pas cru capable, trouva la force de planter son regard dans le sien, puis lui sourit en soufflant:
« Embrasse-moi... »
L'homme sourit vulgairement en dévoilant ses dents sales.

Il approcha sa bouche de celle de Wildekat, mais au moment ou il allait l'embrasser, elle avança brusquement la tête et lui happa l'oreille avec ses dents.

Elle serra aussi fort que si sa vie en dépendait, et sentit le cartilage craquer millimètre par millimètre sous ses petites dents aiguisées alors que le sang remplissait sa bouche par giclées, et que l'homme hurlait comme un porc qu'on égorge.
Il se débattait, mais la féline ne lâchait pas d'un iota, sa dentition régulière perforait l'oreille comme un ouvrage de dentelle... Wildekat serra à s'en faire mal aux gencives, jusqu'à ce qu'elle sente l'oreille se déchirer et lui rester dans la bouche, alors que l'homme tombait à la renverse. Libérée du poids de son geôlier, elle ne perdit pas une seconde, roula sur le coté, puis rampa hors d'atteinte.

Elle trébucha, son pied toujours entaillé, mais se releva, cracha l'oreille dans le sable et se mit à courrir, essoufflée, la vision troublée par les grains de sable qui remplissaient ses yeux.Elle entendit des coups de feu derrière elle ainsi que la voix de l'homme qui hurlait, mais ne se retourna pas. Elle connaissait la direction des portes de la ville, et ne perdait pas le cap.
Wildekat ne sentait plus la douleur: son pied entaillé, les nombreuses écchymoses sur son corps, peu importait, il fallait qu'elle regagne la ville à tout prix.

Enfin, la lourde porte entre les remparts d'Esperanza se dessina... plus que quelques mètres... un garde l'arrêta à l'entrée. Elle remis rapidement son corset pour cacher sa poitrine, mais quand l'homme vit le sang qui coulait de sa bouche, ses cheveux emmêlés de sable et son air effrayé, il la laissa passer sans faire d'histoires.

Elle retourna à l'auberge aussi discrètement que possible, en boitant. L'homme de la réception la dévisagea lorsqu'elle entra, et elle fut rassurée de voir qu'il n'y avait plus beaucoup de clients. Ceux qui restaient n'étaient pas en état de voir Wildekat autrement qu'une ombre floue.
Le patron s'approcha d'elle

« Senorita?
- « …ça va. Foutez-moi la paix. »

Sur ces mots elle rejoignit sa chambre sans se retourner, laissant l'homme complètement abasourdi par ce qu'il venait de voir.C'est seulement lorsqu'elle entra dans sa chambre que la peur, la douleur et la honte refirent surface. Elle ferma violemment la porte derrière elle, et se laissa glisser le long du bois de cette dernière, sentant les larmes chaudes couler le long de ses joues, dessinant des traînées plus claires sur le sang et le sable qui masquaient son visage.

Elle grelottait de froid, trempée jusqu'aux os, et émotionnellement choquée.
La féline n'avait plus rien d'une panthère, c'était tout au mieux un petit oiseau à qui on avait arraché les ailes.
Tjaard avait quitté la chambre, et elle se retrouvait seule. Seule face à ses démons.


                                     Ses yeux ont tout un ciel de larmes.
                                        Ni ses paupières, ni ses mains
                                           Ne sont une nuit suffisante
                                         Pour que sa douleur s'y cache.
                                                    

                                                     Paul Eluard
Gaïus Quesada
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Posté le 28/12/2008 à 23:55:23 

Le meilleur qu'on puisse ramener de voyages, c'est soi-même, sain et sauf.
Sagesse Persane

Chapitre X : Disparitions
Charles était rentré dans sa chambre en essayant de ne pas trop se faire remarquer. Il savait que maintenant les heures dont ils bénéficiaient avec Wildekat dans la ville d’Esperanza étaient comptées. Il n’essaya même pas de se coucher, il savait que c’était inutile, il ne dormirait pas cette nuit, ce qui devenait une habitude. A vrai dire il ne savait même pas l’heure qu’il pouvait être. Cela n’avait que peu d’importance.

Charles s’accorda le plaisir d’enlever ses bottes et s’allongea un instant faisant l’inventaire de tout ce qui s’était passé cette journée et des traces noires qu’il y avait au plafond. C’était très fort en émotion, en plaisirs, en sentiments et en violence aussi. Il se sentait revivre, comme aspiré par une nouvelle énergie, par quelque chose d’une puissance peu commune qui l’entraînait vers un nouveau ciel et qui brisait les chaînes qu’il avait tissé autour de lui ces derniers mois.

En fait ; il avait envie de marcher, de profiter de la nuit, d’aller dormir ailleurs, de quitter la ville. De toute façon il n’avait plus rien à y faire et puis il y avait cet appel qu’ils avaient reçus alors qu’ils étaient encore dans le temple maya avec Wildekat. Cet appel impérieux qui le poussait à retourner dans la jungle. Du côté de cette clairière près de l’Angleterre où il avait connu le meilleur… et le pire.
Charles pensa à aller réveiller Wildekat dans la chambre d’à côté, à lui dire qu’il souhaitait partir tout de suite, mais vu ce qui s’était passé quelques heures plus tôt il renonça immédiatement. Il avait l’impression d’avoir des choses a se faire pardonner et il ne pensait pas vraiment aux amies de Salim.

Tout à coup, le Français entendit un petit grattement sur la fenêtre de sa chambre, il n’était pas très sonore mais comme il n’y avait aucun bruit dans la pièce, Charles ne pouvait pas ne pas l’entendre. Il se dirigea vers le carreau et au travers avec la nuit qu’il faisait il ne vit rien. Etonné, il allait regagner son lit quand le grattement revint. Cette fois il ouvrit la fenêtre et tomba presque nez à nez avec Monsieur Papillon.

- « Mais qu’est ce que tu fais là toi ? »

Avant qu’il ai refermé la fenêtre c’est Tjaard qui à son tour pénétra dans la pièce.
- « Et bien mes amis ? Je vous pensais en d’autres lieux plus naturels. »

Les deux animaux semblaient anormalement agités et Tjaard se dirigea immédiatement vers la porte de la chambre et entrepris de la gratter avec énergie.
- « Qu’est ce qui se passe ici ? »

Charles remis ses bottes et ouvrit la porte. Tjaard et Monsieur Papillon se précipitèrent vers la porte d’à côté… Celle de Wildekat. Les deux animaux se mirent à tourner devant. Charles ne les avait jamais observé comme ça.
Tout à coup il fut inquiet. Peut-être se passait-il quelque chose ? Peut-être devait-il faire quelque chose ? Mais quoi ?
Il connaissait bien ces animaux alors il se décida. Il frappa à la porte de Wildekat… pas de réponses. Il frappa encore… toujours rien. Alors il ouvrit.

