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Une histoire de piafs  
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James
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15/01/2015
Posté le 18/09/2020 à 02:47:17. Dernière édition le 18/09/2020 à 02:47:31 

Assis sur le rebord de la palissade de l'ancien repaire pirate, entouré par le silence pesant de la jungle, James sifflotait en regardant son feu de camp mourir. Ses pieds nus flottaient, chatouillés par les immenses palmiers qui obscurcissaient le sol. Rien ne venait plus perturber le calme qui régnait sur ce territoire autrefois entouré de mystère, pas même les ronflements pourtant bruyants qui provenaient de la taverne, quelques mètres plus loin.

Regardant ses mains encore marquées par sa débauche estivale, il se sentit soudain nostalgique. La bague qu’il avait au doigt pouvait avoir cette manie de raviver des souvenirs. Des souvenirs souvent amers. Il se laissa divaguer quelques instants, et poussa un long soupir avant de tirer son journal de bord, miséreux carnet âbimé par le temps, et le contempla longuement. Puis il se leva pour poser de nouvelles bûches sur le feu, et ramassa son sac pour en tirer sa plume. Tout ceci l’empêcherait de dormir de toutes façons. Frissonnant au contact de la bouteille d’encre, gelée par sa proximité avec les quelques bouteilles volées plus tôt dans la journée; il s’assit plus confortablement il commença à écrire.
James
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Posté le 18/09/2020 à 02:49:54 

Terre en vue !


"Les nuits sur Liberty peuvent être douces. Celle-ci est exceptionnellement calme. Pas même une étoile dans le ciel, mais il semble que je vais éviter la pluie pour ce soir. Je n’avais pas connu tel calme depuis les nuits chez auntie Síle, il y a des années. Ce n’était pas ce que j’attendais en quittant le vieux continent.

Le chébec avait quitté Liverpool sous une pluie torrentielle du mois de mai. Dans mon indifférence, je n’avais pas même jeté un regard en arrière sur la ville grise quand le navire avait levé l’ancre. Et ma routine sur le navire n’était guère meilleure, puisque les seuls instants où je quittais ma cabine étaient pour le souper et pour marcher sans but sur le pont, m’attirant éventuellement une injure ou deux d’un marin affairé. A vingt-deux ans, je me considérais déjà épuisé de ma jeunesse, naïvement.

Le soir, j’observais la mer depuis la poupe. J’avais imaginé passer ma vie en Écosse d’abord, puis en Angleterre. Mais l’air poussiéreux de Liverpool me rappelait trop de souvenirs. Je devais aller de l’avant et quitter ces terres. J’avais songé à m’installer en France. La culture me semblait assez dépaysante et passionnante pour oublier, pour un temps du moins. Puis j’avais réalisé que c’était un mensonge que je me disais pour rester près de mon pays natal, au cas où mon histoire ici n’était pas encore achevée.

Elle l’était, pourtant. Un père inconnu, une mère assassinée, je devins vite orphelin, et aspirait à prendre ma vie en main. J’arrivais à Preston, près de mon lieu de naissance, où je travaillais quelques mois avant de me retrouver à Liverpool où une famille de vieilles connaissances me prit sous son aile. En 1713 je décidais de quitter Liverpool pour La Havane, où je partis avec l’espoir d’une nouvelle vie, plus indépendante et surtout moins tragique. A ce moment pourtant, j’ignorais que je portais toujours la marque de ma famille et la malédiction qui allait avec.

Mais cela importait peu. La Morrigan voguait droit vers le Nouveau Monde."
James
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Posté le 31/10/2020 à 02:11:08 

31 octobre 1718
Fête d'Halloween
 
"Le sabbat de Samhain, plus connu sous le nom d’Halloween, était l’assemblée la plus importante dans le village où j’ai grandi. Tous les ans, un immense feu de joie était allumé sur la butte de Pendle, et on y dansait, buvait et mangeait toute la nuit. Loins étaient les jours où mes ancêtres y sacrifiaient du bétail ou même des membres du clan, fort heureusement. Le 31 octobre suscitait plus de ressources que toutes les autres fêtes annuelles réunies, et n’étaient égalés que par les cérémonies d’anniversaires de confirmation des plus jeunes membres du clan.
 
