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La soeur cadette  
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Jyotsna Shideh
Jyotsna Shideh
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09/10/2006
Posté le 16/10/2006 à 23:21:36 

À l'Est, le soleil escaladait doucement le flanc caché des montagnes, en vue de peindre le ciel aux couleurs du zénith. Il effaçait les dernières brumes matinales de sa lueur claire et se préparait à inonder la vaste plaine de sa douce clarté. Cela serait une belle journée, aucun doute. Le temps était encore quelque peu frisquet, mais déjà le murmure des oiseaux s'élevait - comme ceux-ci s'envolaient en piaillant entre les arbres - peignant l'esquisse du temps radieux qui s'annonçait. June était arrivée à l'aube. Elle s'était empressée de quitter La pierre de Lune qui mouillait enfin sur la côte ouest, tandis que la lumière terne des dernières étoiles se noyait dans les vives couleurs du petit jour. Voilà deux nuits qu'elle avait embarqué sur ce caboteur. Elle avait profité de son affrètement inopiné pour rejoindre l'île de Liberty depuis celle qu'on nommait L'île aux Araçaris ; c'est sur cette dernière qu'elle avait fait halte durant les semaines passées. Il y faisait bon vivre, pour une île des caraïbes. Les officiers de la marine ne s'y aventuraient jamais, et les boucaniers n'étaient également qu'une poignée d'hommes qui se mêlaient aisément aux planteurs et aux indigènes, sans trop de grabuge. June se doutait qu'il lui arriverait tantôt de regretter la simplicité de ses eaux claires, tout autant que la compagnie des capitaines égarés qui venaient y trouver refuge entre deux allées en mer, enfumant les rades de l'île du tabac exotique de leurs pipes. Ces capitaines, beaucoup les auraient traités de pirates, ses grand yeux sombres les fixaient pourtant comme des aventuriers, quand elle rêvait à l'écoute des histoires qu'ils lui contaient, et qui souvent lui évoquaient le souvenir de son propre voyage. Le jour de son départ, longtemps elle avait scruté les derniers porticos de maisons de planteurs disparaître sous la ligne d'horizon - appuyée contre la poupe, rêveuse. Le bleu des eaux des caraïbes se reflétait dans ses iris sombres, et il semblait inonder ses yeux des mêmes vagues qui se levaient puis s'abattaient en sanglots d'écume sur le visage troublé de la mer. Lorsqu'elle en détournait finalement le regard, ses pensées la portaient déjà ailleurs, et bien qu'elle avait du mal à se séparer de cette terre et des marins qu'elle y avait connus ou rencontrés - sans compter ceux avec qui elle avait navigué jusqu'ici depuis l'Europe - les retrouvailles qui l'attendaient dans quelques jours suffisaient à chasser les larmes qui se regroupaient dans le creux de ses paupières. Ce matin là, June marchait à belle allure à travers les longues plaines de l'Ouest de Liberty. La pierre de Lune avait mouillé dans une petite crique de pêcheurs au Sud de New Kingston, et la carte qu'elle dépliait à intervalles réguliers - s'arrêtant quelques secondes seulement pour espérer trouver dans l'horizon les remparts de la colonie anglaise - lui indiquait qu'elle devait faire pleine route vers le Nord. Ses bottes de cuir brunes frottaient contre les hautes herbes dans un bruissement répété tandis qu'elle hâtait le pas. Le vent de l'est balayait ses cheveux blonds et clairs, laissant apparaître un visage empreint de pureté, onirique et lumineux, découvrant ses pommettes saillantes décorés de discrètes tâches de rousseurs qu'un sourire sublimait. June évoluait rapidement, et sa silhouette insaisissable traversait les longues étendues de plaine aussi légèrement que le souffle d'une brise sillonne un champ de blé. Enfin, elle pouvait apercevoir la ville, au loin. Elle s'arrêtait sur le haut d'une colline à quelques centaines de pieds, elle la contemplait d'un oeil excité sans dire un mot, son sourire se dessinait plus précisément encore sur son visage. Puis, caressant de la paume de sa main son pistolet à sa ceinture comme pour se donner du courage, elle se remis en route d'une célérité redoublée, et elle parcourut l'ultime distance qui la séparait des portes de New Kingston.
L'Inconnu
L
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02/11/2005
Posté le 17/10/2006 à 06:46:03 

Bienvenue damoiselle sur notre île.... C'est Agréable de lire d'aussi belle chose .....