Les deux animaux entrèrent en trombe dans la pièce, suivis de près par le Français qui trouva la jeune hollandaise prostrée sur son lit. Les cheveux défaits et dans un drôle d’état mais sans commune mesure avec celui de la si belle robe qu’il avait vu au dîner. Elle était déchirée de partout et pleine de… sable.

- « Ne dîtes pas un mot ! Je vous préviens pas un mot ! Je ne veux pas entendre le moindre son sortir de votre bouche ! »
Charles resta interdit devant la jeune femme. Elle était le contraire de ce qu’il avait vu le soir même. Bien sûr il ne dit rien.
- « Et puis c’est pas la peine de me regarder comme ça ! Et puis qu’est ce que vous faîtes là ? Et puis qu’est-ce qu’on fait là d’abord ? Je n’aime pas cette ville, je n’aime pas ces gens, je n’aime pas cet endroit ! Je veux partir d’ici et retourner d’où nous venons ! Je ne suis pas faite pour vivre en robe moi ! Je veux mes bottes, mon épée, mon pistolet et qu’on s’en aille d’ici ! Tout de suite ! »

Charles la regarda quelques secondes.
- « D’accord… »
Wildekat lui fit face l’air étonnée.
- « Comment ça ? »
- « D’accord, vous avez raison… disparaissons de cette ville. »
- « Maintenant ? »
- « Oui… Maintenant. Envolons-nous. »

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Posté le 02/01/2009 à 16:24:01 

                                                  Chapitre XI: Grâce 

             Il faut dompter la vie par la douceur - Jules Renard, Journal, 23 mars 1901   

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Wildekat ne s'était pas faite prier. Elle avait mis tout au plus cinq minutes à enfiler sa chemise, son pantalon, et refaire son sac.

Charles s'était occupé de payer le propriétaire avec quelques pièces d'or, puis il étaient partis en silence au beau milieu de la nuit en direction des lourdes portes d'Esperanza. Si Wildekat avait été dans son état normal, elle aurait remarqué que Charles était aux aguets, prêt à bondir sur une quelconque ombre sortie de nulle part. Le Français savait que les « amis » de Salim se mettraient à sa poursuite sous peu, et ne voulait pas mêler Wildekat à cette affaire qui avait déjà trop fait couler le sang. 

Une fois les portes passées, Charles prit la direction de la plage du nord de la ville. Wildekat cria presque, malgré elle. 
« Non! Pas par là. »
Elle tourna les talons en direction de la foret.
Charles prit un air choqué devant tant de mauvais sens, et tenta de la raisonner: 

« Wildekat, nous allons perdre des heures si nous passons par la foret. Par la plage, ce sera tout de même plus...
« J'ai dit non! » Elle l'avait coupé avec force et une pointe de désespoir se mêlait à l'ordre impérieux du ton de sa voix.

Il la dévisagea, et n'ouvrit même pas la bouche pour argumenter. Charles avait bien compris qu'il s'était passé quelque chose cette nuit-là, et que cette chose tourmentait la panthère. Il ne savait pas quoi faire pour l'aider, mais l'homme était assez aguérri pour savoir qu'une femme tourmentée ne se contredisait pas, à moins d'escompter une tornade. 

« Soit, je vous suis ».
Elle repartit en direction de la foret, d'un pas ferme et sans se retourner, Charles sur ses talons.

Ils marchèrent des heures sans s'arrêter. Wildekat fonçait tête baissée, sans jamais se retourner, et sans savoir réellement où elle allait. Tout ce qui lui importait était de quitter Esperanza, et d'oublier ce qui s'était passé la nuit précédente. Son pied la faisait souffrir, mais ce n'était rien comparé à ce silence qui la rongeait, ce silence qui envahissait son âme alors qu'elle mourrait d'envie d'hurler son mal-être et de pleurer toutes les larmes de son corps.
Mais la féline était ainsi faite: elle ne partageait pas ses souffrances. Elle ne savait pas, et ne voulait pas.
Wildekat était douée pour appaiser les souffrances des autres, mais n'acceptait pas de montrer et d'avouer ses faiblesses. Elle se voulait solide et forte, et n'avait aucune envie qu'on la prenne pour une faible femme. Il ne restait dès lors qu'une option: avancer, s'éloigner d'Esperanza, quitter ce lieu.... c'était tout ce qui la motivait. Comme si l'éloignement géographique lui permettrait d'oublier.

Après des heures de marche sans halte, sans manger et sans boire, ils arrivèrent à une clairière, en plein milieu de l'étouffante foret. Wildekat leva les yeux. Le soleil rougoyait dans le ciel et ne tarderait pas à se coucher.
Après ces efforts, elle se sentait plus sereine, presque vidée de cette haine et de cette colère qui l'avaient habitée depuis la nuit. Des arbres entouraient la clairière, et Wildekat fut appaisée par la beauté et la simplicité de l'endroit.
Elle s'imaginait alongée sur le sol en train de regarder les étoiles, et sentit son coeur s'alléger. La panthère se tourna vers Charles, qui ne cachait pas son air inquet, mais ne disait toujours rien, de peur de mal s'y prendre.

« Il faut que j'aille me laver
- « J'ai vu un petit cours d'eau en contre-bas. Allez-y, je monte le campement pendant ce temps.»

Elle commença à s'éloigner puis s'arrêta brusquement, et fit demi-tour.

« Vous avez changé d'avis? » le Français était visiblement pris de cours par les réactions toutes plus imprévisibes les unes que les autres de Wildekat, et ne savait comment y réagir.

Elle leva les yeux vers lui, et déglutit, ne trouvant pas les mots pour s'exprimer. Sa voix se fit plus timide, presque cassée.

« Charles, je... j'ai... est-ce que vous pouvez venir avec moi...? Pour faire le guet? » Elle pria pour qu'il ne pose aucune questions.
Il la regarda d'un regard doux, presque rassuré de voir que la féline ne le rejettait pas.
« Bien sur. »
Elle voulait le remercier, mais les mots ne passèrent pas sa gorge, alors elle se dirigea en direction du petit cours d'eau.

Une fois arrivés, le soleil était couché et la lune allumait le ciel de toute sa brillance.
Elle se remit à parler, d'une voix beaucoup plus sèche qu'elle ne l'aurait aimé

« Tournez-vous, et ne regardez pas.
- « Bien sur.»
Elle ajouta, dans un souffle suppliant, une sueur froide parcourant son échine,
« Et ne partez pas. »

Il la fixa droit dans les yeux, du même regard plein de douceur qu'il avait eu dans la clairière
« Je ne partirais pas Wildekat. » Les yeux de la féline s'emplirent de reconnaissance, mais là encore elle ne put rien dire, comme si un barrage invisible retenait ses mots. 

