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La voie du Loup  
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Sombre ermite
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26/08/2006
Posté le 15/01/2008 à 20:24:15 

Une côte balayée par le vent, le soleil couchant derrière la montagne laisse encore passer quelques perles mauves sur l'écume de l'eau. Assis entre les rochers, caché à la vue de tous, un homme. Pensif, assis en tailleur, les armes posées à ses côtés, il médite, repensant à son passé, réfléchissant sur son présent, prévoyant son futur. Il avait besoin de se retrouver régulièrement, et cette cache sur la grève était l'un de ces lieux où il se sentait suffisamment seul pour réussir à le faire. Luun, aussi dit le Loup Blanc. Mais qui était il vraiment? Certains, beaucoup même, riaient de cette appropriation d'un animal, voyant là un certain excentrisme de la part du corsaire, mais peu, aucun peut être même à cette heure, pouvaient comprendre ce que cela signifiait pour lui. Il n'y avait là aucune envie de sa part de se glorifier, ou de se montrer à part. Pour lui ce n'était ni plus ni moins qu'un état de fait. Il était Loup, tout autant qu'il était homme. Loup était une part entière de lui, il était Loup. L'un et l'autre ne formaient plus qu'un, quoique cela ne fut pas toujours le cas. L'homme avait tendance à se voiler la face, se couvrir les yeux au lieu d'affronter la réalité, et il lui avait fallu du temps pour aller à sa propre rencontre et comprendre qui il était et qui il devait être. De sa prime jeunesse à aujourd'hui il avait vécu pas mal de choses, qui toutes ont amenées à faire de lui cet être particulier, ce loup au poil blanc et aux crocs acérés. Un voyage que personne ne pouvait reconstituer, un voyage où son existence changea, et où son nom fut oublié pour devenir autre. Tout cela avait commencé il y a si longtemps...
Sombre ermite
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26/08/2006
Posté le 15/01/2008 à 21:22:21 

Un jeune breton Le 13 Juin 1683, dix heures du matin. Un garçon né à Vannes. Son père, forgeron, le hisse avec fierté devant les autres villageois qui sont venus assister à cet évènement. Un petit bonheur au milieu de la populace. Rapidement la sage femme le reprend pour le mettre dans les bras de la mère, exténuée par l'accouchement. L'enfant semble bien formé, pourtant dans le regard de la sage femme de la peur est dissimulée. La mère a conservé l'enfant trop longtemps, ses forces la quittent petit à petit. Et en effet elle ne resta en vie qu'une semaine durant. Les marchands amis et les quelques villageois du quartier rendirent visite au forgeron pour lui présenter leurs condoléances. Une tragédie si vite après ce petit bonheur, cela allait être difficile pour l'homme qui devait alors élever seul son fils tout en continuant à travailler. Heureusement sa soeur l'aida. Le plus difficile fut de trouver du lait pour le bambin tant qu'il ne put avaler quelque chose de plus consistant. Ce fut un voisin qui proposa d'en prendre sur l'une des vaches qui venait de mettre bas. Peut être pas le mieux qu'il puisse obtenir mais après tout, sans rien il allait mourir. Le forgeron était miné, mais sa soeur s'occupant de son fils et de sa maison il put se plonger entièrement dans le travail, et oublier. Au bout d'un an il put assumer son fils lui même, le gardant à ses côtés quand bien même il travaillait, après lui avoir confectionné un parc où il puisse gambader en sécurité, un peu à distance de l'enclume et du foyer. Ainsi il pouvait continuer à recevoir ses clients et à confectionner ses pièces tout en surveillant le petiot d'un oeil. La vie n'était pas parfaite mais il retrouvait un semblant de bonheur. Le garçon grandit et il restait toujours dans les jambes de son père à la forge, il ne connaissait presque rien d'autre hormis quelques étals proches. Il était un peu le fils de la rue. Il aimait regarder son père travailler, suivre des yeux les étoiles de feu qui s'échappaient du métal rougi à chaque coup de marteau, les voiles de fumée s'élever lors du trempage, le son des braises crépitant dans l'âtre, les muscles des bras de son père saillir à chaque mouvement. Dès ses cinq ans il commença à travailler sur des petits bouts de fer, ce n'était pas grand chose mais ces essais rendaient fou de joie son père qui pouvait ainsi sourire de la vie, s'offrant entièrement à son travail et à la formation de son fils. Il lui avait confectionné un attirail entier accessible à sa taille et adapté à sa force. Le petit était doué, il réalisait des boucles de ceinture, de bottes, des mailles, et tout cela avec minutie. A dix ans il était devenu un bon apprenti, et si son manque de musculature l'empêchait de forger des objets d'une certaine proportion, il était en passe de dépasser son père dans tout ce qui demandait minutie et embellissait les oeuvres de son père avec sa propre touche artistique. Le petit commençait à s'émanciper, il allait et venait dans la ville quand il pouvait jouir d'un instant de repos. Et son père, quelque peu couvant après la mort de sa femme, laissait son fils s'amuser sans trop regarder à son temps de travail. Il continuait bien de travailler, mais cela se fit un peu plus rare à la suite d'un matin particulier. Ce jour là un messager du comte était venu demander au forgeron de créer un diadème pour sa fille. Ce genre de travaux étant mieux réalisé par son fils il demanda l'autorisation de le lui laisser faire. Ce qui lui fut accordé, en sachant qu'il resterait le responsable du travail. La jeune fille était venue pour prendre des mesures, et le fils du forgeron resta ébahi devant elle. Son père dut lui mettre une claque sur l'arrière du crâne pour qu'il reprenne ses esprits et se mette au travail. Après ce jour, il passait son temps entre la réalisation du diadème et courir de ci et de là pour réussir à voir la fille du comte. Bien entendu son père n'était pas au courant, sinon il aurait reçu une sacrée correction pour ne pas avoir su se tenir à sa place. Mais il ne se fit pas remarquer, et pendant un mois il approcha la demoiselle à chacune de ses sorties: le marché, les cours de dessin...tout ce qui se faisait en dehors du château il se débrouillait pour être dans les parages et l'observer. Elle finit par le remarquer et s'amusa de ce jeune prétendant qui avait si peu de retenue. Joueuse et taquine elle fit exprès de le charmer, et c'est sans surprise qu'il tomba petit à petit amoureux. Le garçon avait treize ans, en passe de devenir homme, il commençait à réfléchir autrement à la gente féminine et pensait au mariage. Mais il commençait aussi à se rendre compte que la fille du comte lui était peut être bien inaccessible. Il redoubla donc d'ardeur à la réalisation du diadème, se disant que peut être, de part son travail il montrerait pouvoir mériter sa main. Un rêve de gosse, mais qui aurait pu lui enlever cette lueur du fond des yeux? Qui aurait bien pu dire à son coeur qu'il se trompait et se faire écouter de lui? Peu avant l'été 1696 son travail fut achevé, à temps et même un peu en avance sur sa commande. C'est avec fierté qu'il le brandit aux yeux de son père un matin. Le travail était splendide. Mélange d'or et d'argent tressé, il formait un entrelacs sinueux et harmonieux, au milieu duquel trônait un rubis, et autour duquel gravitait des petites topazes. Le comte avait donné de bons matériaux, et l'enfant en avait sorti la quintessence, réalisant un chef d'oeuvre. Le lendemain ils allèrent ensemble au château, habillés de leurs habits du dimanche. Ils furent accueillis par l'un des hommes qui servaient le comte et il apprécia d'un oeil visiblement connaisseur l'oeuvre, avant de les introduire devant le noble. Il fut charmé, véritablement et il fit appeler sa fille d'urgence pour qu'elle vienne voir l'objet de ses désirs. Le jeune garçon devint rouge à son entrée, intimidé en sa présence et celle de son père. Mais quand le comte éleva la voix son coeur se stoppa net: il venait d'annoncer le mariage de sa fille avec un noble d'un autre comté, et ce diadème était son cadeau pour qu'elle soit la plus belle d'entre toutes lors de ce jour si particulier. Son père dut presque le porter pour le faire sortir du château, et pendant la fin de la journée il resta les yeux grands ouverts, inerte. Le soir son père hurla tant et si bien qu'il finit par sortir de sa stupeur, toutefois il ne lui expliqua pas ce qui l'avait mis dans cet état, même s'il devait s'en douter. Il lui restait un mois avant qu'elle ne soit mariée, et pendant ce mois là il chercha atteindre la future comtesse afin de lui prouver son amour et lui demander sa main. Son père l'apprit et le congédia dans sa chambre, l'interdisant de sortie. Mais un soir, il fit le mur, passant par sa fenêtre pour s'échapper au dehors. Il prit son courage à deux mains, et s'infiltra dans le château, s'approchant de la fenêtre de la jeune femme. Mais lors de son ascension il délogea une pierre et assomma un garde. L'alarme retentit et la gouvernante le vit depuis la fenêtre de la demoiselle. Le comte, réveillé par ses hommes fut pris d'une vive envie de le tuer, et offrit une récompense pour sa capture. Sans avoir le temps de pleurer ou réfléchir le garçon dut donc courir, à travers les toits, les rues puis la forêt, pour tenter de sauver sa vie. Et il réussit. En pleine nuit, malgré la pleine lune, la forêt lui permit de se cacher et d'échapper à la garnison du comte. Mais il savait que désormais la ville lui était fermée. Cela lui brisait le coeur, surtout en pensant à son père, mais il tenait à la vie et fit marche vers la côte. A l'aide de paysans il réussit à aller jusqu'à Port Navalo, où il s'engagea sur un bateau qui devait faire route vers le nouveau monde. Une nouvelle vie allait lui être offerte, mais il était encore loin de s'imaginer ce qui allait lui arriver au cours des prochaines années. Tout ce qu'il savait, c'est qu'en ce jour du 18 mai 1696 il faisait route vers le large, et allait devoir s'accrocher pour vivre, laissant derrière lui maison, famille, amis, sécurité...sa vie.
Sombre ermite
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26/08/2006
Posté le 31/01/2008 à 20:12:46 

