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Sans l'ombre d'un doute  
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El Ombre
El Ombre
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17/05/2019
Posté le 28/05/2019 à 18:20:02. Dernière édition le 28/05/2019 à 21:54:59 

Une chaleur étouffante avait envahi l'espace confiné qui me servait de cabine. La moiteur de l'endroit avait eu raison de ma bonne santé cutanée. Bien que je ne fusse en contact avec aucune âme qui vive depuis belle lurette, une partie de mon visage commençait à être envahi par de l'herpès circiné et même par certain endroit des squames pointaient le bout de leurs nez...
La porte - unique lien vers le monde extérieur - s'ouvrit brutalement dans un grincement sinistre comme le voyage que je venais de subir. Une forme se dessinait à contre jour dans l'ouverture et me jeta à la gueule mes quelques effets personnels.
 
- "Terminus ! Que tous les rats quittent le navire... Tu as 5 minutes pour décarrer le plancher !"
 
L'ex gabier redevenu simple matelot après une chute malencontreuse claudiquait allègrement de la jambe gauche ce qui le rendait totalement inapte aux numéros d'équilibristes dont il raffolait jadis.
Peut être était il tombé sur la tête et que c'est pour ça qu'il est aussi crétin pensai-je non sans amertume à l'encontre de mon garde du corps pour ce périple.
Je sortis de la pièce sans un mot à son encontre.
 
L'imposant 5 mâts venait d'accoster il y a peu et l'ensemble de l'équipage s'affairait déjà à décharger les diverses marchandises venant du continent européen. Le commerce semblait bien s'affirmer comme un domaine incontournable de notre nouveau monde.
Il m'était néanmoins compliqué de garder les yeux bien ouverts, la pénombre dans laquelle j'avais baigné durant plusieurs semaines avait contraint mes pupilles à une expansion qui avait failli marquer de manière indélébile mes rétines des tentacules de feu du soleil intense des Caraïbes.
Mes paupières s'étaient refermées automatiquement pour ne pas ajouter à ma situation glauque, une cécité qui aurait eu de fâcheuses conséquences dans mon entreprise future.
 
Après une grosse minute d'adaptation, les photorécepteurs de mes rétines se mirent à nouveau à effectuer pleinement leur besogne, me permettant de m'arrêter in extremis au bord des quelques marches qui reliaient le pont supérieur au pont inférieur.
Encore un peu et j'aurais endossé le rôle du bouffon de service pensai-je dépité...
Une fois l'obstacle franchi, il ne me restait plus qu'à me rapprocher de la passerelle de débarquement, toujours sous haute escorte de ce cher "banban".
 
Trop occupé à ricaner intérieurement de mon trait d'humour, je ne pris garde à la tâche humide devant mes pieds.
Mon talon tenta de prendre appui sur la planche de bois souillée de gras qui se déroba instantanément m'offrant la possibilité d'effectuer une figure gracieuse - mais néanmoins forte douloureuse - entrainant mon séant à embrasser le sol avant le reste de mon corps.
 
Des éclats de rire me parvinrent aux esgourdes, anéantissant le peu d'estime de moi qu'il me restait.
C'est agacé et touché dans mon orgueil que je quittai le vaisseau maritime, non sans soulagement.
 
- "Hey Hombre !"
 
Je me retournai à contre coeur voyant mon boiteux préféré me gratifier d'un cynique:
 
- "Buena suerte quand même amigo"
 
Je répondis par un doigt d'honneur.
Un geste certes simple d'exécution mais dont l'efficacité de défoulement reste à jamais inégalée.
El Ombre
El Ombre
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17/05/2019
Posté le 13/06/2019 à 18:29:29. Dernière édition le 17/06/2019 à 23:18:05 

Esperanza...
En voyant les lettres composant le nom de cette cité, je ne pus refréner un léger gloussement.
 
"Qu'est ce que je fous ici?" pensai-je en m'approchant du bureau gérant l'enregistrement des nouveaux arrivants.
 
Puisqu'il fallait s'atteler aux formalités administratives, autant le faire le plus vite possible et s'en débarrasser une bonne fois pour toutes.
La pièce était composée d'un seul et unique bureau qui devait servir de mangeoire pour tous les insectes xylophages de l'île vu qu'on pouvait y dénombrer un plus grand nombre de trous que dans un gruyère. L'atmosphère moite et humide permettait d'être parfaitement raccord avec la puanteur qui venait envelopper mes narines. Les mouches et autres parasites volants s'en donnaient également à coeur joie m'obligeant à me frapper régulièrement les différentes parties du corps subissant les assauts répétés de ces satanées bestioles.
Ma chemisette blanche était devenue à certains endroits anthracite. Subitement pris d'un doute, je relevai mon bras gauche et humai machinalement les conséquences de mon enfermement.
 