Elle se déshabilla et entra dans l'eau sans se faire prier.
La fraicheur de l'eau anesthésiait les hématomes qui parsemaient le corps de la panthère. A la lumière de la lune elle observa les dégats: rien de plus qu'après sa féroce bataille contre Luun, il y a de cela plusieurs mois.
Ceci dit, la bataille de la nuit dernière lui avait laissé un goût amer dans la bouche. Si elle retrouvait cet homme, elle le tuerait de ses propres mains, elle se l'était juré... comme lui, elle n'aurait aucune pitié.

C'étaient les coups sur son dos qui la faisaient le plus souffrir, mais elle savait d'experience qu'elle n'avait rien de cassé, et que le temps effacerait les blessures, comme il emportait avec lui celles du coeur.

Charles s'était assis sur le rebord du ruisseau, dos à Wildekat, et jouait avec Monsieur Papillon et Tjaard. Tous les trois semblaient bien s'amuser, et Wildekat en fut rassurée. Elle redoutait que Charles ne lui en veuille de son attitude brusque de cette journée, mais elle n'arrivait pas à agir autrement. C'était comme une barrière qui s'était dressée entre Wildekat et le monde exterieur, comme si elle était prise au piège dans une bulle de violence qui l'anesthésiait de tous sentiments, à part la haine et l'incompéhension...

Les hommes étaient-ils tous des sauvages?
Prennaient-ils tous de force ce qu'ils n'obtenaient pas par la ruse?
Toutes ces questions qui se bousculaient dans sa tête et la déboussolaient complètement. 

Elle avait regardé couler le sang séché et le sable dans les courants du ruisseau, comme si c'était un mauvais souvenir, dont les preuves s'éffacaient aussi vite qu'un coup de vent sur des pétales de fleurs éparpillées au sol. Elle vit que Tjaard la surveillait de loin, et lui en fut reconnaissante. Son lynx était vraiment étonnant. Monsieur Papillon aussi lui jettait des regards anxieux, et elle décida qu'il était temps de sortir de l'eau.

Après s'être rapidement séchée et changée, ayant repris une apparence plus humaine, elle rejoignit Charles et les deux animaux, qui n'avaient pas bougé.
Ils rentrèrent en silence, Wildekat toujours muette, évitant de parler de peur de le faire sur un ton déplaisant. Tjaard et Monsieur Papillon sautillaient dans les hautes herbes du chemin qui menait à la clairère, s'amusant comme deux vieux frères.

De retour à la clairière, Charles prépara la feu de camp pendant que Wildekat scrutait les étoiles, se posant toujours mille questions sur la nature des hommes et les déceptions qu'ils arrivaient à faire naitre en elle.

Elle repoussa les brochettes de viande que Charles avait fait cuire au feu de bois, la gorge toujours sérrée, se sentant incapable d'avaler quoi que ce soit. Le Français lui jettait des regards inquiets, mais Widekat était toujours aussi engourdie, incapable de se sortir de cet état quasi-léthargique. 

Tjaard passa sous son bras et la forca à porter un bout de viande à sa bouche, qu'elle macha sans grande conviction. Le goût ne passait pas sur ses papilles et elle machouilla la bouchée pendant de longues minutes, sans réaliser ce qu'elle faisait, oubliant même qu'à un moment il lui faudrait déglutir... 

A la fin du repas, Charles se leva pour se dégourdir les jambes, et sembla humer l'air comme elle l'avait déjà vu faire parfois. A son tour elle fit de même, et sentit une fois de plus l'appel, comme une force bien plus grande qu'eux, impérieuse, qui se forcait à leur destin. C'était aussi fort, non, plus fort que la dernière fois... indescriptible, dérangeant et enivrant à la fois.

Elle tourna ses yeux vers Charles, qui avait fait de même et la regardait calmement. Ils se fixèrent tous deux intensément alors que le temps semblait arrêter sa course, puis, lentement Charles vint s'asseoir contre le tronc d'un arbre, aux cotés de Wildekat.

En silence, il l'observa, et cette mise en confiance dura encore de nombreuses minutes, jusqu'à ce que la féline sente une barrière s'ouvrir en elle. La douceur du regard de Charles était une de celles qui pourraient faire fondre la plus dure des pierres, une douceur qu'elle ne lui avait jamais vue.
D'un coup, comme une évidence, elle se sentit délivrée du poids de la culpabilité, de la honte et de la haine. La sauvage panthère avait laissé place à la frêle jeune femme. Wildekat était de retour, certes encore un peu plus vulnéable, mais aussi plus consciente de certaines réalités qui l'entouraient.

Elle ne quitta pas le Français des yeux et s'approcha de lui lentement, décidée pour la première fois depuis très longtemps. Charles ne savait que faire face à cette nouvelle féline qu'il avait apperçue parfois, mais qui n'avait rien à voir avec la Wildekat qu'il avait supportée ce jour. Les yeux du Français étaient emplis de surprise, de soulagement et de désir.

Lentement et agilement elle vint se blottir contre Charles, carressant doucement son nez contre le cou de l'homme, s'emplissant de son odeur, remontant jusque sous son oreille où elle déposa un tendre baiser. Elle sentit Charles frémir sous ses lèvres et se blottit alors plus contre lui, sentant les battements du coeur du Français résonner dans son propre corps, et la force de l'homme la protéger, elle, si fragile ce soir.

Charles passa son bras autour de la taille de Wildekat, la rapprochant encore plus de lui, comme si leurs deux corps ne tendaient qu'à faire un, et carressa doucement ses cheveux. Elle ferma les yeux, oubliant où elle était, ne retenant que l'intensité du moment. La chaleur de la main de Charles irradiait à travers son chemisier, et elle eut la chair de poule de plaisir, ronronnant presque.

« Charles, où allons-nous maintenant?
- « Où vous voudrez. »

Elle sourit, le premier sourire depuis des heures, et leva son visage vers celui de Charles. Il la trouva belle et mourrait d'envie de l'embrasser, mais il ne voulait pas la brusquer, surtout pas après cette journée où il s'était fait un souci qui l'avait lui-même surpris. Il la regarda juste, gravant cette image dans sa mémoire, et sentit son coeur battre plus fort.

La panthère trouva la force de murmurer une réponse.
« J'aimerais aller là où on nous appelle... mais surtout j'aimerais rester avec vous.
- « Ne vous en faites pas pour ça. »

Elle lui sourit encore, reconaissante de tant de bienveillance, et se réinstalla tout contre lui, blottie comme un oisillon dans son nid douillet.

Ce soir là, sous les étoiles, Wildekat sut tout ce que l'expression « s'endormir dans les bras de Morphée» signifiait... et son Morphée se nommait Charles.