Une escale inattendue Le bateau était parti rapidement, passant par divers ports avant de véritablement prendre la route qu’il devait suivre. Il s’arrêta en particulier à Marseille où il chargea une nouvelle cargaison. Il était rare que les promoteurs ne fassent un aller retour sans avoir de nombreuses denrées dans leurs cales. Et sur le bâtiment où Luun avait été engagé, il n’y avait presque que cela. C’est d’ailleurs certainement ce qui amena à la suite de son périple, pas véritablement celle à laquelle il s’attendait. Alors que jusqu’ici tout s’était bien déroulé, peu après avoir passé le détroit de Gibraltar ils furent attaqués. Le vent soufflait furieusement dans les voiles, mais ils étaient des commerçants et leur coque ne leur permettait pas d’aller si vite que cela. Pas suffisamment en tout cas pour leur échapper. Au bout de six heures les pirates prenaient d’assaut le pont, et se firent maîtres de lui en un rien de temps. Ils l’emmenèrent sur le continent africain, souriants d’avance de l’or qu’ils allaient gagner, des femmes qu’ils allaient avoir dans leur lit, et du rhum qui imbiberait leur sang. Luun avait eu sacrément peur, mais il s’en tira sans marques ni blessures. Quoique le capitaine lui expliqua pourquoi, ce qui ne le réjouit pas : il allait être vendu comme esclave. Une sorte de monnaie d’échange pour ces contrebandiers avec les gens qui ici se faisaient appeler bédouins. C’était visiblement une sorte de groupe de gitans, qui avaient main basse sur de nombreuses choses ici, malgré la présence des forces coloniales européennes. L’adolescent tremblait d’avance, les mains attachées et tenu captif en cale, se demandant ce qu’il allait advenir de lui, et ce qu’il avait fait pour sauter des bras de la mort pour arriver dans ceux de l’esclavagisme quelques milliers de kilomètres plus loin. Ils arrivèrent de nuit et jetèrent l’encre à quelques encablures de la plage. Sans ménagement il fut jeté dans une barque, s’éclatant une arcade sur le bois d’une traverse. Le capitaine engueula le matelot, hurlant qu’il allait perdre de sa valeur avec cette blessure. Le pirate ne répondit rien, osant à peine grommeler face à cet homme imposant, qui d’un seul regard aurait certainement pu tuer dix de ses hommes de l’avis du jeune breton. Arrivés sur la plage ils furent accueillis par des hommes à la peau sombre, couleur cendre. Seul l’ovale de leur visage et leurs mains étaient visible. Ils étaient habillés d’amples habits de couleur bleue ou noire et portaient d’étranges sabres courbés à la ceinture. L’un d’eux parla avec le capitaine dans une langue qu’il ne connaissait pas, une langue méditerranéenne supposait-il au son, italien, espagnol ? Cela il était bien incapable de le dire toutefois. L’homme gris vint vers lui et le regarda, le touchant et le forçant à bouger pour vérifier telle ou telle chose, à la lumière vacillante d’une torche qu’un de ses hommes portait pour lui permettre de bien voir le jeune garçon. Visiblement ils arrivèrent à un accord car il repartit avec ces étrangers, entendant derrière lui les pirates reprendre la direction du bateau, et entendant dans son dos partir son dernier lien avec le continent européen. Luun était abattu, pleurant les lèvres serrées, sans bruit de peur de recevoir des coups pour le faire taire. Il fut emmené, toujours les bras liés, marchant comme il pouvait sur ce sable qui formait des dunes plus grandes que toutes celles qu’il avait jamais vu. Et elles semblaient s’étendre jusqu’à l’horizon ! N’y avait-il ici que cela ? Malgré toute sa tristesse et sa peur, une part de lui était émerveillée, mais si faible pour l’instant que cela ne lui rendit ni confiance ni espoir ni rien. Il se retrouva au sein d’une sorte de village improvisé, patchwork de tentes multicolores accueillant hommes, femmes, enfants et même bestiaux. Il vit des chevaux et des sortes de chèvres, mais aussi des animaux dont il n’avait jamais entendu parler encore, avec des bosses et une drôle de démarche lente et pataude. Au centre du village il y avait un puits, ce qui pouvait expliquer le pourquoi de l’arrêt de ces nomades en ce lieu. Mais il n’eut guère le temps d’en voir plus car on le traîna sous une grande tente où il lui sembla qu’il fut présenté à un homme. Il ne comprenait rien de leur langue qui lui apparaissait comme rauque et sans début ni fin de mots, sans rien s’apparentant à quelque chose qu’il connaissait. On ne le ménageait pas vraiment, le mettant à genoux et tirant son visage en avant une main sous son menton, pour l’offrir à la vue des diverses personnes présentes ici. Le vieil homme à qui on le présentait dit quelque chose et fit un geste du bras puis on le releva douloureusement et l’emmena au dehors. Il se demandait ce qu’allait être la prochaine étape de sa nouvelle condition d’esclave et il fut étonné de celle-ci. Ses geôliers l’emmenèrent à un endroit entre quelques tentures où on le libéra et lui ordonna, avec quelques difficultés, de se laver et de changer ses vêtements. On lui jeta des habits simples, du lin léger mais grattant. En tout cas en bien meilleur état que les siens. Il se lava donc, faisant attention à l’eau, comprenant déjà son importance au milieu de ce paysage désertique, ce qui lui prit du temps étant donné que ses bras étaient contusionnés et l’une de ses épaules presque démise. Il lava sa plaie à l’arcade et ne put s’empêcher de pousser un petit cri. L’arcade avait explosé, les lèvres de la plaie laissant un filet de sang sourdre sans discontinuer. Cherchant comment faire quelque chose pour éteindre le saignement il arracha des morceaux de sa vieille chemise et les utilisa pour s’en faire des sortes de bandages, rudimentaires, mais espérant que cela aiderait à la coagulation en mélangeant les fibres du tissu au sang. Il put alors s’habiller, sortant sous l’œil noir d’un de ces grands hommes au visage si sombre. Il lui fit signe de le suivre et le fit entrer dans une nouvelle tente où un seul homme se trouvait. Le garde était resté dehors, reparti peut être même. Il était seul là avec un homme qui semblait encore jeune, visiblement érudit : il écrivait sur un papier et possédait plusieurs livres étalés sur son « bureau », une table basse derrière laquelle il était assis en tailleur. Il n’osait pas le regarder, restant debout face à lui, tête baissée, mains l’une dans l’autre fermées et calées dans son giron. Plusieurs minutes s’écoulèrent et il finit par oser un regard, puis un autre. L’homme basané le regardait et peureux il baissa à nouveau sa tête, courbant les épaules. Il tremblait, effrayé par ce monde nouveau, ces gens si différents, et sa peur d’être maltraité. Après tout un esclave était encore moins qu’un serf n’est ce pas ? Battu, utilisé comme outil, à peine nourri, il n’osait même pas continuer la liste des mauvais traitements qu’on leur réservait, et qui allaient être siens. Il était plongé dans ses cauchemars éveillés quand une voix grave le fit sursauter. -Alors petit, tu es français c’est cela ? Luun releva la tête, vérifiant qui lui parlait. C’était l’homme derrière son bureau. Il avait posé sa plume et avait stoppé sa calligraphie, scrutant Luun d’un regard profond. Il dut répéter une seconde fois sa question avant que le petit ne lui réponde en hochant la tête. Il parlait un français correct, avec un accent marqué et appuyé sur certaines consonnes mais il était aisément compréhensible. - Dis-moi petit, quel est ton nom ? - Je…Jean, finit par répondre le gamin encore à demi terrorisé et refoulant difficilement ses sanglots. -Eh bien Jean, je suis Kasim. Mon véritable nom est beaucoup plus long que ça, mais il sera plus simple pour toi de m’appeler ainsi. Viens ici petit, approche. Approche ! Luun finit par relever la tête et voyant les grands signes insistant de l’homme finit par venir, ses pas lents et rétifs. L’homme le fit asseoir à genoux à droite de lui et le regarda de plus près. Il souleva le bandage qu’il s’était fait, ce qui le fit crier : le sang avait coagulé mais avait aussi créé un caillot qui le retenait et à la peau et au tissu, et lorsqu’il fut tiré, cela rouvrit la plaie. -Eh bien, tu as là une jolie blessure. Reste penché en avant le temps qu’on vienne te coudre tout ça. Il claqua dans les mains et quelqu’un s’approcha. Après quelques mots dans leur langue la personne s’avança vers lui et se mit à genoux à sa hauteur. Il s’agissait d’une jeune fille, quelque peu plus âgée que lui, qui le regarda et lui fit signe de se lever. Elle partit et comprit qu’il devait la suivre. Il regarda l’homme une fois encore, étrangement il lui souriait, bienveillant aurait-il pu croire. La fille s’arrêta un peu plus loin et le fit s’asseoir sur un muret. Elle disparut un temps et revint avec un broc d’eau et un linge, dans lequel étaient pliés une aiguille du fil et un pot d’une étrange pâte. Elle lui lava sa plaie et le fit crier quand elle pressa ses lèvres pour les maintenir ensemble. Puis elle le cousit d’une main sûre et ferme. Enfin elle appliqua un peu de la pâte sur la plaie, et quand elle eut fini et qu’il voulut la toucher elle le frappa du plat de la main, disant quelque chose dans sa langue qu’il ne comprit pas mais devina être une réprimande. Elle reprit ses affaires et lui adressa une fois de plus la parole. Il ne comprenait bien entendu rien et dut le montrer d’une manière ou d’une autre, car exaspérée elle lui montra la tente d’où il venait et le fit se lever, lui faisant comprendre qu’il devait retourner auprès de l’érudit. Il s’y rendit, toujours tendu mais moins apeuré après ce traitement et les quelques mots échangés avec cet homme. Peut être ne serait il pas battu en fin de compte ? Mais il n’y trouvait pas là une once d’espoir, juste peut être un peu de réconfort. L’homme l’attendait visiblement car il sourit à son arrivée et le fit asseoir face à lui. -Alors mon garçon, ça va mieux ? -Je…oui, ça s’est arrêté de saigner, merci, répondit-il après quelques hésitations. Il était intimidant cet homme, mais pas si méchant que cela en fait lui semblait-il. En tout cas il faisait très attention à être respectueux et se promit de ne rien dire qui puisse le fâcher. -Bon il faut que je sache. D’où viens-tu ? Et que sais-tu faire ? Luun fut étonné par la question mais ne voulant pas énerver celui qui semblait être son maître lui répondit une fois après avoir dégluti avec quelques difficultés encore. -Je viens de Bretagne Monsieur, au Nord Ouest de la France. Et je suis fils de forgeron. Je sais créer nombre de choses, entretenir des épées et sabres, des armures aussi. J’ai appris à compter, et…j’ai commencé à apprendre à lire un peu aussi, mais je ne suis pas très doué encore. J’arrivais tout juste à lire une commande de fournitures ou de courses de mon père. Finalement il n’était pas si dur de parler, après quelques mots Luun finit par reprendre un rythme d’expression normal et sa voix se fit un peu plus sûre. Son maître hochait la tête, prenant note de tout cela, sans qu’il sache si cela était bon ou non pour lui. En tout cas pour le moment il n’était pas maltraité, ce qui déjà était un point très positif pour lui, selon ce qu’il avait imaginé de sa nouvelle situation. Kasim le regardait, semblant réfléchir à quelque chose, peut être cherchant ses mots tout simplement, ou se demandant à quoi il allait employer le jeune français. C’était difficile à deviner pour Luun. -Bon, je dois avoir un bon nombre de choses à te dire, mais cela va durer un moment et je suppose que tu as faim, non ? -Oh euh…je, non, enfin si mais…Luun ne savait pas comment répondre à cela, avait il le droit de dire qu’il avait faim, n’était ce pas là risquer offenser son maître ? Décidément il se sentait bien perdu. -Soit très bien, tu vas donc manger avec moi et durant le repas je t’expliquerai un peu mieux ta situation et ta place. Le grand homme claqua une nouvelle fois dans ses mains et une femme arriva près de lui. Il lui adressa quelques mots dans cette langue aussi rugueuse que chantante puis elle partit, revenant peu après avec des plats qu’elle disposa sur une autre table basse un peu plus loin sous la tente, entourée d’un grand nombre de coussins et tapis. Visiblement ils faisaient tout au sol ici : écrire, travailler, soigner, manger. Il allait devoir regarder attentivement son maître pour deviner comment se comporter à peu près correctement à table. Kasim se leva et prenant l’enfant par l’épaule l’amena avec lui à l’autre table, le faisant asseoir une fois de plus face à lui. D’un geste il lui proposa à boire, et sans avoir aucune idée de ce que ce fut Luun accepta. Il porta le verre joliment ouvragé à ses lèvres après l’avoir un peu détaillé, et goûta. C’était chaud, amer et âcre à la première goulée. Il eut du mal à ne pas grimacer sous l’effet de cette nouvelle saveur. Son maître commençait à goûter aux plats, qui étrangement étaient communs, et sans assiette personnelle, ils se servaient à la main dedans. Luun finit par agir de même à force qu’il l’invite à le faire, par la parole et les gestes. Après quelques bouchées il commença à parler, entre quelques goulées de boisson ou poignées de nourriture. -Alors mon garçon, tu es ici sous la protection d’un de nos….chefs de clan. Dans le désert il existe ainsi de nombreuses familles, et toutes ont un chef. Et le nôtre souhaite mieux connaitre votre civilisation et peuple, pour…plus aisément pouvoir commercer avec ceux comme toi qui viennent d’Europe. C’est pourquoi tu es là. Tu seras amené à lui très certainement, d’ici quelques jours et tu devras répondre aux questions qu’il te posera. Luun ne put s’empêcher d’ouvrir la bouche : comment un jeune garçon comme lui pouvait connaître ces choses là se demandait-il ? Comment pourrait-il combler les attentes de cet homme ? -Mais Monsieur, je…je ne suis pas certain de savoir ce qu’il recherche, et de pouvoir répondre à ses questions. Kasim eut un sourire sombre, un peu forcé, avant de répondre : -Alors mon garçon, il va te falloir prier Allah d’être miséricordieux avec toi, et de faire en sorte qu’il te laisse la vie sauve. Cette nouvelle ramena Luun au milieu de ses cauchemars, ramenant ses espoirs au néant, le rendant de nouveau à de sombres idées. Il avait cru un court instant pouvoir s’en sortir, mais au vu de ce dont on attendait de lui, et qu’il se sentait fort incapable de réaliser cela ne lui laissait guère plus de place à l’optimisme. Le repas continua, sans bruit désormais, chacun mangeant sa part, Luun mangeant par automatisme et fort peu. A la fin, Kasim appela une femme qui tapota l’épaule de l’enfant et l’emmena dans une petite tente non loin, avec presque rien dedans sinon un lit fait de tapis et sortes de tentures épaisses avec un ou deux coussins. Sa chambre comprit-il, sa prison se dit-il. Les jours suivant furent monotones pour le jeune français, on l’assigna à quelques tâches simples et longues, l’occupant ainsi, surveillé constamment par un homme quoique le désert fusse certainement plus décourageant comme sécurité que les murs des prisons qu’il connaissait. Puis la caravane reprit la route, s’enfonçant dans le désert, l’emmenant loin des côtes, le perdant au milieu des dunes qui toutes se ressemblaient. Au bout d’une semaine ils arrivèrent à une ville, entourée d’un haut mur clair, comportant quelques tours au dôme rayonnant. Quelque part en lui la curiosité s’anima et raviva son regard, même s’il restait abattu et désespéré. Lorsqu’ils pénétrèrent l’enceinte, un homme dut le pousser pour le forcer à avancer : il ouvrait de grands yeux sur tout ce qu’il voyait, leur architecture l’époustouflant, tellement différente de celle qu’il connaissait. Il y avait des étals, des coursives presque sombres malgré l’éclatant soleil dominant tout l’horizon, des fontaines, des arbres… Il ne s’attendait pas à autant de diversité de l’extérieur de la ville quand il ne voyait encore qu’un mur circulaire uniforme. Un peu en fait comme la différence entre l’extérieur et l’intérieur de leurs tentes : ils n’affichaient rien aux étrangers ou visiteurs, mais une fois entré chez eux l’on découvrait un luxe de trésors et richesses. La caravane s’avança ainsi dans la ville un moment, avant de s’arrêter devant un bâtiment qui dominait la ville entière, par la hauteur de sa tour et sa magnificence : un petit palais. Rien à voir avec les châteaux des comtes de son pays, guerriers et lourds pour la plupart. Non ce palais était une énorme maison, ni plus ni moins, fait pour abriter une famille riche et au pouvoir, possédant en ses murs tout ce dont le seigneur pouvait avoir besoin ou envie. Luun dut aider à débarrasser les animaux de bât, amenant l’un après l’autre les paquets qui contenaient tout ce qu’ils avaient emmené pour ce déplacement nomade. Il n’était plus surveillé, désormais ici seul étranger dans une ville où il ne pouvait passer inaperçu, il comprit vite que cela n’était plus la peine. Au bout d’un long moment passé à côté d’une alcôve à regarder les mouvements des uns et des autres, un jeune garçon vint le chercher et le tira par le bras avec insistance. Il passa diverses pièces pour se retrouver dans un petit boudoir, ou quelque chose d’apparenté. Il se retrouva là seul, le garçon reparti comme il était venu. Bien plus tard Kasim vint et le tint au courant de ce qu’il devait savoir. Ce boudoir serait sa chambre, les autres refusant de partager leur salle commune où les hommes dormaient avec un étranger, un infidèle comme il le lui expliqua. La religion occupait une part importante de leur vie, il avait déjà pu le remarquer mais il n’en avait pas encore pris la pleine mesure. Il lui expliqua aussi où se trouvait son bureau, afin de pouvoir venir le retrouver, lui indiquant quand il devrait s’y trouver, pour suivre un cours ou apprendre ses travaux de la journée, la position des latrines et des pièces à éviter (tel que celle où se trouvaient les femmes du chef…les ? il ne posa pas la question qui lui brûlait les lèvres mais la garda en mémoire pour peut être plus tard). Quinze jours passèrent et le garçon découvrait la vie dans ces murs, une prison dorée, ouverte qui laissait passer à beaucoup d’endroits le soleil, découvrant un ciel sans nuages, emplie d’animaux et de femmes, d’odeurs appétissantes et d’œuvres d’art. On le laissait tranquille, même si les regards étaient bien souvent noirs et antipathiques. Kasim lui apprit quelques mots de leur langue, juste de quoi dire les politesses en réalité, prévoyant sa prochaine rencontre avec leur « chef ». Il en apprit un peu plus aussi sur leurs coutumes, parfois déconcertantes par rapport aux siennes, les bases de leur religion, qui par certains côtés ressemblait à celle du Christ pour ce qu’il en savait, car son père ne l’avait pas élevé dans cette croyance, il avait appris en cachette le druidisme, suivant les vieilles croyances bretonnes, refusant la suprématie envahissante du christianisme embrasant peu à peu toute l’Europe. Les bretons étaient attachés à leurs valeurs et coutumes, et son père les lui avaient inculquées du mieux qu’il put. Les hommes d’ici par moment lui laissaient entendre que leurs coutumes étaient plus proches des siennes que celles des italiens, mais c’était en réalité fort rare, quelques visions du monde, guère plus, pas leur dogme ni préceptes. Il comprenait un peu mieux ce qui l’entourait, ce monde nouveau qui de moins en moins lui paraissait effrayant et dérangeant. Pendant ces jours là, il apprit aussi à reconnaître certaines personnes, un garçon en particulier, qui semblait avoir le même âge que lui. Sans se parler ils en arrivèrent un jour à se sourire, après une étourderie réalisé par l’un et surpris par l’autre. Après cela dès qu’ils se croisaient ils se faisaient un signe, et ils finirent même par courir ensemble une ou deux fois, semant la zizanie en dérangeant les servants qui portaient plateaux ou objets. Mais le jour qu’il craignait approchait, et un matin Kasim vint le réveiller tôt, lui faisant amener de quoi se laver très proprement et des habits d’une facture bien meilleure que ceux qu’il portait d’accoutumée. Il comprit, et c’est sans guère de volonté qu’il fit ce que l’on attendait de lui. Propre et apprêté il fut conduit à une grande salle ronde, la plus riche qu’il ait vu jusqu’ici, avec des marbrures et des dorures, des fresques sur les murs et des tapis immenses. Un homme plutôt gras était assis au milieu de coussins, quatre femmes autour de lui. Kasim vint se placer à côté de lui et présenta l’enfant avant de s’asseoir. Le gros homme le détailla de la tête au pied, son visage boursoufflé peu amène. Quand il parla dans sa langue Luun eut l’impression qu’on lui crachait au visage, et il eut un mouvement de recul réflexe qu’il ne put contenir. Kasim s’occupa de la traduction, sa voix impartiale, moins chaleureuse que lorsqu’ils étaient ensemble seul à seul. -Combien d’heures de chameau faut-il pour parcourir de long en large ton pays ? Luun regarda Kasim la bouche ouverte un instant avant de voir l’œil noir du chef posé sur lui et de réussir à reprendre une position plus correcte. -Je n’en ai aucune idée, nous n’avons pas de chameau chez nous. Kasim traduisit et le chef devint encore plus sombre. - Combien de fois priez-vous par jour ? -Je …une fois je crois, ou deux pour les nobles qui peuvent se permettre d’assister à chacune des messes. Une nouvelle fois sa réponse ne parut pas enchanter l’homme à la carrure plus large que haute, impressionnante en tout cas. - Que mangez-vous ? -Du pain, des pommes de terre, de temps en temps du saucisson ou du lard, quand nous avons un peu plus d’argent, du porc et du vin aussi. Kasim le regarda d’une étrange manière, choqué à ce qu’il en comprit, et traduisit sans regarder son chef, d’une voix faible et hésitante. C’est alors qu’il se mit à vociférer de toute la for ce de sa voix amplifiée par son imposante bedaine, hurlant presque, s’agitant beaucoup…mais sans que l’enfant ne comprit rien. Les femmes baissaient le visage et serraient les dents, les gardes se cramponnaient à leurs armes, et lui lançaient des éclairs en le regardant. Quelque chose n’allait pas il le vit bien. A la fin on l’arracha du sol par un bras et un garde l’emmena à son boudoir, le jetant sur son matelas de tapis, et lui cracha dessus tout en lui disant des mots qui ne devaient rien avoir d’agréables à comprendre. Il se prit même un coup de botte entre les côtes et quelques coups de poing sur le visage. L’homme finit par partir, semblant tout de même avoir peur d’abaisser encore son poing sur lui, peut être de peur de le tuer, il n’en sut rien. Ce qu’il comprit c’est qu’il avait fauté, et qu’il risquait sa vie sur une simple réponse. Luun pleura alors, se recroquevillant sur lui-même, tressautant sous la force de ses sanglots, laissant le sang couler de sa lèvre éclatée par le garde jusqu’à ses habits et finissant sur les tapis sans même y songer. Il avait peur et souhaitait de tout son être se réveiller de ce cauchemar se retrouver chez son père en sécurité près de la forge, loin de ces barbares, prêt s’il le fallait à risquer le courroux du comte de son pays. Mais il était là, esclave de cet homme qui le haïssait, incapable de comprendre pourquoi, se croyant déjà mort. On le laissa là, seul sans lui amener de repas, toute la journée. La nuit passa, difficilement, le sommeil se refusant à lui avant que la fatigue finisse par triompher et l’emmener dans les limbes sans rêve sans réconfort, sans même réellement de repos. Kasim le réveilla au matin, d’un coup sec en le secouant du pied. -Habille toi autrement et lave toi le visage, vite. Il avait été sec, comme jamais il ne l’avait été jusque ici, lui jetant un linge au visage, et lâchant un seau au sol qui gicla alentour sous le choc. Puis il partit, retournant dehors le temps que l’enfant obéisse à ses ordres, ce qui sous le coup de la peur ne prit pas plus d’une minute. Arrivé dehors Kasim lui ordonna de le suivre et se mit à marcher à grands pas à travers le bâtiment, l’amenant à un grand jardin. Là se trouvait le garçon avec qui il avait joué déjà une fois, mais ce matin Luun n’osa pas lui sourire, attendant qu’on lui explique ce qu’il venait faire ici. -Je te présente Abdoul, le fils de notre vénéré chef. Il a parlé à son père et a réussi à obtenir que tu deviennes son page. Tu vas le servir et lui apprendre ce que tu sais de chez toi, si tant est que tu saches quoi que ce soit d’utile, compris ? Il regardait le petit français sans une once de bonté ou de chaleur, presque violemment. L’enfant ne put qu’acquiescer en déglutissant, reculant d’un pas lorsque le grand homme se pencha vers lui. -Une bêtise et c’est moi qui te tranche la tête vu ? -Oooo…oui maître. - Tais-toi vaurien ! C’est lui ton maître, pas moi. -Oui, mais…mais comment vais-je pouvoir lui parler ? Je ne connais pas votre langue moi. - Débrouille-toi ! Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi, c’est clair ? Luun ne put qu’acquiescer une fois de plus, et il s’en alla, écrasant de son talon le dallage qui couvrait le pourtour des murs donnant sur le jardin. Le garçon put alors se retourner et regarder l’enfant à qui il devait la vie. Si cela durait, car un faux pas et c’en était fini de lui. Et sans pouvoir se faire comprendre de lui, comment pourrait-il réaliser ce qu’on lui demandait ? Luun soupira et une larme s’échappa de son œil gauche. Il ferma les yeux, apeuré une fois de plus et démuni, quand une main se posa sur son épaule et la pressa. Il rouvrit alors les yeux et leva le visage : c’était le garçon arabe. Il lui souriait et l’inondait de sa chaleur. Il était si imposant, sûr de lui, Luun avait du mal à croire qu’ils avaient le même âge, encore plus qu’il puisse lui sourire. Mais quand il rabaissa son visage l’enfant le lui prit dans la main et le força à le regarder, plongeant ses yeux noirs dans les siens, et lui souriant à nouveau, semblant lui dire à sa manière que tout allait bien. Pouvait-il le croire ? Pouvait-il croire pouvoir s’en sortir, trouver un moyen de survivre ?
Sombre ermite
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Posté le 09/04/2008 à 17:20:52 

