Posté le 11/11/2021 à 20:32:39. Dernière édition le 11/11/2021 à 23:37:30
Allongée sur le dos dans l’obscurité, Arina ne détachait pas ses yeux du plafond de sa chambre, faiblement éclairé par la lueur de la lune qui traversait les carreaux sales. Son esprit fourmillait de questionnements, d’injonctions et de sentiments contradictoires.
Bien entendu que je rêve de partir d’ici. Je tuerais pour, même.
Tu en es certaine, ma fille ? Tu as déchaussé des molaires, déboîté des mâchoires et démis quelques épaules ; là, on te parle de trouer la peau de deux inconnus, de leur ôter la vie pour…
… Pour une sacrée somme, oui. Une somme qui me permettra de quitter cette vie morne et ennuyeuse, de ne plus jamais revoir les fantômes qui me servent de famille, de ne plus jamais avoir à subir les regards hostiles de ceux qui n’ont jamais daigné m’adresser le moindre mot. Je suis en train de mourir à petit feu, ici.
Sauf qu’en fait, ce n’est pas toi qui vas mourir. Ce sont ces deux hommes dont tu n’as jamais entendu parler auparavant. Eux ne t’ont jamais suivie dans une allée sombre. Ils n’ont jamais essayé de se glisser sous ta jupe après t’avoir acculée dans l’arrière-boutique de la taverne. Et ceux qui l’ont fait, tu t’es contentée de les fuir après un coup bien placé. Tu n’as pas l’étoffe d’une tueuse.
Après tout, je n’en sais rien. Peut-être que la chance me sourira et que les deux cibles désignées sont des raclures finies. Les chances qu’il s’agisse d’enfants de chœur sont tout de même minces. Après tout, pourquoi une guilde secrète de mercenaires paierait des anonymes tels que moi pour supprimer d’honnêtes gens ?
Elle ricana dans le noir, amusée par sa propre naïveté. Comme si l’homme qu’elle avait croisé la veille au soir l’avait chargée d’une expédition punitive motivée par un sens aigu de la justice…
Un soupir s’échappa de ses lèvres entrouvertes, n’apaisant nullement le poids qui pesait sur son sternum.
Il faut que je me décide.
Arina se tourna sur le côté, récapitulant mentalement les informations dont elle disposait.
De ses cibles, elle n’avait obtenu qu’une description physique relativement précise ainsi qu’un emplacement et un horaire. Elle savait de la première qu’il s’agissait d’un homme bedonnant richement vêtu, aux longs cheveux bruns usuellement ramenés en un élégant catogan. Celui-ci était supposé se trouver aux abords du Felina, un bordel assez commun et excentré, peu après la tombée de la nuit. Quant à la seconde, elle lui avait été décrite comme un petit homme grisonnant d’une cinquantaine d’années, à la musculature sèche et efficace. Toujours vêtu de cuir, il se trouverait à l’endroit même où Arina avait rencontré son commanditaire la veille.
Un nouveau soupir souleva la poitrine de la jeune femme alors qu’elle changeait une fois encore de position, incapable de fermer les yeux. Les stratagèmes se multipliaient dans son esprit, tous accompagnés de cuisantes éventualités d’échec… Et de renoncement.
Finirent cependant par s’y substituer les perspectives d’ailleurs qui s’ouvriraient à elle, à condition que tout se déroule sans accroc. Elle s’endormit enfin, occultant de toutes ses forces l’image mentale qu’elle se faisait des deux hommes qu’on l’avait chargée d’éliminer.
Elle ne le savait pas encore, mais elle ne parviendrait jamais jusqu’à sa seconde cible. |