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Posté le 07/01/2009 à 13:39:05 

La raison est ce qui effraie le plus chez un fou
Anatole France

Chapitre XII : La clairière

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Le matin suivant Charles se réveilla bien avant l’aurore. Wildekat dormait encore profondément et il s’en félicita. En la regardant dans son sommeil, il se dit une fois encore qu’elle était très belle, il se dit aussi qu’elle était insaisissable. Une vraie panthère.
Silencieusement, il fit les préparatifs du départ. Tout serait prêt quand la jeune femme se réveillerait, du moins il l’espérait.
Il se sentait coupable mais sans vraiment savoir de quoi, se pouvait-il que ce fusse ce baiser volé qui avait mis la belle dans cet état ? Charles n’était pas un grand expert avec les femmes. Bien sûr il avait été marié, mais cela avait été une courte période dans sa vie et c’était il y a si longtemps. Et là il se sentait un peu perdu.
Il tenta de chasser tout cela de son esprit alors que le Soleil montait doucement entre les arbres et continua à ranger les affaires pour la longue marche qui les attendaient. En remettant ses armes, Charles posa la main sur le petit sachet de poudre blanche dont il s’était servi la veille. Il le sorti de sa veste et en l’observant, il se dit qu’il était peut-être coupable de ça aussi. Sans faire le moindre bruit il le remit dans la besace de Wildekat. Pour le moment il préférait éviter toute discussion désagréable sur le vol, la confiance et tout ce qui allait avec.

Wildekat se réveilla quelques minutes plus tard, un sommeil réparateur lui avait rendu plus fière allure et la jeune femme semblait plus sereine que la veille.
Les affaires étaient maintenant rangées et après une sommaire collation, Charles signifia qu’il était temps de reprendre la route.
- « Où allons nous ?
- « Nous descendons vers le Sud. Il nous faudra sans doute au moins la journée pour y arriver.
- « Arriver où ?
Charles se retourna vers l’hollandaise.
- « Oh pardon. Nous allons nous enfoncer dans la forêt qui se trouve à l’Est de New Kingston.
- « En territoire Anglais ? Vous êtes sûr ?
Le Français ne put réprimer un sourire malicieux.
- « Oui. »

Comme prévu, ils marchèrent de longues heures vers leur dangereuse destination. Au fur et à mesure que la journée passait, Charles semblait de plus en plus inquiet et tendu. Il s’arrêtait plus souvent, cherchant une fois des traces, une autre fois un signe, humant l’air régulièrement comme un animal.
Monsieur Papillon et Tjaard adoptaient quand à eux une attitude qu’on eu pu qualifier de « sérieuse ». Ils avaient depuis longtemps cessés leurs jeux habituels et eux aussi paraissaient comme concentré sur l’objectif, comme s’ils savaient très bien où ils allaient.
A les regarder tous les trois, Wildekat avait parfois la sensation d’être un peu exclue de leur groupe et de leurs pensées. C’était un sentiment étrange, mais au fil des jours qu’elle avait passé avec Charles, elle avait appris à lui faire confiance, elle savait pertinemment qu’il était inutile de l’interroger sur quelque sujet auquel il ne souhaiterait pas répondre. Elle continua donc sa marche sans se plaindre, en silence et surtout elle ne posa pas de question.
La forêt se faisait maintenant plus dense et chaque pas, dans cet enchevêtrement de lianes et de plantes en tous genres, était plus difficile. Ils avaient avancés sans relâche depuis le matin, ne s’accordant qu’une courte pause au moment où le Soleil était le plus haut dans le ciel. C’était déjà il y a longtemps.
La nuit précédente avait été courte et relativement agitée pour tous les deux, les organismes, soumis à rude épreuve, étaient fatigués et déjà dans ce que la jungle laissait passer de lumière, on pouvait deviner que le jour déclinait.
Charles continuait néanmoins à marcher, il était fourbu mais refusait de l’admettre et surtout il voulait absolument arriver à destination avant la nuit.
Moins de trente minutes plus tard, ils débouchèrent enfin sur une clairière, une aire découverte dans la densité végétale qu’ils venaient de traverser, un creux entre deux petites falaises, l’une laissant couler une petite cascade d’eau claire dans un bassin creusé dans la pierre et l’autre abritant une grotte en son sein. Le lieu était irréel, comme issu d’un rêve, son architecture naturelle donnait l’impression d’avoir été créée par une puissance divine et apaisante.
Au grand soulagement de Wildekat, Charles posa ses affaires près de l’entrée de la grotte. Il écarta les bras, englobant tout l’espace.
- « Nous y sommes.
- « Et où sommes nous ?
- « Sur votre lieu d’entraînement.
- « Je vous demande pardon ?
- « Vous pouvez vous installer où vous le souhaitez, nous allons rester ici quelques jours… voire plus, ça dépendra. Mais pour le moment nous devons attendre.
- « Vous êtes bien conscient que je ne comprends pas un mot de ce que vous dîtes ?
- « Patience, je ne pense pas que se sera très long. Ici personne ne nous dérangera, et il est temps que vous receviez la formation adéquate. Ensuite… il hésita une seconde. Ensuite, vous aurez le choix. »

Charles n’attendit pas la réponse de la jeune femme et s’enfonça dans la grotte. L’endroit n’avait pas changé depuis la dernière fois qu’il y était venu. Il en gardait encore le souvenir cuisant de ce qui fût sans doute la chose la plus difficile qu’il ait eu à vivre sur Liberty.
Mais au fond de lui il avait toujours su qu’il reviendrait, c’était écrit, c’était une évidence. Tout comme il était évident qu’il n’existait pas d’autres endroits pour faire ce qu’il s’apprêtait à faire. Il avait encore en mémoire les événements de la veille chez Salim. Les dés étaient jetés et quoi qu’il arrive il ne pourrait plus reculer. Il était temps qu’il s’acquitte de ses devoirs et c’était en partie pour cela qu’il était revenu dans la clairière.

Au fond de la grotte le Français repéra un vieux foyer où aucun feu n’avait brûlé depuis des mois. Personne n’était venu jusqu’ici et Charles senti son cœur se serrer un peu plus, peut-être eu-t-il préféré que ce ne soit pas le cas.
L’endroit n’avait jamais été vaste et il retrouva facilement l’excavation où, avant, il avait pris l’habitude de se coucher pour dormir, il y déposa ses affaires.
Combien de temps avait-il passé ici ? Lui-même parfois se le demandait, plusieurs semaines, peut-être plusieurs mois, les sabliers ici n’avaient pas la même façon de couler, les heures n’avaient plus la même durée. Comme si ici, le monde cessait de tourner… le temps d’un songe ou d’une vie.
Charles posa ses mains sur la paroi sèche et rugueuse de la grotte. Il cherchait à sentir les vibrations, les éléments de la Voie Subtile dont il se souvenait qu’ils étaient si présents en ce lieu. Une faible onde accompagna le tracé de ses doigts sur la roche. Bien moins que ce qu’il avait pu connaître. Mais il ne s’était pas trompé, comment aurait-il pu, c’était bien ici qu’il s’était éveillé, il en restait les stigmates… le sang mêlé à la terre.