Gaïus Quesada
Gaïus Quesada
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14/01/2006
Posté le 18/10/2006 à 14:42:55 

Bienvenue ! (tres bien écrit).
John Ch "le borgne" Rackham
John Ch "le borgne" Rackham
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20/10/2005
Posté le 18/10/2006 à 15:04:34 

le capitaine des frères de la cote était sorti de leur repère prendre un peu l'air ... et surtout se rafraichir quelque peu après une journée assez animée ... il marcha vers les hauteurs, admirant le paysage ... il avait toujours adoré faire ce genre de chose .. la beauté naturelle de l'île avait toujours exercé un certain pouvoir sur lui ... il tourna son regard vers le nord-ouest apercevant le toit des chaumières anglaises. La fumée sortait de l'auberge de son ancien compatriote ... il tourna son regard vers les montagnes un peu plus loin ... et sembla y apercevoir une silhouette ... il sorti sa longue vue, la porta à son oeil .. sans se tromper ... hum hummmm joli petit brin de fille que celà ... et cette couleur de cheveux ... il repensa un court moment à Isabelle ... elle aussi avait les cheveux blonds comme les blés ... il leva son regard vers le soleil, se demandant s'il aurait la même réaction qu'a sa première vision de la première femme qu'il avait aimé et qu'il avait perdu
Jyotsna Shideh
Jyotsna Shideh
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09/10/2006
Posté le 19/10/2006 à 01:19:26 

Midi. Le soleil se faisait maintenant l'écho des couleurs de June au centre du ciel, et il lui traçait un chemin de lumière divine dans le labyrinthe obscur des ruelles de la ville. Elle évoluait rapidement dans ses recherches, filant discrètement entre les passants anglais comme un rayon du grand astre entre des masses de nuages gris. June n'avait plus l'habitude des villes. Ces dernières semaines, elle avait vécu dans la minuscule cité portuaire de L'île aux Araçaris, et elle n'avait pas mis les pieds dans une cité de cette taille depuis qu'elle avait quitté l'Europe, il y a presque neuf mois. New Kingston la charmait plus qu'elle ne l'effrayait pourtant, et elle avalait avec appétit les pavés qui se présentaient sous ses pieds, espérant ainsi tromper la faim qui commençait à la tirailler. Elle s'était auparavant arrêtée chez un marchand des docks, à la recherche de churimoyas ou d'autres fruits exotiques qu'elle avait finis par apprécier à force de séjours dans les îles des Caraïbes, mais à son grand désarroi, elle avait du bien vite se résigner en constatant l'état de pourriture avancé des étalages que d'une moue dépitée, elle avait passés en revue. Le rendez-vous initial lui avait été donné au... (elle déchiffrait la lettre qu'elle avait reçue il y a des mois de cela)... Black Beer Pub. June relevait les yeux vers le ciel, espérant que son regard y trouverait l'enseigne recherchée. Il ne se passa pas longtemps avant que ce fut effectivement le cas, et June fut rassurée de trouver enfin un point de chute, et de pouvoir baisser sa garde. On l'avait prévenue que la ville anglaise grouillait de chapardeurs de mauvaises augures, et sa main n'avait pas quitté le pommeau de son pistolet depuis qu'elle était entrée dans la ville. June était heureuse de trouver un endroit où enfin se restaurer et se reposer de sa longue marche. Elle s'empressa de commander une assiette de soupe au tavernier, une fois qu'elle eût choisi une table à l'écart des murmures de poivrots anglais avachis sur les autres, et dont les regards se tournaient déjà vers elle, la reluquant comme une vulgaire coupelle de pudding vanillé. Sitôt repue, June se releva de sa chaise d'une vivacité qui surpris tous ceux qui étaient encore occupés à la dévisager, et elle se dirigea vers le comptoir avec un sourire d'un naturel déconcertant : « Combien pour la soupe ? - 3 pièces d'or » Elle tira de la bourse à sa ceinture la somme demandée, et tout en jetant les pièces sur le comptoir, elle ajouta : « Je cherche ma sœur, elle m'a donné rendez-vous ici. Sauriez-vous où je puis la trouver ? » Le tavernier la dévisagea d'un oeil faussement physionomiste. Il semblait perdre le fil de ses idées dans la beauté des traits qu'il contemplait. « J'saurais bien vous aider ma p'tite dame, mais j'ai peur de pas bien saisir qui vous êtes... » June le dévisagea à son tour, puis, après un temps d'arrêt, elle lui annonça : « Je crois que sur cette île, on la connaît sous le nom de L... » Le son d'une bagarre qui avait éclaté entre deux soiffards à ses côtés avait couvert celui de ses mots. Les yeux du tavernier s'étaient par contre écarquillés, et ce qu'il venait d'entendre lui insuffla une volonté nouvelle d'aider la jeune femme : « Ooooh mais dites moi ! J'me disais bien qu'vot' visage m'inspirait quelqu'un d'connue dans l'coin ! À c'qu'il paraît, on aurait aperçu vot' sœur s'aventurer avec un homme, dans un p'tit village de pêcheurs au sud-ouest d'ici ! » Et il la dévisagea une dernière fois tandis qu'elle le remerciait poliment -toujours souriante- avant qu'elle ne le salue et qu'elle ne quitte comme elle y était entrée le Black Beer Pub.