Un nouveau compagnon Les quelques mois qui suivirent furent fatiguant pour Luun. Une bonne partie de la journée consistait à apprendre cette étrange langue, ce qui n’avait rien d’aisé. Au début cela commença simplement, avec des mots de tous les jours, comme l’eau, le ciel, toutes ces choses qu’on inculque à un jeune enfant en vérité. Le petit français vivait assez mal cette dégénérescence, mais heureusement le reste de la journée lui permettait de se trouver moins ridicule. Bien souvent il ne faisait pas grand-chose, aidant son jeune maître à s’habiller, à porter des affaires ou même juste attendre tandis que celui-ci suivait un cours avec l’un de ses maîtres particuliers. Il évitait soigneusement d’être présent à ceux de Kasim, ne supportant pas le poids de son regard, ou plutôt l’absence de tout regard ou considération. A ses yeux il n’existait plus, il le voyait bien. Pendant ces heures là il apprenait alors d’autres choses, comme préparer de quoi désaltérer son maître, une sorte de boisson sombre et amère, visiblement un type de thé, différent de ceux qu’il avait vu apportés par les commerçants anglais. Mais les moments qu’il préférait, étaient ceux passés à l’extérieur du palais, lorsqu’ils sortaient dans le désert pour aller voir Khaled, le maître fauconnier. Il avait des oiseaux d’une beauté saisissante, avec de longues plumes brillantes sous les caresses du soleil, des yeux acérés qui pouvaient faire naître une peur instantanément dans les esprits de qui les regardaient, un bec crochu qui ne faisait qu’une bouchée des petites proies offertes ou capturées, et surtout des serres puissantes, capable de tuer un animal cinq fois plus gros qu’eux. Ces animaux étaient vraiment particuliers pour ces hommes du sable, royaux même. Cela, Luun l’avait bien compris. Et les rares hommes qui en étaient maîtres étaient grandement respectés, craints peut être même. Le petit français faisait toujours attention à montrer de grandes marques de respect en sa présence. Mais il ne pouvait s’empêcher de relever les yeux pour observer les volatiles, ses rétines vibrant de plaisir à chaque fois que ces séances arrivaient. Abdoul finit par s’en rendre compte et charia son page lorsqu’ils furent à nouveau tous deux. Piqué au vif, celui-ci ne put se retenir de pousser son maître, qui n’attendant que cela, l’attrapa et le fit tomber avec lui, roulant dans les dunes de sable, se battant gentiment. Ils avaient ce jeu depuis quelques temps, un rituel presque. Au retour d’une sortie dehors, ils se battaient, puis c’était à qui arriverait le premier dans les murs de la ville et enfin dans les appartements du maître. Tout cela sans se faire attraper par les gardes ou servants, et donc sans se faire repérer. Un jeu simple, mais qui aiguisait leur sens de la furtivité, leur agilité, ainsi que leur endurance à la course et leur vitesse. Courir dans le sable n’avait rien d’aisé, et petit à petit ces jeux offrirent au jeune garçon une musculature mieux développée. Il grandissait. Petit à petit le français était accepté. Il aidait les servants au service de leur prince du mieux qu’il pouvait, il se rendait utile dès qu’une occasion lui était offerte et il les surprenait en pouvant désormais parler leur langue, sommairement certes mais tout de même c’était là déjà beaucoup en si peu de temps. Il pouvait aussi maintenant saisir partiellement les discussions autour de lui. Un matin Abdoul le fit mander dans sa chambre, tandis qu’il s’habillait. Luun attendit, regardant une fois de plus les gravures sur le bois sombre de ses meubles personnels, des histoires de son peuple, des mythes et légendes, qui fondaient leur vision du monde. Sur une de tables basses il y avait des habits bleu pliés qui attendaient, un ensemble d’habits touareg. Le petit français pensait devoir aider son maître à s’habiller mais celui-ci apparut quelques secondes plus tard, déjà mis, et lui posa une étrange question : -Tu ne t’habilles pas ? Le plus étrange dans tout cela, c’est qu’il montrait ces beaux habits tout en posant la question. Voyant qu’il ne réagissait pas, Abdoul vint prendre le haut de l’ensemble et le tint devant Luun, jugeant de la coupe. -Il devrait t’aller parfaitement, allez déshabille toi et enfile ces nouveaux linges. Le jeune garçon avait les yeux tremblants de plaisir, ces habits étaient un véritable cadeau. Cela le montrerait comme un des leurs, non plus un simple page miséreux et esclave. Il était accepté. Le garçon commença à se changer, ne pouvant se retenir à un moment de laisser s’échapper une larme, qu’il s’empressa d’essuyer sur sa main. Une fois changé, Abdoul le fit venir devant un grand miroir pour qu’il se voit. Il ne se reconnaissait pas. Sa peau était devenue plus mate, à force d’exposition au soleil, ses yeux clairs en ressortaient d’autant plus. Son visage avait changé un peu aussi, et ses cheveux bien poussés. Il était obligé de les attacher désormais pour ne pas être gêné, et de les coiffer une à deux fois par jour. -Allez viens sortons ! Le maître fauconnier n’aime pas attendre. Les deux garçons se mirent en marche, traversant au pas les salles du palais, ses jardins et ses places, et régulièrement Luun sentait des regards se poser sur lui. Il n’osait pas tourner le visage pour voir d’où ils venaient et tenter de comprendre ce que cela signifiait, mais son maître le fit pour lui. -Je crois que tu fais sensation avec tes nouveaux habits. Et il se mit à rire, content de l’effet réalisé. Son rire était chaleureux et contagieux. Rapidement le français ne put s’empêcher de l’accompagner dans son rire, ce qui leur valut encore plus de regards, mais cette fois il n’en avait cure. Mais cette journée semblait être celle des surprises, et une nouvelle lui était réservée en arrivant chez Khaled. Quand il vint donner son gant au prince, le vieil homme lui en tendit un aussi. Luun le regarda avec de grands yeux ébahis, mais le fauconnier ne parla pas. Il tendait le gant, attendant. Abdoul lui fit un signe de la tête pour l’encourager à le prendre, et c’est avec force tremblements que Luun tendit ses mains pour attraper le gant. Dès que cela fut fait Khaled tourna les pieds et alla vers ses oiseaux. Abdel le suivit et prit le sien sur son bras, tandis que Khaled en choisissait un pour son page, et le lui apporta. Luun avait bien suivi les précédentes leçons de l’homme et savait comment prendre le volatile. Mais ce à quoi il ne s’attendait pas était son poids : le tenir sur son avant bras n’était pas aisé, surtout que cela durait. Khaled commença à prendre la parole, leur rabâchant des leçons qu’ils avaient déjà entendu des dizaines de fois. Puis il leur permit de faire s’envoler les oiseaux, tour à tour. Le prince connaissait déjà bien son faucon et réussit sans mal à le faire revenir à lui. Luun eut plus de mal avec celui qu’on lui avait donné, mais il finit tout de même par réussir et le fauconnier sembla en être content. De ce jour le français apprit à s’occuper des faucons, comment les nourrir, les nettoyer, les entraîner. Et quand il fut prêt… -Garçon, c’en est fini de travailler avec l’un de mes oiseaux. Tu vas devoir aller chasser le tien, et l’apprivoiser. Khaled l’avait convoqué seul, et il n’avait pas compris pourquoi. Mais il fut encore plus étonné de ce que le maître fauconnier lui révéla alors. Avoir son propre faucon ? C’était une marque honorifique. Probablement était ce grâce à Abdoul qui appréciait son page et faisait tout pour qu’il soit accepté parmi les siens. En tout cas il comprenait l’honneur qui lui était fait et comptait bien rendre cet honneur à son maître en réussissant cette tâche. Le jeune garçon releva les yeux vers le fauconnier. Un regard empli de conviction et de résolution. -Je suis prêt maître. -Bien, prépare tes affaires nous partons immédiatement. -Abdoul ne vient-il pas maître ? -Non, notre voyage va durer plusieurs jours et il a à faire ici. Allez dépêche toi ! Luun ne se le fit pas dire deux fois et alla faire son paquetage, replaça correctement la capuche de ses habits, vérifia l’état de ses gourdes, et enfin rejoint Khaled. Ils partirent aussitôt en direction des montagnes. Elles étaient visibles d’ici, mais l’enfant depuis le temps s’était habitué au désert et savait qu’elles étaient bien plus loin qu’il ne semblait. Et de fait il leur fallut bien quatre jours pour arriver aux pieds de la chaîne montagneuse. Une roche bien différente de celle de son pays, entre ocres et rouges, veinée ici et là de légères traces de blanc. La pierre exposée au puissant soleil était brûlante et il devait faire attention à où il mettait les mains sous peine de se blesser. Ils avançaient en silence, Khaled lui ayant expliqué sur le chemin ce qu’il devait savoir, et restant désormais à plusieurs pas derrière le français, regardant sa progression et le laissant seul faire ses preuves. Mais cela Luun n’y pensait pas. Il était concentré sur ses gestes, sur son environnement, tous les sons qu’il pouvait entendre, les mouvements qu’il pouvait percevoir. Il y avait deux jours il avait cru voir au loin un faucon voler. Il devait donc y avoir ici quelque part un nid. Il devait préférer choisir un mâle à une femelle lui avait dit le maître, plus facile à attraper et apprivoiser. Et éviter s’approcher des oisillons. Le garçon ne savait pas comment il réussirait à attraper un de ces oiseaux, mais pour l’instant il ne s’occupait pas de cela : il fallait déjà les trouver avant de songer à les attraper. Et cela lui prit un moment avant de trouver des traces de vie des faucons. Entre deux roches il trouva des déjections caractéristiques, cela lui redonna quelque courage et il se remit à gravir la roche. Il commençait à être assez haut, le soleil lui descendait au loin. Bientôt la nuit serait là. Il choisit de se reposer là, et d’observer. Si la nuit tombait les faucons devraient revenir de leur chasse pour aller dormir dans leur nid, et il pourrait donc suivre leurs déplacements pour en déduire où il se trouvait. Il se posa donc dans un creux et en profita pour boire un peu. Khaled le rejoignit et il dut lui faire part de ses découvertes et de ce qu’il comptait faire. Le vieil homme acquiesça à ses dires, il devait avoir fait un bon choix mais cela ne le fit pas se sentir fier ou content, il était trop pris par sa traque pour penser à autre chose. La nuit tomba et aucun signe de faucon dans le ciel. Cela commençait à l’intriguer. Finalement ils s’endormirent sans avoir vu ou entendu quelconque signe de vie de leurs proies. Au matin le jeune français se réveilla tôt, avant même que la lumière ne soit redevenue claire. Quelque chose l’avait réveillé mais il ne savait pas quoi. Eveillé il choisit d’en profiter pour reprendre ses recherches. Il gravit à nouveau la roche, surveillant les alentours aussi bien visuellement qu’auditivement. Et à plusieurs reprises il se sentit appelé par quelque chose, sans réussir encore à comprendre ce qui était la cause de cela. Mais bientôt il fut en un endroit où cela devint clair. Le vent s’était levé et lui avait amené un son bien audible : un piaillement d’oisillon. Il semblait pleurer et demander à manger. Luun avança prudemment, surveillant avec encore plus d’ardeur le ciel comme la roche. Il se rapprochait de la source des cris désespérés, mais ne voyait toujours pas signe de ses parents. Cela l’intriguait. Ils auraient déjà du le voir venir et se jeter vers lui pour protéger leur descendance. Quelques minutes plus tard il arriva enfin au nid. Dedans il y avait deux oisillons, l’un mort, l’autre bien mal en point. Au vu de son état et de celui du nid le garçon en déduisit que pas un seul des parents n’était venu depuis au moins deux jours. Sans même penser à ce que son maître avait puis lui dire en venant, il s’approcha du nid et sortit une souris de sa poche. Il en arracha un morceau de chair et le mastiqua dans sa bouche un instant, avant de le tendre lentement à l’oisillon. Il renifla une ou deux fois la viande puis se jeta dessus. Il n’avait pu chercher à s échapper, trop affaibli, et jetait ses dernières forces dans ses mâchoires pour réussir à avaler ce qu’on lui offrait. Cela prit un bon moment, mais Luun réussit à lui faire manger une part suffisante. Il sortit ensuite sa gourde et mit un peu d’eau dans le bouchon, avant d’y tromper son doigt et faire tomber des gouttes d’eau depuis celui-ci au dessus du gosier ouvert de l’oisillon. Il n’était pas capable de dire son âge, mais il se rendait compte qu’il était très jeune, et qu’il n’avait plus aucune chance de vivre, seul. Il resta donc encore quelques temps à côté de l’oisillon, jusqu’à se faire accepter de lui suffisamment pour pouvoir le prendre dans ses mains. Avec extrême douceur il le mit dans une poche sur son buste, faisant attention à ne pas froisser ses plumes encore fragiles, puis il redescendit la montagne, allant retrouver le vieil homme. Celui-ci s’était éveillé et l’attendait, mais ne sembla guère réjoui d’entendre l’oisillon. -Qu’as-tu fait sombre idiot ? -Attendez maître ! Laissez-moi m’expliquer. -Il faut le tuer avant que ses parents ne le fassent. Donne le moi ! -Non ! Et de toute façon il n’a plus de parents. L’autre oisillon est déjà mort par manque de nourriture et celui là est à deux doigts de suivre le même chemin. Sauf si je m’en charge, et j’y compte bien. -De quel droit dis tu cela ? As-tu oublié que c’est moi qui décide ! -Seul Allah décide de qui doit vivre ou mourir. Et il m’a mis sur la route de cet oisillon. Ce n’est certainement pas pour le laisser là. Mektoub ! Le fauconnier sembla rougir et dut se contenir pour ne pas gifler le garçon, mais ses derniers mots semblèrent le toucher profondément. Peut être avait il trouvé les mots justes, peut être même avait il dit une vérité. En tout cas le vieil homme semblait y réfléchir. -Très bien, mais tu t’en occuperas seul. Ne t’attends pas à mon aide pour lui trouver de quoi nourrir et encore moins pour lui donner la béquée ! -Merci maître. -Tais toi et marche. Il nous faut rentrer au palais. Et ils reprirent la marche, en silence, l’un grognant dans sa barbe, cherchant comment faire passer cela auprès de leur maître à tous, l’autre souriant, sentant la petite boule de plumes contre sa poitrine qui s’était endormi. Pendant le trajet il réfléchit à un nom pour son nouveau compagnon. Il eut du mal à trouver mais finit par s’arrêter sur un dont il était content. Il regarda l’oisillon et lui caressa le crâne tout en lui chuchotant : -Tu te nommeras Zéphir. L’oisillon agita doucement ses ailes, comme si dans son sommeil il avait entendu le message de son compagnon. L’enfant eut un sourire et mit encore plus de coeur dans sa marche, rattrapant Khaled et le dépassant même. Il se sentait moins seul ici maintenant, il avait un ami comme lui, un étranger dans ce palais touareg. Il n’était plus seul et cela le réjouissait.
Sombre ermite
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Posté le 19/05/2008 à 11:47:37 