Notre clan, des sorcières de ma tante Síle, respectait la tradition ancestrale et rendait hommage aux anciens Dieux dans ces cérémonies. Lors de mon dernier voyage, il y a deux ans, j’avais pu constater que malgré les événements qui étaient survenus en 1716, l’ambiance était plus détendue et apaisée qu’auparavant. Les plus jeunes s’habillaient dans les fripes de leurs anciens, prétendant être des spectres et revenants le temps d’une nuit. Les plus pieux quant à eux lancaient un objet de valeur, une mèche de cheveu ou un os dans le feu de joie en récitant une prière à la Morrigan.
 
Le doyen des hommes, Erwan, s’était enquis de mon voyage sur Liberty. Je lui racontais tout, de mes aventures en Écosse à mon voyage jusqu’au Nouveau Monde, ma brève vie à la Havane, mon arrivée sur Liberty. Absorbé dans mon histoire, je revivais les moments en les décrivant avec de nombreux détails, si bien qu’un groupe s’approcha peu à peu pour écouter le récit du seul natif à avoir quitté le continent. Une fois que je finis, Erwan posa sa main sur mon épaule, compréhensif, et me tendit une bouteille d’hydromel, apparemment plus ancienne que moi (le goût et mon mal de crâne le lendemain le confirma).
 
Cette nuit, j’ai bu à en rendre ivre un mort, et assez chanté pour ennuyer une taverne de fêtards. Mon pays, mon… peuple, m’avait manqué. Liberty était une île incroyable avec des habitants hors du commun, mais jamais je ne m’y sentirais plus à l’aise que sur les terres pluvieuses de l’Angleterre, ou dans l’herbe verdoyante de l’Irlande, ou même dans un château humide d’Écosse. Aurais-je la force pour y retourner ? Avais-je même besoin de le faire ? J’avais eu mon content l’aventure, ressenti frisson de l’inconnu, effleuré la caresse de la mort. Qu’est-ce qui m’attendait encore là-bas ?
 
Assis sur une des treizes souches sur la colline, le lendemain, je m’interrogais encore sur ces propos lorsque je sentis une caresse sur ma cheville. Figé, je regardais un serpent, plus petit que mon bras, glisser autour de mon siège de fortune, menaçant, avant de me fixer de ses petits yeux rouges. Je crois qu’il s’agissait d’une vipère, un reptile extraordinairement rare sur cette partie du vieux continent, et ses écailles noires et beiges m’hypnotisaient. Ses fentes incandescentes me dévisagèrent encore quelques instants, avant qu’il ne s’éloigne, désintéressé. Cette rencontre me laissa perplexe pendant de longues heures, et quand je pris la décision de rentrer sur Liberty, je continuais de m’interroger sur la présence d’un tel reptile dans ces contrées. Sous l’influence du mysticisme qui entourait ces lieux, et probablement de l’hydromel dont j’avais abusé la veille, je le pris comme un avertissement symbolique. Ce serpent représentait-t-il ma vie sur Liberty, revenue me chercher ? Pris d’un mauvais pressentiment, j’embarquais sur un navire marchant plein à craquer, destination : La Havane."
 
 
James
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Posté le 20/12/2020 à 01:07:18 

20 décembre 1720
Fête du solstice d'hiver - Yule

Yule approche. La journée la plus courte, et la nuit la plus longue. Je dois avouer que je peine à trouver meilleure période pour s'éterniser dans un Pub.
 
Bien sûr, l'hiver ne rime pas à grand chose sur Liberty, et le froid n'est pas de la partie. Seules les traditions du vieux continent s'y apparentent. La neige ne tombe pas, les températures restent hautes. On finit par s'y habituer, même si je prends plaisir à imaginer les forêts étouffantes de l'île recouvertes de blanc. 
 
C'est à peu près à cette période que je me suis décidé à revenir, l'an dernier. Était-ce la bonne décision ? Tant de choses ont changé depuis mon départ, tant de noms sont rayés à jamais. Eux qui étaient chair et sang ne sont plus que rayures sur de la pierre. Et rares, trop rares sont ceux qui font encore honneur au souvenir que j'avais d'eux lors de mon départ.
 