Le Français était toujours dans ses pensées quand il entendit un petit cri venant de l’extérieur. Il releva la tête, tous ses sens en éveil. Il était là. Charles sentait sa présence… enfin.
Un second cri bien plus fort fini de le ramener à la réalité. Il bondit en avant et se précipita vers la sortie.
- « Charles !!! »
Le corsaire arriva le plus vite qu’il le pu, et ce fut juste à temps pour découvrir Wildekat armée de son pistolet mettant en joue un ours gigantesque à moins de dix mètres d’elle.



- « Charles ! Il est apparu d’un coup, je ne l’ai même pas entendu ! Vite prenez votre arme, nous ne serons pas trop de deux. Mon Dieu je n’ai jamais vu une bête de cette taille ! »
Le Français regarda Wildekat, puis la bête. Il posa alors doucement sa main sur l’arme que la hollandaise continuait de pointer sur l’ours.
- « Vous m’obligeriez beaucoup, chère amie, en ne tirant pas sur cet animal.
- « Vous êtes fou ?
- « J’espère que non. Je vous en prie, baissez ce pistolet. Il est… inamical pour notre hôte.
- « Charles je vous en prie, ce n’est pas le moment de vous moquer de moi ! »

Le Français s’interposa entre Wildekat et l’ours, il fit quelques pas vers la montagne de muscles et de poils qui lui faisait face. Il posa un genou à terre et écarta les bras, les paumes vers le ciel.
- « Je m’appelle Charles de Craon, tu sais qui je suis et je sais qui tu es. Je suis le fils et le disciple, je suis l’assassin et celui qui fait naître, je suis celui qui vient de l’Ombre et je suis celui qui marche à la lumière. »
Il se releva lentement. L’ours ne bougeait plus, s’il avait été humain on aurait presque pu penser qu’il adoubait le corsaire.
- « Voici mes amis ! Je crois que tu connais ces deux là - Charles montra Monsieur Papillon et Tjaard qui se précipitèrent sur l’encolure de l’ours pour grimper sur son dos - et quand à elle… Elle est venue pour savoir.

Le plantigrade lâcha un grognement long et sonore, jusqu’à ce que Monsieur Papillon ne lui tombe sur le museau s’agrippant à ses poils. L’ours s’affala de tout son long sur le sol et le petit singe accompagné du lynx vinrent immédiatement se fourrer sous sa gueule.
Ils semblaient jouer tous les trois. C’est du moins la réflexion que se fit Wildekat en baissant son arme.
Charles se retourna vers elle et ramassa ses affaires qu’il emporta avec lui dans la grotte.
- « Suivez moi. »
La jeune femme ne répondit pas, elle ne savait pas vraiment si elle devait hurler de rage, trouver ça épatant ou tout simplement fondre en larme. Elle était épuisée, ils l’étaient tous les deux en fait.
Charles alluma rapidement un feu et s’installa près d’elle.
- « Je ne peux pas tout vous expliquer. Cela va être à vous maintenant de comprendre ces choses. Je vous ai amené ici pour ça. »
Wildekat resta muette, et mâcha lentement le morceau de viande cuite que le Français lui tendit. Une heure passa comme cela, peut-être plus, peut-être moins, puis elle se leva et s’enveloppa dans sa couverture.
- « Charles ?
- « Oui ?
- « Vous avez parlé à cet ours.
- « Oui.
- « Et ? - la jeune femme se mordit la lèvre. C’était idiot mais elle posa tout de même la question. – Et il vous a répondu ? »
L’homme se leva à son tour et vont poser un baiser sur le front de la jeune femme.
- « Oui. »

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Alice, Princesse Gardienne de Nollandie
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Posté le 29/01/2009 à 20:05:40 

                                                    Chapitre XIII : Les chemins 

               La conscience est la voix de l'âme, les passions sont la voix du corps.
                                                        Jean-Jacques Rousseau 

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Les jours passaient et se ressemblaient.
Wildekat avait peur. Peur de ce qu'elle ressentait, peur de ce qu'elle avait touché du doigt avec Tjaard, peur de cet énorme ours qui semblait entretenir de longues conversations silencieuses avec Charles, peur de son destin qui lui apparaissait chaque jour plus clairement.

Au travers des heures d'entraînement, la féline grandissait, et ouvrait son âme à des chemins qu'elle n'aurait pas soupçonnés auparavant. Elle et Tjaard étaient de nouveau réunis, et parfois leur âme fusionnait à tel point qu'elle ne savait plus qui de lui ou d'elle-même elle était.

Charles se tenait à l'écart du duo, sachant par expérience qu'il ne devait pas interférer pour certaines choses et que Wildekat trouverait elle-même son chemin vers la Voie Subtile. Malgré tout, sa présence rassurait la féline, et même si ils échangeaient très peu de mots, leurs expériences les fatiguant plus que de raison, souvent un simple regard suffisait à alléger leurs coeurs. 

Si Wildekat en apprenait beaucoup sur elle-même et sur Tjaard, sa relation à Charles se clarifiait elle aussi avec le temps.
Elle avait senti il y a fort longtemps qu'elle devrait faire confiance au Français. A l'époque, elle ne savait pas encore pourquoi, et n'en mesurait pas l'impact, mais aujourd'hui, elle comprenait mieux. Si cet homme n'était pas tout à fait son guide, ni son ami ou son frère, il était son alter ego tout en étant son contraire. 

Un soir, alors qu'elle était allée faire sa toilette dans le ruisseau en contrebas, elle sentit quelque chose tirailler son esprit. Elle savait d'instinct que Tjaard était là, et compris en croisant le regard du lynx que quelque chose n'allait pas et qu'elle n'était pas la seule à le sentir. L'équilibre qui s'était installé ces dernières semaines entre Charles, Monsieur Papillon, Wildekat, Tjaard et l'Ours était rompu. Comme si quelqu'un avait transgréssé leur esprits. 

Tjaard se mit à grogner étrangement, et Wildekat se rhabilla aussi vite que possible, attrapant ses bottes dans une main, remontant vers la grotte en pressant le pas, Tjaard sur ses talons. Arrivée à la grotte, elle inspecta les lieux. Rien n'avait bougé et pourtant le fragile équilibre était bel et bien brisé. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose manquait. 

Elle vit que son arme était toujours enveloppée dans ses affaires de combat, au même endroit que là ou elle l’avait déposée le premier soir de son arrivée, et que personne n'y avait touché. Nul besoin de les récupérer, elle savait d'instinct que ce qui se passait en ce moment même ne se combattait pas avec une épée. 