Le coût de la vie Cela faisait maintenant un an que Luun était esclave. En un an il avait énormément changé. Il avait appris une nouvelle langue, dont il était encore loin de maîtriser les nuances, trouvé un nouveau compagnon et ami dans son faucon et s’habituait à un tout autre style de vie. Les hommes bleus du désert étaient un peuple fier et respectueux, basé sur de très anciennes croyances qu’ils perpétuaient dans chacun de leurs actes, chaque seconde des journées qu’ils vivaient. D’Abdoul il apprenait, plus ou moins consciemment, une grande part de ce savoir, de cette histoire. Et de son côté il lui apprenait comment était la vie en Europe, il parlait des inventions qu’il connaissait, de théories farfelues dont il avait pu avoir vent comme celle d’un français qui voulait voler avec un engin de sa création. De plus il continuait à pratiquer la forge, apprenant les techniques d’ici, parfois assez différentes des siennes, leurs besoins étant autres. Et s’il n’était rien d’autre qu’un esclave et étranger, il parvenait tout de même à obtenir un certain égard de la part de plusieurs des hommes du sultan. Mais la paix n’était pas une chose que ces hommes aimaient à conserver. La guerre et le voyage étaient des manières de vivre pour ces hommes. Ils restaient rarement plus d’un mois dans le même lieu, hormis lors de rares évènements et passages à la ville du père d’Abdoul, seul lieu où des bâtiments en dur avaient été construits par cette tribu. Et si jusque là Luun ne s’était pas trouvé au milieu d’une guerre, en cet hiver 1697, celle-ci le trouva. Comme toujours il suivait son jeune maître dans ses déplacements et avec un groupe assez important ils étaient en train de faire un tour des divers points d’eau qu’ils possédaient aux frontières de leur territoire. Un travail important car il fallait entretenir les puits sous peine de ne plus avoir d’eau. Et pour les bédouins, l’eau était synonyme de vie plus que pour n’importe qui. Ils s’étaient donc arrêtés dans un de ces petits îlots de verdure perdus au milieu des dunes. Leurs tentes étaient montées, une dizaine en tout, et la nuit semblait calme et propice aux discussions. Assis autour d’un feu, les deux enfants écoutaient un vieil homme raconter une légende du Sahara. L’homme avait la peau profondément marquée par une vie passée sous un soleil de plomb, et par de nombreuses batailles, mais il en imposait d’autant plus le respect, et dans tout le camp, on n’entendait guère que sa voix, à quelques chuchotements près. Les dattes et le thé vert circulaient pour ceux qui profitaient d’une dernière histoire, les autres, dont Abdoul faisait parti, s’étaient déjà couchés. Les seuls hommes encore debout étaient deux gardes qui faisaient une ronde de routine. Luun était face au vieux conteur, il avalait ses histoires, tentant de les apprendre alors même qu’ils les entendaient pour la première fois. Mais celle qui était alors contée, il n’en entendit jamais la fin. Un homme venu de nulle part était passé derrière le conteur et lui trancha la gorge sous ses yeux. Abasourdi le jeune homme ne trouva pas l’air pour crier. Son regard fut attiré vers sa gauche où une autre couleur pourpre se dessinait : l’un des gardes de ronde venait de se faire tuer. L’autre devait avoir subi le même sort. Se disant cela l’adrénaline fit son chemin dans ses muscles et il se leva d’un bond, cherchant à s’enfuir. Il courut à travers le camp, sautant au dessus de sacs laissés au sol, se courbant pour passer sous des fils tendus entre deux dattiers où du linge était accroché, quand une chose dure vient violemment lui percuter le crâne. Il se retrouva projeté au sol, le monde autour de lui vibrant étrangement, ses oreilles bourdonnant. Il voyait les combats se dérouler autour de lui, les bédouins enfin réveillés. Des lames s’entrechoquaient, d’autres s’enfonçaient impitoyablement dans les chairs, découpant et déchirant, faisant rougir le sable ; des bouches s’ouvraient, pour parler ou crier, mais lui n’entendait rien. Il assistait à un effrayant spectacle et ne pouvait rien faire, paralysé par le choc. Tout à coup il se sentit plus léger. Il dut fournir un grand effort pour tourner un peu la tête et découvrir qu’un homme l’avait pris et le tenait sous son aisselle. Il fut transporté vers un chameau et jeté en travers de l’animal. Quand l’homme remarqua ses yeux ouverts, il vit son large poing se diriger vers lui, et sombra dans l’inconscience, assommé.
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Posté le 19/05/2008 à 11:53:18 

Luun se réveilla bien plus tard, la tête sonnant encore, le sang lui battant aux tempes, la bouche sèche et les membres durs. Y allant doucement de peur d’avoir quelque chose de brisé, il bougea un peu et se rendit compte des liens qui le bloquaient. Clignant des yeux et secouant un peu la tête pour s’éveiller tout à fait, il regarda autour de lui : il se trouvait dans une petite pièce sans fenêtre, la seule lumière provenant d’une ouverture grillagée dans la porte. Ses yeux s’habituant à la faible luminosité, il finit par apercevoir une autre silhouette non loin, elle aussi entravée. Rampant sur le sol il s’en approcha. C’était son jeune maître. -Abdoul ! Abdoul ! L’enfant lui donnait des coups de tête pour le forcer à se réveiller, maudissant les liens qui lui maintenaient les mains dans le dos, incapable ainsi de vérifier l’état de santé du prince touareg. Avec soulagement, celui-ci finit par parler. -Jean ? Jean c’est bien toi ? -Oui maître, je suis là. Allez-vous bien ? Ne vous ont-ils point maltraité ? -Je… non, non ça va ne t’en fait pas. Mais, et toi ? -Une belle bosse sur le crâne je crois, voilà tout ce dont je peux me plaindre. Rien de grave voyezvous. -Bien. Bien. -Maître, excusez ma curiosité, mais … savez-vous qui sont ces hommes et ce qu’ils nous veulent ? Le bédouin se tordit dans tous les sens, jusqu’à réussir à s’asseoir et faire face à son dévoué esclave. Il passa sa langue sur ses lèvres et déglutit avant de répondre. -J’en ai bien peur. Ce sont les hommes de mon oncle. Un homme mauvais, traitant sans respect avec les étrangers, réalisant de nombreux crimes et développant la contrebande sur nos côtes. Il a toujours été jaloux de mon père, son aîné, qui selon lui n’aurait jamais du hérité de leur père. Il le traite d’incapable, de moins que rien. Aujourd’hui, fort de son or et de ses méfaits, il a réussi à se faire rejoindre par suffisamment d’hommes pour faire peur à mon père et s’enhardir au point à vouloir lui prendre ses terres. -Mais pourquoi nous faire prisonniers ? -Je suppose qu’il veut rançonner mon père. Ma vie contre des terres, des chameaux et du lait. Ou quelque chose approchant. -Que… que va-t-on faire ? -Mon père ne pourra jamais accepter ce chantage, sinon il perdra la face et ne sera plus respecté. Il sera obligé de nous laisser aux mains de nos tortionnaires. -Et… et que feront-ils quand ils comprendront que nous leur sommes inutiles ? -Ils nous tueront, très certainement.
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Posté le 19/05/2008 à 11:54:25 

(double post)
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Posté le 19/05/2008 à 11:54:59 

Luun se réveilla bien plus tard, la tête sonnant encore, le sang lui battant aux tempes, la bouche sèche et les membres durs. Y allant doucement de peur d’avoir quelque chose de brisé, il bougea un peu et se rendit compte des liens qui le bloquaient. Clignant des yeux et secouant un peu la tête pour s’éveiller tout à fait, il regarda autour de lui : il se trouvait dans une petite pièce sans fenêtre, la seule lumière provenant d’une ouverture grillagée dans la porte. Ses yeux s’habituant à la faible luminosité, il finit par apercevoir une autre silhouette non loin, elle aussi entravée. Rampant sur le sol il s’en approcha. C’était son jeune maître. -Abdoul ! Abdoul ! L’enfant lui donnait des coups de tête pour le forcer à se réveiller, maudissant les liens qui lui maintenaient les mains dans le dos, incapable ainsi de vérifier l’état de santé du prince touareg. Avec soulagement, celui-ci finit par parler. -Jean ? Jean c’est bien toi ? -Oui maître, je suis là. Allez-vous bien ? Ne vous ont-ils point maltraité ? -Je… non, non ça va ne t’en fait pas. Mais, et toi ? -Une belle bosse sur le crâne je crois, voilà tout ce dont je peux me plaindre. Rien de grave voyezvous. -Bien. Bien. -Maître, excusez ma curiosité, mais … savez-vous qui sont ces hommes et ce qu’ils nous veulent ? Le bédouin se tordit dans tous les sens, jusqu’à réussir à s’asseoir et faire face à son dévoué esclave. Il passa sa langue sur ses lèvres et déglutit avant de répondre. -J’en ai bien peur. Ce sont les hommes de mon oncle. Un homme mauvais, traitant sans respect avec les étrangers, réalisant de nombreux crimes et développant la contrebande sur nos côtes. Il a toujours été jaloux de mon père, son aîné, qui selon lui n’aurait jamais du hérité de leur père. Il le traite d’incapable, de moins que rien. Aujourd’hui, fort de son or et de ses méfaits, il a réussi à se faire rejoindre par suffisamment d’hommes pour faire peur à mon père et s’enhardir au point à vouloir lui prendre ses terres. -Mais pourquoi nous faire prisonniers ? -Je suppose qu’il veut rançonner mon père. Ma vie contre des terres, des chameaux et du lait. Ou quelque chose approchant. -Que… que va-t-on faire ? -Mon père ne pourra jamais accepter ce chantage, sinon il perdra la face et ne sera plus respecté. Il sera obligé de nous laisser aux mains de nos tortionnaires. -Et… et que feront-ils quand ils comprendront que nous leur sommes inutiles ? -Ils nous tueront, très certainement. Luun ouvrit de grands yeux, se faisant écraser par cette nouvelle, Abdoul quant à lui se contenta de soupirer. Le jeune français se sentait abattu. Il avait échappé à la mort en devenant esclave. Allait-il la trouver en étant victime d’un rapt ? Quelque chose changea en lui. Ce n’était plus une froide lame de fond qui le submergeait et le rendait sombre. C’était désormais l’inébranlable volonté d’une froide flamme. Il voulait vivre, plus que tout il voulait vivre. Et rien ne pourrait l’en empêcher. Il se le répétait si fort, si convaincu, que cela devenait pour lui la seule vérité. Il allait s’échapper, il allait vivre. -Maître ? -Oui Jean ? -En tant que fils du sultan, n’hésiteront-ils pas un peu avant de vous tuer ? Ne vont-ils pas attendre le dernier moment avant de vous trancher la tête ? -Si, je suppose. -Combien de temps pensez-vous qu’il leur faille avant qu’ils n’en arrivent à ce point ? -Je ne sais pas. Il faut que leur message arrive jusqu’à mon père, ensuite attendre sa réponse, essayer une nouvelle fois certainement, peut-être en lui envoyant un doigt m’appartenant… Deux, trois semaines tout au plus. Mais, pourquoi me demander cela ? Sans lui répondre, et retrouvant un peu de confiance, Luun lui demanda : -Et d’ici, combien de temps faudrait-il à un homme pour rejoindre votre père, ou au moins le premier campement armé du sultan ? -Je dirais, cinq jours, s’il voyage seul sans s’arrêter, avec suffisamment d’eau. Mais je n’en suis pas sûr, je ne sais exactement où nous sommes. Et pourquoi toutes ces questions d’abord ? Jean réponds moi ! Un bruit de pas se fit entendre et les deux garçons se turent. Peu après une clef tourna et le loquet de la porte s’abaissa. Un homme venait leur apporter à manger et à boire. Sortant un couteau de sa ceinture, il leur libéra les mains avant de ressortir. Tout cela sans parler, ce qui convenait aux enfants pour le moment. Luun commença par détacher les liens à ses chevilles, puis but lentement une gorgée d’eau, avant de s’attaquer au pain de sésame et aux dattes qui constituaient son frugal repas. Mais Abdoul l’interrompit, avec un regard déterminé. -Vas-tu enfin me dire ce que tu as en tête ? Luun dut avaler avant de prendre la parole. Son regard pétillait, et repoussant ses cheveux noirs derrière son oreille il expliqua tout de son plan à son maître. -Mais tu es fou ! Ils vont t’attraper et te tuer ! -Ils ont besoin de vous et vous gardent en vie pour cela, mais moi je ne suis qu’un esclave. Je ne leur suis d’aucune utilité. Je pourrais bien mourir dès ce soir. Alors à quoi bon avoir peur qu’ils puissent m’attraper et me tuer ? Je préfère tenter de m’échapper et avoir une chance de vivre, que rester ici et laisser la mort venir me trouver. -Et comment comptes-tu faire ? Nous sommes enfermés ici, au milieu d’un camp de bandits armés et mauvais. -Et c’est bien parce que je leur parais inoffensif que j’ai une chance de passer entre les mailles de leur filet. -Tu es fou Jean. -Certes, et alors ?
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Posté le 19/05/2008 à 11:59:07 

