Le Faux Rhum   

Il y a du mouvement, sur la place de New Kingston. Sur les ordres d'une jeune femme brune, des ouvriers déplacent des bancs et des chaises, installent des bouquets de fleurs et de quoi se restaurer et se désaltérer. Une grande banderole est également tendue, placée sur la statue centrale, affichant en belle calligraphie : Meeting électoral !

Une petite pancarte est posée à l'entrée de la ville, avec quelques mots délicatement gravés dessus : Postulants : Anglais uniquement ; Auditeurs : Ouvert à tous.

« Mes chers amis, mes chers compatriotes,

Vous avez envie de renouveau à New Kingston ? Vous avez envie de vous présenter aux prochaines élections parce que vous aimez votre cité ? C'est le moment !

Et d'ailleurs, moi d'abord.

Je me présente en tant qu'intendante à nouveau. Non seulement j'aime beaucoup la robe, et tamponner les papiers verts (un peu moins pour la liste noire, cela dit), mais j'ai aussi envie que vous, mes amis, soyez en sécurité. Que vous puissiez élever vos enfants dans la paix. Que vous puissiez sortir le soir en ville sans craindre l'arrivée de brutes qui dévastent tout sur leur passage.

Sans offense, mes chers amis français.

Je veux me présenter pour représenter notre chère New Kingston parmi les autres nations. Pour protéger les plus faibles, et pour faire sourire les plus tristes. Alors j'annonce :

- Je ferais de mon mieux pour maintenir de cordiales relations (lorsque c'est possible, évidemment), avec nos voisins, quelle que soit la couleur de leur bandeau. Ils nous ont dérobé l'argenterie ? Grand bien leur fasse. Le bonheur n'est pas matériel.

- Je prévois de recenser les plus pacifistes d'entre nous, et de tous les habitants qui foulent la terre, le sable, ou même les plaines de cette île, et la placarder bien en vue, un peu partout, pour leur accorder un sauf-conduit. Qu'on soit bien clairs, j'entends être respectée pour cela. Ni vols, ni agression plus ou moins brutales, envers les membres de cette liste. (Bien évidemment, si ces derniers s'avèrent être un peu agressifs, au final, ils seront révoqués de la liste.)

- J'aimerais aussi que nos relations avec ceux que vous redoutez, ou que vous méprisez, ou qu'importe ce que vous pensez d'eux, bref, avec les porteurs du bandeau noir, soient cordiales. Pas d'agressions, d'un côté ou de l'autre. Et, pourquoi pas, une entente, ne serait-ce que le temps de mon mandat ?

Oui, je sais, ce cher messire Maximilien, et ce cher messire Frag nous manquent. Mais ne pouvons-nous pas respecter leur désir de voir d'autres choses ? Ne pouvons-nous pas simplement nous remémorer les bons souvenirs ? Rappelez-vous, quand même, qu'ils étaient en première ligne dans bon nombre des actions militaires entreprises par notre armée.

- Enfin, si j'ai d'autres idées, vous inquiétez pas, je vous en ferais part.

Alors n'hésitez pas, votez pour moi lorsque viendront les prochaines élections !

... Ah oui, et si vous avez des questions, je reste à votre disposition. »

« Ah, messire Jax. Ma politique sera effectivement complaisante. Même si, pour être franche, je me demande si je ne vais pas voir avec notre ministre -dès lors qu'il sera remis, le pauvre- pour réquisitionner les fonds dont ils disposent chez lui. Parce qu'ils auraient pu prévenir quand même, au lieu de nous prendre de court. Mais autrement, de même que je me montrerais complaisante avec votre nation, ou les nations espagnoles et hollandaises, je ne vois pas pourquoi les pirates n'y auraient pas le droit . Ce serait injuste, non ? »

« Mon cher Dragon, et mon cher Jax par la même occasion,

Vous semblez oublier que les pirates sont avant tout des gens comme vous et moi, avec leurs qualités et leurs défauts. Ils se sont, certes, affranchis des lois des nations, mais ils ont leur propre code de conduite.

C'est une autre vision des choses, tout simplement. Et, qui suis-je pour juger, même si je désapprouve la violence ? Si jugement il y a, il me semble que des autorités supérieures s'en chargeront. Vous et moi avons été, j'en suis certaine, témoins de miracles de ces autorités supérieures, peu importe leurs dénominations. En dehors de cela, je crois fermement que nous sommes tous égaux.