La grimace que j'esquissai était des plus caricaturale et digne du meilleur interprète d'Arlequin.
Aucun doute, l'odeur pestilentielle venait bien de moi, pas du pauvre gars barbu qui ne semblait pas crouler sous le poids du travail.
Ses ronflements grandiloquents et les bulles s'échappant de son naseau ne laissaient aucun doute sur l'activité débordante du brave homme. Force était de constater qu'il n'y avait pas foule qui se bousculait au portillon...
Un léger raclement de gorge ne fit rien changer aux vrombissements provenant de la gorge de mon futur interlocuteur, une petite tape légère mais ferme sur le bureau procura un meilleur résultat.
Il ne se tuait certes pas à la tâche mais je fus à deux doigts de l'achever d'une crise cardiaque foudroyante.
 
Je le laissai reprendre son souffle et ses esprits quelques instants et ajoutai sur un ton exagérément agacé:
 
- "Je n'ai pas le choix apparemment, je dois passer par vous pour régulariser mon installation en ville..."
 
Il brassa de l'air quelques instants, déplaçant de manière chaotique différents parchemins sans toutefois lever la tête de son bazar. Je le sentis perdu et me mis à tapoter frénétiquement mes doigts d'impatience sur son bureau, juste histoire de le stresser un peu plus.
 
- "Oui.. B...Bien sûr. Une seconde je vous prie."
 
Un soupir las fût mon unique réponse.
Quelques instants plus tard, il daigna enfin effectuer sa sale besogne et commença à me poser différentes questions à commencer par mon nom, la tête toujours dans ses formulaires administratifs.
 
Nom de Dieu !
J'avais beau rôle de faire mon intéressant mais je ne pouvais pas me pavaner sur cette île avec mon vrai patronyme. Non... trop dangereux pour l'instant et je craignais que ça me desserve plus que ça ne m'aide.
Il me fallait trouver quelque chose et vite...
L'image de mon geôlier me revint à l'esprit et sans réfléchir je prononçai les mots: "El Hombre".
 
Simple, efficace. Peu original certes mais là n'était pas l'important. Non... L'essentiel était ailleurs et me rongeait jusqu'au plus profond de ma chair.
 
L'homme continua son interrogatoire pendant de longues et interminables minutes puis se décida finalement à placer le sceau validant mon intégration dans la cité d'Esperanza.
Au moment de me tendre le parchemin, il releva la tête pour la première fois et me dévisagea. Ses yeux s'écarquillèrent à tel point qu'ils faillirent être expulsés de ses orbites à l'image des balles tirées par les colons espagnols.
J'arrachai sèchement le document de sa main et plaça mon index devant mes lèvres, lui intimant l'ordre de garder ce qu'il venait de voir pour lui.
 
- "Je.. Je ne peux pas..." me dit-il. "Je dois prévenir..."
 
Je ne le laissai pas finir sa phrase que je lui cisaillai la gorge avec le coupe-papier qu'il avait négligemment laissé traîner sur son bureau. Le désordre aura entraîné sa perte...
La tête retomba lourdement sur le monticule de paperasse qui but très rapidement le liquide rougeâtre qui ruisselait de son corps inerte. Une odeur de fer envahit la pièce et vint me piquer le nez.
Je lui fis les poches, déchira ses habits, espérant maquiller ce regrettable évènement pour un larcin qui aurait mal tourné.
Son corps aura surement eu le temps se décomposer - ou de se momifier si le temps restait en l'état - avant que quelqu'un ne découvre le cadavre.
 
Déambulant dans la cité, mes doigts touchèrent les zones touchées par le mal.
Je ne pouvais pas continuer ainsi. Continuer à visage découvert mettait en péril mon entreprise future. Plus tard surement, si la maladie ne m'aura pas emporté d'ici là, pourrai-je dévoiler mon visage.
 
Mais cette heure n'était pas encore venue...
 
C'est avec un sourire satisfait que je contemplais le document qui avait couté la vie à un homme qui n'avait rien demandé.
Ce sourire s'estompa immédiatement en lisant le nom écrit dessus: "El Ombre".
 
