Le Faux Rhum   

La bataille fait rage.

Enfin, la bataille, il faut le dire vite. Boucherie serait plus approprié. Et pourtant, Dieu sait que je me démène comme un beau diable. Général émérite, une fois que mes subordonnées ont réussi à intégrer mes stratégies martiales, j'opère sur la ligne de front. Ils ont besoin de moi pour appliquer précisément les consignes de mon génie militaire. Si je sais qu'aucun homme ne reçoit de la nature le droit de commander aux autres, à certains échoit tout de même ce devoir. Et je fais partie de ceux-ci.

Je suis le talisman de la Fronce.

Sa relique la plus précieuse.

Son amulette sacrée.

Et je me dois de les guider.

À mes côtés, ils sont galvanisés par une foi si pure qu'ils me semblent en mesure d'infliger des dommages au-delà du monde matériel. Grâce à moi, chacune de leurs attaques meurtrissent aussi bien le corps que l'âme de nos ennemis. Et, foutredieu, ces dégâts supplémentaires, nous en avons bien besoin pour tailler en pièces ces sales petites avoutres ibériques.

Mais ça ne semble pas suffisant. Car, si je tiens en respect l'élite de l'armée espagnole, j'entends ci-et-là mes frères d'armes ployer sous la barbarie étrangère. Alors que la lame de James est arrêtée par mon gantelet tandis que j'esquive avec souplesse un coup d'estoc d'Endika et qu'une balle de Giovanni siffle à côté de mon oreille mais aussi que Djezous tente d'entraver mes mouvements en tenant mes jambes, j'entends les hurlements de Calica. Puis un bruit sourd qui fait trembler le sol : le gros Maui y est passé aussi. Les uns après les autres, ils tombent face à des ennemis trop forts pour nous.

Pour nous ?

Non.

Trop forts pour eux.

Je sais que mes camarades ne déméritent pas et font de leur mieux. Leur mieux n'est juste pas suffisant. De leur médiocre potentiel, ils sont au pinacle. Moi seul peut encore m'élever, car je sais que mes compétences n'ont pas de limite. Oui, c'est ça. Pour eux, pour la Fronce, je me dois de tirer le maximum de mes capacités hors normes. Et, déjà, cette révélation m'insuffle une puissance nouvelle et guide mon épée à travers Jessie. Ses compatriotes reculent prudemment, car ils sentent en moi cette résolution.

Feignant l'insouciance, je me détourne d'eux pour passer le flambeau à mon écuyer, cette brave petite fripouille de Jax. Resté à l'abri des combats pour apprendre l'art de la guerre à mon contact, je lui donne pour mission d'assurer le salut de la Fronce pendant mon entraînement :

« Petit, dès demain, ce sera ton baptême du feu : tu assures désormais l'intérim au poste de général éternel de Port-Louis. Je vais te donner assez de temps pour t'enfuir. Si je ne te revois pas d'ici là, à l'aube du cinquième mois, regardez à l'est. »