Posté le 28/06/2019 à 18:13:41. Dernière édition le 28/06/2019 à 18:23:35
Discrétion.
Je n'avais que cette idée en tête.
Ne pas faire de vagues, ne pas éveiller le moindre soupçon, se noyer dans la masse.
Bref, devenir le plus transparent possible, surtout après ce qui venait de se passer.
C'est vêtu d'un ensemble ample et sombre surmonté d'une capuche englobant la totalité de ma tête, que je repris mon chemin au sein de la ville. Le protocole était simple mais fastidieux. Je me devais de rencontrer le gouverneur pour prouver ma valeur.
Soit.
Rentrer dans le moule et faire comme tout le monde.
Pas de vague...
Effectuer les sales besognes de ces huiles emperruquées. Gagner sa vie. Donner l'apparence d'une vie normale avec toujours en ligne de mire l'Objectif...
Pas de vague...
Je martelai mécaniquement dans ma tête cette directive essentielle à ma survie.
Bien évidemment, je croisai d'autres ressortissants ibères, j'eus l'impression par moments qu'ils tentaient de me dévisager, qu'ils cherchaient à savoir ce qui se cachait sous cette capuche, qu'ils découvriraient le pot aux roses...
Par association d'idée, je repensai au parfum infâme qui s'échappait des pores de ma peau enivrant de dégout tout être vivant osant s'approcher à moins de 3 pas de ma sombre personne.
"Celui-là de pot aux roses... Celui ou celle qui en soulèverait le couvercle n'aurait pas fait le voyage pour rien" pensai-je amusé.
Ce n'était néanmoins pas le meilleur moyen de passer inaperçu.
Pas de vague...
Se calmer. Inspirer. Expirer longuement. Réfléchir. Observer les alentours.
Une église. Aucune utilité.
Un bâtiment, une maison étrange. Aucun intérêt.
Un autre bâtiment, une taverne.
Parfait.
Pas de vague...
Direction l'étage. Grimper les marches deux par deux telle une antilope tentant d'échapper à son prédateur.
Malgré le grincement des vieilles planches, les habitués du rez-de-chaussée ne remarquèrent rien. Ils étaient tellement imbibés qu'ils ne représentaient de toute manière aucune menace.
A peine arrivé qu'une voix roque mais douce me lança un petit:
- "Alors mon mignon, tu viens pour passer du bon temps ? Il va falloir que tu nous montre ta trogne par contre, on n'accepte pas les inconnus ici !"
Sans piper mot, je m'approchai d'elle et lui jetai avec nonchalance et désinvolture une escarcelle en cuir qui vint s'écraser à ses pieds et dont le contenu s'entrechoqua dans un bruit métallique mais néanmoins mélodieux.
- "Envoyez-moi celle que vous voulez mais je veux la meilleure chambre... tout confort... Et pas de questions..."
La maquerelle, dans un premier temps agacée, s'abaissa pour ramasser la grande bourse puis, en la soupesant, un sourire se dessina rapidement sur son visage. Elle hocha légèrement la tête en guise d'approbation.
Elle claqua brièvement des doigts à 2 reprises tout en me fixant d'un regard hostile et empreint de défiance. Sans porter aucune attention à l'une de "ses filles" qui approcha, elle lui indiqua du menton une direction.
La jeune demoiselle déglutit puis prononça d'une voix tremblotante un "Bien Madame" qui en disait long sur ce qu'elle craignait d'avoir à subir durant les prochaines minutes qui, pour sûr, lui sembleraient durer des heures.
A chacun sa croix, à chacun son fardeau...
Pas de vague...
Fébrile, elle m'ouvrit la route vers la seule chose dont j'avais réellement besoin, le tout dans un silence de cathédrale.
Une fois entrés dans la chambre, elle s'affaira du côté d'une commode, certainement pour se "préparer" pendant que je scrutais minutieusement l'endroit.
Un lit. Normal.
Non loin, une petite commode sauteuse. Plutôt classe.
Une bassinoire en cuivre jaune posée dans un coin de la pièce. Frileuse la petite?
Un secrétaire dos d'âne à l'opposé. Elle sait écrire?
Enfin, je crus apercevoir une extension à la pièce.
