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La décision des Parques  
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Arina Logris
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Posté le 17/02/2021 à 02:53:02. Dernière édition le 21/07/2022 à 21:22:55 

La décision des Parques - Introduction


   La nuit avait recouvert Valence d’un voile d’ombres depuis plusieurs heures déjà. La ville baignait dans une quiétude étrange pour quiconque n’était pas un habitué des excursions nocturnes ; Arina, en revanche, se déplaçait entre les rues familières avec l’aisance d’un chat. 

   A quelques mètres de sa destination, elle se coula parmi les ombres afin de vérifier que l’endroit était désert. Être surprise en ces lieux pourrait avoir de funestes conséquences, et la prudence était de mise. Après avoir observé les alentours une dizaine de minutes sans apercevoir âme qui vive, elle se faufila jusqu’à un huis de bois clos. Elle y frappa une série compliquée de petits coups et dut patienter quelques instants avant que la porte ne s’ouvre. Elle s’engouffra à l’intérieur. 

   Ses yeux mirent du temps à s’habituer à l’obscurité ambiante, bien plus épaisse que celle qui baignait la rue. Une étrange odeur parvenait à ses narines, mélange de sciure de bois et de moisissure. Elle finit par distinguer la pièce qui l’entourait. Le mobilier lui évoquait celui d’une taverne, de celles qui avaient mis la clé sous la porte et s’étaient retrouvées totalement abandonnées à la suite de l’épidémie de typhus. Enfant, il lui était arrivé à de nombreuses reprises de pénétrer dans ce genre d’endroits, le plus souvent par un trou dans les planches condamnant une fenêtre, à la recherche d’un refuge. Elle se fit la réflexion qu’au fond, la situation n’était pas si différente aujourd’hui.

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   Un bruit attira son attention et elle scruta l’obscurité, sur le qui-vive. Par réflexe, elle porta une main à la longue dague légèrement émoussée qui pendait à sa ceinture et l’extirpa à moitié de son fourreau.

  « Tu es venue. »

   La voix rocailleuse avait retenti derrière elle et elle fit volte-face. La silhouette qui se tenait près de la porte ne la dépassait que de quelques centimètres. L’homme alluma une petite lampe à huile, ce qui permit à Arina de distinguer ses traits ; elle ne l’avait jamais vu auparavant. Il s’agissait d’un homme brun au teint mat et à la peau buriné, sans rien de notable. 

  « Range ça, veux-tu, lui intima-t-il en désignant sa dague. Et viens t’asseoir. »

Il désigna d’un mouvement de tête une table en bois flanquée de deux sièges en piteux état. Arina s’exécuta, sans se départir de sa méfiance ; ce n’était pas auprès de lui qu’elle avait récupéré les renseignements. La probabilité qu’il s’agisse d’un piège était faible, mais elle ne parvenait pas à la chasser totalement de son esprit. 

   L’homme s’installa en face d’elle et posa la lampe sur la table, entre eux. La faible et mouvante lueur qui en émanait créait une atmosphère inquiétante. Sans quitter Arina des yeux, il fouilla dans une poche et en sortit un petit morceau de papier plié en quatre, qu’il tendit à la jeune femme sans un mot. Elle s’en saisit et le déplia fébrilement. Deux noms y étaient inscrits, ainsi qu’un lieu, une date et une heure.

  « Nous passons des contrats auprès de personnes comme toi, car elles sont plus difficiles à tracer et à confondre. Nous ne te connaissons pas, tu ne nous connais pas, nous te paierons une fois l’affaire réglée, et plus jamais nous ne serons en contact. »

  Voilà ce qui lui avait été exposé. La somme était rondelette, suffisante pour mener à bien le projet qui l’obsédait depuis son adolescence. La perspective de l’exécution du contrat l’inquiétait, mais elle s’était efforcée de ne pas y songer. Elle lui revenait cependant en mémoire, maintenant qu’elle tenait entre ses doigts fébriles l’identité des hommes qu’elle allait devoir tuer. 

Deux noms. 
Deux vies. 
Deux fils que les Parques allaient probablement décider de sectionner – et Arina aurait les ciseaux en main. 
 
Arina Logris
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Posté le 28/10/2021 à 10:38:32. Dernière édition le 03/11/2021 à 08:45:20 

Quelques années auparavant…

     Une atmosphère électrique régnait sur la place noire de monde, qu’un soleil impitoyable rendait encore plus suffocante. De lourds ahanements entrecoupés d’impacts sourds émanaient du cœur de la foule compactée en cercle. Le spectacle du jour offrait aux badauds les virevoltes d’un homme haut comme trois pommes, à la musculature sèche, et les gesticulations pantelantes de l’armoire à glace qui lui tenait lieu d’adversaire.