Alors, oui, leurs actions peuvent vous paraître barbares. Mais n'est-ce pas également barbare de tolérer la mise en esclavage des indigènes ? Il peuplaient cette île avant nous, je le rappelle, et ils ne sont pas moins intelligents que vous et moi. Sous prétexte qu'ils n'ont pas la même culture, devons-nous pour autant tolérer la cruauté que nos nations leur font subir ? Je me souviens avoir discuté de ceci avec messire Peran, d'ailleurs, et nous en sommes resté au point où l'on s'accordait sur notre désaccord.

Ainsi, mon accession a l'intendance ne serait ni plus, ni moins, que la preuve que les citoyens anglais ne sont pas obtus, qu'ils sont généreux et ouverts, qu'ils prônent l'égalité des races (même si je ne suis pas très enjouée par ce terme), à défaut de l'égalité des sexes qui est encore à améliorer.

La piraterie est une autre façon de voir les choses, tout simplement. Pourquoi y voir le mal ? 

En dehors du sorcier, messire Nico, qui semble en effet toujours sous le joug de sombre maléfice. »

La galloise glousse légèrement à la méprise de Jax, lui adressant un clin d'œil mutin. Puis reprend son sérieux.

« Comme je vous l'ai dit, différentes personnes, différentes règles. Même entre les colonies, il y a des divergences d'opinion.
Quant aux règles inhérentes à New Kingston, mis a part le respect des autorisations que je compte faire appliquer (parce que bon, c'est vraiment pas chouette de voler nos invités !) elles demeureront comme elles sont depuis que le peuple s'est exprimé, au travers son refus de pendre ou d'exécuter de quelques manières que ce soit lady Marie Riku et messire Victor Cron comme l'ordonnait la Couronne. C'est-à-dire, une cité Libre. Et j'insiste sur la majuscule.

Quant aux sexes, bien que je ne parlais pas de ceux-là... Eh bien, effectivement, on ne peut pas uniformiser la diversité de ce qui existe. Heureusement ! Mais on pourrait cependant s'intéresser au genre, féminin et masculin, et prendre en compte les avis féminins au même titre que les avis masculins, et ne pas partir du principe que les femmes ne connaissent rien a la guerre, ou que sais-je encore. Je connais beaucoup de femmes qui sont même meilleures que beaucoup d'hommes, sur ces sujets. »

« Ah, mon cher Peran, vous avez bien entendu !

Bien sûr, les modalités d'exécutions de cette liste serait à définir, et il est vrai que es papiers verts des autorisations ne sont pas légions, pour les intendants. Sans doute le coût de devoir teindre le parchemin, qui devient trop élevé au-dessus d'un certain nombre.

Mais soyez sûr, si je suis élue, que je viendrais à vous pour écouter vos réflexions. Peut-être pourrions-nous ensuite prier les dieux pour qu'il exauce nos vœux ? Qui sait, cela pourrait fonctionner. »

« C'est-à-dire que je n'aurais pas l'autorité nécessaire pour faire respecter cette liste si je ne suis pas intendante, vous savez ? Même si je serais ravie de la mettre en place, de toute manière. »

Sourit en coin, amusée, avant de secouer la tête.

« Mais, une cité libre ne veut pas dire une cité sans règles. Nous sommes simplement affranchis du continent. Certaines de leurs règles ne peuvent s'appliquer ici. Par contre, cette liste, je compte la faire respecter si j'ai le pouvoir nécessaire, croyez-moi.

Et j'adorerais que vous me fassiez visiter votre... Bâtiment -dit-on,je crois ?-, surtout si vous m'emmener faire le tour de l'île ainsi. »

« Messire Piet, tant que c'est en dehors de la ville, histoire de pas donner plus de boulot que ça aux pauvres ouvriers chargés de maintenir la beauté de la cité, vous pourrez vous amuser comme bon vous semble avec des volontaires ! Qui suis-je pour vous priver de votre passe-temps ?

Cependant, j'ignore quel sera l'avis de mes adversaires sur le sujet. »

Elle adresse un sourire joyeux à Dulcina et Assashin avant de retourner le regard vers Piet, toujours souriante. 

« Bagarre okay, mais dans les bois, sourit la galloise. »

« Oh, celui que vous désirez, messire Peran, j ne m'y connais pas assez pour choisir. Vous êtes le professionnel, ici, non ? »

Rit joyeusement, et opine du chef.

« Alors il ne nous restera plus qu'à fixer une date, mon cher. »