Le temps s’égrena lentement, d’autant plus lentement que Luun bouillait d’impatience, guettant la moindre possibilité de s’échapper. Il regarda longuement par l’ouverture dans la porte, apprenant ce qu’il pouvait du lieu où ils se trouvaient. Devinant où se terrait l’oncle de son maître, la tente des gardes, le parc à chevaux, celui à chameaux, le stock d’armes. Avec chance la porte donnait sur l’intérieur de la cache des contrebandiers et il pouvait voir la majeure partie du camp. Son plan mûrissait dans sa tête, et même s’il était impatient de sortir, il réussissait à se maîtriser pour mettre toutes les chances de son côté. En fouillant dans le sol de leur cellule, il finit par trouver une pierre suffisamment grosse pour en faire une arme de fortune. Pas très solide, elle ne lui permettrait d’asséner qu’un ou deux coups. Il n’aurait qu’une chance de réussite, il en était conscient et cela mettait ses nerfs à rude épreuve. Mais son envie de vivre était plus forte que tout, même que la peur d’une mort prochaine et quasi certaine. Le calme finissait par revenir en lui, plus fort à chaque fois qu’il surmontait un de ces moments de doute et de frayeur. La nuit était tombée depuis trois heures quand une opportunité survint. Un garde approchait avec des plats dans un bras, une cruche sous l’autre. Il apportait aux prisonniers de quoi se sustenter et n’était visiblement pas sur ses gardes, plutôt bougonnant de devoir s’occuper de cette tâche ingrate. De fait, quand il ouvrit la porte et s’avança dans la pénombre de la pièce pour déposer le tout au sol, il ne vit pas Luun derrière lui, ni ses bras s’abattre de toutes ses forces sur lui, tenant entre ses mains une pierre. Le choc produisit un son mat, un bref craquement laissant échapper une note un peu plus aigüe. L’homme s’affala au sol, brisant la cruche sous lui. Sans perdre de temps Luun le retourna et prit le poignard à sa ceinture. Après un bref regard vers Abdoul, il sortit dehors, refermant la porte derrière lui, espérant ainsi retarder la découverte de sa fuite. Avec chance pour lui les contrebandiers fêtaient ce soir leur prise. Beaucoup étaient saouls, même parmi ceux sensés monter la garde. Garde qui était vraiment relâchée, se sentant protégés par le simple fait de savoir que personne ne connaissait la position de leur campement. Malgré tout, Luun resta prudent, louvoyant entre les tentes, restant le plus possible dans les zones d’ombre, traversant le plus vite possible celles éclairées par un feu ou une torche. Il se dirigeait vers les chameaux car sachant qu’il était fort loin du premier campement du sultan, il se doutait qu’un cheval ne survivrait pas à pareil voyage. De plus il ne pensait pas avoir le temps de chercher nourriture et boisson pour lui et sa monture. Un chameau lui serait donc bien plus précieux. En avançant il trouva une tente vide et se risqua à la fouiller. Il en ressortit deux minutes après avec une sacoche de datte et une sorte de graisse faite à partir de lait de chèvre dont il n’avait toujours pas compris comment on l’obtenait mais connaissait son intérêt pour le voyageur isolée et en manque de vivres. Peu après il arriva en vue de l’enclos. Un seul homme le surveillait, assis en équilibre sur la fragile barrière qui retenait prisonnières les bêtes. Celles-ci ne portaient aucun équipement et l’adolescent dut tourner un peu avant de trouver un mors et des rênes. Même s’il pouvait se passer d’une selle et se contenter d’une couverture posée sur le dos de l’animal, il savait ne pouvoir conduire le chameau sans ceci. Il avança prudemment au milieu de l’enclos et choisit le plus bel animal du groupe. Il le flatta et commença à l’harnacher tout en gardant un oeil sur le garde qui lui tournait le dos. Il savait devoir le mettre hors d’état de nuire mais n’avait pas encore choisit comment faire. L’assommer ? La première fois il avait eu de la chance avec leur geôlier, pas très en forme et déjà vieux. Mais celui-ci était plus jeune et certainement plus résistant, même si le vin qui coulait dans ses veines devait réduire ses capacités. Finissant de préparer la monture, il sut alors qu’il devrait le tuer. Sans sourciller, trop d’adrénaline le parcourant, il sortit son poignard de son fourreau sans bruit, et s’approcha accroupi près du sol du garde. L’homme n’était plus qu’à quelques centimètres, il l’entendait chanter dans sa barbe alors qu’il se relevait dans son dos avec une extrême lenteur. Son bras gauche se leva avec la même précaution, s’approchant de sa tête. L’homme leva une cruche vers sa bouche, il choisit ce moment pour agir. Déjà déséquilibré par le fait d’avoir rejeté la tête en arrière, Luun n’eut aucun mal à faire tomber l’homme au sol. Accompagnant le mouvement il se jeta sur lui, enfonçant sa lame dans la gorge de l’homme, une main sur sa bouche. Il fit remonter l’acier, jusqu’à sentir la garde toucher la mâchoire. Il savait avoir touché le cerveau de l’homme, l’avoir tué. Il vit la lueur des yeux du garde disparaître, emportée au loin en même temps que son esprit disparaissait. Il se releva alors, essuya son poignard sur la veste de l’homme, le rangea, et alla chercher le chameau. Tout c’était déroulé en silence et les animaux continuaient à dormir ou à se balancer sur leurs longues jambes bien tranquillement. Après avoir fait sortir sa monture, il hésita une seconde mais préféra refermer l’enclos plutôt que de libérer les autres. Les contrebandiers devaient apprendre au dernier moment possible qu’il s’était échappé. Il tira le chameau jusqu’à arriver à la bordure du camp et monta alors sur lui, le faisant marcher doucement tant qu’il ne se trouva pas derrière la première dune où les sons de ses sabots seraient étouffés. Puis il le lança au trot, se dirigeant avec les étoiles pour trouver son chemin. Une des choses qu’il avait apprise ici, sans véritablement s’en rendre compte. Il était parti, pour plusieurs jours de voyage, et sans avoir eu le temps de trouver de l’eau. La seule chose qu’il avait été une outre prise sur le corps de l’homme qu’il avait tué et qui contenait du vin. En repensant à cet acte, des nausées le prirent et il dut se pencher pour vomir, tandis qu’il poursuivait sa route. Une fois son ventre délesté, il se remit en position sur l’animal, cherchant une place où il pourrait rester le plus longtemps possible sans avoir trop mal et pensa à son maître. Il devait réussir. Sans lui Abdoul mourrait. Et avant cela il devait lui-même ne pas trouver la mort, et réussir à rejoindre la protection du sultan. Il ne savait pas encore comment il ferait une fois arrivé auprès de ses hommes, s’il y arrivait, ce dont il ne pouvait se permettre de douter. Mais il trouverait. Il devait réussir et n’arrêtait pas de se le répéter. Lorsque le jour arriva, trop fatigué qu’il était, il finit par s’endormir sur le dos du chameau, profitant d’une dernière lueur d’esprit pour mettre la couverture sur sa tête afin de se protéger du soleil et se laissa entraîner par la démarche chaloupée du chameau. Lente, mais immuable.
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Posté le 21/05/2008 à 12:44:31 

Luun avait fait ce qu’il avait pu pour ne pas trop sombrer dans le sommeil afin de surveiller la marche du chameau. Mais le soleil était si fort et ses forces si faibles, surtout qu’il n’avait guère que quelques dattes en guise de repas et que même en se rationnant cela ne lui dura que deux jours, qu’au début du quatrième jour il sombra dans l’inconscience, trop assommé par la température et le manque d’eau. Il dériva ainsi toute la journée, accroché par instinct de survie à sa monture, divaguant dans de sombres cauchemars, gémissant dans son sommeil agité. C’est à la tombée de la nuit que le chameau sentit un point d’eau, et n’étant plus dirigé, qu’il décida d’y mener ses sabots. Avec chance pour le garçon il s’agissait d’un oued sous le contrôle du sultan. Lorsque les hommes virent arriver le chameau, visiblement seul, avec pour seul bagage des rênes et une couverture, ils se posèrent des questions. Ce n’est qu’une fois l’animal près de leurs torches qu’ils virent la silhouette du jeune homme sous la couverture. Ils s’empressèrent de lui porter assistance et de l’emmener sous une de leur tente. Ils le réveillèrent tant bien que mal, et le firent boire doucement. Point trop car sinon il se serait encore plus déshydraté. Ils attendirent qu’il se sente mieux pour le questionner, méfiants quant aux nouvelles qu’il pouvait bien apporter. Mais jamais ils n’auraient imaginé entendre son témoignage. Et personne ne le crut d’ailleurs. Un enfant qui avait ainsi erré dans le désert, durant dieu seul sait combien de temps, ne devait plus avoir toute sa tête selon eux. Mais il fit tant de grabuge et donna tant de précisions sur la vie du prince, les hommes du sultan et leurs habitudes, qu’ils commencèrent à douter de leur jugement. A la fin, ils choisirent d’envoyer un messager rapide au palais avec le témoignage du garçon et le nom qu’il se donnait. Après tout, mieux valait passer pour idiot que risquer la vie du fils du sultan non ? En tout cas c’est ce que le chef de brigade se dit. Trois jours plus tard un grand nuage de poussière annonça l’arrivée d’un groupe important à l’oued. En vérité le sultan lui-même dirigeait ce groupe. Un groupe armé, préparé à la bataille. Une cinquantaine d’hommes, tous d’anciens combattants, aguerris et puissants. L’homme bedonnant descendit de son cheval avec difficulté et une fois sur pied commença comme d’accoutumée à jeter des regards sombres et violents un peu partout. Il hurlait qu’il voulait qu’on lui amène l’esclave de son fils devant lui. Luun avait eu le temps de se remettre de sa course folle à travers le désert, et même sans cela de toute façon il n’aurait pu faire autrement que de l’entendre. Il se présenta donc à lui, sans oublier les marques de respect qu’il lui devait. Quand le sultan vit l’état du gamin, car le Sahara marquait les voyageurs imprudents, son regard se détendit un peu, sans toutefois arriver à quelconque douceur. Il fit parler le petit français. Et au fur et à mesure de son discours ses joues se tendirent, se muscles se serrèrent. Son fils était bien captif, il ne pouvait plus en douter. Cet enfant avait beau être un esclave, jamais il n’avait été pris à mentir. Et il avait donné trop de détails sur son frère pour avoir inventé l’histoire. Il lui demanda où se trouvait le campement… et faillit exploser quand pour seule réponse il obtint un : « Je ne sais pas ». Le rouge lui monta de suite aux oreilles, mais il fut un peu calmé quand l’enfant rajouta qu’il saurait par contre y retourner. Le vieil homme arrogant avait plusieurs raisons de ne pas vouloir suivre l’enfant, encore moins l’emmener avec lui. Mais son fils restait primordial à ses yeux, malgré tous ses défauts et travers, et il n’avait d’autre solution que de faire confiance en cet étranger, cet esclave, ce moins que rien. Ils prirent donc des réserves de vivres pour le voyage et partirent de suite après avoir habillé l’enfant. Luun était anxieux. Tout le long du trajet il n’arrêta pas de se ronger sangs et ongles. Allait-il vraiment retrouver le campement ? N’avait-il pas rêvé le chemin qu’il était pourtant certain d’avoir retenu ? Et si Abdoul était déjà mort ? Ou s’ils arrivaient là-bas et qu’ils étaient plus nombreux que ce qu’il eut imaginé ? Les questions se bousculaient dans sa tête et il avait bien du mal à les chasser pour se concentrer sur le paysage. Il était le seul à monter un chameau. Celui qu’il avait volé. Il aurait pu monter dans le dos d’un cavalier, mais il avait insisté pour garder sa monture. Une part de lui espérait que l’animal serait habitué à aller au campement, et l’aiderait dans sa tâche.
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Posté le 21/05/2008 à 12:46:54 

Etait-ce pour cette raison ou simplement pour sa parfaite mémoire et son excellent sens de l’orientation ? En tout cas la nuit du quatrième jour de voyage, l’éclaireur revint vers le sultan en prévenant qu’il avait vu le campement. L’excitation gagna les guerriers. Les mains étaient toutes posées sur les pommeaux de leurs armes, les dents s’entrechoquaient, les doigts se refermaient nerveusement… La bataille et la vengeance étaient proches. Heureusement pour le sultan, qui était certainement aussi mauvais pour le combat que piètre tacticien, il avait sous ses ordres un excellent lieutenant, qui grâce aux souvenirs de l’enfant put mettre sur pied un plan d’action efficace. Les hommes seraient séparés en quatre groupes. Trois iraient s’occuper de points stratégiques tandis que le quatrième s’occuperait de délivrer le prince. Enfin quelques hommes devaient rester avec les chevaux, près à partir. Luun devait faire partie de ces derniers. Ce qui ne l’enchantait pas. Mais le sultan grogna tant et si bien qu’il prit peur et, renfonçant son menton dans son cou, il alla s’occuper des montures. Ils attendirent que la nuit soit à moitié passée pour avancer. Les gardes venaient juste d’être changés et alors que les anciens venaient de tomber dans les bras de Morphée, les nouveaux baillaient pour tenter de se réveiller complètement. Pour la plupart ils n’en eurent pas le temps, leur gorge fut tranchée avant. Ce ne fut qu’une fois les chevaux libérés et chassés à grands coups de pied, que le campement se réveilla. Déjà deux bâtiments prenaient feu, la réserve de munitions sauta alors que les combats commençaient réellement. Les hommes du sultan étaient moins nombreux, mais bénéficiaient de l’effet de surprise et de ne pas être ensommeillés comme les mercenaires. Mais cela ne dura qu’un moment et bientôt les forces s’équilibrèrent. Le combat devint plus dur, les forces s’égalisant. Luun, près des chevaux, commençait à ne plus pouvoir attendre. Il savait son maître, son ami, là-bas prisonnier et ne pouvait rester là sans rien faire. Surtout après dix minutes à entendre cris râles et chocs métalliques du haut de la dune. Echappant aux autres gardes, il se mit à courir à grandes enjambées en direction de la cellule où Abdoul était captif. Il n’eut aucun mal à arriver jusqu’à elle, mais cela ne dura pas. Devant la porte deux hommes se tenaient en garde, cimeterres sortis, prêts à en découdre avec qui viendrait tenter de libérer leur otage. Luun se jeta contre le mur et se tint calme, profitant des ombres pour avancer tout en restant hors de vue des gardes. Tout en avançant son cerveau bouillonnait, en cherchant comment se débarrasser de ces deux hommes sans y laisser sa vie. Finalement il opta pour un peu d’acrobatie. Du point de vue de la force il savait ne pas faire le poids face aux mercenaires, même si l’un d’eux était déjà suffisamment vieux pour être son grand père. Il lui fallait donc en tuer un avant que le combat ne s’engage vraiment s’il voulait avoir ses chances. Pour ce faire il monta sur le toit de la cellule, en escaladant des paniers en osier, bénissant pour une fois d’être malingre et léger comme une plume. Une fois sur le toit il s’approcha du bord en rampant, se mettant à l’aplomb des deux hommes. Il n’aurait pas deux chances. C’est en ayant cela à l’esprit qu’il sortit sa dague et se replia pour s’apprêter à se laisser tomber. En position il attendit un peu. Les hommes bougeaient pas mal, se parlant et tentant de comprendre ce qui se passait, surveillant les déplacements qu’ils pouvaient voir pas si loin d’eux. Quand le vieux tourna le dos au plus jeune il se laissa tomber. Il arriva directement sur les épaules de sa proie, et sa lame se ficha entre la clavicule et l’omoplate, atteignant le coeur et un poumon sans aucune résistance. Quand l’homme s’affala en avant il roula sur lui-même et sans regarder derrière lui se mit à courir de toutes ses forces. Les bruits de pas dans son dos lui confirmèrent que le vieux garde l’avait pris en chasse. Serrant de toutes ses forces sa dague dans sa main droite, il se mit à slalomer entre les tentes, les fils, les animaux et même les autres combattants, jusqu’à ne plus entendre que de lointains bruits de pas. Tournant derrière une maison en dur, il se plaqua contre le mur et reprit sa respiration.
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Posté le 21/05/2008 à 12:49:05 