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Charles, ou plutôt sa présence qui se mêlait à celle des autres depuis maintenant des semaines, avait disparue. Instinctivement, la féline posa ses mains sur la paroi de la grotte, comme elle l'avait déjà fait maintes fois ces dernières semaines, attirée par cette parcelle de vie si singulière sur Liberty. Cet énorme ventre abritant des milliers de vies frémissantes en son sein. Les âmes étaient toujours là, vibrant au creux des mains de Wildekat, palpitant au rythme de son coeur, mais elle ne trouvait pas celle de Charles. Elle ressentait comme un vide dans son esprit, un manque qui réclamait d'urgence à se combler.

Tjaard s'approcha d'elle et lui lança un regard qui en disait long. Bien sur elle savait quoi faire, mais elle avait repoussé cet exercice là à plus tard... elle savait qu'elle pouvait se perdre dans les méandres de la Voie Subtile, et surtout de la Voie des Ombres, si elle s'engageait trop loin, mais il était temps de savoir... il était temps de ne plus avoir peur et d’affronter son passé, son présent et peut-être, son futur.

Elle inspira profondément, s'agenouilla, et se mit à communier avec Tjaard. Autour d'elle la grotte se dissipait doucement comme lors de ses nombreux entrainements, et seuls les yeux brillants de Tjaard restaient fixes. Elle sentait son âme se diluer dans la sienne, comme elle l'avait déjà ressenti plusieurs fois.

Les chemins étaient nombreux et vastes.



Là, elle vit un chemin de terre grise et mouillée entre plusieurs dunes ornées de jeunes pousses d'herbe, plus loin elle aperçut une porte en bois qui menait à une maison Néerlandaise typique de Frise, puis une grille qui menait à un cachot froid et humiade… en avançant sur sa droite, un vaste jardin devant une grande maison à Ulungen... Wildekat était tentée d'aller se promener sur ces chemins, mais elle savait que ce n'était pas là sa destination.

Elle le cherchait, et ne le trouvait pas. Il fallait qu'elle se concentre plus, car ce qu'elle voyait là était son propre chemin. Elle devait trouver celui de Charles.

La féline se mit à trembler, tout en se laissant gagner par la fièvre, et sa respiration se fit plus saccadée, mais elle ne quitta pas son lynx du regard. Doucement, le chemin bifurqua, et elle vit au loin une pièce inconnue qui devait faire partie d'une belle maison bourgeoise Française, un feu de cheminée crépitant doucement dans l’âtre. Plus près d'elle, le pont d'un bateau sur lequel elle avait déjà fait un voyage, il y a fort longtemps, une nuit avec Charles. Elle su alors qu'elle était sur la bonne Voie.

Elle fit un dernier effort de concentration pour le trouver, et c'est alors qu'elle sentit sa présence, quelque part près d'elle. Tjaard reconnut certainement celle de Monsieur Papillon, car il se mit à ronronner entre les mains de Wildekat. Alors le paysage autour d'eux se fit moins flou, et les détails s'imposèrent à eux. Ils se retrouvaient dans une pièce que Wildekat connaissait bien, une chambre qui abritait un magnifique piano en bois, sur lequel elle avait joué il y a de cela plusieurs mois lors du décès de Rafaella.
Charles leur tournait le dos, son regard perdu vers l’océan qu’il contemplait par la fenêtre ouverte, une légère brise marine lui caressant le visage.

« Charles! »
Il se retourna, un sourire aux lèvres
- « Bienvenue chez moi. »
Wildekat s'approcha de lui comme une tornade, toujours fiévreuse et complètement déboussolée, et le gifla, les yeux embués, ne pouvant retenir les larmes de rage qui coulaient de ses yeux émeraudes.
«  J'ai cru que vous aviez disparu... j'ai cru que vous... que je... que... vous êtes complètement fou! »

Wildekat n'en pouvait plus, elle se mit à trembloter de tout son long, elle sentait ses jambes se dérober sous elle, et eut l'impression d'étouffer alors que Charles l'enlaça avec force pour l'empêcher de tomber.
La vision de la chambre des musiciens s'effaça rapidement autour d’elle, et ils se retrouvèrent dans la grotte.

Wildekat, les cheveux encore dégoulinants de son bain, pieds nus et grelottant de froid après toutes ces émotions, réalisa alors qu'elle avait retrouvé Charles. Dans un élan de joie, mêlé à de la rage et de l'anxiété, elle serra ses bras autour du Français, tout en inspirant son odeur rassurante, pour s'assurer que c'était bien lui.
Elle sentait son coeur battre rapidement, comme si elle allait exploser, et ne pouvait pas encore se réjouir d'avoir retrouvé son équilibre, cette présence qui lui avait fait défaut et qu'elle avait dû aller chercher par delà la Voie Subtile. La féline était trop commotionnée pour cela.
Elle serra plus fort ses mains contre le dos de l'homme, comme pour s'assurer qu'il était bien là.

« Bon sang Charles, ne refaites jamais ça! J'ai cru que je vous avais perdu...
-« Mais vous m'avez retrouvé, c'est le principal. » 

Elle se dégagea et l'observa en levant les sourcils
« Vous êtes complètement fou....
- « Oui. Mais ce soir vous m'avez rejoint. »

Wildekat ouvrit la bouche pour protester, mais Charles posa un doigt sur ses lèvres:
« Votre formation est presque terminée. » 

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Gaïus Quesada
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Posté le 05/02/2009 à 11:56:04 

Ma liberté se découvre comme arbitraire. Elle en appelle à une investiture.
Emmanuel Levinas

Chapitre XIV : Ceux qui sont déjà morts

Un bateau, trois mats barque, cinglant toutes voiles dehors sur une mer calme. Charles se tenait en face de Wildekat, sans se soucier le moins du monde de la grande activité des marins. Ces derniers ne semblaient pas voir les deux personnages, comme si ceux-ci n’étaient pas vraiment présents sur le pont supérieur du navire. Ils évoluaient normalement. Parfois un ordre était crié par le bosco du navire et l’activité redoublait d’intensité.



Wildekat avait remarqué depuis longtemps cet homme habillé d’un uniforme bleu qui se tenait sur la dunette près de la barre. Elle savait maintenant qu’il s’agissait de Charles plus jeune, et quand elle observait le Charles qui se tenait en face d’elle et qui était en train de lui parler et celui qui était à l’arrière du navire et qui donnait des ordres brefs aux marins, elle se demandait immanquablement quels étaient les événements de la vie qui avait bien pu faire vieillir ce jeune homme fringuant et tracer ces rides sur le visage marqué et fatigué de son interlocuteur.