     Le petit homme avait visiblement volé la pomme de trop à ce marchand acariâtre, qui avait lâché la bonde à sa colère pour faire de cette chaude journée un jour de châtiment. Bien mal lui en prit ; le chapardeur, pétri de l’agilité inhérente à sa bien impopulaire profession, était parfaitement intouchable. Il louvoyait, tournait et virait, esquivant les coups brutaux et imprécis qui lui étaient destinés.

     -    Des semaines que je te vois rôder autour ma boutique, musaraigne maléfique ! Des semaines que ma marchandise se fait la malle sans passer par mon livre de comptes !

       Le gaillard s’époumonait, le voleur dansait.

     Arina, aux premières loges, observait la scène avec amusement – et une admiration certaine pour l’adresse et la grâce du brigand. Elle s’était frayé un chemin au cœur de l’attroupement, attirée par les éclats de voix et par la perspective de divertissement offerte par une bagarre de rue. Celle-ci s’acheva bien trop tôt à son goût, lorsque le petit homme profita d’une brèche dans la foule pour filer ; c’est tout juste si on n’entendit pas un discret rire sardonique l’accompagner dans sa fuite. Sa victime, frustrée, s’en retourna dans son échoppe et passa ses nerfs sur ce qui, au bruit, ressemblait à un sac de farine. La foule se dispersa, la fête était finie.

     Et Arina se remit à errer, toute à l’ennui qui était le sien.
Arina Logris
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Posté le 11/11/2021 à 20:32:39. Dernière édition le 11/11/2021 à 23:37:30 

    

     Allongée sur le dos dans l’obscurité, Arina ne détachait pas ses yeux du plafond de sa chambre, faiblement éclairé par la lueur de la lune qui traversait les carreaux sales. Son esprit fourmillait de questionnements, d’injonctions et de sentiments contradictoires.

     Bien entendu que je rêve de partir d’ici. Je tuerais pour, même.

     Tu en es certaine, ma fille ? Tu as déchaussé des molaires, déboîté des mâchoires et démis quelques épaules ; là, on te parle de trouer la peau de deux inconnus, de leur ôter la vie pour…

     … Pour une sacrée somme, oui. Une somme qui me permettra de quitter cette vie morne et ennuyeuse, de ne plus jamais revoir les fantômes qui me servent de famille, de ne plus jamais avoir à subir les regards hostiles de ceux qui n’ont jamais daigné m’adresser le moindre mot. Je suis en train de mourir à petit feu, ici.

     Sauf qu’en fait, ce n’est pas toi qui vas mourir. Ce sont ces deux hommes dont tu n’as jamais entendu parler auparavant. Eux ne t’ont jamais suivie dans une allée sombre. Ils n’ont jamais essayé de se glisser sous ta jupe après t’avoir acculée dans l’arrière-boutique de la taverne. Et ceux qui l’ont fait, tu t’es contentée de les fuir après un coup bien placé. Tu n’as pas l’étoffe d’une tueuse.

     Après tout, je n’en sais rien. Peut-être que la chance me sourira et que les deux cibles désignées sont des raclures finies. Les chances qu’il s’agisse d’enfants de chœur sont tout de même minces. Après tout, pourquoi une guilde secrète de mercenaires paierait des anonymes tels que moi pour supprimer d’honnêtes gens ?

     Elle ricana dans le noir, amusée par sa propre naïveté. Comme si l’homme qu’elle avait croisé la veille au soir l’avait chargée d’une expédition punitive motivée par un sens aigu de la justice…

     Un soupir s’échappa de ses lèvres entrouvertes, n’apaisant nullement le poids qui pesait sur son sternum.

     Il faut que je me décide.

     Arina se tourna sur le côté, récapitulant mentalement les informations dont elle disposait.

   De ses cibles, elle n’avait obtenu qu’une description physique relativement précise ainsi qu’un emplacement et un horaire. Elle savait de la première qu’il s’agissait d’un homme bedonnant richement vêtu, aux longs cheveux bruns usuellement ramenés en un élégant catogan. Celui-ci était supposé se trouver aux abords du Felina, un bordel assez commun et excentré, peu après la tombée de la nuit. Quant à la seconde, elle lui avait été décrite comme un petit homme grisonnant d’une cinquantaine d’années, à la musculature sèche et efficace. Toujours vêtu de cuir, il se trouverait à l’endroit même où Arina avait rencontré son commanditaire la veille. 

     Un nouveau soupir souleva la poitrine de la jeune femme alors qu’elle changeait une fois encore de position, incapable de fermer les yeux. Les stratagèmes se multipliaient dans son esprit, tous accompagnés de cuisantes éventualités d’échec… Et de renoncement.

    Finirent cependant par s’y substituer les perspectives d’ailleurs qui s’ouvriraient à elle, à condition que tout se déroule sans accroc. Elle s’endormit enfin, occultant de toutes ses forces l’image mentale qu’elle se faisait des deux hommes qu’on l’avait chargée d’éliminer.

     Elle ne le savait pas encore, mais elle ne parviendrait jamais jusqu’à sa seconde cible.
 

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