L'intendant français, le Marquis, a prévu des festivités à Port-Louis; par conséquent, embraser la ville sera impossible, même si je suis sûr que tu apprécierais. Mais un simple feu conviendra. Faute de pouvoir rentrer à la maison, où la fête doit battre son plein, je célebrerai la renaissance du Cornu avec la compagnie que je trouverais. La Longue Nuit devrait être éternelle selon moi, mais les dieux en ont décidé autrement, et je célebrerais le Soleil avec eux ce soir.
 
J'ai eu besoin de temps pour comprendre qu'ils ne se souciaient guère des broutilles de l'autre côté de la mer, mais honorer les Dieux m'apporte un sentiment de sécurité, familier avec mon foyer. Pourtant je doute, et j'en viens même parfois à questionner mes souvenirs. Avais-je vu ce que je voulais voir ? Ou quelque chose était vraiment venu me visiter ? La protection qu'on m'avait une fois promise, n'était-ce que mon imagination ? Tout ceci n'a pas d'importance, ma foi sera mise à l'épreuve bien assez tôt.
 
J'attends avec impatience Bealtaine. Je la redoute, également. Six années passent si rapidement.
James
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Posté le 15/01/2021 à 01:50:28. Dernière édition le 15/01/2021 à 01:54:00 

Une escale à Bordeaux

Le capitaine de la Morrigan était un idiot.

En vérité, je l'étais aussi. J'étais surtout sacrément plein. Dans un éclair de lucidité, j'avais réussi à payer le capitaine avec quelques pièces couvertes de boue, mais sans m'enquérir de la destination. Quel abruti.

C'est après ma première nuit aussi agréable qu'une soirée avec un pêcheur irlandais et sa famille de sept enfants braillards que je constatais avec déplaisir que la côte était toujours visible à babord. Les côtes françaises ne m'avaient jamais paru aussi mornes et tristes que sous les averses printanières, avec un tortionnaire dans ma tête qui jouait de l'intérieur.

Le navire jeta l'ancre au port de Bordeaux, pour une semaine. L'alcool que proposait parcimonieusement le capitaine et le roulis du navire ne faisant pas bon ménage, je pris une chambre à l'auberge pour quelques jours. Mon plan était simple : trouver une taverne, détrousser les badauds aux cartes, les faire payer mes pintes avec mon histoire à faire pleurer des pierres pour m'acheter le plus beau chapeau de la ville. 

Bordeaux est une ville française, mais je n'intégrais ce fait qu'après ma première bouteille de vin. Délicieuse boisson, elle m'a engourdi le palais et caressé la langue comme nulle autre avant, et je ne pouvais m'en lasser. Même le goût fumé du Whiskey de ma tante, ou les liqueurs ancestrales des Highlands ne pouvaient rivaliser avec la douceur de ma première rencontre française. La seconde, était différente. Ferme et puissante, elle me colla une violente taloche derrière le crâne. Littéralement.

" On sert pas les bourges ici ! R'tournez donc dans votre manoir pour écouter vos instruments, chien !"

Française numéro deux n'avait pas grand chose avec une bouteille de vin. Excepté pour ses yeux. Plus svelte et plus claire, et un bandeau pour retenir ses cheveux bruns qui lui tombaient sur le front, elle n'était pas désagréable à regarder. Mais son expression n'était pas aussi avenante que la première, pour sûr.

" Boulge ? 'the hell is a boulge supposed to be ?

- 'Manquait plus que ça, un briton chez nous ! s'esclaffe-t-elle. Encore envie d'perdre une guerre, hein ?"

Personne ne faisait attention à nous. Le vin, catalysé par son coup, me brouillait l'esprit. Si je n'ai pas compris son accent français élégant sur le coup, mon apparence n'avait pourtant rien de fortuné. Mes cheveux étaient paresseusement attachés, la boucle de ma ceinture rouillait depuis quelques semaines, et mes bottes viraient au noir. Seule ma précieuse redingote au tartan vert et bleu, couleurs de ma famille, pouvait être intérprétée comme tel. Mais comment l'expliquer à cette jeune diablesse qui semblait chercher la meilleure manière de vider cette bouteille sur mon visage ahuri. Médusé, je lançai quelques pièces sur la table, m'emparai du reste de ma première conquête et sortis, en laissant un peu de ma dignité sur place.