Lady Jade
Lady Jade
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22/12/2005
Posté le 21/10/2006 à 00:28:02 

Des larmes, tant de larmes… Eteintes… N’étant plus, maintenant, qu’un souvenir pour elle, rappelées par sa peau desséchée, qui lui tirait les joues… Une caverne inhospitalière… Elle ne pouvait autrement tromper son malheur, se perdre dans une horreur encore plus grande. Des requins déboulant de tous les coins, la projetant contre des parois gluantes… Sur les murs glissaient de fines gouttes d’eau malodorantes. Une chaleur moite rendait l’atmosphère encore plus pesante, oppressante et la lame de son épée, recouverte de sang séché, était embuée. Les amples battements d’ailes de chauves souris inaccessibles perturbaient le lourd silence que cet endroit effrayant imposait. Leurs petits cris aigus mettaient tous les aventuriers fous, dans un état nerveux insoutenable. Ces cris résonnaient dans sa tête… Tout comme résonnaient les paroles qu’elle avait dites à Louis-Philippe. Elle regrettait, bien sûr, mais sa fierté ne lui permettait pas de le supplier, d’implorer son pardon… Et puis, quand elle réfléchissait ! C’était bien sa faute de toute manière, ce malotrus, ce… Elle était perdue dans ses pensées, grommelant contre la situation, lorsque un énorme volatile multicolore s’approcha d’elle. Mais d’où sortait cet animal ? Comment avait-il bien pu arriver ici ? Depuis que Lady Jade était arrivée sur l’île, cela lui paraissait être une éternité, maintenant, elle n’avait jamais vu de telles espèces. Pourtant, elle en avait vues des choses sur Liberty ! De magnifiques oiseaux tous plus resplendissants les uns que les autres, s’abreuvant autour d’un petit lac… Ce lac qui tantôt ne laissait entendre guère plus qu’un mince clapotis et dont, tantôt, la tranquillité était perturbée par les cris fous de guerriers en furie… Cette île, beauté et Amour, horreur et haine… Elle l’aimait… Elle aperçut un petit message accroché à sa patte… Ses pensées se bousculèrent dans son esprit… Qui pouvait bien utiliser ce moyen de communication, qui, mis à part quelqu’un d’étranger à l’île ? Un éclair de bonheur scintilla dans ses prunelles… Se pouvait-il que ce soit… Non, elle n’osait y penser, la déception serait bien trop vive… Elle gardait tout de même l’espoir fou, inconsidéré… Elle conserverait ce message pour plus tard, histoire de garder cette possibilité, infime, mais qui éclairait son cœur comme la beauté du couchant sur une mer paisible… Au soir, lorsque la pénombre du lieu se faisait ressentir, lorsque la lassitude l’envahissait, lorsqu’elle était prête à baisser les bras… Elle ouvrit la lettre. Elle était seule et pourtant, un large sourire s’afficha sur son visage ! Oui, c’était bien là sa sœur qui lui écrivait… Ceci expliquait l’oiseau sauvage, issu d’une île des Caraïbes plus lointaine, comme elle l’avait si bien expliqué. Elle ne put détacher ses yeux de la missive avant de longues heures, relisant avec amour les douces boucles écrites par sa chère petite sœur, apprenant par cœur les phrases qu’elle attendait depuis si longtemps. Elle imaginait June accoudée au bar, ayant saisi sa plume et couchant sa prose sur papier, sous l’œil intrigué et intéressé de dizaines de matelots. Elle s’endormit sur sa lecture. Ce voyage qui s’annonçait si morose ne le serait pas tant, un rayon de soleil, cette magnifique sœur blonde, venait d’emplir son cœur de joie…
Téquila
Téquila
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20/10/2005
Posté le 21/10/2006 à 10:34:33 

Je suis toute émue en pensant aux prochaines retrouvailles. D'autant plus que depuis mon départ de New Kingstown, aucun indice ne m'a permit d'espérer que les Mac rought étaient vivants quelque part... Je vous souhaite beaucoup de bonheur et de joie mesdames. La famille, c'est important Téquila, marraine d'Amaury "Téquilo" de St Louis
Jyotsna Shideh
Jyotsna Shideh
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09/10/2006
Posté le 22/10/2006 à 13:32:47 