J'entamai la traversée de la chambre pour rejoindre cette partie inconnue quand mon regard se posa sur la jeune femme.
Elle était debout, face à sa commode, je ne la voyais que de dos. Elle remonta sa longue chevelure couleur ébène en chignon, dégageant sa ligne de la nuque aux épaules. Elle laissa glisser sa tunique légère et transparente le long de ses omoplates, puis de ses hanches, dénudant la courbe de ses reins. Le tissu finit sa course sur le sol.
Elle leva délicatement son pied gauche pour s'en dégager. Puis le pied droit. L'habit exerçait sur ses chevilles puis ses talons une forme de danse de caresses faisant planer une ambiance de volupté dans la pièce.
Malgré cela, ses gestes semblaient mécaniques comme si elle les répétait inlassablement au fil du temps, à chacune des journées qui passait. J'éprouvai à ce moment précis de la compassion pour cette jeune femme qui aurait pu être une de mes fi...
"Mes filles..." répétai-je durant de longues secondes à la manière d'un métronome cadençant la mesure.
Ce rappel à l'ordre vint brouiller ma vision. Les battements de mon coeur manquaient. Les alvéoles pulmonaires se rétractaient. Plus rien n'existait alors.
Je me dirigeai d'un pas décidé vers cette zone inconnue de la pièce, la jeune femme se retourna à mon passage m'offrant la vision de son corps dénudé mais aveuglé par la colère, la rancoeur et la tristesse, plus rien ne comptait.
Alors qu'elle s'approcha mielleusement de moi en vue d'exécuter sa sale besogne, je la repoussai d'un geste brusque.
Elle perdit l'équilibre et vint s'affaler sur le bord du lit.
Des larmes ruisselèrent le long de ses joues au teint hâlé.
Des larmes ruisselaient le long de mes joues au teint marqué.
Je continuai en direction de ce qui était bien ce que je pensais, une zone de toilette. J'ôtai rapidement ma capuche et l'ensemble de mes habits. La vision que me proposait le petit miroir accroché au-dessus de la vasque en marbre était bien moins agréable que celle de la jeune femme dont les sanglots venaient troubler la quiétude du lieu.
La maladie gagnait légèrement du terrain, rien de grave encore mais si rien n'était fait cela risquait d'empirer et tout ça n'aurait servi à rien. Non, pas après tous ces sacrifices.
Alors que mon regard se perdait dans mon reflet, trop occupé à scruter les lambeaux de peau qui fuyaient ma carcasse, un sentiment de nostalgie m'envahit. Je balbutiai à voix basse:
- "Je vais les retrouver. Je te l'ai promis... Où que tu sois, escomptant que tu sois toujours de ce monde, je les retrouverai. Pour elles. Pour toi. Pour nous."
A mesure que j'effectuais une toilette lente mais efficace, les larmes salées redoublaient d'intensité, naviguant au gré des fossés et reliefs composant mon visage marqué par l'âge mais avant tout par les épreuves de la vie.
Une fois terminé, je me rhabillai rapidement et remis ma capuche en place. Il était hors de question que l'on me voit dans cet état là.
Trop risqué.
Peut-être était ce contagieux.
Peut-être pas.
Mais je ne prendrai pas ce risque là.
Pas maintenant.
Pas après tout ce que j'ai subi et, peut-être perdu...
Je ressortis de la chambre en la traversant d'un pas célère, n'ayant aucun regard pour la demoiselle recroquevillée en position foetale, totalement nue, prise de spasmes laissant présager un probable traumatisme.
- "Cesse donc de chouiner. Tu ne sais pas ce qu'est la vraie tristesse..." lui balançai-je d'un ton froid manquant totalement d'empathie, lui tournant toujours le dos.
En atteignant la porte, je lui envoyai une petite bourse remplie de pièces à ses pieds en guise de dédommagement.
- "Rhabille-toi donc. lave toi, sèche ces larmes de crocodile et sors comme si de rien n'était. Sinon..."
Je laissai volontaire un silence lourd de sens.
Sans en dire davantage, je tournai les talons, ouvrit la porte que je refermai sans un bruit. Maintenant propre, je pourrai encore mieux me fondre dans la masse.
Pas de vague...
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