Il avait oublié le H...
En fin de compte, il méritait le sort que je lui avais réservé...
El Ombre
El Ombre
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17/05/2019
Posté le 28/06/2019 à 18:13:41. Dernière édition le 28/06/2019 à 18:23:35 

Discrétion.
Je n'avais que cette idée en tête.
Ne pas faire de vagues, ne pas éveiller le moindre soupçon, se noyer dans la masse.
Bref, devenir le plus transparent possible, surtout après ce qui venait de se passer.
 
C'est vêtu d'un ensemble ample et sombre surmonté d'une capuche englobant la totalité de ma tête, que je repris mon chemin au sein de la ville. Le protocole était simple mais fastidieux. Je me devais de rencontrer le gouverneur pour prouver ma valeur.
Soit.
Rentrer dans le moule et faire comme tout le monde.
 
Pas de vague...
 
Effectuer les sales besognes de ces huiles emperruquées. Gagner sa vie. Donner l'apparence d'une vie normale avec toujours en ligne de mire l'Objectif...
 
Pas de vague...
 
Je martelai mécaniquement dans ma tête cette directive essentielle à ma survie.
 
Bien évidemment, je croisai d'autres ressortissants ibères, j'eus l'impression par moments qu'ils tentaient de me dévisager, qu'ils cherchaient à savoir ce qui se cachait sous cette capuche, qu'ils découvriraient le pot aux roses...
Par association d'idée, je repensai au parfum infâme qui s'échappait des pores de ma peau enivrant de dégout tout être vivant osant s'approcher à moins de 3 pas de ma sombre personne.
"Celui-là de pot aux roses... Celui ou celle qui en soulèverait le couvercle n'aurait pas fait le voyage pour rien" pensai-je amusé.
 
Ce n'était néanmoins pas le meilleur moyen de passer inaperçu.
 
Pas de vague...
 
Se calmer. Inspirer. Expirer longuement. Réfléchir. Observer les alentours.
Une église. Aucune utilité.
Un bâtiment, une maison étrange. Aucun intérêt.
Un autre bâtiment, une taverne.
 
Parfait.
 
Pas de vague...
 
Direction l'étage. Grimper les marches deux par deux telle une antilope tentant d'échapper à son prédateur.
Malgré le grincement des vieilles planches, les habitués du rez-de-chaussée ne remarquèrent rien. Ils étaient tellement imbibés qu'ils ne représentaient de toute manière aucune menace.
 
A peine arrivé qu'une voix roque mais douce me lança un petit:
 
- "Alors mon mignon, tu viens pour passer du bon temps ? Il va falloir que tu nous montre ta trogne par contre, on n'accepte pas les inconnus ici !"
 
Sans piper mot, je m'approchai d'elle et lui jetai avec nonchalance et désinvolture une escarcelle en cuir qui vint s'écraser à ses pieds et dont le contenu s'entrechoqua dans un bruit métallique mais néanmoins mélodieux.
 
- "Envoyez-moi celle que vous voulez mais je veux la meilleure chambre... tout confort... Et pas de questions..."
 
La maquerelle, dans un premier temps agacée, s'abaissa pour ramasser la grande bourse puis, en la soupesant, un sourire se dessina rapidement sur son visage. Elle hocha légèrement la tête en guise d'approbation.
Elle claqua brièvement des doigts à 2 reprises tout en me fixant d'un regard hostile et empreint de défiance. Sans porter aucune attention à l'une de "ses filles" qui approcha, elle lui indiqua du menton une direction.
La jeune demoiselle déglutit puis prononça d'une voix tremblotante un "Bien Madame" qui en disait long sur ce qu'elle craignait d'avoir à subir durant les prochaines minutes qui, pour sûr, lui sembleraient durer des heures.
A chacun sa croix, à chacun son fardeau...
 
Pas de vague...
 
Fébrile, elle m'ouvrit la route vers la seule chose dont j'avais réellement besoin, le tout dans un silence de cathédrale.
Une fois entrés dans la chambre, elle s'affaira du côté d'une commode, certainement pour se "préparer" pendant que je scrutais minutieusement l'endroit.
 
Un lit. Normal.
Non loin, une petite commode sauteuse. Plutôt classe.
Une bassinoire en cuivre jaune posée dans un coin de la pièce. Frileuse la petite?
Un secrétaire dos d'âne à l'opposé. Elle sait écrire?
Enfin, je crus apercevoir une extension à la pièce.
 