Elle vint me rejoindre, ramassée par ma française, quelques heures plus tard. Faute d'arguments, je comptais attendre le crépuscule pour me glisser dans l'auberge, évitant ainsi mauvais regards et mandales supplémentaires. Mais voilà que celle que je devinais être la fille du patron sortait, une bouteille à la main. Elle pleurait. Intrigué, je perdis toute prudence et je m'approchais.

"Ça ne va pas ?"

Mon accent était misérable, et je dus m'y reprendre à deux fois pour sortir quelque chose de compréhensible. D'abord surprise, puis furieuse, elle rit doucement de ma piteuse performance, avant de me rétorquer en anglais.

"A ton avis, shithead ?"

Son accent à elle était doux. J'oubliais momentanément tout; la taloche, les insultes, "Vin du Pays cuvée 1710, Douze Livres" et cet horrible trajet pour arriver à Bordeaux, et je ris à mon tour.

"Désolé pour tout à l'heure. Je pensais que tu faisais partie des salezarts qui viennent les dimanches. Puis j'ai compris qu'un riche choisirait pas un pieu dans cette auberge.

- Je vois. Et la taloche ?

- Trop tentant. On a pas l'habitude d'avoir des nouveaux clients dans le coin. Encore moins bien mis comme toi.

- Je me demande pourquoi..."

Elle rit. Quelle teigne.

"Estelle.

- James. Pas vraiment anglais, à vrai dire, je n'y suis pas resté longtemps.

- Tiens donc. Et pourquoi Bordeaux ? Vu ton français, j'imagine que c'est pas ta première fois par chez nous...

- Well... ça l'est pourtant. J'avais un maître français, il s'est senti obligé de l'ouvrir en permanence sur la beauté de son pays...

- Un maître ? dit-elle en baissant d'un ton, chuchotant presque. T'es... esclave ?

- Non non, je voulais dire un tuteur. Un enseignant."

Je voyais grandir sa curiosité, mais sur ces dernières paroles, sa méfiance revint immédiatement.

" Je l'savais. T'es qu'un bouljeah. J'ai appris l'anglais en servant des poivrots comme toi. rétorqua-t-elle, avec une voix teintée de fierté.

Et je suis certain qu'ils en seraient fiers. Je souris brièvement, puis poursuivit plus sérieusement. Pourquoi pleures-tu ?

- Ça, ça te regarde pas."

Elle porta la bouteille à ses lèvres, et l'y maintînt pendant quelques secondes.

"Je vais travailler. Bonne nuit, James."

Et elle partit.
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Posté le 02/02/2021 à 01:19:06. Dernière édition le 02/02/2021 à 01:19:25 

1er février
Imbolc


Drôle de journée que les 1er févriers. J'étais supposé naître ce jour-ci, mais contrarier les desseins des autres était ma principale préocuppation dès ma conception. Imbolc, sabbat de célébration de l'avancée de l'hiver, soigneusement recopié par la suite par les chrétiens. Bûchers, chandelles, bougies, c'était la fête préférée de ma mère lorsque nous vivions en Angleterre. Pas moyen d'y échapper, n'y d'éviter d'aller au rassemblement. De grands feux - et par là je veux dire des foyers aux flammes qui montaient plus haut que les arbres - étaient allumés, et maintenus ainsi pendant des heures. On y dansait, priait, mangeait. La purification, comme on l'appellait, n'était qu'allégresse et repos.

Après quelques années, j'en vins à regretter ces festivités qui ne me plaisaient guère enfant. Mon père parti, ces traditions n'avaient pas la place au château, et le premier du mois redevint un jour comme les autres. Quel ennui ! Les jeunes nobliaux n'avaient alors jamais connu d'autre sabbat que celui d'Halloween, et les terrifier en leur racontant les terribles histoires de la Morrigan était un des seuls moyens de me sentir encore chez moi.

Car oui, je ne me suis jamais senti chez moi dans la sinistre bâtisse écossaise. Inveraray et son château n'exsudaient que froideur et rigueur, des atmosphères qui ont tendance à éloigner un jeune idiot de douze ans.

Je n'ai pas fêté Imbolc depuis 16 ans. Un autre jour, peut-être.
 

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