June avait consacré quelques temps supplémentaires à s'enquérir de la situation de sa sœur. Pour autant en réalité, elle prenait du plaisir à découvrir les rues de New Kingston à mesure qu'elle s'y aventurait, comme à chaque nouveau détour et à chaque nouvelle façade, il lui semblait en apprendre un peu plus sur la vie qu'avait du mener sa sœur dans cette bourgade coloniale. Elle s'imaginait être Jade, elle s'imaginait se faufiler dans les couloirs sombres que délimitaient les maisons de briques grises, elle s'imaginait l'œil espiègle, jetant des regards coquins aux hommes qu'elle croisait, ou fixant d'un œil convoiteur la bourse à la ceinture des touristes qui chevauchaient dans les rues d'un air trop fier et hautain. Parfois, June arrêtait discrètement son regard sur le visage de jeunes filles en pleine discussion qu'elle croisait. Elle s'y perdait quelques secondes : laquelle de celles-ci aurait pu être Jade ? Elle n'avait pas vue sa sœur depuis bientôt deux ans maintenant... Puis elle se ressaisissait, et elle poursuivait sa route l'esprit pris dans une vague excitation, et elle se laissait guider au hasard du dédale des croisements de rues. Sitôt sortie du Black Beer Pub, elle s'était renseignée plus précisément sur les villages aux alentours auprès de marchands ambulants et de vieux marins qui faisaient des parties de dés sur les docks. Par la suite, elle s'était rendue dans la petite échoppe du cartographe qu'elle avait remarquée plus tôt, afin d'y trouver une carte plus complète que celle qui l'avait menée jusqu'ici. Et lorsqu'elle franchissait enfin les portes de New Kingston, pour cette fois laisser la ville derrière elle, elle déroulait une esquisse grossière de la géographie de Liberty, sur laquelle elle avait griffonné les sommaires indications qu'elle avait su récolter. June était incroyable. Elle avait marché des heures durant, la matinée. Elle avait frappé à toutes les portes de New Kingston en quête d'informations, pressant le pas d'enseignes en enseignes. Et la voilà maintenant qui à nouveau filait à vive allure dans les plaines, aussi fraîche que la brise, et son visage toujours décoré du même sourire lumineux. Elle ne montrait pas le moindre signe de fatigue. Elle parcourait chaque nouveau mètre avec un enthousiasme toujours plus extraordinaire et toujours plus impressionant, suivant des yeux les amazones à front jaune qui filaient dans un sens et dans l'autre, loin dans le ciel au-dessus de sa tête, et qui joignaient de quelques coups d'ailes des bosquets de jungle dense situés quelques centaines de mètres à l'est ou à l'ouest de sa route. Elle s'arrêtait finalement au bord d'une falaise vive, alors que les rayons du grand astre viraient au rouge-orange, juste au-dessus de la mer, devant elle. June s'asseyait dans l'herbe verte, elle détachait son pistolet à sa ceinture et le posait délicatement juste à ses côtés. Puis elle sortit de sa besace une miche de pain et un morceau de lard, qu'elle trancha avec finesse de son couteau, et qu'elle mâcha doucement et avec appétit. Elle fixait au loin le soleil qui se noyait dans l'horizon, embrasant d'une pourpre violente et splendide le bleu de l'océan. June songeait à ce que bientôt, elle aurait l'occasion de raconter et de partager. Sa traversée de l'Atlantique sur le Green Alice, les aventures qu'elle y avait vécues, les hommes qu'elle y avait rencontrés, et qui lui avaient appris à se servir d'un pistolet. Son voyage d'île en île dans l'archipel du sud des Caraïbes, des Îles Floréales à celle des Araçaris, en passant par La Crique des Âmes Lumineuses, L'Île aux Sables Rouges et La Baie du Grand Souffle. Ses soirées au Ole Copper Bock et À La Sirène aux Cent Nageoires, et dans tous ces rades de marins qu'elle avait écumés durant ces longs mois. June rêvait déjà lorsque toutes ces images repassaient avec grande confusion devant ses yeux clos. Elle s'était allongée en face de la mer vierge et sombre, au fond de laquelle le soleil avait désormais entièrement plongé. Et tandis que le ciel nocturne enfilait sa robe bleu-marine et décorée d'étoiles, June s'endormait paisiblement, sous l'œil bienveillant de la lune, laissant son esprit se remémorer encore les milles aventures qu'elle aurait à raconter. Demain elle retrouverait sa sœur. Demain elle reverrait Jade.