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- « … c’est pour cela que nous allons voir aujourd’hui… Wildekat ? Mademoiselle ! »
La jeune femme quitta son observation et se reconcentra sur ce que lui disait Charles… le vieux. Il était tendu.
- « Wildekat, vous y êtes presque, le moment n’est plus loin où vous pourrez vous-même développer votre propre connaissance de la voie. Mais je vous en prie concentrez vous, je ne vais pas pouvoir demander de tels efforts à Monsieur Papillon pendant trop longtemps.
L’hollandaise se ravisa.
- « Je me demandais pourquoi vous m’aviez emmené sur ce bateau ?
- « L’endroit est clos, vous ne pourrez pas vous enfuir, je le connais bien et il est tout à fait adapté à ce que nous allons faire.
- « Encore ? Je pensais…
- « Oui ?
- « Je pensais que j’avais terminé mon apprentissage.
- « Ne soyez pas impatiente, il vous en reste encore beaucoup, vous vous rendrez vite compte que l’apprentissage de la Voie n’est jamais vraiment terminé.
- « Fort bien, dans ce cas je vous écoutes. Quelle sera la leçon d’aujourd’hui ?

Charles sourit, fit un geste de la main en direction du petit singe qui l’accompagnait et tourna le dos à la jeune femme avant de monter sur la plage arrière.
Wildekat senti quelque chose se modifier autour d’elle, tout à coup tous les marins qui l’entouraient se transformèrent en momies hideuses et en monstres en tout genre comme ceux qu’elle avait déjà pu croiser sur Liberty. Le rythme de son cœur s’accéléra tandis que le plus proche d’elle s’avançait d’un air menaçant vers la combattante.
- « Charles ? »
Le Français ne semblait pas avoir remarqué quoi que se soit, il était tourné vers la mer observant de sa lunette l’horizon à l’arrière du bateau. Il se retourna enfin et fixa l’hollandaise.
- « Charles ! Les marins, ils… »
Il fit quelques pas vers l’avant les mains dans le dos, ne dérogeant en rien au calme qui l’habitait puis d’une voix de stentor hurla :
- « Spartiates ! » les monstres variés et tous plus laids les uns que les autres se retournèrent vers lui, puis vers la jeune femme. « Tuez là ! »
Wildekat regarda incrédule le Français.
- « Quoi ?? »
Mais avant qu’elle n’ait pu prononcer le moindre mot supplémentaire un violent coup de poing, asséné par le monstre qui se trouvait près d’elle et qu’elle avait totalement oublié, la fit voler la tête en avant et la belle s’écrasa de tout son long sur le pont.
Elle se releva promptement, cherchant toujours le regard du Français. Celui-ci fumait tranquillement sa pipe sans plus faire attention à elle. Des larmes lui montèrent aux yeux mais elle les contint, les remplaçant automatiquement par une colère sourde devant cette trahison.
Un autre coup tout aussi rude l’atteint au visage.
- « C’est mou ! » L’homme tenant sa pipe eu un rictus mauvais, « battez-vous… ou mourrez. »
Le tranchant d’une épée passa à quelques centimètres de la tête de la jeune femme, elle fit deux bonds félins et le dos protégé par le liston en bas du navire, les yeux rougis de rage, elle s’apprêta enfin à se battre.



Charles savait parfaitement combien il y avait de marins sur le bateau, il les connaissait par leur nom, leur prénom et bien souvent leur surnom. L’équipage du Spartiate comptait 192 membres, et la jeune hollandaise n’avait donc aucune chance de s’en sortir… Aucune à moins bien-sûr quelle ne se serve de ce qu’elle avait déjà appris.
Les coups pleuvaient et les monstres tombaient, remplacés immédiatement par d’autres monstres. Wildekat était trempée de sueur et son bras de manière mécanique s’abattait sans interruption.
Combien de temps tiendrait elle ? Charles avait, au fil de son voyage avec son « amie », pu apprécier l’endurance de celle-ci ainsi que son fort caractère. Mais ce qu’il se passait ici était parfaitement inhumain et personne ne pouvait s’en sortir. D’ailleurs ce n’était pas le but.
Il tira une longue bouffée de sa pipe en continuant à assister au spectacle, sur son épaule Monsieur Papillon était très agité.
- « Je sais mon ami. Ce n’est pas le moment le plus facile. Mais tout comme nous avant eux, ils doivent surmonter ça. »

Wildekat vacilla une première fois mais se repris, la fin arrivait. Tjaard avait pris sa place dans le combat et aidait sa compagne comme il le pouvait. Mais pas au mieux qu’il l’aurait pu.
Trois autres coups suivis de trois autres parades, la jeune femme était acculée, il était temps pour elle de prendre une décision. Un des monstres sur sa gauche fut un peu plus rapide et toucha son ennemie. Une gerbe de sang s’échappa du bras de la batave, ça ne serait plus long.

Charles ne manquait rien, et ne bougeait pas d’un pouce.
- « Allez Wildekat, prouvez moi que j’ai eu raison. Prouvez-le à vous-même », marmonna-t-il dans sa barbe.
Un coup supplémentaire tomba, mettant la jeune femme sur un genou, un cri s’échappa de sa bouche, Tjaard s’interposa entre elle et son agresseur et le mordit à la gorge. Wildekat se releva, sa poitrine se levait et s’abaissait à une vitesse folle, elle était à bout de force et déjà de nouveaux monstres s’approchaient…

Puis enfin, le décor du bateau se fit plus flou, la mer peu à peu disparu et le monde autour d’eux changea.

Charles toujours accompagné de monsieur Papillon en profita pour s’asseoir sur un billot de bois après avoir préalablement jeté la hache qui y était plantée. Le paysage à présent était un peu austère, sur sa droite il y avait une petite ferme traditionnelle, de celle que l’on trouve souvent dans le Nord. Le Français se rappelait être allé il y a très longtemps en Frise, il n’y était pas resté longtemps, juste ce qu’il fallait pour tuer un homme, ce qui était somme toute très peu. Il ne fut pas particulièrement étonné d’être là.




Wildekat avait du mal à reprendre son souffle, et pourtant ce n’était pas encore fini.
- « Monsieur Papillon, c’est à toi de jouer. »
Une vingtaine de nouveaux monstres apparurent entre Charles et Wildekat, le Français porta la pipe à sa bouche et souffla lentement la fumée produite par son herbe hollandaise favorite.
- « Tuez la… »

La jeune femme se redressa.
- « Non, Charles, je vous en prie…
- « Exécution. »

Les monstres se rapprochèrent et le combat recommença de plus belle. A la différence du Spartiate, la ferme offrait plus d’espace et, à la grande satisfaction de Charles, Wildekat s’en servi avec brio. Les monstres tombaient un par un dans cet inexorable combat.
Encore une fois gagner n’était pas le but. Gagner n’était jamais un but. Pas quand on prétendait vivre libre. Ce pourquoi ils se destinaient, leur engagement sacré, le lien qui les unirait, apporterait son lot de défaites, de colère et de déceptions. Gagner n’était pas le but, car gagner n’était pas suffisant.