J'entamai la traversée de la chambre pour rejoindre cette partie inconnue quand mon regard se posa sur la jeune femme.
Elle était debout, face à sa commode, je ne la voyais que de dos. Elle remonta sa longue chevelure couleur ébène en chignon, dégageant sa ligne de la nuque aux épaules. Elle laissa glisser sa tunique légère et transparente le long de ses omoplates, puis de ses hanches, dénudant  la courbe de ses reins. Le tissu finit sa course sur le sol. 
Elle leva délicatement son pied gauche pour s'en dégager. Puis le pied droit. L'habit exerçait sur ses chevilles puis ses talons une forme de danse de caresses faisant planer une ambiance de volupté dans la pièce.
Malgré cela, ses gestes semblaient mécaniques comme si elle les répétait inlassablement au fil du temps, à chacune des journées qui passait. J'éprouvai à ce moment précis de la compassion pour cette jeune femme qui aurait pu être une de mes fi...
 
"Mes filles..." répétai-je durant de longues secondes à la manière d'un métronome cadençant la mesure.
 
Ce rappel à l'ordre vint brouiller ma vision. Les battements de mon coeur manquaient. Les alvéoles pulmonaires se rétractaient. Plus rien n'existait alors.
Je me dirigeai d'un pas décidé vers cette zone inconnue de la pièce, la jeune femme se retourna à mon passage m'offrant la vision de son corps dénudé mais aveuglé par la colère, la rancoeur et la tristesse, plus rien ne comptait.
Alors qu'elle s'approcha mielleusement de moi en vue d'exécuter sa sale besogne, je la repoussai d'un geste brusque.
Elle perdit l'équilibre et vint s'affaler sur le bord du lit.
 
Des larmes ruisselèrent le long de ses joues au teint hâlé.
Des larmes ruisselaient le long de mes joues au teint marqué.
 
Je continuai en direction de ce qui était bien ce que je pensais, une zone de toilette. J'ôtai rapidement ma capuche et l'ensemble de mes habits. La vision que me proposait le petit miroir accroché au-dessus de la vasque en marbre était bien moins agréable que celle de la jeune femme dont les sanglots venaient troubler la quiétude du lieu.
La maladie gagnait légèrement du terrain, rien de grave encore mais si rien n'était fait cela risquait d'empirer et tout ça n'aurait servi à rien. Non, pas après tous ces sacrifices.
Alors que mon regard se perdait dans mon reflet, trop occupé à scruter les lambeaux de peau qui fuyaient ma carcasse, un sentiment de nostalgie m'envahit. Je balbutiai à voix basse:
 
- "Je vais les retrouver. Je te l'ai promis... Où que tu sois, escomptant que tu sois toujours de ce monde, je les retrouverai. Pour elles. Pour toi. Pour nous."
 
A mesure que j'effectuais une toilette lente mais efficace, les larmes salées redoublaient d'intensité, naviguant au gré des fossés et reliefs composant mon visage marqué par l'âge mais avant tout par les épreuves de la vie.
Une fois terminé, je me rhabillai rapidement et remis ma capuche en place. Il était hors de question que l'on me voit dans cet état là.
Trop risqué.
Peut-être était ce contagieux.
Peut-être pas.
Mais je ne prendrai pas ce risque là.
Pas maintenant.
Pas après tout ce que j'ai subi et, peut-être perdu...
 
Je ressortis de la chambre en la traversant d'un pas célère, n'ayant aucun regard pour la demoiselle recroquevillée en position foetale, totalement nue, prise de spasmes laissant présager un probable traumatisme.
 
- "Cesse donc de chouiner. Tu ne sais pas ce qu'est la vraie tristesse..." lui balançai-je d'un ton froid manquant totalement d'empathie, lui tournant toujours le dos.
 
En atteignant la porte, je lui envoyai une petite bourse remplie de pièces à ses pieds en guise de dédommagement.
 
- "Rhabille-toi donc. lave toi, sèche ces larmes de crocodile et sors comme si de rien n'était. Sinon..."
 
Je laissai volontaire un silence lourd de sens.
Sans en dire davantage, je tournai les talons, ouvrit la porte que je refermai sans un bruit. Maintenant propre, je pourrai encore mieux me fondre dans la masse.
 
Pas de vague...
 
 

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