Lady Jade
Lady Jade
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22/12/2005
Posté le 31/10/2006 à 13:40:52 

Le moment était venu pour Jade de rebrousser chemin depuis le fin fond de ces cavernes où elle n’avait trouvé que mort et désolation. Le rendez-vous fixé approchait de manière fatidique. Elle marcha plusieurs heures, sans crainte, sans stress. Elle avait bien évalué le temps qui lui serait nécessaire pour rejoindre la sortie. Elle n’aurait pour rien au monde manqué ce magnifique moment… Revoir sa sœur disparue de ses yeux depuis si longtemps… C’était un des seuls sujets qu’elle gardait pour elle seule. Un lien auquel elle pouvait se rattacher lorsque la vie n’était pas aisée. Elle avait préféré en faire son jardin secret pendant bien longtemps. Mais maintenant, leur complicité risquait d’apparaître au grand jour. Enfin, à l’aurore de cette journée que le ciel annonçait douce, elle aperçut la lumière émanant de l’entrée de la grotte. Ce jour était celui de leurs retrouvailles… Avançant lentement sur le sol boueux pour profiter de ce moment, Jade avait les yeux qui brillaient. Elle s’arrêta sur le pont de cordages pour entendre son grincement tellement… réel… En contrebas, l’écume des vagues dessinait, pour un éclat de temps, des formes blanchâtres sur les falaises… Le paysage était loin d’être paradisiaque, mais les circonstances lui donnaient de toutes autres couleurs. C’était sûrement l’air qui était le plus pur, le plus jouissif, le plus fruité. Cet air, ou plutôt cette vie qui vous emplit lorsque vous attendez quelque chose de beau… Le soleil commençant à s’élever dans le ciel, Jade décida de poursuivre son chemin… Elles se retrouveraient dans la matinée… Elles n’avaient besoin de plus de détails pour se trouver. Leurs violons n'eussent-ils pas été accordés, elles auraient trouvé de quoi penser, de quoi rêver en attendant la venue de l’autre. Rattrapant la boue qui allait recouvrir ses bottes d’une substance brunâtre, Jade aperçut au loin une silhouette féminine. Si c’était sa sœur, elle ne se serait pas trompée… La personne semblait effectivement arrivée depuis peu et déballait quelques affaires pour se faire un encas. Le temps pour Jade de se dépatouiller dans cette marmelade terreuse, la jeune femme, dont la démarche et l'allure confirmaient l’identité, s’était installée au sol. Dos à Jade, celle-ci était pratiquement couchée sur le sol, son poids reposant sur ses coudes gracieux, déposés au sol et les jambes croisées l’une sur l’autre… Sa position laissait deviner son regard perdu dans l’immensité du ciel… Comme à son habitude… Le pas caressant l’herbe qui venait de timidement ramper sous ses bottes, Jade s’approcha de sa sœur. A peine fit-elle quelques pas qu’elle avait vu sa sœur poser instinctivement sa main sur la crosse de son pistolet et tourner la tête dans sa direction en entendant du bruit. Le geste n’était pas anodin. June avait fait parler d'elle dans les Caraïbes, et parfois Jade ouïssait de quelques aventures qu'avait mené sa sœur en partageant un verre de rhum avec des marins, de passage sur l'île de Liberty… Jade fit un pas de plus, puis elle se figea d'un sourire lorsque June se leva en une fraction de seconde et brandit son pistolet dans sa direction. A temps, leurs regards se croisèrent… Les yeux de June s'écarquillèrent comme saisis de lumière lorsqu'elle distingua les traits de celle qui se tenait devant elle. «Jade !» June laissa tomber au sol son pistolet aussi vite qu'elle l'avait brandi, puis elle courut, le regard ébloui, à la rencontre de Jade qui en faisait de même de son côté… C’est les prunelles comblées de tendresse qu’elles se jetèrent dans les bras l’une de l’autre. Jade sentit dans son cou le ruissellement d’une larme de joie de sa sœur… Elle s’en écarta et du revers d’un doigt, elle effaça la larme… Elle n’en menait guère plus large, les yeux baignés, le regard brouillé… Les doux rayons du soleil matinal inondaient le visage