Maintenant plus au fait de ce qu’on attendait de lui, Tjaard su comment aider son amie, et le paysage devenait de plus en plus difficile à saisir à mesure que l’animal le modifiait pour permettre à Wildekat, soit d’éviter les coups, soit d’être en meilleure position pour les donner.
Cela ne perturbait pas particulièrement le Français, il connaissait la règle, il était déjà passé par là. Sur son épaule Monsieur Papillon était maintenant plus calme.

Le dernier monstre qui n’eu pas plus de chance que ses dix-neuf prédécesseurs, s’affala sur le sol hollandais. Ce combat là était terminé, celui-là seulement. La jeune femme faisait peine à voir, essoufflée, trempée de sueur et des larmes plein les yeux.
- « Pourquoi ? … Pourquoi m’avez-vous fait ça Charles ?
- « Je n’ai encore rien fait…
- « Je vous faisais confiance.
Charles remis sa pipe au fond d’une de ses poches.
- « Peut-être trop.
- « Ne dîtes pas ça, pas maintenant… »
De nouvelles larmes apparurent sur les joues de Wildekat. Mais Charles n’y fit pas attention.
- « Ca n’est pas terminé.
- « Comment ça ? »
Le Français ne répondit pas et fonça sur la demoiselle. Il attrapa son bras avec force et la renversa sur le sol.
- « Ca n’est pas terminé… »
Il sorti son épée et la pointa vers Wildekat.
- « A vous Monsieur Papillon. »

Le paysage à nouveau se voila et devint flou. Cette fois tout autour d’eux était noir, sans vie, sans rien.
- « Vous devez me battre. »
Wildekat attrapa son épée et s’aida de celle-ci pour se relever.
- « Non.
- « Vous n’avez pas le choix.
- « Non, je ne peux pas. Pas contre vous.
- « Alors je vous y forcerai.
- « Non, je ne peux me battre que contre ceux qui en veulent à la Hollande, ses ennemis, ou ceux qui m’ont trahi comme les Quatre Lunes.
- « Si ça n’est que ça… »

Charles sorti de sa besace son médaillon de membre des Quatre Lunes que lui avait offert Nick Le Brun et enfila le bandeau noir qu’il gardait précieusement puis il fit un signe de la tête au petit singe.
Le noir qui les entourait se transforma à nouveau laissant apparaître les murs bien connus de la ville d’Ulungen… en flammes.
- « Cela vous convient-il mieux ?
- « Vous ne pouvez pas faire ça !
- « Bien sûr que si, d’ailleurs qui vous dit que je ne l’ai pas déjà fait ? »
Wildekat tremblait de rage.
- « Ca n’est pas réel, c’est encore un de vos tours. »
Autour d’eux, des hollandais affolés couraient un peu dans tous les sens, tentant vainement d’éteindre les incendies qui ravageaient la ville. Charles en attrapa un par le bras et sans un mot lui transperça le coeur avec son épée… L’homme s’écroula sans vie.
- « Non !
- « Battez vous ! Ou je vous promets que j’en tue un autre. »

L’épée de la jeune femme se leva et mue par une nouvelle énergie, ses mouvements se firent plus rapide si bien que Charles para le premier coup bien plus par réflexe qu’en conscience.
- « Je vous tuerai pour ça !
- « C’est mieux. »
La voix de Wildekat était résolue et semblait habitée d’une puissance que le Français n’avait encore jamais vue émanant de chez elle. La jeune femme s’élança sur lui. Charles para une nouvelle attaque puis une autre, les coup pleuvaient littéralement.
Il parvint à se dégager et du pommeau de son sabre frappa violement le visage de la hollandaise. Celle-ci tomba à terre mais se releva immédiatement dans un grand cri de rage et reparti à l’assaut. Sa force se décuplait et autour d’eux les paysages changeaient rapidement si bien que le Français n’arrivait plus à la toucher. Un instant elle se trouvait devant lui, et la seconde d’après la riposte de Wildekat arrivait par l’arrière.
Il évita encore un coup de justesse mais pas le suivant, et l’épée de la furie taillada son torse sur tout le travers. Le Français mis un genou à terre.
Charles senti le sang couler sur son ventre, il tenta une nouvelle attaque, mais la jeune femme fut plus rapide encore et le contra presque sans mal avant de lui porter un grand coup de botte dans la tête. Charles tomba à terre.

Wildekat s’approcha de lui, son regard n’était plus que colère elle souleva son épée au dessus de sa tête et se prépara à porter le coup de grâce. Le Français la regarda fixement, il était battu.
La lame de la combattante tomba et perfora le Français, le tuant sur le coup.

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- « Enough ! Ca suffit ! »
Charles poussa un soupir de soulagement et s’affala sur le sol. Ni lui ni la jeune femme ne s’étaient vraiment aperçu qu’ils étaient « de retour » dans la clairière.
- « Enough ! Baissez votre épée mademoiselle. Je crois que nous en avons vu assez. »

Wildekat se retourna et aperçu derrière elle l’immense ours qui lui avait fait si peur quelques jours
auparavant. L’animal était accompagné d’un vieil homme et d’une jeune fille, tous deux assis près de la vasque naturelle au pied de la chute d’eau.




- « Hi hi, regarde grand-père, Athy s’est fait battre par une fille, c’est mauvais ça, pour un Français.
- « Ne soit pas trop dure avec lui Sarah, après tout il nous a bien battu tous les trois n’est ce pas ? » Le vieil homme posa la main sur la tête de l’ours « ce n’est pas si mal non plus. Et puis c’est la règle… Il faut tuer le maître. »

Il se rapprocha de Charles et l’aida à se relever.
- « Alors mon jeune ami ? Pense-tu qu’elle soit prête ? »
Le Français remis en place ses habits. Il ne saignait plus, il n’était même pas blessé, pas plus que Wildekat.
- « Oui Zaccharie, Elle saura reconnaître les signes et découvrir la Voie et son destin. Elle est prête. »

La jeune hollandaise qui avait laissé tomber son épée était assise par terre, elle pleurait doucement en regardant ces deux inconnus et celui qu’elle avait cru tuer. Charles s’approcha d’elle et l’entoura doucement de son bras.
- « Vous saurez maintenant, vous lirez les signes que la Voie vous donnera, vous n’hésiterez pas au combat, vous serez une adversaire impitoyable pour vos ennemis et une amie fidèle pour vos amis. Vous avez réussi Wildekat et maintenant il est temps pour vous d’honorer votre promesse. Il est temps de combattre les ennemis de la Hollande, les pirates et les Quatre Lunes. »

Zaccharie accompagné de Sarah s’approchèrent à leur tour et s’arrêtèrent aux côtés de l’ours.
- « Oui, jeune fille. Nous savons qui vous êtes et vous pouvez être fier de ce que vous êtes, tout comme nous sommes fiers de vous. Les êtres libres ne sont pas si nombreux en ce bas monde. Ils ne peuvent rien ceux qui ne veulent pas mourir, contre ceux qui sont déjà morts. »
 

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