Son coeur battait à tout rompre, ses pieds chancelaient, ses mains tremblaient. Mais Abdoul était toujours prisonnier. Il jeta un coup d’oeil au coin du mur et ne vit personne. Reprenant un pas plus lent, il partit courbé en deux en direction de la prison. Ses yeux étaient en alerte, tout comme le reste de son corps. Il cherchait partout autour de lui la moindre trace d’un adversaire. Mais il ne vit rien. Arrivé près de la prison il se déplaça jusqu’à être sûr qu’il n’y ait plus de garde dans les environs. Il courut jusqu’à la cellule et entreprit de l’ouvrir. Mais la porte, en plus de n’avoir un loquet que d’un côté, était aussi verrouillée à clef. Tout à coup une main s’abattit sur son épaule et il se sentit projeté en arrière. Il vola sur plusieurs mètres avant d’atterrir avec douleur au milieu de jarres qui éclatèrent sous lui. C’était le vieux garde. Et il ne semblait pas content. Tâtant le sol Luun chercha sa dague mais ne la trouva pas. Elle ne devait pourtant pas être loin, il ne l’avait lâchée qu’au moment de l’impact, ou juste avant. Mais le cimeterre qui s’abattait sur lui l’empêcha de chercher plus, il dut rouler sur le côté pour éviter le coup, et se releva aussi sec pour faire face. Mais il était désarmé et ne savait pas quoi faire. Une grosse goutte de sueur descendit de son front et passa sur son oeil droit. Ses mains étaient moites de peur. Ce qu’il voyait en face de lui était sa mort. Il en était convaincu. Sans savoir comment il y parvint, l’enfant réussit à esquiver les deux coups suivants. Mais la frayeur le gagnait et il était de moins en moins réactif. L’adrénaline finissait par le bloquer plus qu’elle ne l’aidait. La fois suivante où la lame fendit l’air, il ne l’esquiva pas entièrement, et elle lui taillada le bras en lui arrachant un cri suraigu. La douleur lui coupa les jambes et il tomba la tête première dans le sable mêlé de miel de lait et d’huile d’olive qui s’écoulaient des jarres brisées. Sous son épaule il sentit quelque chose de froid et de dur. Glissant sa main sous lui, il rencontra la garde de sa lame et la serra avec empressement. Du coin de l’oeil il vit une ombre et par un impressionnant réflexe il esquiva de justesse le cimeterre de l’arabe. Le vieux voulut bloquer l’enfant sous lui. Il l’étranglait d’une main et se tenait à califourchon au dessus de son buste. Son regard était démoniaque, ses yeux rouges. C’était là l’effet des feux se reflétant dans ses iris, mais l’enfant lui ne pensait plus de manière cohérente et une peur indicible le submergea alors. Il cria de toutes ses forces, expirant son air d’un coup, et dans le même temps il utilisa tout ce qui lui restait d’énergie pour poignarder le garde. La dague s’enfonça plusieurs fois dans son buste, sous ses côtes. A chacun des coups l’homme crachait un peu de sang qui allait se poser sur le visage du garçon, rajoutant à sa frayeur. Il finit par fermer les yeux et continua à hurler et frapper sans plus regarder l’homme qui le tenait. Ce fut seulement lorsque l’homme lui tomba dessus, l’étouffant à moitié, qu’il s’arrêta. Il le repoussa à coups de pieds et de poings et recula précipitamment, loin de lui, glissant sur ses fesses sur le sol rougi. Ses yeux étaient exorbités, sa bouche déformée. Il dut se forcer à respirer tant la peur l’empêchait et de réfléchir, et de se contrôler. Une minute passa ainsi, durant laquelle il regardait hébété, le corps de l’homme dont les yeux encore grands ouverts semblaient le fixer. Puis il se souvint de pourquoi il se battait. Il se releva sans penser à son bras, où le sang coulait, empourprant ses vêtements, endormant ses mouvements. Ce n’est qu’une fois arrivé à la porte qu’il se rappela qu’il lui fallait une clef. Il fouilla le corps du jeune garde mais ne trouva rien. Son regard se porta à une dizaine de mètres de là, où gisait le vieux démon. Après plusieurs difficiles et fortes respirations, il trouva la force d’aller le fouiller à son tour. A sa ceinture il finit par trouver un trousseau de clef. Courant de nouveau il alla toutes les essayer, jusqu’à trouver la bonne, faisant tourner avec bonheur la clef dans la serrure. Passant le pas de la porte il appela son maître en chuchotant.
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Posté le 21/05/2008 à 12:50:53 

-Maître ? Maître Abdoul vous êtes là ? Les ombres étaient trop denses pour qu’il vit quoi que ce soit. Il continuait d’appeler, plus fort à chaque fois. Une voix finit par lui répondre. -Jean ? Jean c’est bien toi ? Jean ! Se dirigeant au son Luun finit par trouver son maître et l’aida à se lever. Il lui trancha les liens qui le retenait et lui donnant la main il le tira au dehors. -Viens suis moi, il faut aller se mettre à l’abri. -Mais, que se passe-t-il ? -Ton père et ses hommes sont venus te chercher. Mais je crois que la résistance est plus forte que prévu et les combats s’éternisent. Viens, viens ! Il faut sortir de là et rejoindre les chevaux. -Mais, mon père ! -Tu ne peux rien faire pour le moment, garde tes forces pour monter la dune ! Allez ! Tirant l’enfant Luun finit par réussir à le faire courir, et tous les deux ils se faufilèrent en dehors du campement et réussirent à rejoindre les cavaliers sans rencontrer d’opposants. Les hommes furent très surpris de revoir l’esclave vivant, encore plus en compagnie de leur prince. Le sachant libéré la moitié du groupe restant partit se joindre aux combats et porter assistance au sultan. La lutte fut acharnée et dura encore un bon moment. Plusieurs contrebandiers prirent leurs jambes à leur cou, à pieds. Les hommes du sultan les laissèrent, sachant qu’ils auraient bien peu de chance de s’en sortir vivants ainsi. Aux premières lueurs de l’aube, le soleil révéla un sol couleur de sang, le campement portant les stigmates de la bataille, les corps attirant déjà les charognards. Un cri de victoire monta et emplit la vallée… jusqu’à ce qu’on remarque que le sultan était disparu. Après quelques recherches il fut retrouvé, sous une tente démolie, mort empalé sur son adversaire. A la courte euphorie de la libération de leur prince et de leur victoire guerrière, succéda rapidement le chagrin et la peine de la mort de leur maître à tous. Les hommes rassemblèrent les corps et les firent tous brûler, hormis celui de leur chef qu’ils mirent sur un attelage et remorquèrent avec eux jusqu’au palais. Le cortège était funèbre, dans tous les sens du terme. Personne ne parlait, personne n’avait rien à dire. Et dans les yeux d’Abdoul une grande peine se lisait, ainsi qu’une grande culpabilité. Le retour en ville ne se fit pas sous les acclamations, ni sous les cris de joie. Ils étaient en deuil, et Luun était plus pâle que jamais, ayant encore vomi après ces nouveaux combats.
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Posté le 19/08/2008 à 16:47:48 

Entre sucre et amertume Les choses changèrent rapidement, il ne pouvait en être autrement. Le sultan mort Abdoul devait prendre sa suite. Mais il était trop jeune pour lui-même gouverner son royaume. Son oncle devint son précepteur et régent. Il s’agissait en réalité de Kasim, l’homme qui l’avait acheté il y a de cela de nombreux mois maintenant. Le futur sultan était désormais presque constamment avec lui, Kasim ayant décidé que son neveu devait apprendre tout ce qu’un chef devait savoir. Il n’était plus en enfant mais un homme à ses yeux, et jour après jour il se fit plus dur avec le jeune touareg. Dans le même temps Luun était évincé de son service princier. Bientôt il ne vit plus le prince que lors de rares repas ou soirées. Cela toucha beaucoup le petit français, dont les cauchemars suite aux batailles étaient encore fréquents. Et sans la présence de son maître et ami, il sombrait dans le désespoir, aidé par les réactions de nombres d’hommes qui n’avaient jamais apprécié la présence de cet étranger en leur sein. Brimades et coups devinrent rapidement journaliers. Il ne pouvait rien dire, ni faire. Il ne pouvait qu’encaisser. Son seul plaisir était d’aller rejoindre le maître fauconnier et de dresser son volatile compagnon Zéphir. Khaled avait depuis longtemps arrêté de lui en vouloir d’avoir récupéré l’oisillon quand il vit l’énergie que déployait l’enfant pour s’occuper de lui. En très peu de temps ils étaient devenus très liés, malgré la liberté toute naturelle qui définissait ce genre d’oiseau. Mais Luun ne pouvait devenir fauconnier lui-même, une profession trop honorable pour être laissée à un étranger. Luun pourtant devait apprendre un métier. Devenant adulte selon la culture touareg, il devait trouver sa place dans leur société et se former dans un corps ou un autre. Seulement peu de personnes dans la ville l’acceptaient. Encore moins seraient prêts à lui enseigner. Un matin, comme souvent, le français rôdait dans les dédales du marché, bariolé bruyant et agressifs avec tous ses arômes mélangés. Et comme à chacun de ses passages au marché il s’arrêta devant le travail du forgeron. Cela lui rappelait ce qu’il avait laissé derrière lui. Une forge, son père, une autre vie. Mais ici au contraire de chez son père, beaucoup plus de bijoux étaient créés. Hommes et femmes aimaient à porter des objets de leur art, et ils n’étaient pas l’apanage des seuls nobles et riches marchands. Il y en avait de toutes sortes, utilisant plusieurs métaux et de nombreuses pierres os ou bois. Le marteau du forgeron sonnait à ses oreilles comme un chant doux et calmant, régulier et clair Luun se sentait toujours mieux lorsqu’il était ici, près de l’enclume. Sans penser aux risques qu’il prenait, il prit entre ses doigts un bracelet présenté devant lui et l’observa, le faisant tourner entre ses doigts. Plongé dans sa contemplation de l’œuvre finement ciselée il n’entendit pas que le marteau avait cessé de rencontrer son amante l’enclume. Et quand la voix du forgeron s’éleva il sursauta, lâchant le bracelet et le rattrapant comme s’il était brûlant en s’y prenant à plusieurs fois. -Il te plaît ? -Je ne faisais que regarder ! -Ce n’est pas là ce que je te demande : il te plaît ? L’enfant regarda le bracelet une nouvelle fois puis osa enfin regarder le forgeron quand il lui répondit. -Oui messire. Je regardais les végétaux et les drapés qui y étaient ciselés. Ils sont magnifiques, on voit presque le tout voleter sous l’effet du vent. Le forgeron sourit sans rien répliquer pour l’instant. Il se massa les mains, faisant bouger ses doigts endoloris et raidis. Puis il leva le menton vers l’enfant et lui parla à nouveau. -Que fais-tu ici ? -Rien rien ! Je regardais juste je ne voulais pas voler ! -Qui a dit que tu le voulais ? -Je…je. -Réponds donc aux questions au lieu d’imaginer toute sorte de chose et de t’emmêler les pinceaux. -Je…et bien… Penaud l’enfant se calma en reportant son regard sur le bracelet et en le faisant tourner sur lui-même. J’aime à venir ici, regarder votre travail, entendre le bruit du marteau et celui de l’enclume. -Ah ? Et pourquoi donc ? -Cela me calme. Et, c’est le seul endroit où je me sente bien, où je puisse réfléchir correctement et espérer trouver solution à mes questions. -Oh oh ! Une bien grave réponse pour un enfant mon petit. Tu as un problème que tu n’arrives pas à résoudre ? C’est si dur que cela ? -Oui… -Et bien parle alors ! S’il n’y a qu’ici que tu te sens à l’aise, discutons-en ! L’homme était jovial malgré son visage bourru et perlé de nombreuses cicatrices ou brûlures. Il ne sut pourquoi, mais mis en confiance d’une manière ou d’une autre, Luun parla. -On m’a dit que je passais à l’âge adulte selon votre coutume. Et que je devais apprendre un métier. Mais je ne sais quoi faire, et surtout je ne vois personne qui accepterait de me prendre comme apprenti. -Mmm… L’homme écoutait, frottant son menton dans une de ses mains calleuses, l’autre passée dans sa ceinture. -Et si je ne trouve pas, j’ai peur qu’on devienne encore plus violent avec moi au palais. -Tu es au palais ? questionna l’homme visiblement surpris. -Oui messire, je suis le page du prince Abdoul. Enfin… j’étais censé l’être mais depuis que le régent l’a pris sous son aile pour lui apprendre à devenir un bon sultan je le vois de moins en moins, je suis éloigné de mon service. -Mmm mmm. Et bien commençons par le plus simple : que sais-tu faire ? -J’ai appris à dresser les faucons avec maître Khaled… mais je n’ai pas le droit de devenir fauconnier car je suis étranger. L’enfant avait le visage baissé et inconsciemment il tournait l’un de ses pieds dans la fine pellicule de sable qui recouvrait les pierres du sol, y dessinant des cercles et ovales du bout des doigts de pied. Il ne le vit pas, mais le forgeron fronça des sourcils en voyant ce gamin si peiné. -Et c’est là tout ce que tu as jamais appris à faire ? -Et bien… en fait non. Je… -Oui ? -J’ai commencé à apprendre à forger aussi. -Ah bon ? L’homme se redressa sur son tabouret, tout étonné de cette nouvelle et intrigué. -Oui. Avant d’être esclave j’étais fils de forgeron. Et mon père avait commencé à m’apprendre son métier. -Oh ! Et que sais-tu faire ? -Couper le métal, travailler son tranchant, plier le métal pour former une lame plus solide, fondre certains alliages. Créer des couteaux, manche compris, taillé dans le bois ou la corne. Et j’ai déjà fait quelques bijoux avec des pierres enchâssées. -Vraiment ? L’homme paraissait vraiment étonné et signe de sa réflexion il se frottait le crâne, faisant glisser ses gouttes de sueur le long de sa nuque et tomber la poussière qui s’accrochait à ses cheveux qui repoussaient. -Tu crois pouvoir me montrer ce que tu sais faire ? Si je te donne un peu de métal et les outils tu crois pouvoir me refaire ce bracelet ? L’enfant regarda le forgeron, afin de voir s’il avait bien compris ce qu’il avait cru entendre. Le forgeron le regardait fixement, avec ses yeux noirs et profonds et tout chez lui transpirait la franchise, et l’étonnement. Son regard revint alors au bracelet qu’il étudia à nouveau. Et tout en le regardant de près il répondit. -La forme est facile à recréer. Même les bords ronds ne sont guère une difficulté. Les personnages prendront du temps à être réalisés mais je pense pouvoir y arriver. Par contre… le drapé et les végétaux… ils sont d’une telle complexité qu’il me faudrait beaucoup d’essais je crois avant de comprendre comment vous les avait réalisé et être apte à les reproduire. -Essaie. Surpris l’enfant sursauta à nouveau. Lentement il tourna la tête vers le forgeron, comme encore sonné par ce mot lâché tel un couperet. -Pardon ? -Essaie. -Quoi ? Là, maintenant ? -Tu as besoin d’un maître non ? Essaie de le reproduire. Si tu y arrives tu deviendras mon apprenti. -Vraiment ? -Oses-tu douter de ma parole fils de franc ? Le ton était devenu plus sec et dur, mais pas vraiment méchant. Il remettait toutefois en place Luun, qui avait osé douter du forgeron et ainsi bafoué l’honneur de l’homme. -Pardon messire. Pas un instant je n’ai douté de votre parole. -Alors tais-toi et mets-toi au travail. Je reste ici toute la journée et la matinée est à peine entamée. Tu as jusqu’à ce que le soleil se couche pour faire ce bracelet. -Mais ! -Tu perds du temps gamin. Encore bouche ouverte, le forgeron retourna à son travail sans plus le regarder, après avoir créé un espace pour l’esclave, et lui avoir laissé ce qu’il fallait pour réaliser le bracelet. Le marteau recommença à frapper le métal. Lourdement. Avec précision. Et force. Chacune de ses chutes résonnait jusqu’aux entrailles de Luun. Regardant le bracelet il se laissa submerger par cette fracassante mélodie. Son choix était fait. Il allait essayer. Prenant place sur le tabouret de bois le gamin comme l’avait appelé le forgeron se massa les mains, les échauffant, puis il approcha des outils et les caressa du bout des doigts. Le contact du bois, devenu lisse à force d’utilisation, le fit frissonner de plaisir. Après avoir étudié leur forme, les avoir passé tous devant ses yeux et les avoir pris en main, il regarda la pièce de métal qu’on lui avait donné. Il chercha les défauts de la pièce, les aspérités, les éclats. Il la regarda sous divers angles, jouant avec la lumière pour se l’approprier. Son visage devint bientôt tel le métal, lisse, presque froid et pourtant vibrant d’énergie. Concentré ses sourcils se rapprochaient l’un de l’autre par moment, ses yeux oscillant d’un endroit à l’autre sans guère que ses paupières ne se ferment. Se sentant enfin prêt il prit un premier outil et s’attaqua au travail. Bientôt le son de ses outils rejoignit celui lancé par le forgeron. Plus clair, plus léger, plus fin ou même aérien. Tout aussi rapide et précis car rapidement il avait retrouvé ses automatismes malgré qu’il n’ait travaillé le métal depuis très longtemps. Les heures passèrent, le soleil courant dans le ciel sans nuage. La chaleur était écrasante et les passants cherchaient au maximum à se protéger avec leurs voiles quand ils ne pouvaient passer sous les avancées bâchées des étals. Luun aussi avait chaud et il devait régulièrement essuyer la sueur qui gagnait sur son front. Mais trop concentré sur sa tâche il ne la ressentait pas vraiment. De même qu’il ne vit que le forgeron partit à un moment. Pas plus qu’il ne sentit approcher la fin de l’après-midi sans même avoir mangé quoi que ce soit. La température tomba, les torches commencèrent à grésiller, allumées par des gardes alors que le soleil commençait tout juste à passer derrière les plus hautes dunes. Une ombre se dessina sur le plan de travail de l’enfant qu’il ne vit même pas. Ce n’est que quand la voix gutturale du forgeron s’éleva près de son oreille qu’il sortit de sa transe, ou ce qui en approchait. -Alors ça donne quoi ? Essuyant une nouvelle fois son front de sa manche, Luun releva son buste et s’étira, fourbu. Ses yeux trahissaient son humeur assez mauvaise. -J’ai fait de mon mieux mais… impossible de réussir à faire vos drapés. Et même les végétaux, j’ai beau trouver une forme similaire je n’arrive pas à les faire vibrer comme les vôtres. Les personnages au moins sont assez ressemblants, même s’ils ne sont pas non plus exactement fidèles aux vôtres. -Fais voir. Le forgeron prit la pièce tendue par l’enfant et l’examina au dehors, profitant des derniers rayons de soleil glissant sur l’allée. Il fit tourner la pièce assez longtemps dans ses mains. Suffisamment pour que Luun nettoie ses outils et les range. Et aussi pour qu’il commence à se morfondre de n’avoir réussi l’objectif que lui avait donné l’homme. -Impressionnant. -Hein pardon ? -Je dis que tu es impressionnant gamin. Jamais je n’ai vu un enfant de ton âge réussir aussi bien sur une telle pièce. -Mais ce n’est pas assez. Vous m’aviez demandé de faire une copie de votre bracelet, et je n’ai pas pu. -Encore heureux ! Si un enfant à peine apprenti avait pu copier l’une de mes œuvres alors que je forge depuis plus de trente ans, je n’avais plus qu’à rendre l’âme sur le champ ! -Mais vous me l’aviez demandé ! s’écria le gamin en levant les paumes. -Et je te dis que tu ne pouvais pas le faire ! C’était un test ! Je voulais voir ce que tu pouvais faire, jusqu’à quel point tu pouvais réussir à manier le métal. Si réellement tu avais appris la forge et si oui ou non tu étais doué ! Et ce que je vois m’impressionne, tout simplement ! Le forgeron souffla et prit un instant pour se calmer avant de poursuivre d’une voix plus calme. -Ton père devait être bon et a du sacrément bien te former. En plus d’un talent inné tu as apparemment eu un très bon enseignement. Tu as des bases qui sont parfaites, il te faut apprendre le reste. Je serai ton maître. Laisse-moi plier mon étal et nous irons voir ton maître. L’homme rangea ses affaires, aidé par l’enfant sans qu’il le lui demande. Une fois son chariot rempli ils le tirèrent jusqu’à un entrepôt non loin puis une fois décrassé, le forgeron suivit Luun jusqu’au palais. Il leur fallut attendre un moment avant que le régent ne fut disponible et accepte de recevoir l’enfant et le forgeron. Bien que sec et froid il finit par accepter et les fit rapidement partir. Luun avant de sortir le remercia, et silencieusement regarda le prince. Ses lèvres sans un son formèrent le nom de son ami. Enfin il se détourna et repartit faire ses affaires avant d’aller rejoindre son nouveau maître. Il allait déménager et entamer une nouvelle vie. Il allait certainement en baver encore, mais au moins apprendrait-il quelque chose, et qui plus est, quelque chose qu’il aimait.
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Posté le 09/09/2008 à 13:38:06 