de June… Ses yeux d’un brun prononcé brillaient de mille feux. Elle ne s’était donc jamais départie de ce sourire qui éclairait son visage éblouissant… Ses pommettes décorées de fines tâches de rousseurs étaient devenues saillantes, si féminines… Elle n’était plus la toute jeune fille qu’elle avait quittée… Elle non plus, supposait-elle… Ses cheveux dans le vent n’avaient, eux, pas changé. Ils ondulaient toujours de manière harmonieuse sur ses épaules. «Comme je suis heureuse de te retrouver enfin !» June reculait d'un pas, tenant dans les siennes les mains de Jade, elle s'accorda quelques secondes pour mieux contempler sa sœur, avant de se jeter à nouveau dans ses bras, pour l'y serrer de plus belle. Son visage entier manifestait, aujourd’hui, la maturité. Elle était devenue une vraie femme… Ses yeux marrons face aux yeux verts de Jade -qui lui avaient valu son nom… Ces même tâches de rousseurs qui sublimaient leurs iris respectifs … Tout cela replongeait Jade dans le passé. Le souvenir que Jade avait de June l’avait conduite à s’imaginer protectrice à son arrivée… C’était sans compter les expériences vécues par June qui l’avaient considérablement grandie… Elle avait également oublié qu’elles n’étaient finalement séparées que de quelques mois, leur mère étant tombée enceinte coup sur coup… et June n’avait apparemment rien à envier de la maturité de sa sœur… Le reste de son corps était devenu celui d’une magnifique jeune femme. Élégante tout en restant simple, elle portait un pantalon saillant, savamment introduit dans des bottes de cuir clair. Sa chemise a jabot était délicatement pliée dans son pantalon, retenu d’une ceinture. Des bottes à la ceinture, son habillage reflétait un dégradé de bruns qui la rendait très mignonne. Sa poitrine légère était dissimulée par sa chemise au col en V. Jade s’empressa d’y déposer une amulette, qui, expliqua-t-elle, l’aiderait dans la survie. Ce collier également esthétique était du plus bel effet sur son cou délicat. Mais du reste, était-elle toujours cette sœur rêveuse qu’elle avait connue ? Elle qui aimait se perdre des heures dans la contemplation des eaux des océans ? Elle si insaisissable et pourtant si courtisée ? Toutes deux avaient toujours eu un pouvoir de séduction étrange et prodigieux auprès des hommes, mais elles avaient toujours réagi à cette situation de manière différente… June était restée détachée, malgré les flatteries qu'on lui accordait. Rares étaient ceux qui pouvaient se vanter d’avoir pu lui appartenir. Au contraire, Jade avait profité de sa côte pour vivre, aimer et aimer encore… N’était-elle pas parfaite, cette sœur onirique ? Lorsque Jade rêvait de méfaits fallacieux, avec cette petite espièglerie qui la caractérisait, sans jamais vouloir foncièrement le mal de quiconque, June rêvait de grandes aventures et de découvertes ; elle était fascinée depuis son plus jeune âge par les armes à feu, et l'image de liberté qui se dessinait dans ses pupilles quand elle contemplait un pistolet les faisaient s'embraser des milles feux du rêve. C’est avec une pensée émue que Jade se rendit compte que sa sœur avait touché au but. Avant qu’elles se séparent, elles en avaient longuement parlé… Elles avaient une vision de la vie différente, même si elles se rejoignaient en de nombreux points. Toutes deux avaient besoin de nature pour s’épanouir, de grands airs. La liberté comme raison de vivre et l’honneur comme impératif… Elles se regardèrent là pendant de longues minutes, le silence étant la plus claire des paroles. Elles n’avaient presque pas besoin de mots pour se comprendre, les anecdotes seraient racontées plus tard. Dans leur regard passait tout l’amour qu’elles éprouvaient, qu’elles avaient sans doute, quelque part, toutes deux eu peur d’avoir perdu, au fil des années. Mais cette complicité s’était presque renforcée et elle se gravait, aujourd’hui, à l’encre de l’éternel.
 

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