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Gemini
Gemini
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Posté le 06/12/2020 à 23:08:26. Dernière édition le 08/12/2020 à 00:28:30 

Le soir du 6 décembre 1720.
 
On y était enfin. Les missives étaient déjà en route pour rejoindre leurs destinataires respectifs ; le chaos provoqué par le pillage d'Ulüngen avait constitué la distraction idéale, et personne n'avait fait attention à la silhouette esseulée de Gemini s'esquivant dans l'obscurité.
 
Les adieux avaient été faits dans le secret d'un quai isolé. Bien qu'elle comprenne la raison du départ, Euphemia restait une jeune fille : tout adieu était une déchirure, et plus encore celui à son père adoptif après toutes ces années solitaires passées au manoir. Que cette séparation soit temporaire ne l'en rendait pas moins abominable. Malgré tout, Gemini était fier de sa protégée, qui avait ravalé ses larmes aussi longtemps que possible avant d'éclater en sanglots. Héloïse lui avait adressé quelques mots d'une voix douce, une main posée sur son épaule ; Gemini n'avait pas pu entendre ce qu'elles se disaient, et cela était très bien ainsi. Il s'était contenté de voir que la petite avait repris du poil de la bête suite à l'échange, pleurant toujours mais les épaules en arrière et le menton haut. Il l'avait serrée une dernière fois dans ses bras avant de monter sur le navire tandis que l'équipage s'activait tout autour.
 
Maintenant elle était là, au bout du quai, à agiter la main pour leur dire au revoir tandis que le bateau prenait de la vitesse. Il pouvait encore distinguer les larmes sur ses joues, là où se reflétait la lumière du soir en deux traînées brillantes. Son cœur vieillissant se serra douloureusement.
 
- Je lui ai appris tout ce que j'ai pu… Crois-tu qu'elle s'en sortira seule ? demanda-t-il alors que le doute, tenace, tentait à nouveau de se frayer un chemin en lui.
 
- J'en suis persuadée, lui répondit Héloïse, debout à ses côtés sur le pont. Et puis, elle ne sera pas seule. Je pense qu'on peut compter sur ta si chère Lady Faye.
 
- Qu'entends-je poindre dans ta voix ? Est-ce de la jalousie, ou du respect ?
 
- Fais donc l'idiot ! N'oublie pas que c'est toi qui m'a laissé prendre ta place au bal… Elle m'a surprise, je n'aurais jamais pensé trouver quelqu'un comme elle sur cette île affreuse. Notre discussion fut l'une des plus intéressantes qu'il m'ait été données d'avoir depuis très, très longtemps… J'en viendrai presque à regretter de n'avoir pas pu plus explorer la population locale. Nous y aurions sûrement déniché quelques perles à emmener avec nous.
 
- Tu ne crois pas si bien dire. Tu sais, après toutes ces années… J'ai perdu le compte, avoua-t-il d'une voix atone. Les noms et les visages de la plupart des gens avec lesquels j'ai vécus sur la Chimère se confondent dans ma mémoire. Je n'arrive pas à savoir si je dois en ressentir de la honte, ou du soulagement.
 
- Je doute fort que tu l'oublies elle, si c'est ce qui te tracasse.
 
- Non, effectivement, non.
 
Il tenta d'afficher un pauvre sourire, qui ne se résuma qu'à un rictus douloureux.
 
- Vous vous retrouverez, Marco. Ce n'est qu'une question de temps.
 
La silhouette d'Effie s'éloignait là-bas sur le quai, agitant follement la main, bondissant presque sur place ; alors Gemini leva la sienne en retour, une dernière fois avant que sa fille ne disparaisse à sa vue.
 
Il inspira à fond, remplissant ses poumons d'air marin. Le poids des ans et de toutes ses luttes pesa soudain de tout son poids sur lui, l'écrasant presque… Avant de s'évanouir. Son visage aux traits tirés se détendit ostensiblement. Un vent arrière les poussait sans effort vers le large. Sa compagne se rapprocha un peu de lui, juste assez pour poser la main sur son bras.
 
- A quoi penses-tu ?
 
- Que cette fin est étrangement plus douce que ce à quoi je m'attendais.
 
- Tiens donc ! Gemini pense-t-il vraiment que c'est là sa fin ? Moi, je n'en crois pas un mot, au contraire, lui rétorqua Héloïse d'un ton égal.
 
Il ne répondit pas, préférant tourner son regard vers l'horizon et les Amériques aux terres pleines de promesses, âprement disputées par d'innombrables adversaires qu'il leur restait à découvrir. Le bateau filait sur l'eau ; on n'entendit plus alors que les cris des mouettes et le bruit des vagues se brisant sur la coque.
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