Apprentissage et Douleur L'année 1699 touchait à sa fin. Cela allait faire deux ans qu'il était parti de la ville, quittant le prince Abdoul pour apprendre la forge auprès d'un nouveau maître. Il restait serf, mais était dans un sens de nouveau libre. Il devait suivre les ordres du forgeron certes, mais ce dernier le considérait presque comme un fils, ou au moins un neveu. L'homme vivait seul avec sa fille au milieu d'un oued entre la capitale et la côte. Les autres habitants appréciaient énormément son travail, mais personne ne l'avait aidé quand sa femme était morte des suites d'une maladie. Sa fille encore bien jeune alors avait du se mettre à travailler, remplaçant comme elle pouvait sa mère à la maison, aidant de son mieux à tenir le troupeau de brebis. Cela l'avait endurcie, et elle s'était enfermée aussi. Rares étaient ses sourires quand Luun était arrivé dans la maison, pour ne pas dire inexistants. Mais cela avait bien changé. Le petit français avait été accueilli avec circonspection par l'adolescente, son aînée de deux ans. Il s'était vite intégré à leur vie, et toute l'oued avait suivi cette étrange nouveauté dans leur vie établie. Sa peau, quoique hâlée, était pour eux bien blanche, ses traits ceux d'une femme. Il détonait. Mais ses efforts au travail et son aide apportée à la communauté entière lui valurent une camaraderie toute nouvelle pour lui. Loin des jeux de pouvoir et de la vie citadine, les gens étaient, paradoxalement peut-être, plus chaleureux avec ceux qui s'investissaient et tentaient de s'intégrer. Il était vite devenu l'un des leurs. Entre son acceptation par les bédouins et la gentillesse du forgeron, ainsi à n'en pas douter que son plaisir de retrouver une forge, Luun devint vite heureux. Et sa joie de vivre revenant, elle contamina peu à peu la maisonnée, se répandant autour de lui comme un doux feu. Yasmine, la fille de son maître, n'y échappa pas. Elle commença au bout de quelques mois à sourire sporadiquement, et au bout d'un an, son père eut même le plaisir de l'entendre rire à nouveau, après une bêtise commise par l'apprenti. La vie était simple, rude mais aussi chaleureuse, formatrice et bienheureuse. L'adolescence faisant, et la petite étant jolie, la promiscuité avec Yasmine finit par faire effet à Luun. Il rosissait régulièrement à son contact, épiait son dos mais fuyait son regard. Le forgeron en riait intérieurement. L'hiver arrivant l'enfant travaillait sur un nouveau projet, qu'il se gardait bien de montrer à son entourage. Mais le maître de maison avait bien fini par l'attraper. Mais au lieu de se mettre en colère parce que son apprenti lui volait des matériaux, il lui offrit une petite boîte, contenant des pierres. -Choisis ce qu'il te faut dedans, et fais attention lors du sertissage. Elles ont grande valeur. Voilà tout ce qu'il lui avait dit avant de repartir sous sa tente prendre du repos. Dans le petit coffret de bois exotique il trouva diverses pierres. Améthyste, topaze, opale, onyx... Il ne put s'empêcher de lâcher un oh de surprise en voyant de si belles pierres, avant de se remettre au travail avec encore plus d'acharnement. Ici, Noël n'existait pas, mais une autre fête avait lieu. Et il comptait bien offrir quelque chose à Yasmine. Quelque chose qui lui montrerait ses sentiments. Un moyen détourné de faire passer ce qu'il ne pouvait dire. Lors de la fête, réalisée avec l'ensemble du village, tous s'échangèrent des petits cadeaux. Dattes, lait de chèvre, tissus, habits, peaux, petites pièces d'ébénisterie. C'était là déjà de belles choses. Et le simple fait que cela soit offert rendait le tout plus beau. Le repas s'était fait devant un grand feu central, tout le monde assis autour, les plats circulant, chacun mangeant à la main dedans. Puis on avait dansé, et chanté. La moitié de la nuit avait été prise par ces festivités. Et durant toutes ces heures, Yasmine et Luun ne se lâchèrent pas du regard. Personne n'était dupe, et tout le monde s'en réjouissait. Sauf peut-être quelques autres jeunes hommes qui la convoitaient aussi jusque là. Mais ce soir, chacun avait perçu leur amour, et le forgeron rayonnait, sentant qu'un mariage, celui de sa fille diable! allait rapidement avoir lieu. Au printemps certainement. Luun fut quelque peu chahuté par les autres hommes, mais sinon on les laissa gentiment continuer leur cour muette. Quand tout se termina, chacun rentra, épuisé mais un sourire jusqu'aux oreilles, dormir du repos du juste. Mais Yasmine n'avait pas encore fini d'être surprise et heureuse. Sur son oreiller attendait un petit coffret de bois dont le montant supérieur était orné d'un faucon gravé au couteau. Avec fébrilité elle l'ouvrit, découvrant les yeux ébahis une paire de boucles d'oreille. Le tout en main elle se précipita dans la partie de la tente où s'alitait celui qui, nécessairement, était l'auteur de cet ouvrage. Au bruit du froissement de ses habits Luun se retourna, tout juste à temps pour recevoir dans ses bras Yasmine qui s'était jeté sur lui. Il atterrit sur le dos au milieu des coussins, la demoiselle sur lui. Et avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, elle l'embrassa. Longuement. Puis, tout aussi rapidement elle repartit dans sa chambre, le laissant là, allongé, les bras ouverts bêtement dans le vide, les yeux écarquillés, le coeur battant à tout va. Epuisé à cause de toutes ces émotions, il s'endormit sur place, sans même bouger, laissant juste ses bras se refermer sur son coeur, un sourire béat sur son visage.
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Posté le 10/09/2008 à 01:24:59 

Les jours s'enchaînèrent alors. Le mariage fut rapidement décidé, bien que certains protestèrent, du fait qu'il soit étranger, la communauté au grand complet finit par valider cette union. Tous se mirent à donner de leur temps pour préparer qui un habit, qui un plat, qui une décoration. Une toute nouvelle tente fut montée, non loin de la demeure parentale. Luun était sur un nuage. Ses nuits lui suffisaient à peine pour rattraper la fatigue physique accumulée dans la journée. Seul son bonheur le faisait tenir debout. Un bonheur qui lui donnait des ailes, et un sourire à nul autre pareil. Puisqu'elle était sans mère, Yasmine fut l'enfant de toute l'oued. Les femmes tournaient autour d'elle, telles des abeilles en pleine confection. La pauvre finissait par en avoir du mal à respirer. La nuit, avant de s'endormir elle prenait un peu de temps pour goûter au simple plaisir de la tranquillité et du silence. Tout allait au mieux. Et un mariage étant chose rare, la communauté entière nageait dans l'allégresse de ce jour heureux. A tel point que leur sécurité ne fut plus aussi bien assurée. Personne ne remarqua un soir, ce grand cavalier sur le haut d'une dune à quelques foulées des tentes. Ni même qu'au milieu de la nuit il s'introduisit au milieu des tentes. Les préparations continuèrent. Rien ne troublait ce petit groupe qui bénissait chaque jour qui passait leur dieu tout puissant et bienveillant. Même Luun remerciait dans leur langue leur dieu. Comment pouvait-il ne pas se sentir béni? Bientôt marié, à une femme aussi belle qu'intelligente, et avec, comme dot, sa liberté! Il ne pensait même plus à sa terre natale. Il se sentait de nouveau chez lui, ici, au milieu du désert, sous un soleil implacable et au milieu de bédouins. Le jour le plus important de sa vie approchait à grand pas. Ce jour allait être gravé à tout jamais dans sa mémoire. C'était le 20 Mars de l'an 1700, le mariage ayant été préparé pour se dérouler lors de l'équinoxe de printemps afin d'offrir bonheur et fertilité aux jeunes mariés. La nuit précédente, les deux jeunes gens avaient dormi chacun à un bout du village. Les hommes prenant une moitié de l'espace, les femmes la seconde. Chaque groupe avait festoyé de son côté, préparant le plein passage à la vie adulte de Luun et Yasmine. Longe fut la nuit, au milieu des chants, histoires, danses et rires. Certains ne dormirent même pas pour s'assurer que tout soit prêt. La tension montait. Luun faisait les cent pas sous la tente du forgeron tandis que Yasmine froissait tout tissu qui lui passait sous la main. Il devenait impossible de les tenir. Quand enfin le temps fut venu, peu avant que le soleil n'atteigne sa plus haute position dans le ciel, en début d'après-midi, on fit avancer Luun. Au centre du village plusieurs tentes avaient été décalées pour permettre de laisser place à une large aire où se tiendrait le mariage. Au bord de la petite retenue d'eau, sur les quelques parcelles vertes, avait été monté des arches fleuries pour encadrer l'endroit où le couple allait être scellé par les liens sacrés. Des tapis et coussins avaient été disposé un peu partout autour, en demi-cercles, l'autre bout de la place servait de banquet. Plus de cinquante plats étaient disposé, sans compter les paniers de fruits. Et les boissons ne manquaient pas. L'on fit se tenir Luun sous une arche, le forgeron restant derrière lui, une main bienveillante posée sur son épaule. De temps à autre il lâchait quelques mots rassurants pour que le français se détende, mais il n'était pas moins nerveux que lui. Les femmes commencèrent à se joindre à l'assistance. Le brouhaha ambiant s'intensifia. Luun dansait d'un pied sur l'autre. Quand enfin le cercle se desserra pour laisser entrer d'abord une petite fille avec un bouquet de fleurs, puis, dans sa robe de mariée d'un rouge profond et à la coupe sobre mais échancrée, la femme qui faisait battre son coeur. Le visage cachée derrière une gaze de la même teinte que sa robe, Yasmine peinait elle aussi à respirer. Elle dut s'appuyer sur ses amies pour réussir à avancer. Elle était à cinq pas de lui, entre Terre et Ciel, quand tout bascula.
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Posté le 10/09/2008 à 01:48:55 

Lancés du haut de la plus proche dune, une vingtaine de cavaliers armés et hurlant comme des chiens infernaux, descendirent dans un roulement de tonnerre jusqu'au groupe ébahi. Personne ne bougea avant que les premiers coups ne soient portés. Tous étaient bloqués sur place, dépassés par cet orage d'horreur qui s'abattait d'un coup sur ce nénuphar d'allégresse. Le sang imbiba le sable avant que les premiers hommes ne bougent et les femmes ne se mettent à crier. Tout se déroulait au ralenti pour Luun. Un instant il regardait Yasmine arriver, pouvant détailler chacun des mouvements qui formaient son pas, celui d'après, dans un lent mouvement latéral, ses yeux s'agrandissaient sous l'effroi créé à la vue de ces cavaliers. Tout aussi lentement son visage se tourna à nouveau vers la musulmane qui elle aussi avait regardé derrière elle, sans que son cerveau n'admette ce que ses yeux voyaient. Les deux enfants purent plonger à nouveau leur regard l'un dans l'autre, un instant, si court, si éphémère, avant qu'un cavalier n'abatte son cimeterre sur un témoin et coupe, lancé au galop, le lien invisible qui les unissait l'un à l'autre. Le temps reprit alors son emprise sur le garçon, la peur sur la fille. Le combat n'eut même pas lieu. Les hommes ne purent jamais atteindre leurs armes et la moitié d'entre eux sombrèrent avant même que l'idée d'un assaut ne pénètrent la conscience de tous ceux réunis ici. Le ciel sembla plus sombre, le vent plus fort, la température plus froide. Les survivants étaient brutalisés, bâillonnés, attachés ou maintenues à la main par les barbares. L'un d'eux, grand, le visage grêlé entouré d'une barbe longue et hirsute, invectiva des ordres et se mit à approcher à grand pas de Luun. Quand son bras se leva pour frapper il ne put que fermer les yeux, et entendre le choc parcourir son corps. Mais il ne sentit rien. Aucune douleur. Il rouvrit alors les yeux, tremblant, et découvrit à un pas cet homme, les muscles de la face saillants sous les nerfs tendus, regardant quelque chose dans son dos. Il fit un pas, pivotant lentement, et se rendit compte que c'était son beau-père qui avait reçu le coup. Le vieil homme était bouche ouverte, ses lèvres éclatées laissant ses habits blancs découvrirent une nouvelle teinture. -Eh bien Kamal, surpris de me revoir? demanda l'agresseur. -Acheg? répondit, avec difficulté et d'une voix tressautante le forgeron. -Eh oui! Ton frère! Ca doit t'étonner hein? Sale engeance! -Mais.. -Mort? Non, je ne le suis pas. Je n'allais pas te faire ce plaisir! L'homme qui se disait être le frère du forgeron ouvrait les bras et pointait sa poitrine, sabre au clair. Il bouillonnait et parlait en crachant sur le vieil homme prostré à ses pieds. -Non je ne suis pas mort. Ni tes armes, ni la poudre de tes amis ne m'ont eu. J'étais comme mort, mais je me suis battu, raclant un peu de vie à chaque respiration, aussi difficile me soit-elle, regagnant un peu de mes forces à chaque fois que je maudissais ton nom! Quinze ans! Quinze longues années passées sous des bandages, la peau constamment couvertes d'onguents, baignant le plus souvent dans mon propre sang. Quinze ans à hurler ton nom chaque heure qui passait. Tu as pris ma vie chien! Tu as pris ma femme salop! Et tu ne m'as laissé que la douleur et la haine! Peu à peu l'homme c'était mis à crier, sa lourde voix emplissant toute la petite vallée. Il s'avança et se pencha sur son frère, jusqu'à avoir son nez contre le sien, sa lame planté dans son cou. -Et aujourd'hui je viens te rendre tout cela. Mahir! lança-t-il. Vient donc prendre ce porc et attache le à cette arche, nu et écartelé. Il se retourna de nouveau vers lui alors qu'on le soulevait et l'attachait, lui donnant quelques coups dans les côtes pour être certain qu'il ne se débattrait pas trop. Un sourire mauvais se dessina sur ses lèvre. -Il paraît qu'on fête un mariage aujourd'hui, ta fille je crois non? Il serait dommage de ne pas en profiter. Un long non désespéré sortit de la gorge de Luun tandis qu'il bondissait vers Yasmine, mais à peine debout, un violent coup de garde asséné par un des hommes d'Acheg le renvoya avaler le sable. Il fut soulevé sans ménagement, les bras à moitié tordus dans le dos. Acheg vint vers lui et le prenant par le menton lui souleva le visage. -Et bien, que voilà? Un chien perdu dans le désert? Un rat des sables. Ne me dis pas que tu allais marier ta fille à ça Kamal? demanda-t-il en rigolant. Et dire qu'on a le même sang. Tu n'es rien Kamal, RIEN! D'un grand coup dans la mâchoire l'homme lâcha toute sa haine sur Luun. L'os craqua sous le choc, et se déboîta de sa loge. Il toussa et peina à rouvrir les yeux, embués de larmes de douleur. Acheg les regarda tour à tour, comme au milieu de fous, sans savoir lequel punir en premier. Puis son regard avisa de nouveau Yasmine et son sourire sadique revint, dévoilant des dents brisées. -On va honorer la mariée hein! Faudrait pas lui gâcher ça! -Non! Non! Salop! Vous avez pas le droit! Laissez la! Laissez la!! Luun se débattait, inutilement, sentant déjà les larmes monter, quand un nouveau coup lui brisa les côtes. -Faîtes le taire s'il la rouvre! Je ne veux plus l'entendre! Je ne veux... qu'entendre la voix de cette douce et jeune nièce. Yasmine, tenue par un homme, tenta de bouger, aussi vainement que Luun. La peur se lisait dans son regard, ses yeux cherchant de l'aide dans ceux de Luun, de son père, des autres encore en vie. Une aide qui ne viendrait pas, elle le savait. Mais c'était là une chose que sa conscience ne pouvait accepter et refoulait. Ce n'était pas possible, elle ne pouvait pas subir cela. C'était son mariage! Elle n'allait pas souffrir et mourir ce jour là! Acheg arriva devant elle en se léchant les doigts, la dévisageant avec une parfaite lubricité. -Alors alors... Ses mains soulevèrent son décolleté et il siffla en découvrant ce qui s'y cachait. Il se mit à pétrir ces petits seins, avec violence, arrachant un cri à la pauvre fille. De force il l'embrassa, lui écrasant les lèvres et lui soufflant son haleine fétide au visage. -Attache la à l'autre arche, nue et le dos offert. Jambes écartées, cela va de soi. Pendant que ses hommes s'affairait il revint vers son frère, tout sourire, et se pencha à son oreille pour lui murmurer d'une voix mordante: -Elle va souffrir, sous tes yeux, et tu seras impuissant. Et tu ne pourras regarder ailleurs. Toi! attache lui aussi la tête, qu'il ne perde rien du spectacle. Il pensa de nouveau à Luun et le toisa. -Ah et le marié! Faudrait pas qu'il se sente lésé non plus hein? Vous deux! Maintenez le debout à côté de l'arche, qu'il ne perde rien de ce qui se passe. Acheg passa derrière Yasmine et dans un premier temps souleva ses cheveux, goûtant à son cou, une de ses mains vagabondant sur et entre ses fesses. La jeune femme serra les dents et pleura tout à fait. Son père avait la bouche ouverte et criait sourdement, sans voix, les yeux exhorbités. Luun pleurait aussi, hurlant comme un dément lorsque les premiers coups de fouet atteignirent le dos de celle qui aurait du être sa femme à l'heure qu'il était. A chaque coup porté son dos s'arquait aussi, comme s'il ressentait aussi bien les coups que celle qui les prenait. Au bout du vingtième on le bastonna pour qu'il se tienne tranquille. Crachant le sang, il arrêta de bouger, pleurant en silence, le regard rivé sur cette scène qui s'incrustait au plus profond de ses rétines et de son âme. Quand cinquante furent portés, Acheg arrêta, passant une main dans ses cheveux collés par la sueur sur son visage pour les renvoyer en arrière. Soufflant un peu il alla vers un feu sur lequel restait au chaud un couscous, et plongea sa lame dans les flammes au milieu des tisons rougeoyants. Quand il l'en ressortit elle était du même rouge sépulcral. Il avança de nouveau vers les arches, riant à l'avance de sa prochaine action et montrant bien à son frère ce qu'il préparait. Le fer rougi atteignit d'abord la peau entre les omoplates. Elle hurla. Longuement. La deuxième fois aussi, quand elle fut touchée sous un bras. Un peu moins longtemps la troisième, un sein brûlé. Lorsque son bas ventre fut la cible du tortionnaire elle ne put que se tordre de douleur, sans plus trouver la force de hurler. Luun ne pleurait plus. Il serrait les poings, grondant. La torture continua, avec des lames, qui découpèrent ses chairs, s'enfoncèrent dans ses organes, arrachèrent sa peau. Et alors que toute cette cruauté devenait insupportable Acheg la prit, enfonçant une dague entre ses côtes à chaque coup de rein qu'il donnait. Ses yeux rivés dans ceux de son frère il ria quand il éjacula, ouvrant en même temps le cou de sa nièce. Le sang gicla sur le visage de son père, défait. Vieilli de trente ans. Acheg tourna autour de l'arche, et se planta devant son frère, nu et couvert d'un mélange de sang, de bave et de sperme. Sans un mot il assassina son frère, enfonçant son cimeterre jusqu'à la garde sous son sternum. Il souffla, s'essuya le front luisant de sueur, y déposant une large traînée de sang, et fit un signe de tête en direction de Luun. -Rouez le de coups et attachez le là, qu'il accompagne sa "famille". Qu'il voit les vautours dévorer leurs corps. Les coups se mirent alors à pleuvoir sur son corps. Mais il ne sentit rien, son esprit pour l'heure fermé à toute émotion et sensation. Dans son dos l'extermination reprit son cours et les tentes brûlèrent tandis qu'on l'attachait à un piquet, genoux au sol, bras écartés et soulevés sur un lourd bâton, face aux deux corps des êtres qui l'avaient tant aimé. Acheg et ses hommes partirent en le laissant là, seul vivant au milieu d'un bucher infernal, les odeurs de chair grillant surpassant ses capacités olfactives, ses habits collés à la peau par son sang séchant, les yeux ne pouvant se détacher de celle qu'il n'avait pas eu le temps une seule fois d'appeler sa femme. Ses cheveux, lorsque le feu finit par s'éteindre, étaient devenus blancs.
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26/08/2006
Posté le 11/09/2008 à 16:08:46 

Un nouveau départ Luun resta longtemps ainsi agenouillé au sol, ses épaules hurlant de douleur à force d'être écartées sur ce gros morceau de bois. Pourtant il ne sentait rien. Il était comme anesthésié. Il revivait sans cesse les derniers évènements, et parfois même tout le chemin qui de la Bretagne l'avait conduit ici. Le destin était-il si énervé à son encontre? N'avait-il droit à sa part de bonheur, autrement qu'une fraction de temps, éphémère, presque insaisissable, pas moins que s'il essayait de retenir le souffle du vent entre ses doigts? Le vent sec du désert perçait sans problème à travers le peu de végétation qu'il restait à l'oued. Il glissait sur sa peau, s'enfonçant dans les gerçures de ses lèvres, cuisant ses plaies avec un peu de sable transporté. Celui qui venait véritablement de cesser être un enfant crispait les poings de toutes ses forces. Il était abattu certes. Une part de sa vie venait de finir ici. Il était mort en même temps que Yasmine. Il n'était peut être plus qu'un fantôme sur terre, prêt à errer et hanter, mais au moins, ne craignait-il plus pour sa vie. Il ne craignait plus rien. Puisqu'il était mort. La nuit reculait face au soleil, la vie se relevait face à la mort. Il devait continuer son chemin, trouver sa voie; en gardant en son coeur les morts laissés derrière lui, cet amour perdu, ce bonheur brûlé. Son regard se fit aussi dur que la pierre, ses mâchoires se resserrèrent: il allait vivre. Pour tous ceux qui ne pouvaient plus. Arquant ses épaules, baissant ses bras, il se mit à tirer sur le bois qui le retenait. Il était dur et large, mais sec. Il força, le sentit geindre, et dans un grand hurlement, donnant un dernier coup libérateur, ses mains se croisèrent, le bois volant en éclats autour de lui. Des morceaux restaient attachés à ses poignets par les cordes qui le retenaient. Le tout vint rejoindre le chaos ambiant au sol. Luun regarda alentour: tout n'était que désolation, la quasi totalité du village parti en cendre, des dizaines de corps au sol, le sable complètement imbibé de leurs fluides. Des vautours déjà s'approchaient. A la main il creusa près du point d'eau, ouvrant un espace dans le sol. Ses doigts y laissèrent peau ongles et sang. Il ne sentait toujours rien, son esprit trop blessé pour sentir cette petite souffrance plus que comme une légère piqûre. Quand l'espace ainsi dégagé fut suffisamment grand, il alla détacher le forgeron, Kamal, et l'y glissa avec douceur, lui fermant les yeux et croisant les bras. Puis il alla vers Yasmine. Ses mains tremblèrent lorsqu'il s'attaqua à ses liens. Il l'allongea au sol et la regarda. Il n'arrivait pas à la toucher. Ses bras entiers étaient pris de spasmes. Il s'en voulait, d'avoir été incapable de faire quoi que ce soit pour aider celle qu'il aimait. Il avait été inutile. Complètement. Il n'avait pu que regarder les évènements se dérouler. Spectateur forcé d'une ignominie abjecte. Ses poings frappèrent le sol, il banda tous ses muscles, rejeta violemment la tête en arrière et hurla silencieusement toute sa souffrance au ciel. Lorsqu'il eut besoin de reprendre sa respiration il se pencha à nouveau en avant; son regard n'avait plus grand chose d'humain. Il prit dans ses bras son aimée, et alla l'enterrer aux côtés de son père. Puis il fouilla le village à la recherche d'un ou deux vêtements. Il dénicha aussi un sac, un peu de lait sauvé il ne savait comment dans deux petites bouteilles, et un couteau. Il jeta sa chemise aux dernières flammes et en enfila une nouvelle sans même prendre la peine de laver ses plaies. Il dut ensuite prendre plus d'une heure pour regrouper le troupeau de chèvres. Avec elles, deux gourdes d'eau remplies, il prit la direction de la côte. Derrière lui il ne laissa que des cendres. Des cendres qui se dispersaient dans le désert avec le vent, aussi vite que ces souvenirs étaient effacés de sa mémoire par une inconsciente manoeuvre de survie. Le chemin fut long et dur, surtout pour les bêtes; Luun encore dans un état second n'avait cure des souffrances infligées à son corps. Quand il arriva en ville peu s'intéressèrent à lui, il fut surtout évité. Son état l'empêcha certainement de vendre les bêtes à leur prix, mais là encore il s'en fichait. Il en retira assez pour ce qu'il souhaitait acheter. Il dut attendre un peu avant que l'occasion ne se présente. Un matin, sous un ciel dégagé de tout nuage, les embruns prenant d'assaut la ville sous un vent frais, il monta à bord d'un bateau, payant son voyage à un sous-off véreux qui accepta de le prendre contre tout ce qu'il avait. Le bateau prit rapidement le large. Avant de voir disparaître la ville Luun jeta à la poupe le batôn avec lequel il avait traversé le désert, laissant derrière lui toute trace de sa vie passée sur ce continent. Il voguait, vers une nouvelle vie, vers un Nouveau Monde.
 

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